• il y a 9 mois
Le président du Conseil scientifique de l’Education nationale Stanislas Dehaene vient présenter le livre “Science et école : ensemble pour mieux apprendre” (Odile Jacob), troisième volume des travaux du Conseil, qui regroupe des enseignements en matière de pédagogie.

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Transcription
00:00 Et dans le Grand Entretien ce matin avec Marion Lourdes, nous avons le bonheur de recevoir
00:04 l'un de nos grands scientifiques passionnés de pédagogie.
00:07 Il est chercheur, titulaire de la chaire de psychologie cognitive expérimentale, j'arrive
00:13 à le dire, au Collège de France, membre de l'Académie des sciences et il préside
00:18 le Conseil scientifique de l'éducation nationale.
00:20 Conseil qui publie justement un rapport, troisième volume de ses travaux, l'intitulé « Science
00:28 et école, ensemble pour mieux apprendre ». Ça vient de paraître chez Odile Jacob.
00:33 Si vous avez des questions sur la manière de mieux apprendre, de développer les progrès
00:39 chez les élèves, vos enfants, chers auditeurs, n'hésitez pas à nous appeler le standard
00:44 01 45 24 7000.
00:46 Vous êtes déjà nombreux à vouloir poser vos questions ou l'application France Inter.
00:52 Stanislas Dehaene, bonjour et bienvenue.
00:54 Ravide de vous retrouver, on rappelle très rapidement le rôle du Conseil scientifique,
00:59 c'est une trentaine de scientifiques français, étrangers, de plusieurs disciplines et qui
01:05 a un objectif, faire progresser les élèves, appliquer dans les classes les pédagogies
01:11 qui ont fait leur preuve.
01:12 Et c'est un livre, celui-ci, Science et école, qui paraît, au moment où on a l'impression
01:18 qu'on est à la croisée des chemins.
01:19 Stanislas Dehaene, notre but, effectivement, c'est de proposer des synthèses de ce qui
01:24 est connu sur le plan scientifique dans tous les domaines.
01:27 D'ailleurs, ça va depuis l'économie jusqu'à la psychologie expérimentale, au travail
01:31 explicite dans les classes.
01:32 Et là, c'est le troisième volume.
01:34 Honnêtement, avec ce troisième volume, je suis assez fier.
01:37 Je trouve qu'on a rassemblé avec les 30 scientifiques en question beaucoup de connaissances
01:42 sur la lecture, sur les mathématiques, mais aussi sur le bien-être des élèves, leur
01:46 sommeil.
01:47 C'est essentiel.
01:48 C'est absolument essentiel.
01:49 Et c'est aussi important que les autres, l'envie d'apprendre, le sentiment qu'on
01:52 peut y arriver.
01:53 Parce qu'il n'y a pas de fatalité, je le disais, donc apprendre à mieux lire, écrire,
01:58 compter, c'est une urgence.
01:59 Et ce qui est assez frappant, c'est que ce sont des exercices aussi, des exercices
02:05 qui fonctionnent.
02:06 Juste pour commencer et rentrer directement dans le vif du sujet, il y a un vrai problème
02:12 avec les mathématiques.
02:13 Stanislas Dehaene, vous le savez, on a progressé sur la lecture.
02:17 Mais le prochain enjeu pour l'éducation, c'est remonter le niveau en maths, redonner
02:23 le goût des maths.
02:24 Il y a un exercice que j'aimerais que vous décriviez et qui en dit long sur le niveau
02:29 des élèves en France.
02:31 Les résultats montrent qu'en entrée en sixième, la plupart des élèves ne savent
02:37 pas placer, par exemple, un demi sur une ligne graduée entre 0 et 5.
02:43 Ils ne sont que 22% à pouvoir le faire.
02:46 C'est un exercice qu'on a souhaité introduire parce qu'il met en valeur ce que ça veut
02:51 dire comprendre les nombres.
02:53 Ça n'est pas juste savoir faire des opérations et savoir, par exemple, multiplier deux fractions,
02:57 multiplier le haut, multiplier le bas, sans savoir pourquoi.
02:59 La question c'est comment vous faites pour comprendre ?
03:02 Alors, ici, on a introduit la ligne numérique, un axe qui va de la gauche vers la droite
03:07 avec 0 à gauche, 5 à droite, comme une règle.
03:10 Et c'est une métaphore extrêmement précieuse.
