100% Sénat diffuse et décrypte les moments forts de l'examen des textes dans l'Hémicycle, ainsi que des auditions d'experts et de personnalités politiques entendues par les commissions du Sénat.
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00:00:00 (Générique)
00:00:10 Bonjour à tous. Très heureux de vous retrouver pour un nouveau numéro de 100% Sénat, l'émission qui vous fait vivre les travaux de la Haute Assemblée.
00:00:17 La commission d'enquête du Sénat sur le trafic de drogue poursuit ses auditions. Les sénateurs ont entendu le tribunal judiciaire de Marseille.
00:00:24 Je vous laisse écouter cette audition.
00:00:27 M. le Président, mesdames et messieurs les sénatrices et sénateurs, nous vous remercions tout d'abord du temps que vous allez consacrer
00:00:33 à la juridiction marseillaise dans le cadre de vos travaux, puisqu'effectivement, nous aurons le plaisir de vous y accueillir en fin de semaine.
00:00:42 Le constat de la lutte contre le narcotrafic à Marseille ne va pas vous surprendre. Il est celui d'une aggravation constante de tous les indicateurs.
00:00:50 Marseille paraît sans même constituer en quelque sorte l'épicentre d'un phénomène en réalité national.
00:00:57 Cette aggravation est particulièrement notable en 2023 et se manifeste par l'explosion des assassinats aux bandes organisées.
00:01:05 Une cinquantaine pour 2023, là où il y en avait eu 20 en 2020, 26 en 2021 et 33 en 2022. Et cela sans parler des nombreux blessés,
00:01:16 puisqu'il y en a eu 123 en 2023, là où il n'y en avait eu que 12 en 2020. Les perspectives sont donc très préoccupantes,
00:01:24 avec le sentiment d'une forme de désarmement complet des institutions policières et judiciaires.
00:01:29 En quelque sorte, l'État semble mener une guerre asymétrique contre le narco-banditisme, avec cette spécificité que dans ce cas précis,
00:01:39 c'est l'État qui se trouve en situation de vulnérabilité face à des trafiquants qui disposent, eux, d'une force de frappe considérable
00:01:46 sur le plan des moyens financiers, humains, technologiques et même législatifs. Le risque à court terme est bien sûr de voir l'État de droit se déliter.
00:01:57 Les exemples hollandais et belges en sont des illustrations récentes particulièrement inquiétantes.
00:02:03 S'enverser dans la stigmatisation outrancière, la ville de Marseille est incontestablement le territoire au sein duquel
00:02:09 les conséquences du narco-banditisme se manifestent dans leur expression la plus violente en provoquant des troubles à l'ordre public conséquents,
00:02:18 en blessant voire en tuant des victimes dites « collatérales » et en altérant considérablement le mode de vie des habitants des quartiers.
00:02:28 En d'autres termes, le narco-banditisme agit à Marseille comme une sorte de gangrène qui abîme jour après jour, année après année, le tissu social.
00:02:38 Et ce n'est peut-être d'ailleurs pas tout à fait un hasard si 4 d'entre vous sont des élus du Bouche du Rhône.
00:02:45 Vous mesurez pleinement l'impact du narco-banditisme sur votre territoire et sur le quotidien de vos administrés.
00:02:53 L'explosion des règlements de compte en 2023 s'est traduit pour le siège et l'instruction en particulier par une augmentation considérable
00:02:59 du nombre d'ouvertures d'informations judiciaires liées à ces assassinats ou tentatives d'assassinats.
00:03:06 En 2022, il y avait eu 36 ouvertures. Et on est passé en 2023 à 69 ouvertures d'informations judiciaires liées à ces assassinats ou tentatives d'assassinats,
00:03:17 soit presque un doublement avec une moyenne de 5 ouvertures d'informations judiciaires par mois, dont 80% relève du conflit entre la DZMafia et la IODA,
00:03:28 ces deux réseaux que vous connaissez bien. Or, ces instructions criminelles – ma collègue vous le dira certainement mieux que moi –
00:03:35 sont extrêmement lourdes, chronophages et complexes à mener en termes d'investigation, tant pour les magistrats que pour les policiers.
00:03:45 La problématique marseillaise, vous le savez, est accentuée par le fait que notre compétence au titre de la JIR, c'est une compétence interrégionale
00:03:54 qui couvre 4 cours d'appel ex-Montpellier, Nîmes et Bastia, représentant en réalité 20 tribunaux judiciaires et allant de la frontière italienne
00:04:05 à la frontière espagnole, Corse comprise. Il nous faut donc à la fois traiter en parallèle le contentieux marseillais et celui de l'interrégion,
00:04:15 qui tend également à exploser dans ce domaine. L'augmentation est tellement significative que les renforts en effectif de magistrats et de greffiers
00:04:24 dont a pu heureusement bénéficier la juridiction en 2022, à la suite d'un contrôle de fonctionnement diligenté par l'Inspection générale de la justice
00:04:32 et qui constituait en réalité le rattrapage de de nombreuses années de sous-dotation, apparaissent aujourd'hui d'ores et déjà notoirement insuffisants.
00:04:42 Ces renforts pourtant conséquents, qui ont abouti à la création de 3 cabinets d'instruction supplémentaires, ont permis de mettre en œuvre
00:04:50 le cloisonnement de la JIRS, Criminalité organisée, afin de dissocier le contentieux strictement marseillais, qui est dévolu à ce que nous appelons
00:05:00 la section délinquance organisée, de la délinquance interrégionale voire internationale, qui est dévolue à la JIRS, à proment parler.
00:05:09 Sur les 27 cabinets d'instruction, qui représentent le service d'instruction le plus important de France, après celui de Paris,
00:05:18 sur ces 27 cabinets d'instruction, 11 sont dédiés au traitement de la criminalité organisée, 4 à la délinquance organisée pour les réseaux strictement marseillais
00:05:28 et 7 à la JIRS pour les réseaux interrégionaux et internationaux, qu'on appelle donc la criminalité organisée.
00:05:36 Par ailleurs, une chambre correctionnelle composée de 8 magistrats traite à temps plein de ce contentieux.
00:05:42 C'est la 7e chambre pour le tribunal judiciaire de Marseille. Cela représente une proportion unique au niveau national et traduit l'emprise du narcotrafic
00:05:51 sur l'arrondissement judiciaire marseillais. Or, ces effectifs – et c'est un constat que nous faisons tous – sont d'ores et déjà dépassés.
00:05:58 Et cette tension se retrouve sur l'ensemble de la chaîne pénale, non seulement les juges d'instruction, que j'évoquais il y a un instant,
00:06:05 et j'y reviendrai, mais aussi les juges des enfants, les juges d'application des peines, le juge de la liberté et de la détention, les juges correctionnels.
00:06:14 Et il ne faut surtout pas que vous oubliez dans votre réflexion, à mon sens, les juges d'appel de la chambre de l'instruction et de la cour d'assise,
00:06:22 le niveau d'appel étant actuellement sans doute le niveau le plus englué par le phénomène de masse de cette délinquance.
00:06:31 Nous constatons également que la surpopulation carcérale à Marseille peut avoir un lien avec cette activité délinquentielle.
00:06:39 Vous le savez, une proportion importante des détenus sont en détention provisoire. Et ça explique en partie la surpopulation carcérale.
00:06:47 Et nous atteignons au Beaumet en début de semaine 188% de taux d'occupation à l'établissement de Marseille, établissement des Beaumet.
00:06:57 Face à l'importance prise par les réseaux criminels, les risques d'atteinte à l'intégrité physique des acteurs judiciaires qui luttent contre le narco-banditisme
00:07:06 ne doivent plus aujourd'hui être considérés comme relevant uniquement du virtuel.
00:07:11 J'avais questionné les juges d'instruction il y a environ deux ans sur cette question de leur propre sécurité.
00:07:16 Ils m'avaient dit qu'ils n'en ressentaient aucun risque réel. Aujourd'hui, ces risques paraissent accrus, avec de nouveaux modes de recrutement des tueurs,
00:07:25 notamment sur les réseaux sociaux, qui sont de plus en plus jeunes et donc de plus en plus immatures.
00:07:31 Monsieur le procureur a l'occasion d'y revenir, mais 62% des tueurs ou auteurs de tentatives d'assassinat avaient moins de 21 ans en 2023.
00:07:39 Or, à Marseille, vous le savez, personne n'a oublié la figure emblématique et historique du juge Pierre Michel.
00:07:46 Les freins à l'action des magistrats instructeurs et correctionnels sont extrêmement nombreux.
00:07:51 Sans se livrer un inventaire à la prévère et se vouer à une lamentation, je pense néanmoins qu'il est indispensable de les recenser rapidement,
00:08:01 mes collègues y reviendront, sans misérabilisme, mais avec lucidité.
00:08:05 Et au regard de l'importance de l'enjeu vital pour notre corps social, le fatalisme ne peut toutefois pas être de mise.
00:08:12 Et il nous incombe collectivement d'être force de proposition avec des marges d'amélioration.
00:08:17 Ma collègue Isabelle Couder, vice-présidente à la GIRS, les détaillera dans un instant.
00:08:21 Ces constats sont des freins, des freins à l'action des services de l'État et des services en particulier judiciaires.
00:08:30 Ces freins sont des freins en effectif, en gestion des ressources humaines, en logistique et sur le plan procédural.
00:08:39 En termes d'effectifs, je vous le disais, les renforts que nous avons obtenus paraissent, pour ce qui est de la lutte contre le narcotrafic, déjà insuffisants.
00:08:47 Les 7 cabinets d'instruction GIRS à Marseille gèrent pour chacun d'entre eux une quarantaine de dossiers, là où la moyenne est communément admise entre 25 et 30.
00:08:59 Ces cabinets gèrent entre 30 et 40 détenus par cabinet, ce qui est largement aussi supérieur à ce qu'il faudrait, sachant que le contenu de la détention est très chronophage.
00:09:10 En ce qui concerne la délinquance organisée, alors là, les chiffres sont encore plus inquiétants,
00:09:14 puisque nous sommes à 70 instructions en cours à gérer par dossiers de délinquance organisée qui s'occupent des réseaux marseillaux-marseillais.
00:09:24 Et ils ont tous entre 60 et 70 détenus par cabinet.
00:09:29 Ce problème d'effectifs, nous le retrouvons également au service du tribunal pour enfants.
00:09:33 Nous avons un projet sur une proposition du directeur départemental de la Protection judiciaire de la jeunesse de mettre en œuvre des mesures d'assistance éducative
00:09:42 pour chaque mineur déféré en matière de stupéfiants pour la famille.
00:09:48 Le directeur départemental de la Protection judiciaire de la jeunesse, M. Pibarro, considère à juste titre,
00:09:53 et nous avons partagé son constat, que lorsqu'un mineur est déféré pour un problème de narcotrafic,
00:10:00 il faut s'interroger sur le risque encouru par les frères et sœurs de la même fratrie et la situation de la famille.
00:10:06 Et il nous propose de mettre en œuvre des mesures d'investigation en assistance éducative à chaque fois dans la famille,
00:10:12 à chaque fois que l'un des mineurs est poursuivi sur le plan pénal pour un problème de stupéfiants.
00:10:18 On a évalué ce surcoût de dossier à environ 200 procédures de plus.
00:10:23 200 procédures, c'est quasiment la moitié d'un cabinet du juge des enfants.
00:10:27 Sur le papier, nous sommes à 12 juges des enfants actuellement. Nous serons véritablement à partir du mois de septembre.
