• il y a 9 mois
Retour sur la colère des agriculteurs, en questionnant le rôle de l’Union européenne. Alors que les agriculteurs ont le sentiment d’avoir des revenus très faibles au regard des capitaux investis et du travail fourni, comment perçoivent-ils le Pacte Vert européen et la PAC 2023-2027 ? Dans quelle mesure les obligations environnementales ont-elles été renforcées ? L’occasion aussi de revenir sur le verdissement de la PAC de 2014 et le conditionnement des aides à des pratiques agricoles plus respectueuses de l’environnement.

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00:00 [Générique]
00:06 Les élections européennes ont lieu dans trois mois, le 9 juin régulièrement dans Smart Impact.
00:11 Je vous propose un zoom sur ce que fait concrètement l'Union européenne après le spatial le mois dernier,
00:18 un thème en pleine actualité aujourd'hui.
00:20 L'agriculture avec nous en duplex en visioconférence Sophie Twoyet qui est directrice de recherche à l'Institut national de recherche pour l'agriculture,
00:28 l'alimentation et l'environnement. Bonjour et bienvenue.
00:33 Peut-être une question assez générale sur ce mouvement social, pas seulement syndical d'ailleurs, qui touche toute l'Europe.
00:43 Pourquoi les agriculteurs européens sont en colère ?
00:46 Comment en est arrivé un tel ressentiment, notamment vis-à-vis des règles européennes ?
00:51 D'abord une chose, que les agriculteurs soient en colère et qu'ils s'expriment dans la rue parfois de façon un petit peu forte voire violente, ce n'est pas nouveau.
01:01 Oui mais dans autant de pays en même temps quand même.
01:06 Un peu plus, vous avez raison. Je pense que la dimension européenne de l'expression de ce mécontentement-là est nouvelle.
01:12 En tout cas, on l'avait entendu en 92 au moment de la réforme de la PAC, donc ça existait quand même déjà avant.
01:19 Alors je pense que le feu couvait depuis longtemps. Les agriculteurs, dans leur grande majorité, sont très gênés par le sentiment que leur revenu est très faible
01:33 au regard des capitaux qu'ils immobilisent et puis du travail qu'ils fournissent. Et c'est vrai.
01:38 Par unité de travail ou par unité d'euros immobilisés sur une exploitation, une exploitation en moyenne en France, c'est 1 million d'euros.
01:46 Donc c'est beaucoup d'argent immobilisé. Et bien il génère finalement peu de revenus, puis un revenu très variable du fait de la variation des prix sur les marchés mondiaux,
01:54 du fait des accidents climatiques. Et puis ce qui a mis le feu aux poudres, en tout cas en France mais aussi dans d'autres pays comme l'Allemagne,
02:01 ça a été la décision européenne de réduire la ristourne fiscale qui était donnée sur le gazolement routier qui est celui qu'ils utilisent dans leurs tracteurs en fait.
02:10 – Oui donc ça c'est vraiment l'élément déclencheur. On va détailler ensuite d'autres questions liées au Green Deal, au pacte vert qui ne concerne pas que l'agriculture
02:21 évidemment mais qui est perçu par les agriculteurs parfois comme un peu punitif. Un chiffre qui est important dans le cadre de la politique agricole commune,
02:28 les agriculteurs français reçoivent chaque année plus de 9 milliards d'euros de subventions européennes.
02:33 C'est rapidement, Sophie Twaillé, c'est la France qui touche le plus, ce qui est logique ?
02:39 – Oui tout à fait, c'est logique parce que finalement c'est le plus gros pays agricole européen et comme en gros les budgets sont calculés
02:48 sur la surface agricole utile de chaque pays, eh bien c'est nous qui touchons le plus effectivement.
02:54 Mais nous donnons aussi beaucoup à l'Europe.
02:55 – Oui il faut le rappeler, on donne effectivement, on contribue beaucoup au budget de la politique agricole commune.
03:00 Parlons de ce pacte vert européen et de ce qui doit arriver s'il est mis en œuvre pour nos agriculteurs.
