Le politologue Gilles Kepel, spécialiste de l’Islam et du monde arabe, est l'invité du Grand Entretien. Il est l'auteur de "Holocaustes. Israël, Gaza et la guerre contre l’Occident" chez Plon. Plus d'info : https://www.radiofrance.fr/franceinter/podcasts/l-invite-de-8h20-le-grand-entretien/l-invite-de-8h20-le-grand-entretien-du-lundi-25-mars-2024-3441873
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00:00 France Inter, Léa Salamé, Nicolas Demorand, le 7/10
00:05 Et avec Léa Salamé, nous recevons ce matin un politologue, professeur des universités,
00:10 spécialiste de l'islam et du monde arabe.
00:13 Il publie « Holocauste, Israël, Gaza et la guerre contre l'Occident » chez Plon.
00:19 Vos questions, 0145 24 7000 et l'application de France Inter.
00:24 Bonjour Gilles Quepel.
00:25 Bonjour.
00:26 Merci d'être à ce micro, on va parler longuement de votre livre qui analyse l'ombre de choc
00:31 mondial du 7 octobre et de la guerre d'Israël contre le Hamas.
00:35 Mais d'abord quelques mots sur l'attentat qui a ensanglanté Moscou vendredi dernier.
00:40 Au moins 137 morts et plus de 180 blessés dans une attaque menée par quatre hommes
00:46 armés dans une salle de concert à la périphérie de la ville.
00:49 L'État islamique a revendiqué l'Atlanta dans un communiqué.
00:53 Cette revendication éludée par Vladimir Poutine qui préfère insister, on l'entendait
00:58 avec Pierre Haski, sur une supposée responsabilité de l'Ukraine, vous paraît-elle crédible
01:04 et si oui, à quoi a-t-on assisté vendredi ? A une reprise du terrorisme de grande ampleur
01:09 ?
01:10 Ça n'est pas tout à fait la même chose que le Daesh qu'on a connu, même si ça
01:14 ressemble puisque Daesh avait commis l'attentat du Bataclan, comme ça a été rappelé.
01:19 C'est ce qu'on appelle l'État islamique Khorasan qui est quelque chose de spécifique
01:24 à cette mouvance sunnite de l'Asie centrale, de l'Iran et de l'Afghanistan, qui avait,
01:31 et ça n'a pas été tellement rappelé, revendiqué le 3 janvier l'attentat qui
01:35 avait fait plus d'une centaine de morts en Iran à Kerman à l'occasion de la célébration
01:41 de la mort de Qasem Soleimani, le grand chef des pass-d'Aran iraniens et qui sont devenus
01:47 la colonne vertébrale du régime aujourd'hui, et non plus les mollahs, et qui avait justement
01:53 été quelque chose qui montrait que l'Iran ne contrôlait pas si bien que ça son territoire
01:59 à l'intérieur.
02:00 Et là, ce qui m'a frappé, c'est que, alors que depuis quelques mois, en gros, ça me
02:05 fait penser quand j'étais jeune, on m'annonçait les chats russes à l'habit d'Assoha, on
02:09 présente une Russie surpuissante qui va manger l'Europe, en réalité ça fait apparaître
02:14 un fort défaut dans la cuirasse russe cette affaire.
02:18 Et quand les services russes sont surtout occupés à persécuter les gens qui mettent
02:24 des fleurs sur le tombeau de Navalny, évidemment, et à s'occuper de l'Ukraine, ils ne peuvent
02:29 pas prendre ça en compte.
02:31 Mais la Russie aujourd'hui est une cible de l'Etat islamique, pourquoi ils agissent
02:35 aujourd'hui ?
02:36 Alors, cet Etat islamique, déjà, on n'en sait pas grand-chose.
02:39 Je mentionne dans mon livre un de nos très bons spécialistes de la région, Stéphane
02:43 Duduagnon, que vous devriez inviter, qui connaît très bien les enjeux du sunnisme
02:49 dans cette région.
02:50 Vous savez, ce n'est pas comme Hamas, c'est-à-dire Hamas, c'est une organisation structurée,
02:56 constituée, un mouvement de masse, avec toutes sortes de réseaux.
