Sénat en action s'immerge dans les coulisses du Sénat pour montrer le travail des 348 élus de la chambre haute, l'élaboration d'une loi et son application sur le terrain. Auditions, commissions d'enquête, projet de loi... plongée inédite au coeur du Sénat. Année de Production : 2023
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00:00 ...
00:21 -Dormir dehors, à l'abri d'un pont, sous une tente,
00:25 parfois à même le sol, sur le froid mordant du trottoir.
00:29 ...
00:32 En France, on estime que 330 000 personnes
00:35 sont sans domicile, parmi elles, de plus en plus de femmes.
00:40 Combien sont-elles ?
00:43 Pourquoi sont-elles aussi nombreuses
00:45 à se retrouver sans solution d'hébergement ?
00:47 Des questions sur lesquelles s'est penchée
00:50 la sénatrice Agnès Evrène.
00:52 Nous l'avons suivie dans ses visites de terrain,
00:55 à la rencontre de ces femmes,
00:57 de celles et ceux qui tentent de leur venir en aide
01:00 et se sentent de plus en plus démunies.
01:03 ...
01:17 ...
01:19 Lorsque nous rencontrons Edwige à Paris,
01:22 cela fait 12 jours qu'elle est à la rue.
01:25 -Je suis arrivée en France en juillet 2022.
01:29 J'étais d'abord au pays.
01:31 Chez moi, en Corse-Ivoire, où je travaillais,
01:34 j'avais quand même une vie un peu stable
01:38 avec mon mari aussi, qui travaillait.
01:41 Il est décédé de suite d'une tumeur du cerveau.
01:47 Moi aussi, à une semaine de son animation,
01:49 j'ai perdu mon boulot.
01:51 Et voilà, je me suis retrouvée à la rue
01:54 avec quatre enfants.
01:56 Et je n'arrivais même pas à les aider au bout.
01:59 C'est comme ça que ma grand-sœur m'a proposé
02:03 de venir quand même ici
02:06 pour m'occuper des enfants.
02:09 -Pendant plus d'un an, elle va loger chez sa sœur
02:12 jusqu'à ce qu'une dispute éclate.
02:15 Elle se retrouve alors dehors du jour au lendemain,
02:18 sans nulle part où aller.
02:20 -D'abord, même, je pensais que je pouvais passer la nuit là.
02:24 Je me suis assise comme si j'attendais
02:27 pour ne pas tirer l'attention des gens.
02:29 -Mais à 23h, la gare ferme ses portes.
02:33 Edwige se retrouve sur le parvis.
02:36 C'est sa première nuit dehors.
02:38 -Comment ça s'est passé, cette nuit-là ?
02:40 -Je n'ai pas dormi. -Pourquoi ?
02:43 -C'était difficile.
02:45 Très difficile.
02:46 J'ai eu beaucoup peur.
02:48 Et avec les jeunes qui circulaient,
02:51 j'avais peur qu'on me fasse quelque chose d'autre.
02:54 -Vous aviez peur de quoi ?
02:55 -Des agressifs et le viol, c'est tout.
02:58 -Retourner en Côte d'Ivoire est inenvisageable.
03:02 Elle y a laissé ses 4 enfants.
03:05 C'est pour subvenir à leurs besoins
03:07 qu'elle est venue ici, dans l'espoir de trouver un travail.
03:10 -Bonjour. Toutes les lignes de votre correspondance
03:13 sont occupées.
03:15 Nous vous remercions de renouveler votre appel.
03:17 -Chaque jour, elle tente de joindre le SAMU social
03:20 pour trouver une place en hébergement d'urgence,
03:23 sans jamais y parvenir.
03:25 -Vous avez composé le 115,
03:27 numéro d'accueil des personnes en abri.
03:29 L'équipe du 115 est là pour vous informer et vous orienter.
03:33 Merci de patienter. Nous allons prendre votre appel.