03:12 Les recherches montrent que les élèves qui ont compris comment les nombres vont dans
03:15 l'espace, ils ont compris énormément de choses fondamentales qui vont les aider dans
03:20 les opérations.
03:21 Mais effectivement, l'entrée en sixième, la grande surprise, c'était que 22% des élèves
03:24 arrivent à placer la fraction 1/2 au bon endroit, entre 0 et 1, au milieu de 0 et 1.
03:28 Entre 0 et 1 est dramatique pour les filles.
03:32 C'est-à-dire qu'elles sont bien pires que les élèves.
03:36 C'est-à-dire que dans le lot des élèves qui y arrivent, il y a effectivement un tiers
03:40 seulement de filles, deux tiers de garçons.
03:42 C'est un problème qui est bien avéré à l'école française.
03:47 On a montré que dès le CP, dans l'année de CP, on passe d'une situation où les élèves
03:52 garçons et filles ont les mêmes résultats à l'entrée, et au bout d'un an, ils ont
03:56 des résultats assez franchement différents.
03:57 Ils se recouvrent toujours, c'est pas que toutes les filles sont pires que tous les
04:01 garçons.
04:02 Mais enfin, il y a un décalage qui a été introduit.
04:03 Donc on peut montrer que ce n'est pas l'âge, ce n'est pas l'absorption très progressive
04:07 de biais, c'est un biais particulier qui est introduit par le fait d'entrer à l'école.
04:11 Il y a quelque chose dans notre système scolaire qui fait que les petites filles internalisent
04:15 que les maths, ce n'est pas vraiment pour moi.
04:17 Ce qui est idiot.
04:18 Là, on parle du problème, Stanislas Dehaene, mais évidemment dans votre livre, il y a beaucoup
04:22 de solutions.
04:23 Ce qui est drôle, c'est que sur l'apprentissage des mathématiques, qui semble une matière
04:26 austère, c'est vrai qu'en France, on dit que les maths, c'est difficile, les maths,
04:28 c'est compliqué.
04:29 Vous écrivez des mots comme "je", "plaisir", ça commence dès la maternelle, et "je"
04:35 et "plaisir", c'est des mots qu'il faut utiliser dans cet apprentissage.
04:38 C'est fondamental, absolument.
04:40 Donc, effectivement, on a tout un chapitre dans le livre qui parle de la maternelle.
04:45 Parce qu'en fait, les mathématiques commencent en maternelle.
04:47 Les enseignants le savent bien.
04:49 Ça ne se joue pas, mais ça commence.
04:51 Et si on peut commencer par une approche en spirale, c'est-à-dire que chaque année,
04:54 on va y revenir un petit peu, on va avoir un apprentissage qui marche beaucoup mieux.
04:59 Alors, effectivement, en maternelle, ça commence par des "je", et on insiste beaucoup
05:02 aussi sur le fait que les mathématiques, ça n'est pas le nombre, ça n'est pas les
05:05 opérations.
05:06 Les mathématiques, ce sont les régularités et la manière de les démontrer à autrui.
05:10 C'est à la fois régularité et preuve.
05:12 C'est donc des objets matériels dans lesquels on découvre, par exemple, qu'un carré,
05:18 ça peut être divisé en 4 carrés, mais pas en 2.
05:20 C'est quelque chose de très simple.
05:22 Est-ce que vous pouvez diviser un carré en 3 carrés ? Non, vous ne pouvez pas.
05:24 Mais en 4, oui.
05:25 En 9, oui.
05:26 En 16, oui.
05:27 C'est curieux, ça.
05:28 Ce sont les nombres qu'on appelle des carrés.
05:30 Et vous réconciliez l'intuition et le sens mathématique dès le plus jeune âge ?
05:34 Exactement.
05:35 Par des jeux.
05:36 Et beaucoup de jeux, des jeux extrêmement divers.
05:38 Des jeux de plateau.
05:39 Il y a la recherche à montrer, par exemple, que jouer à des jeux de plateau, comme les
05:42 petits chevaux, ça donne de l'avance aux élèves.
05:45 Jouer avec la ligne numérique, c'est une sorte de ligne numérique.
05:48 De la gauche vers la droite, ça va mieux d'ailleurs.
05:50 Une sorte de course.
05:51 On a introduit la course au nombre.
05:53 Mais jouer aussi avec des mandalas, avec des formes géométriques.
