Haïti : "La capitale est encerclée par des groupes criminels depuis longtemps"

  • il y a 6 mois

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00:00 Avec nous en plateau Romain, le Cours Grand Maison. Bonjour et merci d'être sur France 24.
00:03 Bonjour.
00:04 Chercheur au Centre de Recherche Globale Initiative, vous avez passé 20 jours à Port-au-Prince, en Haïti, dans le cadre d'une mission.
00:13 D'abord, ce que vous retenez, c'est le chaos humanitaire sur l'île ?
00:17 Je pense que ça vaut le coup, effectivement, de comprendre la situation sécuritaire,
00:23 d'abord à travers le prisme humanitaire, pour saisir l'urgence dans laquelle se trouve à la fois le pays, mais surtout la capitale.
00:30 Quand on parle de la crise haïtienne, la crise de sécurité en Haïti,
00:34 on a tendance à parler d'Haïti en se référant principalement à la zone métropolitaine de Port-au-Prince,
00:40 qui est la plus touchée par la crise de violence actuelle, et celle qui se déroule depuis plusieurs années maintenant.
00:48 Ce que vous venez de dire, à mon sens, est très important. Il y a une crise humanitaire en cours,
00:52 qui est ancienne et qui est exacerbée par la crise de violence actuelle.
00:56 Il y a eu au moins 15 000 déplacés au sein de la zone métropolitaine de Port-au-Prince depuis jeudi dernier,
01:01 qui s'ajoute à 10 000 déplacés internes au mois de janvier, en plus des centaines de milliers de déplacés de 2022 et 2023.
01:08 En plus d'une crise alimentaire aiguë, une crise d'accès aux soins aiguë,
01:12 et une urgence, un appel y compris à la prise de conscience internationale de la part de différents acteurs humanitaires
01:21 pour songer à ce qui se passe sur le terrain et à l'impact de cette crise de violence sur la population de la capitale.
01:27 Est-ce que vous pouvez nous dire ce qui se passe quotidiennement pour les Haïtiens, vous qui avez passé du temps sur place ?
01:32 Un témoin nous dit que la capitale est complètement paralysée, même pris en otage par les gangs.
01:37 C'est ce que vous avez ressenti ?
01:39 C'est ce que j'ai ressenti, sachant que, encore une fois, la crise qui se déroule depuis la semaine dernière
01:44 est la prolongation d'un état qui est très compliqué dans la capitale.
01:50 La capitale ne s'est pas réveillée, malheureusement, mercredi ou jeudi dernier,
01:54 dans un état catastrophique, comme si l'avant était clément.
01:59 La capitale est, par exemple, tenue, encerclée par des groupes criminels depuis très longtemps.
02:04 Il n'est pas possible de quitter Port-au-Prince par la route sans passer par des checkpoints qui sont tenus par des groupes criminels.
02:11 La seule voie hors de Port-au-Prince, jusqu'à hier ou avant-hier, c'était l'aéroport international,
02:17 qui vous permet de sortir de la ville par avion pour des vols nationaux ou internationaux.
02:22 L'emprise des gangs, ensuite, est évidemment extrêmement forte sur les territoires qu'ils contrôlent directement.
02:27 On parle de contrôle sur les populations, de règles imposées aux populations,
02:30 de violences sexuelles commises en masse, de violations graves des droits de l'homme,
02:34 de kidnappings, qui sont quasiment une industrie criminelle, vu l'ampleur du phénomène dans la capitale,
02:40 une pression sur les habitants très forte, qui sont pris en étau entre le pouvoir et le contrôle social qu'exercent les gangs,
02:48 et la nécessité de travailler, se nourrir, se déplacer, quand ils peuvent le faire.
02:55 Vous avez un pays qui est un peu coupé en deux parties, au moins, avec la capitale qui est son propre monde,
03:01 et à l'intérieur de la capitale, on peut séparer probablement en trois sphères géographiques.
03:06 Vous avez une zone rouge, on estime aujourd'hui que plus de 80% de la capitale est contrôlée par des gangs.
03:12 Cette zone rouge est donc extrêmement étendue, elle s'étend encore de jour en jour depuis la semaine dernière.
03:17 Cette zone, au sein de laquelle les gangs exercent un contrôle total,
03:20 une zone orange, pour le dire comme ça, qui est tendue, qui est entre, disons, une présence potentielle de gangs, des affrontements,
03:30 et une zone dans laquelle les gens peuvent encore se déplacer normalement, et une toute petite zone dite verte.
03:35 Vous le dites, ce n'est pas le premier jour de la crise en Haïti, crise humanitaire, crise politique.
03:42 Maintenant, qu'est-ce qui se joue aujourd'hui, puisque là, visiblement, les gangs se sont unifiés pour faire tomber le gouvernement, Henri ?
03:49 La crise politique elle-même, elle aussi a commencé il y a un petit moment maintenant.
03:55 Aré Lenri, sans rentrer dans tous les détails, est un président qui n'a pas été élu,
04:03 qui est victime d'une crise de légitimité extrêmement forte. Il y a une série d'accords politiques qui avaient été passés.
04:08 Il est Premier ministre.
04:09 Il est Premier ministre, effectivement, et il cumule aussi aujourd'hui à plusieurs postes ministériels.
04:16 Il y a une série d'accords qui avaient été passés ces dernières années pour permettre déjà à l'époque une transition politique,
04:23 laquelle transition politique, jusqu'à maintenant, prévoyait parfois qu'Aré Lenri reste au pouvoir,
04:28 mais la plupart des options qui étaient mises sur la table étaient qu'Aré Lenri devait faire un pas de côté pour permettre une transition politique.
