30 ans plus tard, le film de Fabrice du Welz, "Le Dossier Maldoror", revient sur le "trauma belge" qu’a été l’affaire Dutroux.
Il raconte comment il a effectué ses recherches pour son film, le rôle politique du personnage principal et la manière dont il dénonce une "justice volée".
"Le Dossier Maldoror" sort le 15.01 dans les salles.
Il raconte comment il a effectué ses recherches pour son film, le rôle politique du personnage principal et la manière dont il dénonce une "justice volée".
"Le Dossier Maldoror" sort le 15.01 dans les salles.
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00:00Bonjour, je m'appelle Fabrice Duels, je suis cinéaste et j'ai fait un film qui s'inspire librement et partiellement de l'affaire Dutroux.
00:08Déjà à l'époque je me disais que
00:09j'en ferais un film un jour, mais bien sûr j'avais que... j'avais 20 balais, j'avais pas les épaules ni aucune texture,
00:15j'avais rien fait quoi. Et puis surtout le point de vue, j'ai eu un point de vue à un moment donné.
00:20Le point de vue m'a permis d'appréhender, parce que c'est un portrait, c'est par le portrait,
00:24par la fiction, que j'ai pu rentrer en fait dans l'histoire. Alors c'est très très documenté, c'est à dire
00:30qu'il y a un gros travail presque de journalisme, avec Dominico Lapportin mon scénariste, on a énormément, c'est énormément
00:35documenté. Et puis après dans un autre temps, on a dessiné l'arc
00:39dramaturgique du personnage. On a créé des intersections entre les faits, certains faits, et des arcs importants du personnage, qui nous paraissaient opportuns à la
00:47construction du récit. Parce que c'est avant tout, certes c'est un contexte très très particulier, c'est la Belgique des années 90,
00:53mais c'est avant tout le portrait d'un jeune zélé, d'un jeune impulsif qui va se fracasser en fait
01:00à... Mais un homme juste, c'est un homme juste, avant tout, il est zélé, il est impulsif, mais il est juste, et il se fracasse en fait à tous
01:07ces dysfonctionnements qui le rendent fou. C'est un contexte très particulier.
01:10Donc on a rencontré, moi je voulais être très très proche en fait de la sémiologie en fait, des gestes, de tous les corps de métier.
01:18C'était très important pour moi, donc on a pris conseil avec pas mal de gendarmes de l'époque. Je voulais que ce soit hyper précis, et forcément le
01:24personnage de Chartier
01:26s'inspire, se nourrit en fait de ce travail avec les gendarmes. Et il y a aussi deux gendarmes très importants, donc le maréchal des logis
01:32Michaud, qui est descendu dans la cave, qui a entendu des murmures et qui est reparti, à qui
01:37on a reproché, on a fait ce reproche un an plus tard, quand l'affaire a explosé. Et un autre gendarme, un homme assez juste,
01:44Aimé Bill, qui travaillait sur le dossier X, et qui aujourd'hui a écrit un bouquin qui s'appelle l'enquête assassinée,
01:49qui continue à se battre comme un fou pour
01:53donner son point de vue en fait. Donc c'est une espèce de mélange de ces deux flics qui ont été brisés, profondément brisés, par
02:00cette affaire.
02:10En fait, il y a deux thèses. Il y a la thèse du réseau,
02:12et il y a la thèse du prédateur isolé. La thèse du prédateur isolé a été retenue, elle a été jugée.
02:18Moi, d'abord, je suis un homme de cinéma, je ne suis ni juge, ni avocat.
02:23Par contre, je sais que la thèse officielle, si je devais en faire un film, ça ferait un terrible
02:28film. Donc la thèse du réseau,
02:31en tout cas, de fait, il y a réseau, puisqu'il y a au moins trois personnes, donc c'est réseau. Maintenant, on ne sait pas jusqu'où
02:36il va ce réseau. Cette décision de justice, personne ne la remet en cause.
02:40Donc,
02:41c'est un peu compliqué. Les gens ne veulent pas revenir en arrière. Moi, je pense que c'est un trauma. C'est un trauma belge
02:46qu'on a enfui, qui ne fait pas avancer en tant que société. C'est-à-dire que tous les traumas, à un moment donné, doivent être...
02:51On doit en définir les responsabilités. Dans le meilleur des cas, juger les responsables et puis pouvoir avancer. C'est ça, faire société.
02:57Et je pense qu'il y a une colère qui continue à gronder, une colère populaire qui gronde
03:03parce qu'il y a une justice qui a été volée. Il y a un déni de justice terrible. Encore une fois, moi, je vais rester à ma place.