03:37 -Oui, tu peux, toute une journée, et puis, ils décrochent pas.
03:40 Hier, j'ai eu la chance, 9h, là, ils ont décroché.
03:43 On aurait même dit que j'étais malade,
03:46 que j'ai le rhumatisme, que je suis fatiguée de dormir dehors.
03:49 Ils m'ont dit "désolé", qu'ils n'avaient pas de place.
03:53 -A 15h, Edwige se dépêche de rejoindre la porte de la Villette,
03:58 au nord de Paris.
04:00 Elle ne veut surtout pas rater le bus,
04:02 qui y passe chaque jour à 17h,
04:04 en direction d'un centre d'hébergement de Nanterre.
04:08 C'est le dernier recours pour tous ceux
04:11 à qui le 115 n'a pas trouvé de solution.
04:15 -C'est vrai que j'ai le sourire, mais c'est pas facile.
04:18 Par moments, quand tu te retrouves seule, tu pleures.
04:21 Tu n'as pas de solution. Qu'est-ce que tu fais ?
04:23 Et là, quand tu rates le cas, imagine la suite.
04:27 Avec le froid, c'est vraiment difficile.
04:30 Très, très difficile.
04:32 Moi, j'ai pas de couverture, j'ai que mon manteau.
04:35 -Après 2h d'attente dans le froid,
04:39 sans aucun endroit où s'asseoir, Edwige monte enfin à bord.
04:43 Ce soir, elle dormira au chaud,
04:46 mais il n'y aura pas de place pour tout le monde.
04:49 Chaque jour, 15 à 30 personnes restent sur le carreau.
04:53 Musique sombre
04:57 ...
05:06 Elue du 15e arrondissement parisien,
05:08 vice-présidente des Républicains,
05:11 Agnès Evren est une femme de droite,
05:14 issue d'une famille d'immigrés turcs,
05:16 très éloignée du milieu où elle vit aujourd'hui.
05:19 -Alors, en fait, j'ai grandi dans un milieu populaire,
05:23 en banlieue parisienne, avec une fratrie de 9 frères et soeurs.
05:26 Et c'est vrai qu'on nous a transmis des valeurs importantes,
05:30 notamment de solidarité.
05:32 J'ai été confrontée, justement, à des femmes isolées
05:35 qui étaient dans un foyer, pas très loin de chez mes parents,
05:39 qui m'ont aidée pour rendre service,
05:41 notamment pour remplir les papiers à leur place.
05:43 J'ai fait ce petit travail d'étudiant pendant deux ans,
05:47 et c'est vrai que ça m'est resté.
05:49 -Devenue sénatrice en septembre dernier,
05:52 elle a demandé le lancement d'une mission d'information
05:55 sur les femmes sans domicile,
05:57 un travail d'enquête de six mois,
05:59 fait d'auditions et de visites de terrain.
06:02 ...
06:04 -Oui, je l'ai proposé,
06:06 mais je trouve que la situation est aberrante
06:08 et qu'il faut lancer un cri d'alerte,
06:10 un cri de sensibilisation, parce que dans les valeurs fondamentales
06:14 d'une société comme la nôtre, il y a cette valeur de la solidarité.
06:18 Où est passée cette solidarité, aujourd'hui,
06:20 quand on voit qu'il y a des femmes qui dorment,
06:23 parfois, avec des nouveau-nés, à la rue ?
06:25 ...
06:28 -Tu connais ces liens ? -Oui, je vous emmène.
06:30 -Ces travaux, menés avec la délégation
06:33 aux droits des femmes du Sénat,
06:35 commencent par la visite d'un centre d'hébergement pour femmes,
06:38 géré par l'association La Mie de Pain.
06:41 -Ici, vous êtes au Jus Notre-Dame,
06:43 c'est un centre d'hébergement d'urgence
06:45 qui accueille 49 femmes isolées.