04:35 Cette crise politique, qui culmine aujourd'hui avec le fait qu'il ne soit pas dans le pays et qu'apparemment il ne puisse pas rentrer,
04:43 forme la tempête parfaite, si vous voulez, entre le contexte social et économique, qui est catastrophique,
04:51 la crise politique, qui est extrêmement aiguë, et la crise sécuritaire, avec un déferlement de violence probablement sans précédent sur la capitale
04:59 depuis la semaine dernière, qui est effectivement mené par des gangs et par les groupes qu'on voit à l'œuvre sur le terrain.
05:05 Aré Lenri, qui n'est toujours empêché de revenir à Port-au-Prince, est-ce qu'on sait pourquoi ?
05:10 Parce que l'aéroport est tenu par les gangs ?
05:14 Alors on sait qu'il ne rentre pas. Il est parti la semaine dernière d'abord à un sommet de la CARICOM,
05:20 puis à une négociation à Nairobi visant à mettre en place ou à continuer de mettre en place l'arrivée de la force internationale dans le pays.
05:29 Une fois au Kenya, ensuite on a perdu sa trace, pour être tout à fait honnête, à partir du moment où les événements violents ont commencé.
05:37 Il aurait été aux États-Unis ce week-end, il aurait tenté de rentrer en Haïti.
05:41 Il se trouve actuellement, selon ce que je lis dans la presse, à Porto Rico, où il se sentirait effectivement empêché de rentrer en Haïti,
05:51 sans qu'on sache exactement si c'est lié uniquement aux conditions sécuritaires ou à partir de maintenant,
05:58 une volonté, y compris de la part des États-Unis et de la communauté internationale, de faire en sorte qu'Ariel Henry ne soit plus Premier ministre
06:07 et d'ouvrir une période de transition sans lui.
06:09 Donc on ne sait pas très bien s'il peut rentrer, il veut rentrer, il ne peut pas rentrer, il ne veut pas rentrer,
06:14 tu aurais-tu dit qu'il ne rentre pas ?
06:15 À quoi ça sert finalement de faire chuter le gouvernement ?
06:17 Vous le disiez, les gangs dominent sur Port-au-Prince puisqu'ils contrôlent 80% du territoire.
06:23 L'État existe-t-il encore en Haïti ? C'est toute la question finalement ?
06:26 L'État existe, y compris parce que l'État existe en dehors de la capitale, bien sûr,
06:32 et le reste du pays continue de vivre plus ou moins normalement, avec mille défis, mais plus ou moins normalement.
06:39 L'État existe à travers une maigre et décimée force de police nationale qui tente tout de même ces jours-ci de contenir l'avancée des gangs.
06:51 L'armée, un acteur complexe à comprendre en Haïti, a été déployée sur le tarmac de l'aéroport au moment des attaques ces derniers jours.
06:59 C'est intéressant, je pense, de voir l'armée surgir à ce moment-là.
07:02 Et le reste de l'État est un État, pour ne pas dire faible, virtuel, si vous voulez.
07:10 Il y a des institutions qui sont aujourd'hui dysfonctionnelles, mais qui existent encore.
07:14 Et surtout, je pense que ce qui est important de comprendre, c'est que les gangs en tant que tels, les groupes criminels, ne sont pas complètement autonomes du pouvoir politique et économique en Haïti.
07:23 Ce ne sont pas des acteurs, à mon sens en tout cas, qui se posent dans un climat d'insurrection en dépit des discours qu'ils peuvent prononcer.
07:30 Il faut comprendre, je pense, la situation actuelle dans une lecture politique, avec la capacité de comprendre comment les gangs peuvent être, y compris, un outil,
07:40 comment la violence peut être un outil en vue d'une négociation politique, en vue d'une séquence politique qui peut être, certes, très violente, mais qui s'est probablement ouverte la semaine dernière.
07:51 Mais pour aller où, finalement ?
07:52 Pour aller dans une longue séquence incertaine, qui, jusqu'à la semaine dernière, à mon sens, posait deux ou trois jalons incompressibles, pour le dire comme ça, à la transition politique.
08:07 D'une part, l'arrivée de la force internationale, qui a été votée, qui a été mandatée par le Conseil de sécurité des Nations Unies.
08:15 Et qui est voulue par les Haïtiens ou pas ?
08:17 Qui est voulue par les Haïtiens.
08:18 Par le peuple, je veux dire.
08:19 Je pense que c'est compliqué de donner peut-être une réponse unanime. Je pense que la réponse que j'ai la plus entendue ces dernières semaines, c'est "nous avons besoin de quelque chose".
08:30 La police ne semble pas en mesure d'affronter, de faire reculer les gangs. Il nous faut quelque chose sur le terrain. Cette force peut être une des solutions.
08:38 Sans la force, sans un rétablissement de la sécurité, le reste sera compliqué.
08:42 Le reste des étapes, c'est un processus de transition politique, avec probablement, y compris, une révision de la Constitution et un fort travail sur les institutions.
08:50 Qui, aujourd'hui, encore une fois, il n'y a pas d'institution élue en Haïti. Il n'y a pas de parlement élu.
08:54 Très peu de ministres en exercice.
08:55 Le PM lui-même est donc en déroute, comme on le disait.
08:58 En vue, un jour, d'organiser des élections dans le pays.
09:03 Il ne peut pas y avoir de transition politique, qu'on soit d'accord avec le calendrier qui a été fixé ou pas, avec le fait que la communauté internationale joue un rôle ou pas.
09:11 Il ne peut pas y avoir d'issue politique sans des élections en Haïti.
09:14 Et c'est cette séquence qui, à mon sens, s'est ouverte, malheureusement, sous les auspices d'une immense violence.
09:21 Merci infiniment pour votre décryptage et votre témoignage Romain.

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