00:10:34 Et les juges des enfants estiment que si on devait renforcer le suivi en assistance éducative des familles qui sont impactées par le narcotrafic,
00:10:43 il faudrait envisager un 13e cabinet.
00:10:46 Toujours en ce qui concerne les effectifs, M.Valéry, vous le dira mieux que moi, mais la problématique du greffe est essentielle.
00:10:53 Ces cabinets sont très lourds, je vous le disais, à la fois en termes d'investigation, mais en termes de gestion,
00:10:58 notamment parce qu'il y a beaucoup de détenus, mais également énormément de notifications de convocation.
00:11:03 Or, la situation du greffe est loin d'être résolue. Nous ne disposons pas d'un greffier volant pour les 27 cabinets d'instruction.
00:11:10 Or, sur 27 greffiers, vous êtes à peu près certain qu'il y aura toujours un arrêt maladie, un congé de maternité.
00:11:16 Et c'est bien normal. Et aucun greffier volant pour venir suppléer à la vacance d'un poste.
00:11:23 La solution que nous avons trouvée actuellement, c'est que le greffier qui n'est pas là se fait remplacer,
00:11:28 mais à la charge des autres cabinets et donc impactant le fonctionnement des autres cabinets.
00:11:34 Nous manquons d'assistants spécialisés. Actuellement, il y a 12 assistants spécialisés au bénéfice du tribunal judiciaire de Marseille
00:11:40 qui sont communs sièges parquets. Au-delà de la question de l'impartialité de ces assistants spécialisés qui peuvent intervenir,
00:11:47 vous le savez, tant en enquête de flagrance ou préliminaire qu'au stade de l'instruction, voire même au stade du jugement,
00:11:53 il nous apparaît indispensable d'envisager d'avoir des assistants spécialisés dédiés pour le parquet et ceux dédiés pour le siège.
00:12:01 De même qu'il nous manque de juristes assistants pour la section Girs, il faudrait au moins un juriste assistant pour 2 cabinets Girs.
00:12:08 Ces juristes assistants étant la plupart du temps dédiés aux commissions rogatoires techniques,
00:12:13 donc toutes les techniques spéciales d'enquête qui nécessitent là aussi une gestion administrative des dossiers assez lourdes.
00:12:19 Même constat en ce qui concerne les effectifs des services de police, mais vous les avez entendus, je n'y reviens pas,
00:12:24 avec une désaffection des services de police judiciaire et une augmentation de ces effectifs de police judiciaire par des sorties d'école,
00:12:32 mais dans un domaine qui nécessite une grande expérience et du temps pour se former à ce type de traitement de la délinquance.
00:12:40 Nous constatons également un manque d'effectifs en ce qui concerne l'administration pénitentiaire.
00:12:44 De nombreux cabinets d'instruction se plaignent de ne pas pouvoir procéder à des actes d'interrogatoire ou de confrontation de détenus,
00:12:51 car les extractions n'ont pas pu avoir lieu faute d'effectifs suffisants du côté de l'administration pénitentiaire.
00:12:59 Rapidement, des freins logistiques. Vous les connaissez. Ce sont des freins informatiques. Ma collègue pourra y revenir.
00:13:05 Nous n'avons pas d'atelier de numérisation véritablement digne de 27 cabinets d'instruction,
00:13:11 tant et si bien que les greffiers numérisent eux-mêmes la plupart du temps leurs procédures sur le temps qu'ils devraient consacrer plutôt à la gestion de leurs propres dossiers.
00:13:20 Nous manquons de salles d'audience spécifiquement dédiées à ces gros dossiers GIRS, dans lesquels bien souvent, nous avons 10, 15, 20 détenus.
00:13:32 Et nous n'avons qu'une salle suffisamment sécurisée à Marseille pour pouvoir juger ces dossiers.
00:13:38 Ma collègue reviendra sur les freins procéduraux et législatifs. Nous appelons tous de nos voeux une simplification de la procédure pénale.
00:13:47 Or, nous avons fait tristement le constat par la loi du 20 novembre 2023 d'une complexification grandissante encore en matière de démise en examen.
00:13:58 Une personne mise en examen peut demander sa démise en examen très rapidement.
00:14:01 En matière également de droits étendus aux personnes entendues comme témoins assistés, tout cela va plutôt dans le sens de la complexification plutôt que de la simplification.
00:14:11 Les requêtes en nullité qui sont pendantes devant la Chambre de l'Instruction mettent actuellement à peu près un an à être traitées.
00:14:21 Ce sont des délais qui sont totalement inadaptés par rapport à la nécessité d'apporter une réponse rapide en la matière.
00:14:30 Manque également en matière de traitement du blanchiment. Mes collègues y reviendront.
00:14:35 Nous manquons de policiers mieux formés à ce traitement, d'assistants spécialisés spécifiques sur l'entraide et l'analyse criminelle.
00:14:47 Et enfin, toujours en termes de frein – ce sera mon dernier point, j'ai été trop long, je vous prie d'en excuser –,
00:14:54 nous constatons un problème en termes de gestion des ressources humaines pour les magistrats.
00:14:59 Ces postes hautement spécialisés nécessitent du temps.
00:15:03 Nous avons des magistrats du second grade qui sortent de l'école, qui sont prêts à s'y investir et qui, je ne vous cache pas, sont plutôt bons.
00:15:12 Néanmoins, ils ne peuvent pas réaliser leur premier grade, c'est-à-dire au bout de 7 ans, gravir un échelon dans la hiérarchie judiciaire sans quitter la juridiction.
00:15:20 Nous avons un cas à la Girs de Marseille d'un jeune collègue qui vraisemblablement devra quitter le tribunal judiciaire de Marseille,
00:15:28 alors même qu'il a acquis une vraie compétence en la matière.
00:15:32 En conclusion, je dirais qu'il est indispensable de mettre un plan Marshall en œuvre pour la lutte contre le narcotrafic.
00:15:39 Et je crois que cette lutte doit être prise en compte comme un certain nombre de politiques publiques prioritaires,
00:15:47 comme les violences intrafamiliales. À ce même titre, nous devons prendre conscience qu'il y va de notre État de droit et de la stabilité de nos institutions républicaines.
00:15:56 Je vous remercie de votre attention. Vous pouvez m'excuser pour ma longueur et je suis prêt à répondre à vos questions par la suite.
00:16:02 Merci, Monsieur le Président. Merci pour le caractère complet de votre intervention.
00:16:08 Oui, Monsieur le Président, Mesdames et Messieurs les sénateurs, je partage naturellement le constat adressé par le président sur les moyens.
00:16:18 Je n'y reviendrai pas. Nous allons intervenir à trois voix. Vous dressez un petit peu le bilan et le constat de ce qu'on constate sur Marseille.
00:16:30 Mme Ford, qui est procureure de la République adjointe et qui est à la tête de la division de lutte contre la criminalité organisée,
00:16:36 rentrera dans le détail des éléments que nous avons mis en œuvre pour lutter contre le phénomène.
00:16:41 Mme Coudert, au titre de l'instruction, dira également de manière très pratico-pratique comment travaille-t-il et les difficultés qu'il rencontre.
00:16:51 Et puis, à la fin, je terminerai – on était d'accord – pour présenter des propositions, assez modestement, mais qui nous paraissent importantes
00:16:59 et que nous partageons – je vous le répète – avec le président et avec le siège les constats qui sont opérés et les propositions qui vous seront formulées.
00:17:10 D'abord, pour vous indiquer très brièvement sur les moyens, nous avons eu une augmentation importante des magistrats du parquet de Marseille
00:17:17 affectés à la lutte contre la criminalité organisée et le narcotrafic, puisqu'ils sont passés de 9 magistrats à 12.
00:17:24 Et on a scindé. Six magistrats sont chargés de la délinquance organisée, c'est-à-dire les affaires marseillaux-marseillaises.
00:17:32 Et puis six autres magistrats sont consacrés à la gire. C'est parce que moi, mon inquiétude dès mon arrivée à Marseille, c'est de dire
00:17:39 qu'il faut pas que nous soyons totalement vampirisés par les guerres marseillaux-marseillaises. Une gire, c'est plus particulièrement celle de Marseille.
00:17:50 Il doit lutter également contre le haut du spectre et sur l'ensemble de l'interrégion. Et on se pose tous les jours des questions de saisine.
00:17:57 Je vous donne un exemple. Nous ne l'avons pas encore tranché avec Mme Faure. Deux ressortissants espagnols ont été interpellés sur le ressort du parquet de Grasse
00:18:07 il y a deux jours avec 70 kg de cocaïne destinés aux mafias italiennes. Nous prônions habituellement ce type de dossier, même si nous travaillons
00:18:14 pour nos collègues italiens, mais c'est dans une logique de réciprocité. Nous nous demandons si nous allons pas laisser le tribunal de Grasse juger cette affaire
00:18:24 en comparution immédiate. Alors ça n'a pas un intérêt direct sur nous, mais ça nous permet de faire du lien avec les autorités italiennes.
00:18:30 C'est gagnant pour eux, mais en retour, quand on crée ce lien et cette coordination, les Italiens peuvent également travailler pour nous.
00:18:39 Vous le savez aussi bien que moi. La porosité qui existe. Et c'était un peu le sens des questions que vous nous avez adressées, à la fois avec une implantation
00:18:46 de la branquette ou la mochromafia, mais on pourra y revenir. Alors sur le constat, simplement pour vous indiquer que sur les points de deal Marseille,
00:19:03 malgré l'action très volontariste de la préfète de police de Pilonage, contient encore une centaine de cités abritant un ou plusieurs points de deal.
00:19:13 Donc ça a l'air un petit peu sans fin. Et on se rend compte... Et là encore, l'actualité récente avec le préfet du Var qui a pris un arrêté,
00:19:22 qui a un petit peu défrayé la chronique ce week-end en interdisant sauf motif légitime l'arrivée des Marseillais sur le Var.
00:19:28 Nous essaimons malheureusement sur... Oui, c'était un peu disruptif comme arrêté. Mais en tout cas, c'est la manifestation d'une réalité,
00:19:43 c'est-à-dire que le savoir-faire marseillais s'exporte dans le Var, dans les Alpes-Maritimes, dans le Vaucluse et dans le Gard avec,
00:19:51 quand on fait l'analyse du phénomène, soit sous une forme de prêt de main-d'œuvre, c'est-à-dire les milieux locaux vont recruter les tueurs marseillais,
00:20:02 soit dans le cadre, au contraire, de coups de force, puisque le marché à Marseille n'est pas extensible à l'infini, et des coups de force pour prendre le contrôle,
00:20:12 pour parler du Var, du point de deal du Val de Rougière à Yerre, des points de deal des cités difficiles de Nîmes.
00:20:21 Donc ça, c'est la deuxième possibilité. Puis la troisième possibilité, c'est des associations, c'est-à-dire de clans marseillais qui vont s'associer à des clans locaux
00:20:30 pour évincer les adversaires. Et ce qui fait que nous commençons à avoir également une augmentation des narcomicides sur le Vaucluse, sur le Var ou sur le Gard.
00:20:39 Et là, c'est un phénomène naturellement qui ne manque pas de nous inquiéter. Mme Faure entrera dans le détail.
00:20:46 Le président l'a rappelé – je vais aller très vite –, mais une augmentation exponentielle de la manifestation de cette concurrence acharnée entre les groupes criminels.