05:56 Trouver qu'on peut faire un hexagone avec 6 triangles.
05:59 Ou avec 3 losanges.
06:01 Je ne sais pas si les gens le voient.
06:02 Arriver à le voir dans sa tête.
06:04 Il y a des dessins et des photos dans votre livre d'ailleurs.
06:06 Il y a aussi des legos et des choses qu'on peut utiliser en classe.
06:09 Vous parliez de l'apprentissage en spirale.
06:11 Juste pour préciser, il s'agit effectivement chaque année de revenir un peu plus sur le
06:15 même apprentissage, de répéter, de répéter encore.
06:18 Ça veut dire que par exemple…
06:19 Répéter en élargissant progressivement le concept.
06:22 Introduire tout doucement les concepts.
06:24 Par exemple celui de moitié, dont on parlait tout à l'heure.
06:26 Mais bien entendu, les élèves en maternelle, en grande section, ils savent déjà utiliser
06:30 le mot moitié.
06:31 Dès la naissance même, on s'est compté presque.
06:33 Dès la naissance, on a des compétences numériques.
06:36 On s'est compté jusqu'à 3 ou 4.
06:37 En même temps, ça prend beaucoup de temps d'aller au-delà de ce qui nous est donné
06:40 par l'évolution.
06:41 Au départ, on n'a qu'un sens approximatif des nombres.
06:44 Donc arriver au nombre exact, ça prend du temps.
06:46 Et on propose aussi dans le livre des éléments pour que les enseignants puissent vérifier,
06:49 année après année, est-ce qu'un élève par exemple sait me donner 3 objets ? C'est
06:53 un test très élémentaire.
06:54 Mais en petite section de maternelle, il y a des enfants qui ne savent pas donner 3
06:57 objets.
06:58 Ou s'ils savent donner 3, ils ne savent pas donner 4.
07:00 Ils savent peut-être réciter 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8.
07:02 Mais ce n'est pas ça.
07:03 Comprendre, c'est faire le lien avec les objets, les ensembles en question.
07:08 Mais l'idée de la spirale et de la répétition, par exemple quand on a cette semaine publiée
07:12 au journal officiel, une sorte de facilitation du redoublement, où en fait ce serait les
07:16 professeurs qui pourraient être décisionnaires en dernier ressort et plus forcément que
07:20 les familles, ça rentre là-dedans ? C'est-à-dire redoubler finalement, c'est peut-être pas
07:23 si mal aussi pour apprendre parfois ?
07:24 Alors là, la question est complexe.
07:27 Mais le redoublement, tout montre que pour les élèves qui redoublent, ça n'est pas
07:31 bon.
07:32 C'est extrêmement clair.
07:34 Et notamment, il faut peut-être faire une distinction entre les petites classes et le
07:37 collège et le lycée.
07:38 Mais au collège ou lycée, ça n'est vraiment pas bon.
07:40 Pourtant on répète.
07:41 Oui, parce que malheureusement, les élèves qui vont redoubler, bon certes l'année qui
07:46 suit, ils auront un an de plus et ils vont suivre un petit peu plus facilement.
07:49 Mais si on regarde sur le long terme, et il y a de très belles recherches à ce sujet
07:52 en économie expérimentale, les élèves qui ont redoublé, en fait, ils ont un an de plus.
07:57 Donc très souvent, ils vont décrocher un an plus tôt en réalité dans leur scolarité.
08:00 Ils ne vont pas aller jusqu'au bout.
08:01 Ou alors ils ne vont pas faire d'études supérieures.
08:03 Et si on regarde sur le long terme, c'est vraiment pas bon pour eux.
08:06 Par contre, on peut se poser la question, est-ce qu'un système doit avoir zéro redoublement ?
08:09 Non, il faut s'occuper des élèves avant qu'ils ne redoublent.
08:12 Donc tout l'esprit, je l'espère, des réformes, c'est de dire non, il y a des élèves qui
08:15 méritent de l'attention.
08:17 Ils risquent de redoubler.
08:18 On va essayer de faire quelque chose pour eux.
08:20 Et c'est quelque chose qu'on va faire très en amont pour qu'ils échappent à ce redoublement
08:24 qui est quand même une sanction terrible.
08:25 Avec le recul, mettre les maths en option au bac dès la première, c'était une erreur,
08:30 Stanislas Dohan ?
08:31 La réforme du lycée a été très douloureuse.
08:34 Maintenant, elle commence à se mettre en place.