03:09Mais j'ai voulu, avec ce film, en tout cas, même basculer un petit peu dans l'uchronie, donc réinventer une fin. Non pas parce que c'est
03:14un vigilante. Ce n'est pas du tout un film de vigilante. Ce n'est pas un film de vengeance, ce que j'ai fait.
03:19C'est un film, au contraire, qui ne cherche absolument pas à diviser, qui cherche à soigner.
03:25Soigner par le biais de la fiction, par la conviction et la foi du cinéma et la foi en la fiction.
03:30La fiction qui peut soigner, qui permet la catharsis, en fait. Je ne fais rien de nouveau.
03:39Tu n'as rien entendu ?
03:42Vous avez ignoré le cadre de la perquisition.
03:45J'ai entendu, je ne suis pas fou. A partir du moment où je bascule du point de vue d'un jeune gendarme, je n'évoque pas, bien sûr,
03:50les victimes, elles sont là, elles font partie du...
03:54Elles font partie de l'histoire, évidemment, mais ce n'est pas mon propos. Mon propos, c'est Paul Chartier qui représente un corpus populaire
04:02qui est indigné, qui est impuissant face à l'indicible, en fait. Mais l'indicible à tous les niveaux. Il y a deux questions qui ont
04:09traversé toute la préparation de ce film, de l'écriture à la fin du montage. C'est la question de la justice. Que peut faire un honnête
04:16homme dans une société où la justice faillit ? Et la question du mal. Qu'est-ce que c'est le mal, en fait ? Est-ce que c'est
04:23trois ou quatre dégénérés qui font des trucs à des gamines dans des caves dégueulasses ? Ou alors c'est la guerre des polices,
04:28le déni
04:30d'information, la rétention d'informations, la corruption. C'est quoi, en fait ? Comment il se propage le mal ? Quelle forme il a ?
04:36En fait, c'est ces deux questions-là qui sont
04:40des questions un peu méta, certes, mais qui s'incarnent physiquement,
04:45viscéralement en Paul Chartier. Parce que Paul Chartier, pour moi, c'est le bras armé populaire qui veut une justice.
04:53Mais l'État est incapable de la rendre, cette justice. Au plus j'avance en
04:57âge, au moins j'ai de certitudes sur les choses. Vraiment, j'en ai de moins en moins. Par contre, j'ai une conviction, c'est que
05:02la nature des hommes est ainsi faite que
05:05ce genre d'histoire, ça va se reproduire. Et que la seule chose qui peut nous éloigner de notre propre barbarie, en fait, c'est une justice
05:12qui fonctionne. Une justice qui rend la justice, qui fonctionne. C'est la seule chose
05:17qui nous préserve de nous-mêmes, en fait, sur ce genre d'histoire. Et là, c'est un cas édifiant où
05:22la justice n'a pas été là. Ou en tout cas, c'est un simulacre de justice.
05:26Et ça ne fait pas de moi un complotiste de dire ça. Non, ça n'a pas été si compliqué à faire parce que je pense que
05:32c'était le bon temps. C'était le momentum. Ça fait 30 ans. Le scénario était très, très, très construit.
05:37C'est sûr qu'au début, quand j'ai annoncé le fait que j'envisageais de faire un film sur l'affaire Dutroux,
05:42ou inspiré de l'affaire Dutroux, les gens m'ont dit, oh là, oh,
05:46doucement, petit, doucement. Mais on a tellement, tellement travaillé sur le script. Et le script était très conséquent que, en fait, les gens, très
05:53vite, ont dit oui. Donc, on a réussi à monter le film
05:58correctement. Le cinéma, tout le monde sait ce que c'est. Il manque toujours un peu d'argent.
06:02Mais ça nous a permis de faire des choix, d'être plus inventif, de tout tourner à Charleroi. Ce que je voulais vraiment faire, c'était
06:09tourner vraiment dans la région qui, à mon avis, a le plus souffert
06:12de cette affaire. Quand on pense que Charleroi était, au milieu du XIXe siècle, la deuxième ville la plus riche du monde,
06:18et voir ce qu'il en reste aujourd'hui, c'est assez édifiant. Je voulais
06:22modestement leur rendre un peu d'intégrité avec ce film. Donc, je crois qu'il était vraiment important
06:28et nécessaire de faire ce film. Après, les gens jugeront sur pièce.
06:32Mais je pense que c'est important que nous, qui racontons des histoires, qui mettons en scène des histoires, de regarder
06:40l'histoire de manière frontale. En tout cas, j'ai envie de sujets qui me dépassent complètement.
06:45Je n'ai plus envie forcément de parler de moi comme j'ai pu le faire dans mes premiers films.
06:50Et aujourd'hui, je cherche des sujets qui me dépassent complètement.