00:20:54 Donc c'est une explosion des narcomicides en l'année 2023, avec 113 faits constatés. Et là aussi, un point que je voudrais porter à votre attention.
00:21:04 109 faits sont directement liés au narcotrafic, c'est-à-dire que le milieu traditionnel que nous avons connu les uns et les autres dans le cadre de notre exercice professionnel
00:21:17 est mort de sa belle mort. Il a disparu sans même qu'on ait besoin d'assassiner ces corseaux marseillais. Ils ont été totalement submergés par le narcotrafic de Cité,
00:21:27 qui est véritablement la problématique essentielle, avec un certain nombre de conséquences. C'est-à-dire que par le passé, les règlements de compte
00:21:38 n'étaient pas exclusivement et n'étaient même pas majoritairement liés aux guerres de trafic de drogue. C'était même considéré dans le milieu traditionnel
00:21:46 comme sale de tuer quelqu'un qui vous avait volé de la résine de cannabis. Alors c'est pas qu'il faut fantasmer ces gens qui étaient particulièrement délétères.
00:21:54 Mais on avait beaucoup de règlements de compte sur Marseille ou dans le Var ou dans les Alpes-Maritimes pour la prise de possession du racket, pour les machines à sous.
00:22:03 Tout ça est totalement disparu. C'est un vieux monde qu'il faut complètement oublier. Et ça va entraîner un certain nombre de conséquences qui vont avoir des effets.
00:22:12 Je reprends ce que disait le président. Une augmentation considérable des hélucidations qui vont nous imposer, nous, à l'autorité judiciaire,
00:22:20 à pouvoir répondre à la masse des personnes. Pour vous donner un chiffre par le passé, les règlements de compte étaient commis par le chef de l'organisation
00:22:29 ou par ses principaux lieutenants et avaient pour destination les membres éminents, les chefs du clan adverse ou leur lieutenant.
00:22:38 On n'est plus du tout dans cette problématique-là. Avec des gens qui faisaient des commandos préparés.
00:22:44 Moi, si on parle du milieu corse, qui est peut-être le dernier élément qu'on connaît par la Girse, moi, j'ai souvent vu des gens sortir du maquis en tenue de central nucléaire
00:22:55 pour ne pas abandonner leur ADN. On n'est plus du tout dans ce cadre-là. Les gens, au niveau à visage découvert, parfois revendiquent sur les réseaux sociaux
00:23:03 les assassinats qu'ils ont commis, ce qui entraîne une explosion très importante du nombre d'hélucidations, mais qui ne règle pas le problème,
00:23:09 puisque les hélucidations, c'est les petites mains, c'est les tueurs. Et on a beaucoup plus de difficultés, je ne sais pas si la police judiciaire vous l'a indiqué,
00:23:18 mais à remonter aux têtes de trafic et aux commanditaires. Alors là aussi, j'ai vu que dans une des questions, effectivement, lors d'une interview,
00:23:27 j'ai indiqué qu'il y avait une baisse de la pression et qu'il y avait une baisse des narcomicides, effectivement, puisque nous étions en 2023 à deux ou trois faits par semaine.
00:23:36 Nous sommes, depuis le début de l'année, à deux faits qui peuvent être qualifiés de narcomicides. Alors on a une vision optimiste, mais qui est réelle.
00:23:43 Premier constat, c'est les vagues d'interpellations mises en œuvre par les juges d'instruction et par la police judiciaire qui font que la plupart des tueurs,
00:23:53 des équipes de tueurs sont actuellement derrière les barreaux. Mais quelle est la conséquence que nous avions ? Et là, il y a une vraie mexicanisation,
00:24:00 une vraie inquiétude. C'est que les bandes criminelles se retrouvant à la maison d'arrêt d'Aix-Luine ou au centre pénitentiaire de Marseille-Bomet,
00:24:08 nous avons eu un assassinat et une tentative d'assassinat il y a une dizaine de jours, c'est-à-dire la poursuite derrière les barreaux de ce qui se passait à l'extérieur.
00:24:23 Et là, c'est un phénomène naturellement qui est particulièrement inquiétant. La deuxième analyse, si on est un petit peu moins optimiste sur l'efficacité des services,
00:24:35 c'était peut-être de dire également que le combat, pour l'instant, a cessé fausse de combattants, puisque dans cette guerre qui oppose Yoda à DZ Mafia,
00:24:43 il semblerait que la DZ Mafia ait pris l'avantage. Mais là encore, la situation reste très fragile, puisque la personne assassinée au centre pénitentiaire de Luine l'aurait été.
00:24:51 Nous parlons au conditionnel, puisque les investigations sont en cours, par des membres de Yoda en vengeance sur une personne de la DZ Mafia.
00:25:02 Deuxième point. J'en aurai que trois, puisqu'après, l'intérêt, c'est effectivement que vous nous posiez des questions.
00:25:11 Par rapport au règlement de compte du milieu traditionnel, on est dans une stratégie d'intimidation et de terreur.
00:25:17 En réalité, c'est pour ça que le terme employé par Mme Laurence, précédente procureure de Marseille, de ne plus parler de règlement de compte, mais de narcomicide,
00:25:25 ça me paraît particulièrement intéressant. Et même si on veut aller plus loin, on peut parfois parler de narcoterrorisme,
00:25:31 puisqu'on a une dépersonnalisation des victimes qui sont ciblées. C'est plus les têtes de gondole. Et on a quatre catégories de victimes dans ces guerres du narcotrafic.
00:25:43 Traditionnellement, on en a encore les personnes qui sont ancrées dans la criminalité, mais ce n'est plus la majorité des victimes.
00:25:51 Nous avons surtout des petites mains du trafic, charbonneurs, ravitailleurs, chauffeurs, particulièrement jeunes,
00:25:59 et qui sont dans une logique de terreur. Quand on veut prendre en main un point de deal, vont recevoir une rafale de kalachnikov.
00:26:07 Narcoterrorisme, troisième point, personne dans la cité qui, sans être directement dans le trafic, y réside dans cette logique de terreur.
00:26:16 Et l'aspect peut-être le plus délétère, une multiplication de victimes collatérales, de victimes qui n'ont absolument aucun lien au trafic.
00:26:26 Et il y a deux affaires qui ont déféré la chronique. Le jeune Fayed, âgé de 10 ans, s'était anime, que nous avons récupéré dans le cas de la Girs,
00:26:35 ou la jeune Sokhaina, à la cité Saint-Is, dans les quartiers sud-est de Marseille. Deuxième caractéristique, et ce qui inquiétait le président,
00:26:44 effectivement, par rapport au manque de maturité, au risque que peuvent courir les magistrats instructeurs, c'est des auteurs et des victimes toujours plus jeunes.
00:26:53 Six mineurs ont été victimes, quatre mineurs sont mis en examen, et la majorité des auteurs, plus de 50 %, ont entre 16 et 21 ans.
00:27:03 On a également un phénomène très inquiétant qui démontre là aussi une dérive mafieuse, une féminisation. Jusqu'à présent, les femmes étaient, on va dire,
00:27:15 cantonnées à des rôles de nourrices, de drogue ou d'argent ou d'armes. Désormais, on constate que... Alors, on n'a pas encore eu de femmes dont on a la preuve
00:27:28 qu'elles sont montées directement, mais qui ont commandité, qui ont recruté des équipes, qui ont donné le go. Et là, ça me fait penser un petit peu à la dérive
00:27:35 qu'avait connue la Camorra napolitaine dans les années 2005, c'est-à-dire quand les hommes sont en prison, un certain nombre de femmes, et elles sont parfois plus dures que les hommes.
00:27:46 Donc cette féminisation nous inquiète également. Et enfin, le troisième point qui est le plus difficile pour porter des coups vraiment importants,
00:27:54 c'est des têtes de réseau qui gèrent leur trafic depuis l'étranger ou derrière les murs de leur prison. Ils désignent des cibles, ils organisent la logistique,
00:28:09 ils continuent à poursuivre ce trafic. Et l'incarcération ne remet pas en cause leur capacité opérationnelle. Alors là, on rentrera peut-être dans le détail.
00:28:17 Il y a deux points qui nous permettraient. C'est une coopération judiciaire encore embryonnaire avec certains États-refuges, et que nous parlions du Maroc, de l'Algérie ou de Dubaï.
00:28:30 Et également un besoin peut-être d'avoir un régime pénitentiaire distinct pour ce type de public, puisque le président l'a dit, et je le répète, la plupart sont à ce stade
00:28:43 en détention préventive, en détention provisoire, ce qui fait qu'ils sont versés dans les maisons d'arrêt et n'ont pas un régime pénitentiaire particulier.
00:28:55 Enfin, dernier point, et j'en aurais terminé. Pourquoi cette violence ? Puisque les points de deal sont particulièrement lucratifs. Donc il y a une logique de concurrence.
00:29:08 Le deuxième effet pervers, c'est que les jeunes Marseillais, ils savent ce qu'ils risquent en se présentant sur un point de deal.
00:29:16 On a constaté un recrutement désormais des petites mains du trafic constitué d'une main d'œuvre des jobbeurs, ce qu'on appelle les jobbeurs,
00:29:26 qui viennent donc de la France entière, ce qui rend plus difficile évidemment la connaissance du phénomène et sa lutte, mais également sur une ville comme Marseille,
00:29:34 un recrutement très important d'étrangers en situation irrégulière, qu'ils soient mineurs ou majeurs. Là aussi, c'est un phénomène qui ne manque pas de nous inquiéter.
00:29:48 Moi aussi, je pense que j'ai déjà été fort long et je cède la parole à Mme Faure, peut-être pour rentrer plus dans le détail des politiques que nous essayons de mettre en œuvre pour lutter contre le phénomène.
00:30:01 Oui, M. le Président, M. le rapporteur, Mesdames et Messieurs les sénateurs, comme il vous a été indiqué, la quasi majorité des faits d'assassinat,
00:30:13 de tentatives d'assassinat qu'a connues le département des Bouches-du-Rhône et en particulier Marseille sont en lien avec le trafic de stupéfiants.
00:30:23 Trafic de stupéfiants qui est en constante augmentation, puisque en 2023, nous avons dans le ressort saisi plus de 3,3 tonnes de résine de cannabis, soit deux fois plus qu'en 2022.
00:30:40 Nous avons saisi plus de 350 kilos de cocaïne, là également deux fois plus que l'année 2022.
00:30:49 Et ces saisies, évidemment, sont en corrélation avec un nombre très important de saisies d'armes.
00:30:56 La plupart du temps, des fusils d'assaut, des Kalashnikov, des 9 mm, là aussi des saisies en constante augmentation.
00:31:08 Et nouveauté depuis l'année 2023, la saisie de grenades trouvées dans les cités et qui, vraisemblablement, étaient là pour défendre les points de deal.
00:31:21 Le trafic de stupéfiants fait partie d'un enjeu majeur pour la juridiction.
00:31:30 Et plus de 20% de l'activité juridictionnelle de Marseille est focalisée sur le trafic de stupéfiants.
00:31:40 Alors 20%, c'est énorme lorsqu'on sait que la moyenne des juridictions du groupe 1, on est sur une moyenne de 12%.
00:31:49 Et au niveau national, sur une moyenne de 9%. Donc on vous a dit Marseille, 20% de l'activité juridictionnelle.
00:31:56 Au niveau de l'activité...
00:31:58 Le groupe 1 ? Excusez-moi.