08:36 J'ai vu des signes positifs.
08:37 Il y a un dernier rapport de l'ADEP, qui est l'Institut de statistique de l'Éducation
08:41 nationale, qui montre que les élèves s'emparent peut-être mieux de cette réforme.
08:44 Il y en a plus qui choisissent les maths.
08:46 C'est peut-être paradoxal, mais les mathématiques sont l'activité favorite des élèves.
08:51 Non, il y a aussi plus de filles.
08:52 Et la proportion de filles a augmenté dans les dernières statistiques.
08:55 Ça n'est pas désespéré.
08:58 La réforme a quand même déstabilisé beaucoup et a fait quitter beaucoup d'élèves dans
09:05 le domaine des mathématiques.
09:06 Mais là, ça revient.
09:08 Et je pense que la clé, c'est qu'on leur fasse aimer les mathématiques au départ.
09:12 Si les élèves ne comprennent pas de quoi il s'agit et pensent qu'il s'agit d'une
09:16 matière extrêmement aride, ça ne va pas marcher.
09:18 Les mathématiques, c'est pas ça.
09:19 C'est absolument passionnant et très concret.
09:21 Et la lecture ?
09:22 Il y a aussi de longs passages sur la lecture.
09:25 Bambi, par exemple, peut aider à avoir une cognition.
09:33 Je ne sais pas exactement comment le dire, mais c'est une manière de s'approprier
09:37 les symboles, de généraliser, par exemple, de savoir ce qu'est un dessin, ce qu'est
09:43 une photo, ce qui représente un objet.
09:45 Alors justement, sur la lecture, je crois qu'on a beaucoup progressé.
09:49 Et là, je suis très optimiste.
09:50 Tous les signaux sont convergents.
09:52 Il y a effectivement une distinction entre le vocabulaire, qui commence à l'oral et
09:56 qui se poursuit ensuite à l'écrit, et puis la lecture en tant que décodage, qui
10:00 est vraiment l'activité qu'on pratique au CP.
10:02 Et tout le monde est d'accord là-dessus.
10:04 Au CP, en début de CP, on va se focaliser sur apprendre à décoder.
10:08 Et en six mois, on saura décoder la plupart des mots réguliers du français à la fin
10:13 de l'année.
10:14 Maîtriser le décodage, essentiel pour apprendre à lire.
10:16 Mais après, et avant, il faut avoir acquis beaucoup de vocabulaire.
10:20 Et on a un chapitre très important dans le livre sur l'apprentissage du vocabulaire
10:23 dès la maternelle.
10:24 Justement, Stanislas, là, ce que vous dites dans ce chapitre, c'est que l'apprentissage
10:28 ne dépend pas des groupes, il ne dépend pas de la taille des groupes, de l'attention
10:32 de la personne qui apprend, il dépend du milieu social.
10:35 Comment on peut sortir de ça ?
10:36 Non, justement, notre science n'est pas du tout déterministe.
10:39 Vous le dites plusieurs fois quand même dans l'art.
10:42 Vous êtes loin, Bourdieu.
10:44 C'est vraiment une question d'enrichir l'environnement de ses enfants.
10:47 Mais justement, si ça n'est pas fait dans la famille, ça peut être fait dans la classe.
10:52 Par le biais de lectures quotidiennes qui enrichissent le vocabulaire des enfants.
10:56 Et on explique comment on peut enrichir le vocabulaire des enfants.
10:58 Il y a des astuces d'ailleurs pas évidentes.
11:00 Beaucoup d'imagiers, par exemple, proposent toutes les images autour d'un thème, les
11:04 châteaux forts.
11:05 Et ce n'est pas la meilleure manière.
11:06 La meilleure manière, c'est d'introduire des contrastes minimaux entre des mots qui
11:09 diffèrent par un phonème, par un son.
11:11 Un château, un chapeau.
11:13 Un bateau, un râteau.
11:14 Et de cette manière-là, non seulement enrichir le vocabulaire, mais attirer l'attention
11:19 de l'enfant sur ce qui fonctionne dans le langage.
11:21 Ces contrastes minimaux, les contrastes grammaticaux, les terminaisons.
11:24 Tous les mots en -ier, par exemple, c'est un charpentier, un boulanger.
11:29 Mais c'est un morphème qui joue un rôle particulier dans le langage.
11:33 Un morphème, c'est comme un petit mot, si vous voulez.