06:47 Elles sont accueillies ici pour une mise à l'abri
06:50 dans un accueil inconditionnel,
06:52 c'est-à-dire qu'on ne met pas de fin de prise en charge
06:55 à leur situation, tant qu'on n'a pas trouvé
06:57 de meilleure solution plus adaptée à leur situation.
07:00 Elles restent d'une nuit à plusieurs années,
07:03 en fonction de leur situation.
07:05 -Le centre, d'une cinquantaine de places,
07:07 est exclusivement réservé aux femmes.
07:09 Elles y logent en chambre individuelle ou par deux.
07:13 Et quand il fait trop froid dehors,
07:15 on pousse un peu les murs pour faire de la place.
07:18 -Ca, effectivement, c'est l'hébergement
07:20 dans le cadre du plan Grand Froid.
07:22 En dessous de zéro, le plan Grand Froid est déclenché.
07:25 Dès que les températures remontent, il se ferme officiellement,
07:28 mais les dames qu'on a mises à l'abri n'ont pas de solution.
07:32 -Les 15 femmes provisoirement accueillies ici
07:34 n'ont pas resté.
07:35 Le centre n'a aucune chambre de libre.
07:38 -Il y a une très longue file d'attente pour rentrer chez nous.
07:41 On est à plusieurs centaines de demandes par jour.
07:44 Il y a une saturation dans nos dispositifs,
07:46 car la majorité des personnes sont en situation
07:49 administrative complexe, irrégulière.
07:51 Et nous avons plus de demandes que de places d'hébergement.
07:54 -Depuis trois ans, le personnel du centre
07:57 a vu le nombre de femmes sans domicile exploser.
08:01 Certaines ont fui les violences conjugales,
08:04 aggravées par le confinement.
08:06 Beaucoup sont en situation irrégulière.
08:09 Toutes sont soulagées de trouver un abri.
08:12 -Merci à l'ami de Pint,
08:16 parce que quand je suis arrivée, j'étais stressée,
08:19 j'étais au bord du suicide.
08:21 Et j'ai retrouvé l'équilibre
08:24 dans leur accueil, leur manière de travailler.
08:27 Aujourd'hui, maintenant, je veux m'intégrer,
08:30 parce que je suis en France, je veux m'intégrer
08:33 dans le domicile, non seulement pour moi-même,
08:35 mais pour les autres.
08:37 C'est cette intégration qu'on cherche,
08:39 avoir des papiers, être un peu dans la légalité,
08:42 et céder les places, parce que je suis choquée
08:45 lorsqu'il arrive qu'on sorte
08:47 et qu'on voit une femme dehors,
08:49 dans la neige.
08:51 Je me dis que j'aurais pu être comme elle.
08:54 -On est sur la partie hébergement...
08:56 -Plusieurs d'entre elles travaillent,
08:58 mais sans papier, impossible de trouver un logement.
09:01 La moitié de ces femmes
09:03 vit ici depuis l'ouverture du centre,
09:05 il y a près de 4 ans.
09:06 -C'est vrai que c'est très douloureux,
09:09 parce qu'on se rend compte qu'il y a une évolution.
09:12 Quand le Samu social existait, il y a 30 ans,
09:14 dès qu'on rencontrait une femme à la rue,
09:16 on appelait et on leur trouvait des solutions.
09:19 Aujourd'hui, on se rend compte que tout est saturé.
09:22 -A Paris, seuls 21 % des femmes qui en font la demande
09:26 trouvent une place en hébergement d'urgence.
09:29 Les autres se retrouvent dehors.
09:31 Musique sombre
09:34 ...
09:39 -Ils ont réparé le rétro, c'est chouette.
09:42 -Oui.
09:43 -Qu'est-ce que je fais ?
09:44 -Tu vas tout droit pendant un certain temps.
09:47 -D'accord.
09:48 -3 fois par semaine, des bénévoles de médecins du monde
09:51 sillonnent les rues de la capitale.
