Aux États-Unis, le don de plasma est rémunéré. Dans 70 % des médicaments commercialisés en France, ce plasma sanguin provient des donneurs américains. Clara Robert-Motta, journaliste, a enquêté sur ce marché à 31 milliards de dollars et explique les limites de cette "marchandisation du corps".
Son livre De l’or dans le sang est publié aux éditions JC Lattès.
Son livre De l’or dans le sang est publié aux éditions JC Lattès.
Category
📚
ÉducationTranscription
00:00 Vous ne le saviez peut-être pas, mais certains médicaments que l'on trouve dans les hôpitaux en France
00:04 sont fabriqués à partir de sang humain, plus spécifiquement de plasma humain,
00:08 et dont la majorité provient des Etats-Unis.
00:10 J'ai enquêté sur le sujet et je vais vous expliquer les coulisses de ce marché à 31 milliards de dollars.
00:15 L'idée de cette enquête est venue un jour où je suis allée donner mon sang.
00:19 J'étais dans la salle d'attente, j'ai vu un fascicule sur lequel il y avait écrit
00:23 que 90% du plasma collecté était utilisé pour fabriquer des médicaments.
00:27 Et j'ai découvert que 70% des médicaments dérivés du plasma consommés en France
00:33 ne proviennent pas des donneurs français, mais proviennent des donneurs américains qui eux sont rémunérés.
00:37 Le plasma, c'est le liquide jaunâtre dans lequel baignent les cellules du sang.
00:42 On va y retrouver plein de protéines, notamment des protéines qui vont pouvoir devenir des médicaments.
00:48 Ils ont été fabriqués à partir de plasma humain, donc à partir de dons qui peuvent être rémunérés ou pas.
00:54 Et ça va permettre à des personnes qui sont immunodéprimées d'avoir un supplément d'anticorps, ils vont pouvoir se défendre.
00:59 En France, la rémunération c'est totalement interdit, c'est inscrit dans la loi, c'est inscrit dans les traditions
01:05 comme dans la majorité des états dans le monde, sauf aux Etats-Unis, en Allemagne, en Autriche, en Hongrie et en Tchéquie.
01:11 Les Etats-Unis, ils ont un nombre de centres de collecte qui est phénoménal.
01:15 On est à 1200 centres de collecte aujourd'hui, ça a doublé en 5 ans.
01:19 Et ces entreprises privées rémunèrent, ou en tout cas donnent une indemnisation aux personnes qui viennent "vendre" leur plasma.
01:26 Ce don de plasma, ils vont pouvoir le faire jusqu'à 2 fois par semaine, c'est-à-dire 104 fois par an.
01:31 Le don de plasma peut être rémunéré en fonction de la quantité que tu vas fournir.
01:36 Si tu es un type d'1m80 qui fait 90 kg, tu vas pouvoir donner plus de plasma.
01:42 Tandis que si tu es une jeune femme qui fait à peine les 50 kg réglementaires, tu vas pouvoir donner moins.
01:48 L'indemnisation varie assez largement, mais on va dire que c'est entre 50 et 100 dollars selon les centres, selon les dons.
01:54 Le fait de vendre son plasma est quelque chose d'assez commun aux Etats-Unis, pas forcément dit,
01:59 mais en tout cas, ça peut être courant si on a une petite galère de thunes.
02:03 J'ai notamment rencontré Richard, qui est paysagiste.
02:06 Quand il n'a pas de travail en hiver, il a l'habitude d'aller vendre son plasma 2 fois par semaine.
02:10 Ça lui fait un petit complément de revenu.
02:12 Il peut finir de payer son loyer tranquillement, aller faire les courses qu'il souhaite.
02:16 Il y a certaines personnes qui ne peuvent pas donner, mais pour des questions de santé, c'est normal.
02:21 Et du coup, les placeurs, c'est le petit nom dont s'affublent parfois les personnes qui vendent leur plasma aux Etats-Unis,
02:26 ont trouvé des techniques pour rentrer dans les clous.
02:29 Ils vont essayer de manger un peu plus protéiné juste avant d'aller donner leur plasma.
02:34 Plein de petites techniques comme ça m'a un jour résumé la situation en me disant
02:38 que c'était prendre le sang des pauvres pour le mettre dans celui des riches.
02:42 Le problème, c'est qu'aux Etats-Unis, les centres de collecte de plasma ne se sont pas créés par hasard.
02:48 Ils ont été dans des endroits assez spécifiques.
02:50 J'ai vu voir moi-même que c'est parfois aux abords des universités,
02:54 parce que les étudiants ont besoin d'un peu d'argent de poche.
02:58 Mais c'est majoritairement dans des quartiers plutôt pauvres.
03:01 Et c'est d'autant plus impressionnant à la frontière mexicaine.
03:05 Il y a plus de 150 centres qui sont au Texas, donc à la frontière.
03:09 Les Mexicains et Mexicaines qui habitent de l'autre côté peuvent traverser les ponts
03:14 et vendre leur plasma deux fois par semaine.
03:16 Chose qui est interdite au Mexique.
03:18 Ils n'ont pas le droit d'être rémunérés pour vendre leur plasma, mais ils ont le droit de l'être aux Etats-Unis.
03:22 C'est le cas par exemple de certaines personnes mexicaines que j'ai pu rencontrer
03:27 pour lesquelles donner une fois son plasma, ça équivaut à une semaine de rémunération au Mexique.
03:31 La question de la marchandisation du corps dans cette situation est compliquée
03:35 parce que effectivement, c'est pas du tout comme vendre un rein.
03:38 Je pense que c'est une question qui est légitime.
03:40 Il s'agit de vendre une partie de son corps, qui est renouvelable, bien sûr.
03:44 Comme les donneurs de sperme, le sperme se renouvelle.
03:47 Ceci dit, la question pour moi qui est la plus importante aux Etats-Unis,
03:51 c'est la question de la fréquence.
03:53 104 fois par an, aujourd'hui, les entreprises pharmaceutiques qui gèrent ces centres de collecte
03:58 disent que ça n'a pas forcément d'impact.
04:00 Aujourd'hui, il n'y a pas d'études qui le prouvent.
04:02 À partir du moment où il faut donner pour pouvoir avoir de l'argent,
04:05 certaines personnes peuvent se mettre en danger.
04:07 Par exemple, pendant la période du Covid,
04:10 il y avait certains étudiants qui avaient essayé de contracter le Covid
04:14 pour pouvoir vendre leur plasma dit "convalescent",
04:16 c'est-à-dire le plasma dans lequel on trouve les anticorps du Covid,
04:19 et qui, à cette époque-là, se vendait plus cher
04:21 parce qu'on espérait faire un médicament qui soigne le Covid.
04:24 Dans la plupart des centres de collecte, la question principale, c'est
04:27 comment faire revenir le donneur.
04:28 Ils mettent en place des systèmes de fidélité.
04:31 Par exemple, si on amène un ami, on va avoir plus de points.
04:35 Si on répond à des questionnaires, on va avoir plus de points.
04:37 Si on vient de façon régulière, on va avoir plus de points.
04:39 L'idée de cette enquête, ce n'est pas de faire peur.
04:42 Ce n'est pas de dire qu'il ne faut plus acheter des médicaments dérivés du plasma.
04:46 Les patients en ont absolument besoin.
04:49 C'est parfois vital.
04:50 Il n'y a pas d'alternative pour certains.
04:52 En revanche, ce qui est important de savoir,
04:54 c'est que la France est dépendante,
04:56 pour deux tiers de ses médicaments dérivés du plasma,
04:58 de ce plasma rémunéré.
05:00 *BIP*