00:31:59 Le groupe 1, c'est-à-dire la taille de la juridiction.
00:32:01 D'accord. C'est les grosses juridictions.
00:32:03 Nationales.
00:32:04 Nationales.
00:32:05 Donc Marseille, Bobigny...
00:32:07 Marseille est la troisième juridiction française. Donc il y a Paris, Bobigny. Et les juridictions du groupe 1, je crois, elles sont 13.
00:32:15 Oui. Et donc vous retrouvez Nanterre, Créteil, Paris, bien sûr, enfin qui est hors norme, Bobigny, Lyon, Bordeaux, Marseille...
00:32:25 Toulouse, Lille.
00:32:26 Voilà.
00:32:27 Non, Strasbourg est le groupe 2. Mais Toulouse est...
00:32:33 Et en termes d'activité sur le narcotrafic, après Paris, bien sûr, on est en tête de la part d'activité consacrée à la lutte contre le narcotrafic dans le groupe 1.
00:32:45 Et sur le narcomycide, c'est un triste record. Mais on en a plus que toutes les autres juridictions réunies. Donc c'est un peu...
00:32:55 Je vous ai coupé. Excusez-moi.
00:32:57 (Pause)
00:33:14 ...et principalement concentré sur les assassinats, les tentatives d'assassinats en bande organisée, puisqu'on vous l'a dit, finalement, on n'utilise plus le terme de règlement de compte, mais d'assassinats en bande organisée.
00:33:29 L'activité de l'AGIRS, donc, plutôt sur les groupes criminels, sur les réseaux, sur l'approvisionnement des cités en stupéfiant avec un approvisionnement qui est très divers.
00:33:44 D'abord, bien évidemment, le transit routier, surtout pour la résine de cannabis, la voie postale pour les drogues de synthèse, l'avion qui est aussi utilisé pour la livraison de colis de cocaïne via la Guyane, notamment,
00:34:03 et les ports pour la cocaïne avec des bateaux qui sont en provenance de l'Amérique du Sud, qui souvent font plusieurs escales d'abord en Italie ou en Espagne avant d'arriver sur le grand port maritime de Marseille.
00:34:21 Alors, pour lutter contre ces approvisionnements, pour lutter contre ces groupes criminels, nous avons tenté d'infiltrer un travail plus approfondi sur les ports pour essayer de détecter,
00:34:41 pour essayer de cibler les points de faiblesse, que ce soit les dockers, que ce soit les arrivées de conteneurs ou que ce soit les bateaux de croisière, puisque certaines quantités de cocaïne sont arrivées aussi par la voie des bateaux de croisière.
00:35:01 Nous avons donc mis en place ce qu'on appelle les BDL, les bureaux de lutte portuaires, qui, au niveau marseillais, regroupent les juridictions qui ont un port méditerranéen.
00:35:19 Alors, on a le port de Sète avec le parquet de Montpellier et la juridiction de Montpellier. On a évidemment Marseille, le grand port maritime, qui est finalement sur deux espaces, Marseille même, mais également fosse sur mer,
00:35:34 donc avec trois parquets compétents, Tarascon, Aix-en-Provence et Marseille. Je parle un peu moins de Toulon parce que, pour l'instant, Toulon n'est pas vraiment répertorié comme une entrée pour les navires contenant de la cocaïne.
00:35:52 Un BDL qui se veut donc extrêmement opérationnel, où notre but, comme je vous l'ai indiqué, est de détecter les failles et, surtout, de se concerter, de partager les informations avec les services de police, avec la DOD,
00:36:10 et ensuite de mettre en place des axes stratégiques pour arriver à lutter contre ce phénomène. Des bureaux que nous souhaitons aussi élargir vers l'international avec un travail en direction de l'Italie, en direction de l'Espagne dans un premier temps.
00:36:29 Alors au niveau stupéfiant, un travail qui est fait à plusieurs niveaux. Le niveau, bien entendu, mais je passe très vite des consommateurs puisque nous essayons de mener un travail non seulement...
00:36:43 Donc le parquet en entier de Marseille, non seulement sur les addictions, mais également sur une sensibilisation, une responsabilisation des clients.
00:36:53 Un travail sur les points de deal en eux-mêmes, sur les guetteurs, les chouffes, les vendeurs, les ravitailleurs avec le pilonnage qui est effectué sur les points de deal qui finissent pour la grande majorité en comparution immédiate, en CRPC déferment.
00:37:11 Puis un travail sur les groupes criminels qui, comme on vous l'a dit, sont des réseaux qui sont extrêmement structurés, qui sont extrêmement spécialisés, qui sont hyper concurrentiels avec une politique RH extrêmement dure,
00:37:30 avec une politique de l'emploi via les réseaux sociaux où vous avez des messages qui sont diffusés où on vous vante les mérites du travail de vendeur, guetteur ou autre,
00:37:46 en vous affichant le salaire qui serait susceptible d'être gagné, en vous assurant de la sécurité du point de deal et en faisant la comparaison de ce que vous pourriez gagner si vous faisiez une activité licite par rapport à ce que vous faites sur un point de deal.
00:38:04 Bien évidemment, des propos publicitaires qui sont absolument en décalage total avec la réalité puisque nous savons que la plupart, s'ils arrivent volontairement, finissent ensuite par être traités pour certains quasi comme des esclaves
00:38:23 et qui ne sont pas payés avec un risque pour leur sécurité extrêmement important.
00:38:28 De l'hyperviolence, je vous le disais, donc M. le procureur vous a parlé des règlements de compte, des autres violences qui sont associées à ces règlements de compte et des enlèvements, séquestration.
00:38:43 Des moyens considérables, il ne faut pas oublier que ces réseaux qui sont dirigés la plupart du temps par des chefs qui sont très loin des cités, très loin du réseau, soit à l'étranger, soit pour certains en détention.
00:38:59 Des moyens considérables et qu'ils font appel à des services extrêmement spécialisés, cloisonnés, ce qui donc permet à chacun de ne pas connaître ce que fait l'autre pan d'activité et ce qui est donc effectivement plus dur pour nous.
00:39:20 Une adaptabilité bien entendu très importante. On vous a parlé du pilonnage, on vous a parlé du travail sur les points de deal.
00:39:30 Des points de deal qui ont certes diminué puisque nous sommes aujourd'hui à 128 points de deal en zone police, 4 en zone gendarmerie.
00:39:38 Mais sous la baisse de ces points de deal, on a aussi une restructuration, c'est-à-dire que dans certaines cités où il y avait plusieurs points de deal, finalement ils se sont regroupés en un seul point de deal qui est devenu beaucoup plus sécurisé avec une équipe de guetteurs qui le protège extrêmement plus importante, d'où plus difficile pour nos forces de l'ordre.
00:40:01 Une adaptabilité évidemment sur la vente avec les réseaux Uber-Sheet, Uberco que vous connaissez, où certains acheteurs finalement ne se déplacent plus sur les cités qui sont quand même, surtout cette année,
00:40:15 réputées extrêmement dangereuses et qui se font livrer à domicile par des livreurs aussi bien sur la cocaïne que sur la résine de cannabis, les drogues de synthèse ou l'héroïne étant extrêmement minoritaires sur notre ressort.
00:40:33 Alors, comme on a dû déjà vous le dire, tout criminel cherche avant tout à faire du profit et l'argent c'est le nerf de la guerre.
00:40:47 Si les saisies de stupéfiants ont considérablement augmenté, elles n'ont pour autant pas du tout freiné l'expansion des réseaux criminels et nous pensons que finalement seul un travail sur l'argent, sur le blanchiment permettrait peut-être de contrer ces réseaux criminels.
00:41:06 Alors plusieurs plans de lutte contre le blanchiment ont été mis en œuvre. Jusqu'à présent, nous avons beaucoup utilisé la présomption de blanchiment qui est un outil extrêmement efficace,
00:41:22 qui nous permet d'agir indirectement sur le blanchiment de trafic de stupéfiants puisqu'on utilise d'autres qualifications pénales que peuvent être le travail dissimulé, les fraudes fiscales.
00:41:34 Et cette présomption, même si elle est extrêmement intéressante, ne nous permet cependant pas d'identifier totalement l'origine des faux en lien avec le trafic de stupéfiants.
00:41:46 Et souvent, elle intervient une fois que le patrimoine criminel est acquis, est placé avec souvent une acquisition par les groupes criminels, soit de restaurants, de boîtes de nuit, de sociétés, patrimoine immobilier, etc.
00:42:04 Alors, bien entendu, cette politique est extrêmement importante, mais nous avons aussi de manière complémentaire souhaité faire un travail sur l'argent qui sort des cités.
00:42:17 Puisque jusqu'à présent, la plupart des achats sont faits par petites coupures et nous souhaitons essayer de suivre, au lieu de suivre le produit, cette fois de suivre l'argent,
00:42:31 au lieu de s'atteler au vendeur, essayer de s'atteler au banquier, ce qu'on appelle le banquier, c'est-à-dire celui qui n'est pas très loin du réseau et qui, de manière régulière,
00:42:43 vient ramasser l'argent pour ensuite le déposer à un autre endroit, chez une nourrice qui, elle, n'est pas une nourrice stupéfiante ni une nourrice arme, mais une nourrice argent,
00:42:53 et puis qui est remontée via des collecteurs, souvent dans d'autres régions de France, pour ensuite être blanchie, soit par des moyens classiques dont on a dû vous parler déjà,
00:43:12 soit par des régimes beaucoup plus complexes de sociétés, avec un travail sur l'international. Alors, plus vite, pour essayer de tenir le temps,
00:43:25 nous avons, en essayant de travailler sur la provenance de cet argent, mis en place plusieurs comités opérationnels de lutte contre le blanchiment et les avoirs criminels,
00:43:35 ce qu'on a appelé les call-backs, et des call-backs S, pour ce qui concerne celui plus spécifiquement lié au stupéfiant, là aussi avec un échange d'informations
00:43:45 entre plusieurs partenaires, que ce soit la police, la gendarmerie, la DGFIP, les douanes, et j'en oublie, et essayer d'avoir des axes stratégiques pour lutter et identifier ces réseaux.
00:44:02 J'ajoute également que nous travaillons énormément avec la division ECOFI à Marseille, qui est également comme la division CRIMORG, divisée en deux,
00:44:12 la section ECOFI PUR et la section ECOFI GIRS, ce qui nous permet de monter des dossiers communs qu'on a appelés ECOCRIM, où sont, sur un même dossier,
00:44:22 quelqu'un qui est affecté à la criminalité organisée, avec la spécificité de moyens de lutte de la criminalité organisée, et quelqu'un de la division ECOFI,
00:44:33 avec aussi un doublement au niveau de l'instruction, puis du tribunal correctionnel, ce qui permet d'avoir les deux visions pour lutter contre les trafics de stupéfiants.
00:44:44 De manière plus rapide, parce qu'on a également dû vous en parler, un travail est fait sur ce qu'on appelle la corruption de basse intensité, qui n'est pas un vain mot,
00:44:56 puisque une fois qu'on a réussi à essayer de monter un dossier, il faut ensuite se protéger des fuites, il faut se protéger de toute cette corruption inondée par l'argent du narcotrafic
00:45:13 qui intègre finalement tous les milieux et qui met énormément à mal nos procédures. Nous travaillons avec l'IGPN sur ces dossiers, mais qui, au moins sur Marseille,
00:45:28 a des moyens humains extrêmement limités, ce qui nous pose des soucis pour aboutir en désenquête.