09:53 -Donc, Saïd...
09:55 -En fait, je le connais pas.
09:58 -Euh... "Problème psy sous-jacent,
10:00 "histoire compliquée, problème de main", c'est ça ?
10:03 -Oui, "main gauche".
10:05 -Tu dis "main gauche" ? -Oui.
10:06 -OK.
10:08 -Ce soir, on va voir des personnes qui nous ont été signalées
10:11 parce qu'elles ont des problèmes de santé.
10:13 Donc, nous, on y va ce soir pour évaluer leur état de santé
10:18 et surtout pouvoir les orienter
10:20 vers les structures les plus adéquates
10:23 en fonction de leurs problèmes.
10:25 -Sur leur feuille de route, ce soir,
10:27 pas une seule femme.
10:29 -Alors, ce qu'on va faire, c'est qu'on va...
10:32 -Elles sont pourtant plus de 400 à dormir dehors,
10:36 soit 12 % de la population de sans-abri
10:39 que la mairie de Paris évalue à près de 3 500 personnes.
10:43 -Bonsoir, monsieur.
10:48 On travaille pour Médecins du monde
10:50 et on cherche un homme seul à la rue,
10:52 qui est souvent dans le quartier.
10:54 -Près de la poste. -Près de la poste.
10:56 -C'est loin à pied ? -Non, juste à gauche.
10:58 -D'accord, merci beaucoup.
11:00 -Globalement, ça peut être compliqué,
11:02 parce que c'est des personnes à la rue qui sont très mobiles,
11:05 quand c'est des femmes encore plus,
11:07 parce qu'elles peuvent facilement se cacher
11:10 dans des halls d'immeubles, dans des voitures à côté
11:13 ou dans un groupe, dans un campement.
11:15 C'est pas le bon moment, parce que le fait de marauder le soir,
11:18 c'est un moment où les femmes se cachent encore plus qu'en journée.
11:22 -Salut !
11:25 -Salut ! -C'est qui, ce gars ?
11:27 -Pardon ? -C'est Daniel.
11:28 -C'est Daniel ?
11:30 -Invisibles, les femmes se cachent dans des parkings,
11:36 des caches d'escaliers pour se protéger.
11:38 90 % de celles qui vivent à la rue
11:42 ont été victimes de violences sexuelles.
11:44 -Elles nous en parlent pas spontanément,
11:48 mais on voit dans leurs comportements,
11:50 quand on les approche pour la première fois,
11:53 il y a une crainte, elles sont sur la défensive.
11:55 Quand on arrive à parler de ces choses-là,
11:58 il y a des histoires d'agressions sexuelles,
12:00 il y a des histoires éventuellement de viols.
12:03 -Je sais pas, des fois, tu sais, c'est dans les angles...
12:06 Tu vois en face ?
12:07 -Ici, j'ai arrivé à le vélo.
12:09 Le vélo. -Oui ?
12:10 C'est le vélo qui a tapé ? -Oui.
12:12 -D'accord.
12:13 Allongez-vous un peu, là.
12:15 Voilà.
12:16 C'est bien, super.
12:19 Je peux faire ça ?
12:21 Je peux faire ça ?
12:22 Bon, d'accord.
12:24 Ca fait mal ?
12:26 -La rue abîme les corps,
12:29 ceux des hommes comme ceux des femmes.
12:31 On y meurt en moyenne 30 ans plus jeunes
12:34 que le reste de la population.
12:36 -Les pathologies qui sont à l'origine
12:38 de cette mortalité très prématurée
12:41 sont les pathologies mentales, certes,
12:44 mais aussi cardiovasculaires,
12:46 des cancers, par absence de dépistage,
12:50 donc on est toujours dans des situations de cancers
12:53 qui sont graves,
12:54 puisqu'ils ne sont pas dépistés,
12:56 des pathologies bronchopneumonaires,
12:58 il y a des comportements d'addiction,
13:00 notamment à l'alcool,
13:02 et ça entraîne une série de complications possibles
13:05 qui font qu'à l'arrivée, dans la rue,
13:07 on meurt à 49 ans au lieu de 80 ans.