03:10 Quels sont peut-être les changements les plus problématiques pour eux ?
03:15 – Alors d'abord vous avez raison de le dire, on a beaucoup stigmatisé le pacte vert.
03:19 Le pacte vert c'est une feuille de route, c'est un projet mais qui pour l'instant ne s'est pas traduit véritablement,
03:27 fortement dans les contraintes auxquelles font face les agriculteurs en fait.
03:33 C'est toute une série de réglementations ou des directives qui doivent être mises en place dans les années à venir.
03:39 Donc en fait ce qui aujourd'hui entre autres préoccupe les agriculteurs c'est la petite traduction des ambitions du pacte vert
03:49 qui en ont été faites dans la PAC de 2023 qu'on vit actuellement.
03:56 Et notamment un certain nombre d'exigences environnementales un petit peu renforcées,
04:03 mais pas tant que ça par rapport à ce qu'il y avait dans la PAC précédente, celle qui s'est arrêtée fin 2022.
04:10 – Donc ça veut dire, je vous entends bien et c'est peut-être aussi pour ça qu'ils sont si fortement mobilisés,
04:15 il y a une amorce d'application du pacte vert et ils commencent déjà à dire c'est trop,
04:22 pour empêcher la suite de se mettre en œuvre, c'est ce qu'on peut comprendre ?
04:26 – On peut le dire comme ça, je pense qu'il y a une inquiétude sur le futur,
04:28 mais il y a aussi le fait que la PAC par exemple n'a pas attendu le pacte vert pour se verdir.
04:36 Voilà, en 2014 il y a eu ce qu'on a appelé le verdissement de la PAC,
04:39 le pacte vert n'existait pas à l'époque où on a pris un tournant environnemental assez fort
04:45 en proposant qu'une partie des aides que touchent les agriculteurs soient conditionnées
04:50 à la mise en œuvre de pratiques agricoles plus respectueuses de l'environnement.
04:54 Donc pour eux ce n'est pas nouveau.
04:57 Peut-être ce qui aujourd'hui crispe beaucoup,
05:02 c'est le fait qu'il y a une multiplication de ces demandes environnementales
05:07 qui se traduisent dans beaucoup de dispositifs de la PAC différents
05:11 et qui fait que pour un agriculteur qui reçoit tout ça,
05:14 c'est un avancélement d'exigences à droite à gauche qui lui faut respecter
05:21 et sur lesquelles parfois même il a du mal à s'y retrouver.
05:23 Je dirais même que les conseillers agricoles qui les accompagnent eux-mêmes sont un petit peu perdus.
05:28 Avec des normes supplémentaires, est-ce qu'il y a aussi des injonctions contradictoires ?
05:34 En tout cas c'est ce que nous disent certains agriculteurs.
05:38 Est-ce que la question centrale, et elle vaut pour l'agriculture mais pas seulement,
05:44 et ça vaut pour d'autres secteurs dans lesquels l'Union européenne a un pouvoir et un point important,
05:50 c'est la rapidité de la transformation environnementale.
05:53 On est face à une urgence climatique et en matière de biodiversité,
05:57 on aurait peut-être dû prendre ces décisions à 10 ans, mais bref c'est aujourd'hui qu'il faut les prendre.
06:01 Sauf que ça craque, c'est cette impression que nous donne ce conflit des agriculteurs.
06:06 Est-ce qu'il y a une norme ou une accélération de normes qui vous semble un peu emblématique ?
06:12 Je ne suis pas sûre. En fait, c'est intéressant de regarder par exemple le cas français.
06:20 Il se trouve que dans la nouvelle PAC 2023, les États membres ont beaucoup plus de marge de manœuvre
06:26 pour appliquer la feuille de route, ou le règlement européen, c'est ce qu'on appelle le nouveau modèle de mise en œuvre.
06:35 Et par exemple la France, comme tous les autres États membres, a établi le plan stratégique national
06:44 dans lequel elle établit justement les exigences environnementales, entre autres, qu'elle demande aux agriculteurs
06:51 dans le cadre d'un dispositif qui s'appelle les éco-régimes. Ces éco-régimes en France sont très peu exigeants.