00:45:35 Rapidement, également, le problème de la détention. Là aussi, ce n'est pas un vain mot. La détention est devenue un véritable problème.
00:45:44 Problème d'abord parce qu'elle ne met plus fin aux activités des têtes de réseau, qui ont beau avoir un, deux, trois, dix mandats de dépôt criminels,
00:45:54 de toute façon, continu, à commanditer de l'intérieur des assassinats, où Drive gère leurs points de deal comme s'ils étaient à l'extérieur,
00:46:05 la détention étant pour eux prise en compte en tant que risque du métier. Un problème avec la porosité, la corruption, là également, avec l'arrivée des nouvelles technologies,
00:46:20 les drones qui, maintenant, servent quasiment à la fenêtre des détenus, les stupéfiants, les téléphones et tout autre objet qui nous inquiète énormément,
00:46:32 et la sécurité, la sécurité qui flanche au niveau de la détention, puisque 188% de surpopulation des groupes criminels qui se reconstituent à l'intérieur
00:46:46 et donc qui importent, exportent en maison d'arrêt les conflits qui existaient à l'extérieur, sauf que pour un régime pénitentiaire,
00:46:56 pour un directeur pénitentiaire, il est très difficile d'arriver à séparer tout le monde, séparer un clan adverse et, également,
00:47:07 empêcher le même clan d'être trop proche pour ne pas leur faciliter le travail qu'ils font pour continuer à gérer leurs points de deal ou les assassinats à l'extérieur.
00:47:19 Alors, le travail des 12 magistrats de ma division criminalité organisée, 6 à la GIRS, 6 à la délinquance organisée pure, est écrasant, comme vous pouvez l'imaginer.
00:47:36 Ils gèrent 499 dossiers et quand on parle de dossiers, ça n'a rien...
00:47:44 Enfin, voilà, c'est des montagnes de piles et de toms de dossiers avec un nombre de personnes mises en examen exponentiel,
00:47:55 un nombre de personnes détenues extrêmement important avec des moyens au niveau du groupe autour du magistrat qui est assez limité.
00:48:08 Nous avons un seul analyste criminel qui est commun au parquet et au siège. Nous avons deux assistants des GFIP pour toute la juridiction.
00:48:21 Donc là aussi, c'est un peu difficile de leur permettre de travailler sur les avoirs criminels, sur la détection des patrimoines
00:48:31 lorsque vous savez qu'ils doivent travailler pour une juridiction entière, avec des techniques spéciales d'enquête extrêmement longues, minutieuses,
00:48:41 un travail sur les sources qui est très important puisque nous ne pouvons pas mener ces enquêtes-là sans les techniques spéciales d'enquête, sans les sources.
00:48:54 Mais celle-ci, le travail avec les sources est très délicat parce qu'il faut arriver à le protéger déjà et avoir une procédure qui soit loyale par rapport à la défense.
00:49:10 Sachant que, évidemment, tout ce que nous mettons en œuvre est ensuite en totale transparence avec la partie adverse qui a des moyens financiers
00:49:20 beaucoup plus importants que les nôtres pour, évidemment, une fois que nous leur donnons accès à tout ce que nous faisons,
00:49:26 s'adapte beaucoup plus vite que nous et nous l'oblige encore à essayer de nous renouveler.
00:49:34 Alors nous nous renouvelons notamment grâce au partenariat que nous avons essayé de mettre en œuvre avec l'ensemble de nos partenaires,
00:49:43 avec la coopération internationale, là aussi très vite puisque cela a dû vous être dit par les autres parquets.
00:49:52 Une coopération internationale qui marche très bien avec les pays européens, avec Eurojust qui est un allié incontournable,
00:50:00 moins bien avec les pays du Maghreb, avec Dubaï, mais je pense que je ne vous apprends rien.
00:50:06 Je pourrais répondre à des questions plus précises si vous le souhaitez.
00:50:13 Merci beaucoup. Madame la vice-présidente.
00:50:16 Monsieur le Président, monsieur le rapporteur, mesdames et messieurs les sénatrices et sénateurs,
00:50:22 je suis donc vice-présidente chargée de l'instruction à l'Agir, ce criminalité organisée,
00:50:26 une section qui comprend 7 juges et que je coordonne.
00:50:30 Beaucoup de choses ont déjà été dites et c'est la difficulté un petit peu de prendre la parole en dernier,
00:50:36 mais je vais essayer de vous apporter un éclairage concret de ce que nous constatons au quotidien dans nos cabinets,
00:50:43 dans un premier temps, et ensuite des moyens dont a besoin un juge d'instruction lors de la conduite d'une information judiciaire
00:50:50 pour lutter contre ce type de criminalité.
00:50:53 D'abord le constat, bien évidemment, le narcotrafic touche en premier lieu la ville de Marseille.
00:50:59 Je pense que Marseille est la seule ville de France gangrénée à ce point par le trafic de drogue,
00:51:05 l'économie souterraine que ce trafic induit et les règlements de comptes qui en découlent.
00:51:11 Il me semble que cette ville a basculé comme aucune autre dans le narcotrafic.
00:51:15 Le trafic de drogue et les assassinats liés aux stupéfiants existent partout en France,
00:51:20 mais jamais, à mon sens, dans la dimension que ce fléau a pris à Marseille,
00:51:25 et c'est ce que nous disent les collègues des autres juridictions lorsque nous échangeons avec eux.
00:51:31 Par "narcotrafic marseillais", il faut entendre que si les acteurs de ce trafic sont majoritairement issus de Marseille,
00:51:39 leur influence s'est considérablement étendue aux régions limitrophes des Bouches-du-Rhône.
00:51:44 Le marché de la drogue s'exporte à la recherche d'une nouvelle clientèle.
00:51:48 C'est le cas pour les villes d'Arles, Nîmes, Montpellier, Avignon, mais aussi Valence et Perpignan,
00:51:53 jusqu'en Espagne où des Marseillais impliqués dans ces trafics sont allés assassiner deux des leurs réfugiés sur la Costa Brava.
00:52:00 Et c'est tout l'intérêt du traitement de ces dossiers par une juridiction spécialisée et interrégionale
00:52:06 à la compétence étendue et dont les moyens doivent être adaptés pour la prise en compte de ces affaires.
00:52:12 Les trafics de stupéfiants fonctionnent sur un mode très hiérarchisé et pyramidal.
00:52:17 Nos dossiers nous permettent de nous familiariser avec ce fonctionnement,
00:52:21 mais aussi avec tout un lexique, tout un vocabulaire qui est propre à ces malfaiteurs.
00:52:26 En haut de la pyramide, on trouve des individus qui, depuis des pays étrangers,
00:52:30 tels que les Émirats arabes unis, les pays du Maghreb, les Pays-Bas, l'Espagne,
00:52:35 gèrent le trafic à distance et, au regard de leur train de vie, en récoltent les fruits.
00:52:41 Parfois, ils vivent au grand jour dans ces pays et ils développent des affaires dans le cadre de sociétés
00:52:46 qui sont d'efficaces blanchisseuses pour le réseau.
00:52:50 La grande aisance financière de ces délinquants du haut du spectre,
00:52:54 qui n'ont pas payé un seul euro d'impôt en France, est évidente lors de leur interpellation
00:52:59 lorsqu'ils apparaissent en capacité de rémunérer plusieurs avocats et non des moindres pour leur défense.
00:53:05 La corrélation entre l'absence de justification de ressources légales
00:53:09 et la capacité de rémunérer très cher sa défense interroge.
00:53:14 Les flux financiers sont difficiles à tracer.
00:53:17 L'argent de la drogue n'est pas bancarisé.
00:53:20 Il circule parfois grâce à des sarrafs, véritables pseudo-banquiers occultes.
00:53:24 Ce système permet d'échanger des fonds entre pays en toute clandestinité,
00:53:29 sans aucun transfert physique d'argent, par un processus de compensation
00:53:33 avec le versement d'une commission à chaque transaction.
00:53:37 Il s'agit donc d'un système aussi efficace et indétectable qu'artisanal.
00:53:43 A l'opposé, tout en bas de l'échelle, tout en bas de la pyramide,
00:53:47 on trouve sur les points de deal les guetteurs, dits les chouffes,
00:53:50 qui assistent les vendeurs, dits les charbonneurs ou jobbeurs.
00:53:53 Ils sont très jeunes, déscolarisés, parfois en rupture familiale, manifestement attirés par l'argent.
00:53:59 Bien que travailleurs précaires, contraints d'être à la sacoche, c'est ainsi qu'ils le disent,
00:54:05 ils gagnent en moyenne 150 et 200 euros par jour,
00:54:09 on les trouve sur les canapés et ventrés au bas des immeubles.
00:54:13 Ce sont les cibles faciles des règlements de compte.
00:54:16 J'ai lu récemment qu'à Marseille, la mort frappe souvent sous les coups de 20 heures,
00:54:21 sous les coups de 20 ans aussi.
00:54:24 C'est clairement le cas de ceux qui sont tout au bas de l'échelle du trafic.
00:54:28 Fait nouveau, on constate que cette petite main d'œuvre devient difficile à recruter,
00:54:32 au point que le recrutement se fait désormais dans des régions de France parfois lointaines,
00:54:36 et le réseau s'occupe de loger ces petits dealers.
00:54:40 Le développement des Uber Cheats, livraison du client à domicile,
00:54:43 est consécutif en partie à cette pénurie de main d'œuvre.
00:54:47 Mais le réseau est aussi particulièrement intransigeant et sans pitié
00:54:51 si l'un d'eux est défaillant dans sa mission.
00:54:54 Régulièrement, nous sommes sidérés, nous, juges d'instruction,
00:54:57 en découvrant dans des téléphones portables que nous saisissons des vidéos d'une violence extrême
00:55:02 où de très jeunes gens sont frappés, humiliés, torturés dans des caves et parfois exécutés.
00:55:09 Autre forme de violence, lorsque des trafiquants, après avoir enlevé, séquestré et violenté
00:55:14 le gérant d'une pizzeria implantée à 50 mètres d'un point de deal,
00:55:18 parce que soi-disant il avait trop parlé, ont lancé une OPA hostile sur le commerce,
00:55:24 en multipliant les coûts de pression sur le gérant,
00:55:27 afin que celui-ci cède son établissement à vil prix.
00:55:31 Entre ces deux extrêmes, une multitude de métiers "se développent"
00:55:36 avec à chaque strat le prélèvement d'une commission plus ou moins conséquente.
00:55:40 C'est ainsi qu'une des mises en examen, pour sa part, gérant à Marseille,
00:55:44 de trois points de deal, dont deux étaient fermés pour cause de pénurie de main-d'oeuvre,
00:55:49 se plaignait de la rémunération confortable de ceux de l'équipe feu.
00:55:53 L'équipe feu, c'est clairement les tueurs, appelés aussi tapeurs et charcleurs,
00:55:58 qui sont chargés de récupérer les points de deal auprès de la concurrence,
00:56:02 à l'aide de "Guitare", un joli nom donné à un instrument de mort, la kalachnikov.
00:56:07 Ils disaient aussi qu'il y avait une sorte de promotion à passer de gérant de point de deal,
00:56:12 où ils gagnaient pourtant 8000 euros par mois, à membres de l'équipe feu.
00:56:16 Dans nos dossiers on trouve aussi les ravitailleurs des points de deal,
00:56:20 les nourrices, qui peuvent être gardiens des produits stupéfiants ou d'argent,
00:56:23 les garages, ceux ou celles qui planquent dans leurs logements,
00:56:27 les équipes feu après leur forfait.