02:58 Là, ce sont des mouvements assez nébuleux dans lesquels le niveau d'intervention des
03:04 différents services de renseignement est quelque chose qu'on ne saura jamais.
03:07 Et il me semble aussi que ce qui est intéressant, c'est que la Russie apparaît aujourd'hui
03:13 comme le pays qui est à la tête des BRICS+, qui se fait d'une certaine manière le porte-parole
03:17 du sud global.
03:18 Et tout d'un coup, il me semble une aberration, le sud global est une chose complètement
03:22 idéologique.
03:23 Et tout d'un coup, il prend dans la figure, d'une certaine manière, quelque chose qui
03:27 lui vient d'un sud global dont il ne s'attendait pas, à ce qu'il l'attaquât.
03:30 Quand Poutine mentionne le fait que les assaillants ont été arrêtés alors qu'ils faisaient
03:32 route vers l'Ukraine, c'est pas crédible.
03:36 Je n'étais pas là pour le vérifier.
03:38 Mais en tout cas, ça mérite d'être affirmé un peu plus précisément.
03:43 Pierre Servan, spécialiste des questions militaires, disait hier à LCI que c'est
03:46 une manipulation.
03:47 Le FSB qui vous sort les quatre hauteurs des attentats, c'est pas crédible.
03:50 C'est vrai que ça semble un peu téléphoné.
03:53 Mais de là à dire que l'attentat a été monté par les Russes, les effets, on le voit
04:00 bien pourquoi Poutine pourrait considérer que ça renforce l'unité autour de lui.
04:07 Mais les effets délétères sur l'image de la Russie à l'international, je crois,
04:12 l'emportent sur les effets intérieurs.
04:14 Enfin, en tout cas, tel que je vois les choses.
04:15 Un mot sur la France avant d'en venir à votre livre.
04:17 Suite à l'attentat de Moscou, Gabriel Attal a annoncé hier que la France élevait le
04:21 plan Vigite Pirate au niveau urgence/attentat, c'est-à-dire le niveau le plus élevé qui
04:25 soit.
04:26 Là aussi, pourquoi, pourquoi maintenant, annonce-t-il cela ? La menace est-elle plus
04:30 forte qu'il y a un mois en France ?
04:32 Ce n'est pas vraiment la question russe, je pense, mais c'est le fait que dans la
04:37 perspective des Jeux Olympiques, évidemment, tous les services de renseignement français
04:42 sont sur les dents, font des exercices, il va y avoir une masse de touristes étrangers
04:50 et c'est évidemment le moment rêvé pour tous les ennemis de la France, de l'Occident,
04:56 que sais-je encore, de commettre des attentats.
04:59 Donc c'est une manière aussi de rappeler à nos concitoyens que ça n'est pas une
05:05 invention et que…
05:06 La menace est très forte aujourd'hui en France.
05:09 En tout cas, il faut s'y préparer probablement, oui.
05:12 Alors, venons-en à votre livre, Gilles Kepel, « Holocauste, Holocauste au pluriel », où
05:17 vous analysez les répercussions mondiales du 7 octobre.
05:21 Pourquoi d'abord, on va s'arrêter sur ce mot d'abord, avoir choisi ce terme religieux
05:25 de « Holocauste » pour qualifier à la fois l'attaque du 7 octobre et la guerre
05:29 menée par Israël contre le Hamas, le terme « Holocauste » très associé à la Shoah.
05:35 Ce terme n'est-il pas équivoque ?
05:36 Oui, bien sûr, comme l'est équivoque et comme est polysémique tout ce qui est en
05:41 train de se passer et aussi le fait que l'attentat du 7 octobre et ses conséquences ont des
05:47 répercussions mondiales qui dépassent…
05:49 Bon, c'est déjà très grave en Israël et en Palestine, mais c'est quelque chose
05:54 qui s'est traduit par un bouleversement au Moyen-Orient.
05:57 On a parlé même d'une certaine manière de ce qui s'est passé à Moscou.
06:01 On est l'onde de choc.
06:03 Ça veut dire que l'Iran, par exemple, a mandaté les outils pour interrompre la circulation
06:10 mondiale des biens et des services en mer Rouge.