11:37 C'est un morceau de mots qui peut se combiner avec d'autres pour former du sens.
11:41 - Stanislas Dehaene, je le disais, beaucoup d'appels aux standards d'Inter.
11:45 Bonjour Laurent.
11:46 - Oui bonjour.
11:47 - Et bienvenue dans le Grand Entretien d'Inter.
11:49 Vous avez une question pour notre invité, Stanislas Dehaene.
11:52 - Oui.
11:53 Quel progrès cognitif et sociaux l'apprentissage des langues vivantes permet-il chez l'élève ?
12:00 Vu les actuelles conditions de l'enseignement des langues, à savoir 2h30 par semaine,
12:07 je parle de ces structures.
12:09 Quelles structures favorisez-vous pour développer ce qui nous amène vers d'autres langues,
12:14 d'autres cultures et beaucoup plus de tolérance ?
12:16 - Merci Laurent.
12:17 Votre réponse, Stanislas Dehaene ?
12:19 - Il n'y a pas une science énorme du multilinguisme, mais ce qu'elle montre quand même, c'est
12:24 qu'il faut favoriser l'immersion le plus possible.
12:27 Donc des cours dans lesquels on ne parle que la seconde langue.
12:30 Le faire le plus tôt possible.
12:31 Le cerveau de l'enfant est une extraordinaire machine à apprendre.
12:34 Dans les petites classes, on parlait de la maternelle tout à l'heure, par exemple,
12:37 les enfants apprennent spontanément la langue de leur interlocuteur sans qu'on ait besoin
12:40 de faire des efforts formidables.
12:42 Donc on pourrait imaginer des maternelles avec une seconde langue.
12:46 On pourrait imaginer aussi des classes connectées, ça se fait dans d'autres pays, où pendant
12:49 une heure on se connecte avec une autre classe et on parle strictement avec le bon accent
12:53 dans la seconde langue.
12:54 - Ça on va y venir, mais il y a de nombreuses questions, notamment sur la réforme dite
12:59 « choc des savoirs » et notamment sur les groupes de niveau au collège.
13:04 Qu'en pensez-vous de cette idée qui a été portée par Gabriel Attal ?
13:08 Il paraît qu'il ne faut plus dire « groupe de niveau » mais en tout cas, Christine,
13:13 Olivier, Juliette, Hélène s'intéressent au problème.
13:17 Que penser de ceux qui redoutent qu'on enferme les élèves qui ont le plus de difficultés
13:23 dans des sortes de petits ghettos au sein des établissements ?
13:26 - Alors là, la science est assez claire.
13:28 Effectivement, des classes de niveau dans lesquelles on enfermerait les élèves de
13:32 façon permanente dans un niveau inférieur, ça n'est pas bon et ça augmente les inégalités
13:37 évidemment et on sait déjà que la France a quand même un très gros problème d'inégalité
13:42 sociale qu'elle n'arrive pas à corriger par l'école.
13:44 - Donc vous ne savez pas si vous serez écouté, entendu en tout cas par les politiques ?
13:48 - Attendez, je voudrais quand même terminer parce que ça c'est un extrême.
13:50 Je crois que tout le monde est d'accord là-dessus, on ne veut pas de classe de niveau.
13:53 De l'autre extrême, on a des choses qui marchent formidablement bien comme les travaux
13:57 d'Esther Duflo par exemple, prix Nobel d'économie.
14:00 - Qui a fait des livres pour enfants formidables.
14:03 - Oui, tout à fait, mais qui a aussi un programme de recherche en Inde et maintenant en Afrique
14:07 qui s'appelle « Teach at the right level » et qui montre très clairement que si on
14:10 tient compte des besoins des élèves, c'est-à-dire qu'on mesure précisément où ils en sont
14:13 et on leur donne dans un cours un peu spécialisé ce dont ils ont besoin, par exemple le décodage
14:18 en lecture ça ne marche pas, je reviens au décodage en lecture, quel que soit l'âge
14:21 des enfants, ça, ça marche.
14:22 Donc ça, c'est ce qu'on appelle des groupes de besoins temporaires, fluides, où on revient
14:27 dans la classe normale parce qu'on a été repêché en quelque sorte.
14:29 - C'est l'option qui a été choisie par le gouvernement, un groupe de besoins et pas
14:32 de niveau.