00:56:29 Cette mission de garage semble de plus en plus dévolue à des filles,
00:56:32 qui apparaissent désormais à des postes non négligeables, cela vous a été dit.
00:56:36 Le réseau comprend également un "monsieur propre", missionné pour brûler la voiture,
00:56:41 les vêtements des tueurs et faire disparaître les armes.
00:56:44 Un peu plus haut on trouve les logisticiens.
00:56:47 Dans un dossier d'importation en bande organisée de plusieurs tonnes de cocaïne,
00:56:50 un individu était dédié exclusivement à la logistique automobile.
00:56:55 Il s'occupait de récupérer les voitures volées, de louer des box, mais aussi des GPS,
00:56:59 des plaques d'immatriculation, des bidons d'essence.
00:57:03 D'autres se consacrent à l'acheminement du produit,
00:57:07 donc c'est une forme aussi de logistique, grâce à des liens noués dans les pays producteurs
00:57:12 ou les pays de transit.
00:57:14 Dans un dossier, une des têtes de réseau envoyait son subordonné rompu à la plongée sous-marine,
00:57:19 en Amérique du Sud, pour se former à la récupération des produits stupéfiants
00:57:24 sous les coques de navire.
00:57:26 Enfin, on trouve les blanchisseurs, classiquement dans des activités économiques ayant besoin de cash,
00:57:30 tels que les établissements de restauration, établissements de nuit, des entreprises du BTP.
00:57:35 Alors que les individus au bas de l'échelle sont pratiquement illettrés,
00:57:40 ceux du haut du spectre, qui organisent et dirigent le trafic,
00:57:43 peuvent présenter des capacités intellectuelles performantes,
00:57:47 notamment dans l'utilisation des outils modernes de transmission et de communication
00:57:51 acquis avec l'argent de la drogue.
00:57:54 Ces modes opératoires attestent d'un professionnalisme
00:57:57 et de l'existence d'organisations criminelles particulièrement structurées et actives,
00:58:02 capables d'importer de grosses quantités de produits stupéfiants
00:58:05 et qui requièrent une approche judiciaire forte et coordonnée.
00:58:10 S'agissant des règlements de comptes, depuis longtemps s'affrontent à Marseille
00:58:14 les bandes rivales pour l'annexion de territoires abritant des points de deal.
00:58:17 Nous avons connu la guerre entre les Blancs et les Gitans,
00:58:20 avec sa succession de ce qu'on appelle les matchs retours.
00:58:23 Le nombre de règlements de comptes a considérablement augmenté en 2023.
00:58:27 Ils sont le fruit d'une guerre implacable entre deux organisations,
00:58:30 la DZ Mafia et Yoda, dont les coups de force s'étendent sur l'interrégion
00:58:35 et sont clairement revendiqués par leurs membres.
00:58:38 Alors, DZ Mafia tire son nom du cycle DZ qui renvoie au mot Algérie
00:58:43 et Yoda serait issu de la guerre des étoiles.
00:58:46 Il est remarquable que certains des mises à l'examen revendiquant l'appartenance
00:58:50 à l'un des deux clans évoquent des sommes conséquentes perçues
00:58:55 pour exécuter des contrats et le tarif varie en fonction du résultat,
00:59:00 si la cible est tuée ou seulement blessée.
00:59:03 Ils expliquent aussi comment une nouvelle équipe est en préparation,
00:59:06 prête à prendre le relais en cas d'interpellation ou de perte fatale.
00:59:10 Les méthodes utilisées par ces équipes actuelles sont assez caractéristiques,
00:59:15 elles pratiquent l'anticipation, le balisage des véhicules pour mieux suivre leurs cibles,
00:59:20 elles ont recours à des donneurs de go pour renseigner les tueurs,
00:59:23 elles rafalent à l'aveugle.
00:59:25 Avec les enquêteurs, il n'est pas toujours aisé de comprendre le pourquoi d'un passage à l'acte.
00:59:30 Si on identifie assez facilement l'exécution d'un concurrent,
00:59:34 il est parfois plus difficile de décoder, dans le contexte du moment,
00:59:38 l'exécution d'un rival ou d'un traître réel ou supposé.
00:59:42 Les grilles de lecture sont complexes et nécessitent pour le décryptage de ces équipes
00:59:47 une grande connaissance du milieu, tout comme des surnoms d'ailleurs,
00:59:50 qui sont systématiques et incontournables.
00:59:53 Dans notre rôle de magistrat directeur d'enquête,
00:59:55 nous avons clairement des besoins en moyens humains, matériels, mais aussi juridiques,
01:00:01 pour nous permettre de lutter plus efficacement contre cette criminalité particulière.
01:00:06 D'abord, les moyens humains.
01:00:08 Pour le traitement de nos dossiers, que je qualifie XXL, il nous faut du temps,
01:00:13 et nous pourrons consacrer le temps nécessaire à nos dossiers que s'ils ne sont plus nombreux.
01:00:18 Outre le renfort des effectifs de magistrats,
01:00:20 il est souhaitable que les juges d'instruction puissent rester durablement dans les cabines EGIRS,
01:00:25 afin que la connaissance des dossiers et des réseaux locaux à l'origine de la criminalité,
01:00:30 ainsi que la maîtrise des techniques spéciales d'enquête inhérentes à ces procédures EGIRS,
01:00:35 soient bien assimilées.
01:00:37 À cet égard, l'accession au premier grade sur place de jeunes collègues doit être favorisée.
01:00:42 Les changements de juges d'instruction auberent inévitablement le bon déroulement des procédures,
01:00:47 particulièrement complexes et volumineuses.
01:00:50 L'équipe autour du magistrat doit être renforcée,
01:00:53 et en premier lieu, il faut faire en sorte qu'un cabinet d'instruction soit systématiquement doté d'un greffier,
01:00:58 ce qui est loin d'être le cas.
01:01:00 Un juge peut se trouver durant plusieurs mois sans greffier attitré,
01:01:03 avec une rotation des greffiers en poste dans les autres cabinets.
01:01:06 Nous demandons l'affectation de greffiers volants pour pallier aux absences ponctuelles de personnel,
01:01:12 et les greffiers doivent eux-mêmes bénéficier d'agents
01:01:15 qui les soulageraient d'une certaine tâche purement matérielle, telle que la cotation.
01:01:20 Ensuite, nous sommes en demande d'un véritable pool d'assistants spécialisés,
01:01:24 formés à ce type de contentieux et capables d'aider véritablement le juge,
01:01:29 par exemple dans la gestion des techniques spéciales d'enquête qui sont soumises à échéance,
01:01:34 pour veiller aux évolutions jurisprudentielles également.
01:01:37 Organiser un placement à l'étranger, par exemple, est chronofrage,
01:01:41 et pourrait être utilement délégué à ses assistants.
01:01:44 La numérisation des dossiers est un exercice délicat qui requiert là encore un personnel formé à cette tâche et compétent.
01:01:51 Pour procéder aux interrogatoires des personnes détenues,
01:01:55 nous sommes soumis aux aléas de l'ARPEJ, l'Autorité de régulation et de programmation des extractions judiciaires,
01:02:02 qui, elle-même en manque de personnel, nous prévient la veille pour le lendemain
01:02:07 que le détenu ne sera pas conduit à notre cabinet,
01:02:10 ou bien des réceptions des réquisitions d'extraction nous demandent de procéder à une audition par visioconférence,
01:02:16 alors que le choix de cette modalité d'audition appartient au seul magistrat.
01:02:21 Le manque de moyens humains se fait sentir au niveau de la Chambre de l'Instruction,
01:02:26 qui n'est pas mieux lotie que les juridictions de première instance en magistrat et greffier.
01:02:30 Actuellement, une centaine de requêtes en nullité sont pendantes devant la Chambre de l'Instruction à Aix-en-Provence,
01:02:36 en charge de nos dossiers GIRS et délinquances organisées.
01:02:40 Cette Chambre se trouve de plus en plus embolisée par les saisines directes.
01:02:45 En effet, si un juge d'instruction n'a pas convoqué une personne mise en examen et détenue,
01:02:50 dans les quatre mois suivant sa comparution devant ce magistrat,
01:02:54 et au regard de la charge de nos cabinets, c'est impossible de remplir cet impératif,
01:02:59 celle-ci peut saisir la Chambre de l'Instruction directement d'une demande de mise en liberté.
01:03:04 C'est en fait toute la chaîne qu'il faut renforcer.
01:03:08 Ensuite, les moyens matériels. Nous déplorons un équipement informatique insuffisant.
01:03:12 Nous ne disposons pas du matériel adéquat pour lire les supports sur lesquels les experts informatiques et les OPJ
01:03:19 stockent les données extraites des téléphones et des ordinateurs des délinquants.
01:03:23 Nous avons besoin également d'un logiciel de recherche et de recoupement des données qui soit performant.
01:03:29 Le logiciel Cassiopée a toujours été considéré comme inadapté à la fonction de l'instruction,
01:03:34 et pourtant nous avons dû nous résoudre à l'utiliser.
01:03:37 Nous sommes donc obligés sans cesse de modifier les trames, de les adapter, de les recycler,
01:03:42 avec chaque fois un risque d'erreur ou d'omission de mentions obligatoires.
01:03:47 Enfin, les moyens juridiques. Parmi les évolutions juridiques que nous appelons de nos voeux,
01:03:51 figurent la criminalisation de l'infraction d'associations de malfaiteurs en vue de la commission d'un crime,
01:03:56 l'instauration d'un régime carcéral spécifique pour les détenus relevant de la criminalité organisée.
01:04:02 Il s'agit de faciliter la rotation de détenus, la mise à l'isolement et le brouillage des cellules,
01:04:08 la possibilité de saisir et de confisquer les avoirs criminels sans l'application systématique du principe jurisprudentiel de proportionnalité,
01:04:16 l'exigence de la démonstration d'un grief à l'appui d'une requête en nullité.
01:04:21 Les dispositions législatives telles que la possibilité pour une personne mise en examen,
01:04:25 qui vient d'être mise en examen, de demander aussitôt sa démise en examen,
01:04:29 ou jurisprudentiel qui prive l'ordonnance de renvoi devant le tribunal correctionnel de son effet de purge des nullités,
01:04:36 sont des mesures regrettables et de nature à générer de nouveaux types de recours.
01:04:41 Je pense qu'il faut encadrer de manière plus contraignante la possibilité de recours qui paralysent le cours de l'instruction et encombre les chambres de l'instruction.
01:04:51 Nous devons pouvoir instruire nos dossiers sans la remise en cause permanente et dilatoire des actes accomplis par une certaine défense qui n'est pas constructive.
01:05:00 Les délinquants paient très cher une défense qui ne va pas se battre sur le fond du dossier, et pour cause il est souvent accablant,
01:05:07 mais sur la procédure avec en ligne de mire la détention, en multipliant des remises en cause systématiques de certains actes d'enquête,
01:05:14 ce fut le cas à l'époque des extractions de données Sky-ECC, ou bien utilisent carrément des stratagèmes pour au final obtenir des remises en liberté des délinquants.
01:05:26 Par exemple, un courrier contenant une saisine directe de la chambre de l'instruction avec la seule mention "grève de la cour d'appel",
01:05:35 donc ce peut être le greffe commerciale ou sociale, ce courrier-là, s'il n'est pas orienté immédiatement à la chambre de l'instruction pour être traité dans les délais,
01:05:44 la remise en liberté de l'intéressé devra intervenir.