06:13 Et ça signifie aussi qu'aujourd'hui, on a une espèce de redéfinition complète
06:22 des fondements moraux de l'organisation du monde.
06:25 L'Holocauste récupéré par l'Afrique du Sud, par exemple, sur le terme de génocide
06:30 que je n'ai pas employé à dessein pour ne pas ajouter à la confusion, en disant
06:35 à la Cour internationale de justice, au fond, le peuple génocidé sur lequel l'ONU avait
06:44 construit l'État d'Israël, est aujourd'hui le peuple génocidaire.
06:49 L'Shoah, c'est une vieille histoire, oublions ça, c'est une histoire d'Européens et
06:53 de Blancs, entre guillemets.
06:54 Et en vérité, l'ordre mondial, c'est la lutte contre le colonialisme, contre l'apartheid.
07:00 Et il faut restructurer le système mondial.
07:03 La France et le Royaume-Uni n'ont plus rien à faire au Conseil de sécurité, mettons
07:07 l'Inde et le Brésil, par exemple.
07:09 Et tout ça est en train, est une volonté de réécrire le système du monde en se réappropriant
07:15 justement la notion de l'Holocauste comme le symbole du mal absolu contre lequel on
07:22 veut se situer.
07:24 Et c'est ça que j'ai essayé de montrer.
07:26 Mais quand vous le reprenez, vous, ce terme d'Holocauste, et que vous écrivez dans l'introduction
07:29 du livre, Gilles Kepel, « Holocauste au pluriel est à prendre au sens propre des sacrifices
07:34 de victimes en masse que musulmans palestiniens et juifs israéliens se sont mutuellement
07:38 infligés durant un processus spécifique qui s'est déroulé à l'automne 2023.
07:42 Pour vous, ces deux Holocaustes, pour reprendre ce terme équivoque, sont de même nature,
07:47 c'est-à-dire que vous mettez au même niveau les islamistes du Hamas et ceux que vous
07:51 appelez aussi dans le livre les messianistes et suprémacistes juifs qui contrôlent l'agenda
07:55 du gouvernement Netanyahou ? »
07:56 Alors, je ne sais pas si c'est une histoire de niveau ou de comparaison dans l'horreur,
08:00 mais il y a en tout cas deux flux qui se sont manifestés.
08:05 Il y a d'abord l'horreur du 7 octobre, dont on n'a pas complètement pris la mesure
08:13 puisque des enquêtes sont en cours, etc.
08:15 Mais les témoignages qu'on a aujourd'hui sont absolument effarants.
08:19 Et il faut d'ailleurs bien remarquer qu'à part en Israël ou pour les juifs à travers
08:25 le monde, la mémoire du 7 octobre a été quand même assez largement occultée par
08:30 l'ampleur de l'hécatombe qui s'est produite ensuite à Gaza, où on ne sait pas exactement
08:37 si il y a 32 000 et quelques morts.
08:40 C'est le Hamas qui le communique, mais il y en a beaucoup, certainement des dizaines
08:44 de milliers.
08:45 Et vous avez effectivement dans les deux cas un usage de l'exécution de la mort des
08:54 autres.
08:55 Ce n'est pas tout à fait dans la même logique, mais qui est d'une certaine façon complètement
08:59 irrationnelle politiquement et qui se réfère aussi à des impératifs religieux exacerbés
09:06 par ceux-là même qui ont une vision rigoriste fondamentaliste.
09:10 Mais vous comprenez que ça peut choquer ceux qui vous entendent ce matin et qui disent
09:14 que vous placez le sionisme, le messianisme religieux juif, vous le comparez aux frères
09:21 musulmans, aux Hamas, aux islamistes.
09:23 Si ça n'était que le sionisme religieux et les frères musulmans, cette comparaison
09:28 a été faite depuis longtemps.
09:29 Là, ce n'est pas ça.
09:31 C'est le fait que si vous voulez, par exemple, quand vous pensez aux attaques du 7 octobre,
09:38 il y a toutes sortes de religions, de dimensions.
09:41 Une dimension nationaliste, bien sûr.
09:43 Les gens disaient on est chez nous, c'est notre territoire.