06:58 D'ailleurs, vous avez très peu entendu les agriculteurs dénoncer les éco-régimes.
07:03 Je ne suis même pas sûr que vous ayez entendu le mot très souvent dans les manifestations.
07:06 Effectivement, ce n'est pas un mot qu'on a beaucoup entendu.
07:09 Ce qui les a crispés, c'est la conditionnalité, c'est-à-dire le renforcement des conditions exigibles pour pouvoir obtenir les aides.
07:17 Notamment, ça s'est beaucoup cristallisé autour, comme vous l'avez entendu, des jachères obligatoires sur les terres arables.
07:25 Les fameux 4% de terres arables qui doivent être dédiées à des surfaces improductives, des haies, des bosquets, ou à une mise en jachère.
07:36 En fait, on ne produit pas des éléments qui peuvent être vendus sur le marché.
07:41 Il y avait une autre thématique qui était liée aux produits phytosanitaires, aux pesticides notamment,
07:47 avec cette question de surtransposition des normes européennes. Est-ce le cas ? Et qu'est-ce qui est en train de changer ?
07:57 La surtransposition, normalement, ça veut dire que quand on traduit le droit européen en droit national,
08:04 on irait au-delà des exigences demandées par l'Union européenne.
08:12 Dans le cas des pesticides, c'est variable. En France, on autorise la mise en marché d'un certain nombre de produits pesticides.
08:25 Et on peut, dans certains cas, la France, l'Annecès, en fait, peut décider d'appliquer des restrictions sur la mise en marché de ces pesticides,
08:35 ou sur leur usage aussi, même quand ils sont autorisés, plus strictes que dans d'autres États membres.
08:41 Et c'est ça que les agriculteurs traduisent comme étant de la surtransposition, qui n'en est pas tout à fait,
08:48 et dont ils estiment qu'elles peuvent créer pour eux une distorsion de concurrence avec leurs voisins européens.
08:54 Là, on ne parle pas forcément de la distorsion de concurrence avec le reste du commerce international hors Union européenne.
09:01 Mais sur les pesticides, peut-être par rapport à l'Espagne, on est plus strict, mais par rapport à l'Allemagne, pas forcément beaucoup plus, en fait.
09:13 Un dernier mot. Il nous reste une minute. C'est passé trop vite. Peut-être sur le bio.
09:19 Je vais donner un chiffre. 14 % des exploitations françaises sont engagées dans le bio.
09:23 Alors il y a eu un vrai coup de frein en matière de consommation. Mais je voudrais qu'on parle de rémunération.
09:28 Est-ce que les agriculteurs qui sont passés au bio, pour certains, font marche arrière parce qu'ils se sentent mal rémunérés ?
09:37 Oui. Je pense qu'il y a eu une partie de ça. C'est dommage. C'est lié en grande partie à la crise du pouvoir d'achat, l'inflation,
09:46 qui a fait qu'un certain nombre de consommateurs se sont détournés des produits bio parce que finalement, l'alimentation,
09:55 bizarrement, c'est la variable d'ajustement lorsque le pouvoir d'achat se restreint un peu chez les consommateurs,
10:02 beaucoup plus que d'autres choses comme l'électronique ou les vacances. Et donc, il y a... Alors la rémunération du bio, il y a deux choses.
10:13 Il y a le prix de vente qui est normalement plus élevé que pour un produit conventionnel, vous le constatez vous-même en général,
10:20 pas toujours le cas, et puis les aides que la PAC donne. Et là aussi, les aides de la PAC ont été réduites par rapport à ce qu'elles étaient avant.
10:28 Et c'est ça aussi qui les dérange. – Oui, évidemment. Merci beaucoup, Sophie Toyé. Et à bientôt sur Bismarck.
10:35 On passe à notre débat « Comment améliorer le bilan carbone des usines automobiles ? » Passé à l'électrique.

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