01:05:48 Pour conclure mon propos, j'indique que l'actualité criminelle locale et les délais raisonnables appréciés rigoureusement par la Cour de cassation
01:05:57 imposent que les procédures GIRS puissent être diligentées avec efficacité et célérité.
01:06:04 Aujourd'hui, ce n'est clairement pas le cas. Je crains que nous soyons en train de perdre la guerre contre les trafiquants à Marseille.
01:06:11 Et tandis que nous sommes freinés par toutes les contraintes et les entraves dont j'ai parlé, les avocats de leur côté font de leur site unilitator.fr,
01:06:21 ayant pour vocation à recenser les cas de nullité avec le dessin affiché d'instaurer une bonne administration de la justice, alors que nous, dans nos cabinets, nous sommes à la fixie.
01:06:32 Je veux croire néanmoins que l'accroissement des moyens humains, matériels et juridiques permettront non seulement un traitement optimal de nos dossiers,
01:06:41 mais renforcera également l'autorité que nous sommes censés incarner. Actuellement, nous assistons, outre les difficultés que j'ai évoquées, à une grave remise en cause de notre fonction.
01:06:53 Les plaintes déposées par les avocats à l'encontre des juges d'instruction traitant de cette matière dans le but de les déstabiliser ne sont plus un phénomène rare.
01:07:02 Des mises en examen vont jusqu'à insulter le magistrat ou, pire, lui cracher dessus en cours d'interrogatoire.
01:07:09 Très récemment, les locaux professionnels d'un expert judiciaire, souvent désignés dans nos dossiers, ont été incendiés par des individus cagoulés selon un mode opératoire digne du crime organisé.
01:07:21 Je vous remercie.
01:07:25 Merci beaucoup. Nous vous proposons peut-être les questions. Je ne voudrais pas alourdir les débats sur nos propositions qui ont déjà été largement évoquées par les collègues.
01:07:35 Si vous en êtes d'accord, M. le Président, M. le rapporteur. Vous les transmettrez par écrit ou par mail ? Exactement.
01:07:40 J'avais une question, M. le procureur. On est effaré d'apprendre ce qui se passe dans les prisons, la réorganisation des réseaux et la gestion directe d'un certain nombre de réseaux depuis les cellules de personnes qui sont incarcérées.
01:07:56 Quelles sont les dispositions que vous avez prises pour lutter contre cela ?
01:08:00 Nous avons développé des liens très importants avec le renseignement pénitentiaire qui travaille avec Mme Ford et ses équipes pour en connaître au moins la connaissance.
01:08:15 La deuxième chose, il y a des éléments qui nous échappent. Le bon sens dirait qu'il faut que l'on brouille totalement. Ça serait une des solutions.
01:08:24 Je vous explique que techniquement, c'est très compliqué, qu'il y a des riverains. Mais ça serait le moyen de leur interdire de communiquer avec l'extérieur, sinon par des communications autorisées,
01:08:34 mais dont ils savent qu'ils sont écoutés et qu'ils n'utilisent pas.
01:08:39 Enfin, nous... Mais là, c'est compliqué parce que c'est sur plusieurs années. Nous estimons, et la plupart des praticiens, que le régime pénitentiaire de la détention provisoire appliquée à ce type de public est inadapté.
01:08:53 Il faudrait qu'on ait des prisons de haute sécurité, comme ça existe dans d'autres pays, aux États-Unis, en Italie. Ça aurait également des conséquences induites.
01:09:01 C'est-à-dire si le ministre de la Justice... Moi, je reprends sa formule. M. Dupond-Mortier, elle est très forte. Il dit que pour ces gens-là, la prison, c'est la même chose qu'à l'extérieur sans les femmes.
01:09:14 C'est la seule limite qui est apportée. Donc il faudrait un régime pénitentiaire spécifique pour pas les mêler à la population ordinaire.
01:09:23 Très dur, sous forme de quartier de sécurité où ils ne puissent avoir aucune communication avec l'extérieur, parce que sinon, l'État en est un petit peu dépassé.
01:09:34 — Et sur la corruption que l'on connaît en prison, la corruption d'un certain nombre d'agents pénitentiaires ou la corruption des greffes, vous avez des actions spécifiques ?
01:09:45 Vous avez des dossiers qui vous ont été soumis ? — Oui. Donc sur cette corruption de basse intensité, il faut être clair, la bataille est perdue sans stigmatiser la profession.
01:09:59 Avec l'administration pénitentiaire, on sait que drogue, téléphone mobile rentrent tout à fait facilement. On commence, parce que les moyens de ces réseaux criminels sont infinis,
01:10:13 à avoir de plus en plus – et Mme Ford l'a indiqué – de problématiques de corruption de fonctionnaires de police.
01:10:21 Et nous entamons une réflexion avec le procureur général sur des cabinets qui seraient sujets à beaucoup d'annulations de procédures.
01:10:34 Ça peut être dû à l'incompétence, mais ça peut également être dû à la corruption. Donc on va essayer d'avoir des actions proactives.
01:10:40 Et nous avons actuellement deux enquêtes en cours, Macei, sur des fonctionnaires de greffe qui sont effectivement suspectés de renseigner des membres du crime organisé.
01:10:50 Donc c'est la phase supérieure. Chaque personne a un prix. Et les moyens de ces personnes sont quasiment infinis.
01:10:58 Donc oui, on essaie de réagir et de mettre en œuvre des actions proactives. Mais on voit effectivement une augmentation de la corruption.
01:11:09 – Marie-Alaine Carlottini, revenu. – Merci. Merci beaucoup de toutes vos interventions.
01:11:16 J'ai deux questions et demie, parce qu'il y en a une qui a déjà été posée. Mais je vais y revenir quand même.
01:11:21 La première, c'est que vous avez dit que vous travailliez en trois directions, les gros criminels, le haut du spectre, à mon avis.
01:11:27 Il faut mettre le paquet là-dessus. Vous avez bien raison. Les problèmes de deal et le pilonnage.
01:11:31 Et vous avez parlé des consommateurs. Alors aujourd'hui, on entend partout « Ah, s'il n'y a pas de consommateurs, il n'y a pas de trafic ».
01:11:36 Ça a le mérite d'être très logique, mais de mon point de vue, assez simpliste. Donc je voulais savoir comment il faut-il traiter les consommateurs, d'après vous.
01:11:45 Est-ce que ce sont des délinquants indécrotables ? Voilà. Donc c'est ma première question. La deuxième question, ça correspond à ce qu'a dit le rapporteur tout à l'heure.
01:11:56 C'est effectivement le régime pénitentiaire. Vous en avez parlé, monsieur le procureur, et la proposition de prison, de haute sécurité qui ferait qu'en sorte...
01:12:03 Un des intervenants ici est venu nous dire que lorsque les prisons étaient bien tenues – bien tenues, je sais pas très bien ce que ça voulait dire –,
01:12:10 ça se passait moins. Donc est-ce qu'il y a des prisons où il y a plus de corruption que d'autres, où les mafieux sont plus tranquilles que d'autres ?
01:12:19 En tout cas, j'ai entendu votre proposition. Et je me demande s'il faut-il les tendre aux tribunaux. C'est-à-dire qu'à une époque, on a supprimé les tribunaux spéciaux.
01:12:27 Est-ce qu'il y a aujourd'hui peut-être une piste pour dire qu'il faut peut-être des tribunaux dans lesquels les jurés ne soient pas menacés avec des spécialistes, etc. ?
01:12:36 Ça veut peut-être vouloir dire aussi qu'il faut, au-delà des effectifs, bien entendu, protéger peut-être un peu mieux qu'on ne le fait aujourd'hui les magistrats.
01:12:43 Et la troisième chose, c'est que nous, on a envie qu'il y ait un sursaut. On sait que beaucoup de choses sont faites dans notre pays, mais que peut-être,
01:12:49 il faut une volonté politique encore plus forte pour faire en sorte que notre pays ne devienne pas un narco-État. Est-ce que vous pensez que Marseille est une narco-ville ?
01:12:58 – On va grouper les questions, comme ça on gagnera un peu de temps. Marie-Laure Fineraorte, Michel Bonnus, Valérie Boyer.
01:13:05 – Merci Président. Merci beaucoup pour vos interventions. Mais j'ai quand même deux questions.
01:13:11 Une à M. le Procureur et une à M. le Président du Tribunal judiciaire.
01:13:15 Alors M. le Procureur, souvent des parallèles sont faits entre ce qui se passe à Marseille et les villes sud-américaines,
01:13:22 pour évoquer à la fois le trafic de stupéfiants, le trafic d'armes, les cartels et la violence que cela engendre.
01:13:29 Mon territoire, la Guyane, est située sur ce continent et nous subissons à une plus petite échelle ces faits qui nuisent à notre image,
01:13:37 comme à celle de la belle cité phocéenne. Et j'aimerais savoir donc s'il existe une coopération avec la Guyane pour mieux cerner ces problèmes.
01:13:45 Et la deuxième question, alors les peines prononcées pour trafic de stupéfiants en Guyane sont plus faibles que sur l'Hexagone,
01:13:52 notamment à Marseille, ne serait-il pas temps d'harmoniser les peines sur l'ensemble du territoire national,
01:13:59 bien que nous connaissons les barrières qui se posent à cela, comme par exemple le manque de place dans les prisons ?
01:14:07 Merci, Président.
01:14:10 Déjà, merci beaucoup. Merci parce que c'est votre métier, mais vous le retranscrivez, c'est très clair.
01:14:20 Et merci parce qu'il faut être courageux aujourd'hui. Pour faire ce que vous faites, il faut être courageux.
01:14:24 Et c'est un danger permanent. Et je le dis, mais on ne le souligne pas assez.
01:14:32 Je voudrais réagir d'abord sur M. le procureur, ce qu'il a dit sur la déclaration du préfet.
01:14:36 Le préfet a dit uniquement sur la ville de Hyères, à ma grande surprise. C'est pas le bar.
01:14:42 Donc est-ce qu'on pourrait pas l'étendre à tout le département ? La question que je vais lui poser, que je vais m'empresser de lui poser.
01:14:47 Ensuite, la deuxième, c'est sur... Vous avez parlé de Blanchiment. Prenons l'exemple d'un quartier de Toulon.
01:14:55 Je l'ai dit dans l'audition, mais c'est important. Un quartier de Toulon où j'ai fait 600 mètres à 1h du matin.
01:15:00 Saint-Jean-du-Var, vous connaissez, M. le procureur, parce que vous étiez à Toulon.
01:15:04 17 épiceries et petites restaurations rapides. Sans clients, c'est-à-dire zéro client.
01:15:13 Je me demande comment ils vivent et comment ils survivent.
01:15:17 On sait tous pertinemment qu'ils sont ouverts toute la nuit et les conséquences que ça peut avoir sur ce quartier.
01:15:24 Donc la deuxième, c'est que vous avez donné un profil à ces trafiquants, un profil très jeune, même si c'est pas le tête de réseau directement.
01:15:33 Mais ils arrivent à créer une vraie appétence et une vraie volonté d'aller et de s'écarter un petit peu.
01:15:39 Comment, nous, en tous les cas, collectivités, mairies, départements, collectivités ou élus en général,
01:15:45 on peut vous aider à rembourser cette tendance-là ?