13:09 Musique sombre
13:11 ...
13:28 -Voilà, c'est là que je dormais.
13:30 Ca me fait tout drôle d'en revenir ici.
13:36 -Pourquoi ?
13:37 -Bah, c'est le passé.
13:42 -C'était une autre vie,
13:43 une vie dehors, qui a duré 20 ans.
13:46 La violence de la rue,
13:49 Sophie en garde encore aujourd'hui les séquelles.
13:52 -En fait, j'étais du côté de Pastichy,
13:57 avec des amis.
13:58 On avait pas mal picolé et pas mal fumé.
14:02 On a été dormir dans un parc.
14:04 Il y a un monsieur qui a voulu abuser de moi,
14:06 je me suis pas laissée faire.
14:09 Il m'a tapée à coup de chausson de sécurité dans le ventre
14:12 et au niveau de la dent.
14:13 Comme mon oeil gauche avait déjà été opéré
14:16 d'une craque de corneille en 84,
14:18 le greffon s'est ouvert sur les trois quarts.
14:20 J'ai subi cette intervention sur l'oeil
14:23 et maintenant, je ne vois plus de cet oeil.
14:26 -Quand elle se retrouve dehors,
14:31 elle n'a que 21 ans et déjà un lourd passé,
14:35 une enfance difficile en famille d'accueil,
14:38 avec qui elle a totalement rompu.
14:41 -Entre 10h et midi, je faisais la manche ici,
14:44 ici, au Rue de Tujera, où je dormais.
14:47 Parce qu'ici, c'est comme partout,
14:49 si t'as un moment sans venir, on te pique ta place.
14:52 -De tout ce qu'elle a subi à la rue,
14:56 le plus violent reste à ses yeux l'indifférence.
15:00 -Le regard des gens, des fois, il est méchant.
15:03 Ils passent devant toi, ils te regardent même pas.
15:05 Il faut comme si t'étais pas là.
15:08 Comme si t'étais une statue, en fait.
15:10 C'est vrai qu'on peut pas donner à tout le monde,
15:12 parce qu'ils sont beaucoup.
15:14 Et que...
15:15 La vie est dure pour tout le monde, maintenant.
15:18 C'est vrai que quand on est à la rue, la vie est quand même plus dure.
15:22 Musique pesante
15:24 ...
15:28 -Pour mesurer la pénurie de places en hébergement d'urgence,
15:31 la sénatrice Agnès Evrenne poursuit en Seine-Saint-Denis
15:34 ses travaux sur les femmes sans domicile.
15:37 -Donc, ici, c'est le plateau 115.
15:39 -C'est ici que convergent tous les appels au 115 du département.
15:44 -On reçoit entre 1 500 et 2 000 appels par jour.
15:47 Et on en décroche entre 350 et 500 par jour.
15:50 -Ce qui est très peu.
15:52 -Oui, madame, je vous écoute.
15:54 -24 écoutants se relaient jour et nuit
15:57 pour répondre aux demandes de mise à l'abri.
16:00 -Les 2 demandes,
16:01 c'est du certificat d'hébergement et la demande d'aide alimentaire.
16:05 Je vais vous prendre l'exemple du lundi 22 janvier,
16:09 qui était une journée pendant laquelle on a reçu
16:13 1 594 appels.
16:15 Sur ces 1 594 appels, on a décroché 403.
16:19 Ce jour-là, on a eu uniquement 2 personnes
16:22 qui ont pu être mises à l'abri.
16:23 -2 places pour plus de 500 personnes.
16:27 Ce jour-là, 44 femmes enceintes sont restées sans solution.
16:32 Jamais le 115 n'avait connu une telle saturation.