09:45 Mais vous avez aussi une référence dans les textes sacrés à ce qui s'est passé, par
09:51 exemple, il est bien connu dans la Syrah, dans l'histoire du prophète, qui a attaqué
09:54 l'oasis juive de Khaïbar, qui est aujourd'hui en Arabie Saoudite, et où les gens ont été
10:00 massacrés de façon, et s'est tout à fait revendiqués comme tel explicitement dans
10:05 la Syrah nabawiyya.
10:06 Et vous avez d'une certaine manière aujourd'hui, dans les attaques du Hezbollah, du Hamas,
10:13 le slogan "Khaïbar, Khaïbar, Yahya Houd, Jéych Mohamed Sayyaud", c'est-à-dire "Khaïbar,
10:17 Khaïbar, hé les Juifs, l'armée de Mohamed est de retour".
10:20 Donc tout ça vous montre comment mystique et politique sont mêlés.
10:24 De l'autre côté, vous avez quand on parle de Géricault, la façon dont M. Netanyahou
10:34 se réfère à la Malek, c'est-à-dire l'ennemi des Juifs qu'il faut détruire, quand les
10:44 ministres Smotrich et Ben Gvir en appellent à la disparition des Palestiniens de Gaza
10:52 qui doivent être expulsés ou tués, ainsi qu'en Cisjordanie pour la transformer en
10:57 judaïsme à marée biblique, vous avez un mélange des registres religieux et politiques
11:04 qui est du même ordre.
11:06 Alors après les uns peuvent dire "c'est pas la même ampleur", etc.
11:09 Mais on est obligé de constater que les mobilisations puissent être dans le même type de registres.
11:16 - Gilles Kepel, vous pointez la responsabilité multiforme de Benyamin Netanyahou dans l'attaque
11:21 du 7 octobre.
11:22 D'abord sa responsabilité de ne pas avoir su la prévenir en délaissant la frontière
11:28 avec Gaza pour protéger les colons en Cisjordanie, mais aussi son soutien cynique au Hamas dans
11:34 les années précédentes.
11:35 Vous dites qu'il a favorisé, comme nul autre dirigeant de l'État hébreu, la consolidation
11:42 du pouvoir du Hamas à Gaza.
11:44 - Et surtout le personnage de Yair Sinouar lui-même, puisque Sinouar a été libéré
11:49 sur ordre de Netanyahou parmi les 1027 prisonniers qu'il a fait libérer.
11:56 - Vous faites un long portrait de lui.
11:57 - Oui, ça m'a beaucoup intéressé parce que, pour vous dire la vérité, je n'avais pas
12:02 accordé de grande importance à Sinouar.
12:04 Et du reste, au début, quand j'ai vu le 7 octobre, j'ai eu du mal à croire que ça
12:10 avait été décidé, construit à l'intérieur du Hamas palestinien, vu les moyens utilisés.
12:15 Alors évidemment, les Iraniens et les autres ont fait entrer toutes sortes d'armes, par
12:20 les tunnels de contrebande, mais il semble, au seul jour en tout cas, que la décision
12:26 d'attaquer ce jour-là, c'est lui-même, c'est Yair Sinouar, qui ne l'aurait communiqué
12:32 à Hezbollah que 30 minutes avant pour qu'il prévienne les Iraniens.
12:36 Et pour bénéficier justement, vous avez fait allusion à l'instant, du fait que l'armée
12:43 israélienne avait été retirée de la bande de Gaza pour aller faire la police en Cisjordanie.
12:48 Justement, à la demande des colons suprémacistes, il y a eu 1225 attaques de Palestiniens en
12:55 Cisjordanie en 2023.
12:57 - Vous dites de lui que c'est le Ben Laden de notre temps et vous allez même jusqu'à
13:01 dire que Sinouar a remporté avec le 7 octobre, je vous cite, une victoire politique peut-être
13:06 encore plus grande que le choc du 11 septembre.
13:09 - Oui, parce que vous n'avez eu personne en Occident qui ait fait l'éloge de Ben Laden.
13:14 Et à la suite de ce qui s'est passé en Israël et en Palestine, vous avez vu les grandes
13:20 universités occidentales qui ont été cassées en deux par le milieu.
13:24 Harvard, la présidente, a démissionné.