01:15:50 Parce qu'on a vraiment l'impression que tant qu'on prend pas de dispositions, je sais pas si sur le cannabis,
01:15:56 on se ralentit pas sur la politique du Portugal ou d'autres pays, comment on peut indiquer ça ?
01:16:01 Parce que ça éclate. Et vous l'avez dit très justement, on a l'impression de perdre la guerre.
01:16:06 On a l'impression de perdre la guerre. Donc ça fait froid dans le dos.
01:16:09 Parce qu'on se dit finalement, si vous la perdez, on la perd de tous les côtés.
01:16:14 Parce que pour moi, c'est aussi une façon, malheureusement, c'est dans mon département du Var, je le ressens très fortement,
01:16:22 sur 153 communes, même s'il n'y a pas de trafic, même si les 123 communes aujourd'hui, les gens ont très peur.
01:16:29 Les gens ont très peur parce qu'ils voient la télé, parce qu'ils regardent, parce qu'ils disent, parce qu'ils regardent les réseaux.
01:16:34 Et ça impacte pas seulement les départements ou la ville, mais ça impacte toute la peur.
01:16:39 Voilà. Et ils se protègent. Et en se protégeant, j'ai pas envie de rentrer dans un débat politico-politicien,
01:16:45 mais en tous les cas, on le ressent très fortement. Voilà.
01:16:48 Ma question, c'est comment vous voyez aujourd'hui ? Je suppose que vous avez des points de repère avec notamment le Portugal,
01:16:55 parce qu'il y a des choses qui marchent. Le tas de violence a baissé. Le trafic a baissé.
01:17:00 Et ils ont en partie... Pas légalisé, mais ils ont fait en sorte d'agir différemment sur les consommateurs.
01:17:07 Et aujourd'hui, ils ont des résultats probants. Voilà ma question. Merci.
01:17:11 On termine cette première série par Valérie Bouyer.
01:17:14 Merci beaucoup, monsieur le Président. Et permettez-moi de vous présenter mes excuses pour mon petit aller-retour.
01:17:20 Mais j'avais une question orale sans débat. Donc j'étais obligée de vous quitter.
01:17:25 Si j'ai bien compris, vous avez dit que Marseille était une ville à part dans le trafic par l'ampleur du trafic et des trafiquants à Marseille.
01:17:36 Néanmoins, le trafic touche toute la France. Il n'y a aucun territoire qui est épargné.
01:17:41 Donc effectivement, la question... Sommes-nous une narcoville ? Il y en a-t-il d'autres en France ?
01:17:52 Et est-ce que le département des Bouches-du-Rhône, puisque les pratiques marseillaises ont bien au-delà des frontières, malheureusement, des Bouches-du-Rhône,
01:17:59 comme beaucoup de problèmes, s'ils s'arrêtaient à Marseille, on serait content pour la France. Mais malheureusement, c'est partout.
01:18:06 En fait, j'ai une autre petite série de questions qui concernent – et c'était l'interrogation que je faisais au ministre – les mineurs non accompagnés.
01:18:13 Je voudrais savoir quelle est la part des mineurs, enfin, dits non accompagnés et dits mineurs, même si on sait que plus de 50 % ne sont pas mineurs
01:18:22 et qu'ils sont toujours accompagnés, parce que personne ne vient, y compris les adultes, sur les chemins de la migration seul,
01:18:29 et a fortiori quand on est mineur ou quand on est très jeune. Donc on sait très bien qu'ils sont aux mains de trafiquants d'êtres humains.
01:18:36 Je voudrais savoir, ceux qui participent au trafic de drogue, d'où ils viennent, quelles sont leurs nationalités, quels sont leurs profils
01:18:46 et quel rôle ils ont dans le trafic, et aussi en savoir plus sur eux et sur le sort qui leur est réservé après, sachant – vous le savez –
01:19:01 qu'aujourd'hui, nous avons une disposition du code civil qui dit qu'à partir du moment où on est hébergé pendant 3 ans à la ZEU,
01:19:07 on devient Français automatiquement au bout de ces 3 ans. Donc est-ce que ces mineurs non accompagnés, qui sont répertoriés comme tels,
01:19:17 donc qui sont hébergés par la ZEU, et ceux qui participent à ce trafic, quel est leur destin une fois qu'ils deviennent majeurs ? Je vous remercie.
01:19:33 – Première salle de réponse ? – Je démarre. De l'ensemble de vos questions, moi, j'en tire une conclusion.
01:19:42 Il faut traiter la problématique dans sa globalité. Et pour répondre à ce que disait Mme Carlotti ou M. Bonus, il faut effectivement...
01:19:52 Les collectivités locales, il faut une mobilisation de la société entière et la problématique à la fois du consommateur et de l'autre face de la médaille.
01:19:59 Donc là, je vous ai dit ça. Je vous ai pas dit grand-chose. Mais s'agissant des consommateurs, on a quelques propositions.
01:20:06 Et on avait mis en œuvre une politique assez dynamique, à la fois une répression un petit peu accrue, peut-être en augmentant le montant des amendes dans le cadre des AFD.
01:20:19 Donc ça, c'est l'aspect répressif. On était allés au-delà. C'est-à-dire que souvent, on avait mis en œuvre, le prédécesseur de Mme Ford,
01:20:26 contrôle de conduite sous stupéfiants à la sortie de la cité. On confisquait le véhicule automobile.
01:20:34 Là, je pense que c'est un moyen très fort de réduire. Le tribunal, qui applique la loi... Je réponds aussi à Mme la sénatrice de la Guyane.
01:20:44 Applique la loi, estimée qu'on a porté atteinte au principe de proportionnalité qui s'impose aux juridictions. Et j'ai rien à dire là-dessus.
01:20:53 Deuxième point d'aspect plus social. On essaie de mettre en place une justice résolutive des problèmes pour les toxicomanes les plus enquistés.
01:21:01 Mais c'est pas nécessairement eux qui font le chiffre d'affaires, puisqu'il y a eu une diffusion totale dans la société de la drogue.
01:21:08 Et il y a une vraie question par rapport au modèle portugais ou à d'autres pays. Et se pose légitimement la question de la légalisation.
01:21:16 Je suis pas favorable, non pas parce que je suis procureur de la République, mais le degré de pureté de la résine de cannabis est aujourd'hui sans commune mesure
01:21:25 avec la résine de cannabis ou l'herbe qu'on a connue quand on avait 20 ans. Et je pense qu'un État ne pourra jamais vendre à sa population dans un bar tabac
01:21:34 de la drogue aussi fortement dosée qu'il va rendre sa population schizophrène. Ça me paraît pas possible. Et donc il restera avec un aspect...
01:21:46 Une autre drogue moins fortement dosée, ils maintiendront un marché parallèle. J'essaie d'être rapide, mais sur les peines et sur les juridictions spéciales.
01:22:01 Là, c'est une problématique globale et dans laquelle j'insère également les collaborateurs de justice qui peuvent être un instrument très fort pour taper sur le haut du spectre.
01:22:16 Je m'explique. Le premier point, si vous avez... Pour fabriquer du collaborateur de justice, c'est-à-dire d'avoir des gens qui sont au cœur de l'organisation
01:22:31 et qui acceptent de coopérer avec l'État. D'abord, il faut faire sauter le verrou juridique, mais il semblerait que la DACG avec le ministre de la Justice y travaille,
01:22:41 c'est-à-dire qu'on se prive du haut du spectre en termes de collaborateurs, puisque notre législation un peu moraliste ne permettait pas, contrairement aux États-Unis ou à l'Italie,
01:22:52 d'octroyer le statut à des gens qui ont du sang sur les mains, soit pour être des auteurs d'assassinats, soit pour être des commanditaires d'assassinats.
01:22:58 À mon avis, c'est une erreur. Il ne faut pas mettre d'éléments moralisateurs là-dedans. Le but, c'est l'efficacité de l'État.
01:23:06 Si vous tapez au sommet de l'organisation, vous allez faire les blanchiments, vous allez éliminer tous les lieutenants, etc. Donc, ça, ce verrou va sauter.
01:23:14 Mais le criminel du haut du spectre va accepter d'être collaborateur après avoir fait un bilan économique au coût avantage, comme toute personne pourrait le faire.
01:23:26 Premier point, souvent, ils acceptent d'être collaborateurs quand ils savent qu'ils vont être éliminés par l'organisation adverse.
01:23:33 Mais mettons ce cas... Et là, il demande la protection de l'État. Sinon, la personne va accepter de changer de vie, de faire, quand vous êtes marseillais, nababs,
01:23:45 qui allez en boîte de nuit à Cassis ou à Bandol tous les soirs, la perspective de faire le cantonnier à Valenciennes n'est pas de nature à le faire rêver.
01:23:54 Donc il va accepter le statut de collaborateur si sa perspective, c'est de passer les 20 prochaines années de sa vie derrière les barreaux.
01:24:06 Or, cette perspective n'existe pas aujourd'hui, puisque – je rejoins ce que vous avez dit, madame la sénatrice – la probabilité d'être condamné devant une cour d'assises composée de jurés populaires
01:24:21 entre la première instance et l'appel est proche de zéro. Donc dans la balance, le SIAT, les magistrats, quand ils veulent recruter, ils peuvent pas leur dire
01:24:31 « Monsieur, le choix, il est simple. Vous collaborez ou vous allez partir pour une vingtaine d'années derrière les barreaux ».
01:24:38 Mais je me demande pourquoi on se pose encore la question qui, aujourd'hui, ferait juger des actes de terrorisme par des gens qui ne sont pas des professionnels,
01:24:51 par des jurés ordinaires. C'est la même problématique. Devant une cour d'assises qui est la cour d'assises de droit commun avec des jurés populaires, il y a la peur.
01:25:02 C'est pas que les jurés ou que les juges professionnels seraient moins attachés à la présomption d'innocence et condamneraient les gens sans preuve.
01:25:10 C'est que les gens ont peur. Il y a la menace, il y a la peur qui suinte dans ces audiences. Et avec l'individualisme de notre société actuelle, les gens ne vont pas s'engager
01:25:21 à mettre « oui » dans une urne. Dans ces cas-là, donc, cour d'assises spécialement composées. Là, vous avez un vrai argument pour fabriquer du collaborateur.
01:25:31 Et régime pénitentiaire très dur, puisque, comme bien même se dit-il, je vais passer les 10 ou 12 prochaines années, si c'est pour lui qui est le cahit de la prison,
01:25:42 pas un petit peu douloureux en le coupant de son environnement et l'interdisant. Voilà pourquoi je vous parlais de...
01:25:49 J'ai été un petit peu long, mais je crois que c'est fondamental. Ensuite... Et puis après, je vais céder la parole, parce que sinon, je...
01:25:57 Pour la Guyane, oui, la Guyane, les moyens de la juridiction de Cayenne ne sont pas proportionnés entre la problématique de la drogue, des mules,
01:26:10 et la problématique également de l'orpaillage illégal.
01:26:15 Voilà pour cette audition du tribunal judiciaire de Marseille devant la commission d'enquête du Sénat sur le trafic de drogue
01:26:21 et les mesures à prendre pour lutter contre ce narcotrafic. C'est la fin de cette émission. Merci de l'avoir suivie.
01:26:27 Continuez à suivre l'actualité politique et parlementaire sur notre site internet publicsenat.fr.
01:26:32 Je vous souhaite une très bonne suite des programmes sur Public Sénat.
01:26:34 (Générique)