16:36 -OK, madame.
16:37 Je vais relancer la demande pour votre hébergement.
16:40 Courage, madame.
16:41 J'espère que vous n'êtes pas trop stressée avec tout ça.
16:45 -Ah, d'accord.
16:46 -On avait 12 300 places qui nous étaient mises à disposition.
16:49 Pendant l'été, on nous a demandé de fermer 2 000 unités hôtelières.
16:54 Et puis, la demande a continué.
16:56 Elle a augmenté, a s'exprimé.
16:58 Là, on se retrouve avec un volume de personnes
17:00 qui se sont un peu accumulées pendant cette période
17:03 où on n'a pas pu faire rentrer les demandeurs.
17:06 Parmi ces personnes, on avait toujours des femmes,
17:09 des enfants, des bébés, des femmes enceintes, etc.
17:13 -1 000 unités hôtelières ont finalement été supprimées
17:16 en Seine-Saint-Denis.
17:18 D'après la préfecture,
17:19 beaucoup d'hôtels transformés en hébergement d'urgence
17:23 pendant le confinement retrouvent désormais
17:25 leur activité commerciale.
17:27 Sur 3 000 places perdues en 2023,
17:29 dans toute l'île de France,
17:31 600 ont pu être compensées
17:33 par des créations de places en centre d'hébergement.
17:36 -Vous appelez le 115 pour faire une demande d'hébergement ?
17:39 Et vous êtes enceinte ?
17:41 D'accord. Vous êtes enceinte de combien de mois, madame ?
17:45 D'accord, ça fait...
17:46 Vous êtes à votre cinquième mois de grossesse.
17:49 Et vous êtes où, actuellement ?
17:51 Du coup, hier, vous avez passé la nuit où ?
17:53 D'accord. Vous avez dormi
17:55 à la maternité de l'hôpital de La Fontaine ?
17:58 D'accord. OK, madame.
17:59 Je relance votre demande d'hébergement.
18:02 S'il y a une solution, vous allez être contacté.
18:04 Au revoir, madame.
18:06 -On a un cas très pratique.
18:09 Une femme enceinte de cinq mois,
18:11 et que, comme les préfets ont reçu des consignes
18:14 pour mettre des critères de priorité,
18:16 elle n'est pas dans les priorités.
18:18 La femme est enceinte de sept mois.
18:21 Vous pensez qu'elle recevra une réponse ou pas ?
18:23 Comment vous le sentez ? Vous avez l'expérience.
18:26 Vous gérez la pénurie.
18:28 -Je vais être tout à fait honnête.
18:30 Vu qu'elle n'est pas dans les priorités des priorités,
18:33 malheureusement, aujourd'hui, elle n'aura pas de solution.
18:36 -Merci.
18:38 -Ecoutez, oui, évidemment, je m'attendais à ces chiffres,
18:41 mais ils sont encore pires que ce que j'imaginais.
18:44 Et on voit bien que, malheureusement,
18:46 aujourd'hui, le semi-social gère la pénurie.
18:49 Aujourd'hui, on doit choisir entre un bébé de quatre mois
18:52 qui n'est pas prioritaire et un bébé de trois mois
18:55 qui est prioritaire.
18:57 En théorie, les femmes enceintes de sept mois
18:59 ou celles avec un bébé de moins de trois mois
19:02 sont prioritaires, mais même pour elles,
19:04 il n'y a plus assez de place en hébergement d'urgence.
19:08 ...
19:14 -Quand vous dites que vous dormez beaucoup avec le traitement,
19:18 ça vous gêne ou ça vous gêne pas ?
19:20 -Non, ça me soulage. -Ca vous soulage.
19:22 C'est déjà mieux, vous êtes au chaud,
19:24 on a réussi à trouver quelque chose qui vous apaise un peu.
19:28 Et puis on attend, on avance.
19:31 On appelle toujours le 115, on y pense.