14:33 - On va voir où se place le curseur entre les deux, mais je pense que c'est ça auquel
14:36 il faut arriver, c'est ça que dit la science en tout cas.
14:37 - Bonjour Alain.
14:38 - Oui bonjour.
14:39 - Et bienvenue sur Inter.
14:41 - Oui, j'étais enseignant dans des classes un petit peu plus grandes et j'ai eu la chance
14:46 d'avoir des classes à petits effectifs et à gros effectifs, c'est le jour et la nuit.
14:50 Je ne comprends pas qu'à une époque où on parle de plus en plus d'individualisation
14:54 du rythme des élèves et qui sont effectivement de plus en plus personnels dans leur rythme,
14:59 on continue d'entasser pour prendre un verbe qui convient, 25, 26, 27 élèves dans les
15:07 écoles primaires avant la 6e.
15:09 - Merci pour votre témoignage.
15:11 - C'est là la grosse catastrophe.
15:14 Après qu'on en demande progressivement le nombre, quand ils ont appris à travailler,
15:19 ok, mais avant non, pas plus de 15 à 19 élèves par classe jusqu'à la 6e.
15:24 - Merci pour votre intervention Alain.
15:26 Que pensez-vous Stanislas Dehaene de ce témoignage ?
15:29 - La taille des classes.
15:31 - Dites-vous que la personnalisation c'est bénéfique mais la taille des classes c'est
15:35 critique ?
15:36 - Oui, c'est l'une des variables mais ce n'est pas peut-être la plus importante.
15:40 La recherche a clairement montré que la division des classes en deux dans les REP et les REP+
15:45 a eu un impact positif.
15:46 Mais c'est un impact qui est assez modeste, on le mesure en écarts-types, c'est de l'ordre
15:50 de 10 à 20% d'un écart-type, c'est-à-dire on déplace un tout petit peu la distribution
15:55 des résultats des élèves.
15:56 Ce n'est pas une variable massive et c'est une variable très coûteuse évidemment.
15:59 Et puis il faut recruter des enseignants et dans le contexte où on n'a pas assez d'enseignants
16:02 qui se présentent au concours, c'est une vraie tension.
16:05 Les variables les plus importantes ce n'est peut-être pas celle-là, c'est surtout la
16:09 pédagogie qui est appliquée dans les classes.
16:11 Et on a un chapitre très important à mon sens sur l'apprentissage explicite.
16:15 - Oui, alors qu'est-ce que c'est ?
16:16 - C'est un ensemble de méthodes qui remettent l'enseignant au cœur du dispositif parce
16:21 que c'est lui qui va d'abord fixer les objectifs pour chaque cours et ensuite va proposer
16:26 une pédagogie structurée qui atteint cet objectif et qui vérifie que l'objectif est
16:31 atteint.
16:32 Et qui engage tous les élèves ensemble, de façon coopérative, pour progresser vers
16:37 cet objectif.
16:38 - On est loin...
16:39 - C'est toute une série de techniques, je n'ai pas le temps d'expliquer, mais ce sont
16:41 des choses qui marchent beaucoup mieux que de laisser les enfants découvrir à leur
16:45 rythme, comme ils veulent, ce qu'ils doivent apprendre.
16:48 - Et puis ce n'est pas non plus un cours magistral.
16:50 Il y a, Stanislas Duhenn, un chapitre très intéressant dans votre livre sur le sommeil.
16:54 Où on apprend, ou en tout cas on confirme que le sommeil est très important pour retenir
16:59 les choses, pour les apprendre, très important aussi pour régler certains problèmes de
17:03 comportement.
17:04 - Chapitre qui nous a passionnés Marion.
17:05 - Oui, nous on aime bien dormir parfois.
17:06 - On apprend des tas de choses, moi j'ai appris des tas de choses, parce que le sommeil ce
17:09 n'est pas seulement pour apprendre, mais c'est aussi pour mieux régler notre système
17:13 immunitaire.
17:14 Les troubles du sommeil induisent des troubles du système immunitaire et même l'obésité.
17:17 - Et un des facteurs qui influencent aujourd'hui le sommeil des enfants, c'est les écrans.
17:22 Il en est question dans ce chapitre-là, notamment parce qu'ils prennent du temps, parce qu'il
17:27 y a de la lumière bleue qui favorise un sommeil de mauvaise qualité.
17:30 A quel point il faut les limiter les écrans ? Je pense à la proposition récente de Najat
17:34 Vallaud-Belkacem qui suggère de rationner Internet à 3 gigas par semaine par exemple.