13:27 - Vous dites d'ailleurs que...
13:28 - Si on se prône, n'en parlons pas.
13:29 - On va en parler, si.
13:30 Vous dites que l'un des champs de bataille de l'affrontement Nord-Sud qui a été exacerbé
13:34 par la guerre au Proche-Orient de ces cinq derniers mois est l'université occidentale,
13:38 jusque dans les campus les plus prestigieux ou au moins symboliques, à l'instar d'Harvard
13:41 aux Etats-Unis ou de l'école normale supérieure en France.
13:43 - Ou de Sciences Po, oui.
13:44 - Ou de Sciences Po, vous pouvez la rajouter, vous ne l'avez pas écrite mais vous pouvez
13:46 la rajouter ce matin.
13:47 Parce que, au fond, et on revient au titre de votre livre, vous parlez de l'Hockeuse
13:51 au pluriel et vous parlez de la guerre contre l'Occident, c'est aussi ça qui se joue.
13:56 - Oui, alors ça change.
13:57 Si vous l'avez entendu, c'était Est-Ouest, maintenant c'est Nord-Sud.
14:00 Toutes ces choses sont un peu bizarres puisque la Russie arctique n'apparaît pas véritablement
14:06 comme un pays tropical, disons.
14:08 Mais je crois que c'est surtout une construction idéologique dont, justement, l'attaque qui
14:13 s'est produite au théâtre de Moscou montre que c'est de l'idéologie, ce n'est pas
14:18 véritablement ça.
14:19 Mais il s'agit pour un certain nombre d'entrepreneurs politiques de faire croire que les BRICS
14:24 sont une chose unie, existe, que l'Occident est en déclin, qu'il est juste de le détruire,
14:32 etc.
14:33 Et ça s'est manifesté effectivement dans nos universités avec une grande force.
14:38 Moi, j'ai été effaré quand j'ai vu ce qui s'est passé à Sciences Po dans l'amphi
14:42 désormais appelé Gaza.
14:43 - L'amphiboutmi.
14:44 - Oui, l'amphiboutmi, que vous avez connu comme Amphiboutmi, où j'ai enseigné pendant
14:50 plus d'une dizaine d'années sur le Moyen-Orient.
14:53 Il y avait des circonstances tragiques, mais moi, pendant que j'étais condamné à mort
14:57 par Daesh, j'enseignais, j'avais les gardes de sécurité à toutes les portes et les étudiants
15:02 étaient là d'un bout à l'autre.
15:04 Ils pensaient ce qu'ils voulaient, mais il y avait un magistère.
15:07 C'était ça à quoi servait l'université et non pas simplement de l'idéologie.
15:12 Aujourd'hui, l'une des raisons pour lesquelles ça s'est parti en vrille à l'école et ailleurs,
15:19 c'est que ce magistère a été très largement détruit sous la pression justement du mouvement
15:24 des colonialistes, du mouvement woke.
15:26 Vous avez entendu Judith Butler certainement l'autre jour aux indigènes de la République
15:31 déclarer, un peu comme si elle était en transe, « October 7th was an act of resistance ».
15:35 On avait l'impression de la grande pitié de Delft.
15:39 Et ça, c'est quelque chose, moi, qui m'inquiète énormément.
15:42 Vous pouvez penser que ce sont des tempêtes au bassin des enfants.
15:45 Qu'est-ce que c'est par rapport à l'horreur des attaques ?
15:50 Mais bon, vous savez, c'est quand même un véritable problème.
15:52 La France n'a rien innové aujourd'hui.
15:56 Sartre, dans sa fameuse préface à Fanon, « Les damnés de la terre », expliquait
16:01 qu'il fallait tuer les Européens en Algérie.
16:03 Je cite de tête, et qu'une fois que c'était fait, on avait un homme mort et un homme libre.
16:08 On a souvent préféré en France avoir tort avec Sartre que raison avec Aaron.
16:12 Est-ce vraiment nouveau, Gilles Kepel, que les universités ou que les campus américains
16:16 se mobilisent ? Ils se sont mobilisés pour le Vietnam à l'époque.