19:34 A bientôt. -Au revoir, monsieur.
19:36 -A huit mois de grossesse,
19:38 cette jeune femme vivait dehors avec son mari
19:41 avant d'être recueillie dans cette maternité de Saint-Denis.
19:45 -On dormait en bas du pont
19:48 de la gare de Saint-Denis.
19:51 Mais chaque jour, il y avait des histoires,
19:55 on nous agressait.
19:56 Il y avait beaucoup de problèmes là-bas.
20:00 On est quitté là-bas.
20:01 On est venu se coucher devant l'urgence de l'hôpital.
20:05 Ca fait un mois que je suis ici, maintenant.
20:09 Je s'occupe très bien de moi,
20:11 mais ça m'empêche pas d'appeler le 115,
20:14 parce qu'ici, c'est un lieu public.
20:17 Je suis fatiguée de rester ici.
20:22 Je veux me retenir dans la rue encore avec mon enfant.
20:27 Parce que je sais pas où aller.
20:31 -Au moment de notre visite,
20:36 la maternité de l'hôpital de La Fontaine
20:39 hébergait 14 femmes sans-abri,
20:41 dont 4 enceintes et 10 en suite d'accouchement.
20:44 Elles ont été jusqu'à 22.
20:47 22 lits bloqués pendant parfois plusieurs semaines
20:51 dans une maternité de type 3,
20:53 équipée pour faire face aux accouchements les plus compliqués
20:56 et dont les places sont très recherchées.
20:59 -C'est une situation qu'on a rarement...
21:03 Quasi jamais connue.
21:04 Avant, on arrivait...
21:06 Il y avait des hospitalisations qui se prolongeaient sur ça,
21:09 sur des délais qui allaient jusqu'à quasi 90 jours,
21:13 pour certaines.
21:15 Là, actuellement, j'ai une patiente qui a 47 jours
21:17 d'hospitalisation chez nous,
21:19 qui n'a plus besoin de soins, en fait.
21:21 Elle est juste en attente d'hébergement.
21:24 C'est de la fatigue.
21:26 Parce que la fatigue, c'est pas contre ces femmes-là.
21:29 En vrai, nous, les soins, y a pas grand-chose à leur faire.
21:32 C'est de la fatigue, parce que derrière,
21:35 on a tous les transferts à faire.
21:37 On a la surcharge de travail, une salle de travail pleine.
21:40 -Ca va ? -Oui, ça va.
21:42 -Bah oui, je vous ai eues ! Vous me reconnaissez ?
21:44 -Oui, on m'a connu.
21:46 -Ca va depuis ? -Ca va, ça va bien.
21:48 -Coucou, toi !
21:50 Bon.
21:51 Vous donnez que le vibro ? -Non, un peu.
21:53 -Un peu des deux ? -Oui.
21:55 -Ca se passe comment ? -Ca se passe bien.
21:57 -Vous avez un moyen de rentrer à la maison ?
22:00 -Non, on a déjà parlé avec la thérapeutique
22:03 d'attendre un poids de place santé.
22:05 -Celle-là, elle sait pas où je veux la mettre.
22:07 -D'accord, donc il faut qu'on passe un temps,
22:10 mais vous allez pas sortir aujourd'hui.
22:12 Allez, bon courage.
22:14 -Sa petite-fille n'a que trois jours.
22:17 Jusqu'à l'accouchement,
22:18 cette jeune Ivoirienne et son époux étaient à la rue,
22:21 malgré leurs appels au 115.
22:23 -En 2020, je suis arrivé en Tunisie.
22:26 Et de Tunisie, j'ai fait la traversée
22:29 pour venir en France.
22:31 Depuis là, j'ai dormi dans la rue.
22:34 C'est dans la rue même que je suis tombé enceinte.
22:36 J'ai eu des contractions, j'ai appelé le 15,
22:40 et c'est eux qui m'ont conduit à l'hôpital de la Fontaine.