17:38 - Je ne sais pas si ça se mesure en gigas.
17:41 Le gros problème, vous l'avez dit, c'est le temps pris à d'autres activités.
17:45 Et le temps pris notamment sur les familles, pour les interactions linguistiques entre
17:51 les membres d'une famille ou avec d'autres.
17:53 C'est vraiment crucial qu'on rétablisse des interactions sociales.
17:57 Le cerveau en a absolument besoin.
17:58 Le cerveau a besoin de langage.
17:59 Et moi, quand on parle des écrans, je pense au moins autant aux parents qui sont complètement
18:03 absorbés dans leurs propres écrans.
18:05 On le voit, vous prenez le train de temps en temps, un train de 3 heures, un enfant
18:07 qui n'a rien, parce que le parent est absolument absorbé dans son propre film, dans son email.
18:13 Ça n'est pas acceptable.
18:15 Nous devons vraiment remettre l'enfant au cœur de l'apprentissage.
18:20 Alors effectivement, ça passe peut-être par une limitation.
18:22 Je ne crois pas beaucoup aux limitations imposées du haut.
18:24 Mais je crois, et c'est ce qu'on essaie de faire ici, à la pédagogie.
18:28 Une des choses qui a marché dans le chapitre sur le sommeil, c'est enseigner aux enfants
18:31 eux-mêmes à quel point leur propre sommeil est important.
18:34 - Oui, et l'impact de ces écrans.
18:35 - Et ça a marché.
18:36 - Et il faut d'ailleurs dire écran au pluriel, puisqu'il y a des gamins qui utilisent en
18:42 moyenne 4 écrans simultanément après 21 heures.
18:45 Télévision, téléphone, console, ordinateur.
18:48 Et c'est assez extraordinaire de voir l'impact que ça a sur le temps de sommeil.
18:53 Et j'en profite d'ailleurs pour indiquer à Stanislas Dehaene que jeudi prochain, France
18:58 Inter consacrera toute une journée autour des écrans avec des émissions spéciales
19:02 dès 8h20 dans la matinale.
19:04 Le programme est en ligne, évidemment.
19:07 - Mais nous n'ayons pas quand même l'effet bénéfique des écrans, et notamment pour
19:11 les enfants 10 qui reçoivent des logiciels spécifiques, les enfants 10 praxiques qui
19:15 n'arrivent pas à écrire avec un stylo mais qui peuvent écrire avec un clavier.
19:18 Il faut vraiment que l'école soit tolérante à des usages multiples et pédagogiques des
19:23 écrans.
19:24 - Ce qui est assez extraordinaire quand on vous lit et quand on lit les travaux de vos
19:28 collègues, c'est que vous montrez vraiment des exercices qui marchent, qui pourraient
19:33 être généralisés, qui pourraient être étendus.
19:36 Et d'ailleurs, vous avez un talent de pédagogue au point que cet été, France Inter, Stanislas
19:41 Dehaene vous confiera du lundi au vendredi à 8h53 une chronique "Une idée dans la tête".
19:47 - Dans la tête et pas derrière la tête.
19:49 - 40 jours pour apprendre mieux, face à face avec son cerveau.
19:54 C'était d'ailleurs un travail que vous avez fait.
19:56 Mais en tout cas, sciences et écoles, ensemble pour mieux apprendre, sous la direction de
20:00 Stanislas Dehaene.
20:01 Ça réunit les travaux du Conseil scientifique de l'Éducation nationale.
20:05 C'est publié chez Odile Jacob et on aurait pu continuer à vous poser…
20:09 - Pas longtemps.
20:10 - Beaucoup, beaucoup, beaucoup de questions avec les auditeurs, avec les enseignants,
20:15 les parents et évidemment avec les élèves, Stanislas Dehaene.
20:18 Puisqu'il s'agit d'eux, après tout.
20:20 - On met les élèves vraiment au cœur des choses.
20:22 Mais aussi la science, tout simplement.
20:23 La science est neutre, elle essaye de dire ce qui marche et ce qui ne marche pas.
20:26 - Pas la peine d'aller à Singapour en tout cas.
20:28 - Non, mais on peut prendre des idées de Singapour, on essaye, absolument.
20:32 - Merci Stanislas Dehaene d'avoir été l'invité d'Inter ce matin.

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