22:43 Parce que c'était le jour, donc je suis venu là.
22:46 Jusqu'à... J'ai accouché sur la...
22:48 Je sais pas où je vais partir avec ma fille.
22:52 Donc là, je m'inquiète un peu, donc...
22:54 C'est un peu difficile.
22:57 ...
23:00 -Vous appelez le 115 tous les jours ?
23:02 -Après mon accouchement, là, je sais pas où appeler.
23:06 -Vous les appelez tous les jours ?
23:08 -Tant qu'elle n'aura pas de solution,
23:10 elle pourra rester ici.
23:12 Soutenue par la direction, l'équipe médicale
23:15 n'envisage pas de remettre à la rue une femme et son nouveau-né.
23:19 -Pour un médecin, l'idée de faire sortir une maman
23:22 qui est accouchée avec son bébé,
23:24 tout en sachant qu'elle va aller dormir dans la rue,
23:27 c'est une responsabilité énorme.
23:29 Et nous, personnellement, avec l'équipe médicale,
23:32 on se refuse de le faire.
23:34 Notre intérêt, c'est d'apprendre qu'un bébé est mort de froid
23:38 ou est mort de chaud pendant que la mère était à la rue
23:41 avec son bébé, parce qu'elle n'avait pas de quoi le nourrir.
23:45 Si c'est pour apprendre qu'il y a une catastrophe,
23:48 ce n'est pas vivable par nos équipes.
23:50 ...
23:59 ...
24:02 -Et nous voici chez moi.
24:04 Alors ça, c'est mon studio,
24:06 avec mon petit coin de cuisine et mon lit.
24:09 Et par là, c'est la salle de bain et les toilettes.
24:12 -Il y a quatre ans, Sophie a enfin obtenu un logement.
24:17 Le début d'une nouvelle vie, après 20 ans passés à la rue.
24:21 -Quand j'ai signé le bail, on aurait dit une vraie gosse.
24:26 Surtout quand on m'a donné les clés.
24:28 -Pourquoi ?
24:31 -Bah, c'était... J'y croyais pas.
24:34 Il a vraiment fallu que j'ai les clés dans la main,
24:37 que je rentre dans le studio pour me dire que je suis chez moi.
24:41 Et au début, c'était dur, je dormais par terre.
24:44 -Pour 200 euros par mois,
24:46 elle vit à Paris, dans une pension de famille.
24:49 Un lieu conçu pour les personnes ayant connu un parcours d'exclusion
24:53 où elle continue d'être suivie.
24:56 Les places y sont très rares.
24:58 -En fait, j'ai attendu mon logement pendant plus de 20 ans.
25:03 Parce que, comme tout le monde sait,
25:05 des logements sociaux, il n'y en a pas beaucoup.
25:08 Si on construisait plus de logements,
25:11 oui, ça serait peut-être la solution,
25:13 mais comme je l'ai dit, plus de pensions de famille,
25:16 de maison-relais ou même des foyers pérennes.
25:19 -Si t'avais un message à faire passer aux politiques,
25:22 ce serait quoi ?
25:23 -Bougez votre cul.
25:26 Bougez votre cul, parce qu'il y a des solutions,
25:28 il peut y en avoir.
25:30 Mais c'est à vous d'ouvrir les places.
25:32 -Le vrai sujet, c'est aussi une volonté politique,
25:37 une vision politique.
25:39 Cette situation de pénurie d'hébergement d'urgence
25:42 est liée d'abord à une crise du logement social.
25:45 Ca veut donc bien dire que l'Etat était défaillant.
25:48 -Depuis 2017, la construction de logements sociaux
25:51 n'a pas cessé de reculer.
25:54 Plus de 2,4 millions de ménages
25:56 sont actuellement en attente d'un logement social,
25:59 un niveau que la France n'avait jamais connu.
26:02 Musique sombre
26:05 ...
26:11 ...