16:19 Je ne parle pas de la manière dont ça a été fait à Sciences Po, mais est-ce que
16:25 un certain nombre d'étudiants aux États-Unis, à Londres ou à Paris, se mobilisent pour
16:30 la cause palestinienne ? Est-ce-ci, pour vous, symptomatique de l'idéologie woke qui serait
16:35 rentrée dans nos universités, pour utiliser le terme que vous employez ?
16:40 Pour aller dans votre sens, effectivement, le malheureux Anfi Boutmi, avant d'être
16:44 Anfi Gaza, était Anfi Che Guevara en 1968.
16:48 Et comme vous le savez, Che Guevara était d'origine libanaise, puisque c'était la
16:52 famille Jbara de Merjaïoun au sud du Liban, qui avait émigré en Amérique latine.
16:59 Mais ce qui est important, c'est que c'est quelque chose qui s'est complètement changé.
17:06 Parce que dans la politique américaine, traditionnellement, la politique américaine était totalement
17:13 du côté d'Israël au Moyen-Orient.
17:15 Il y avait même une surenchère entre républicains et démocrates dans ce sens-là.
17:19 Aujourd'hui, ça a complètement changé.
17:21 Vous avez une grande partie de l'électorat de Biden, dans la jeunesse, dans les « minorités
17:28 », qui ne le suit plus.
17:30 Vous avez vu dans le Michigan, qui est un « swing state », vous avez eu 100 000 personnes
17:34 qui ont dit « un committed », je ne vais pas voter pour Biden.
17:37 C'est la communauté musulmane qui est très forte dans le Michigan notamment.
17:41 Oui, avec une présence qui est surprenante du Hezbollah, qui est non négligeable.
17:45 Vous imaginez que le Hezbollah puisse agir ou avoir de l'influence pour des votes américains,
17:52 alors qu'on pensait toujours que c'était le « lobby juif » qui faisait la politique
17:57 américaine.
17:58 C'est quelque chose qu'on n'a jamais vu.
17:59 Donc vous voyez que c'est différent.
18:01 On passe au Standard Inter, on nous attend Christine.
18:04 Bonjour et bienvenue.
18:05 Oui, bonjour.
18:06 Bonjour à l'équipe de France Inter, bonjour à M. Kepel.
18:09 Bonjour Madame.
18:10 Bonjour Monsieur, j'aurais voulu savoir si vous pouviez nous éclairer sur les raisons
18:14 qui président à la fermeture des frontières des pays arabes, qui refusent d'accueillir
18:21 les Palestiniens de la bande de Gaza, alors que Sahel a prévenu à chaque fois en amont
18:28 de ses attaques.
18:29 Merci Christine pour cette question.
18:31 Gilles Kepel.
18:32 Vous faites allusion peut-être à la fois à la frontière égyptienne et à la frontière
18:36 jordanienne.
18:37 C'est surtout la frontière égyptienne aujourd'hui.
18:39 Les Égyptiens Arafat justement, là où sont concentrés la plupart des Palestiniens qui
18:46 ont essayé de fuir les combats et dont M. Netanyahou annonce chaque jour qu'il va attaquer,
18:52 que la situation est la plus dramatique.
18:54 Puisque s'il y avait une attaque israélienne, on peut imaginer que la frontière serait
19:00 endommagée et qu'un grand nombre de Palestiniens en profiterait pour fuir les bombardements
19:07 et se réfugier de l'autre côté.
19:08 Et les Égyptiens font tout pour l'éviter.
19:12 D'abord l'Égypte dans une situation financière extrêmement difficile, notamment parce que
19:18 le canal de Suez est quasiment fermé aujourd'hui à cause des attaques de Houthis dans la mer
19:22 rouge et qu'ils n'ont plus tellement de ressources.
19:24 D'autre part parce qu'ils sont déjà en surpopulation et aussi parce que politiquement
19:30 ils ne considèrent pas que s'ils laissaient entrer les Palestiniens, ça serait quelque
19:34 chose qui ferait le jeu des colons.
19:35 Dernier point, regardez Mme van der Leyen accompagnée d'une brochette de chef d'état
19:42 européen, s'est rendue au cœur il y a quelques jours avec un chèque de 7,5 milliards d'euros
19:48 pour faire en sorte que les Égyptiens ne laissent pas entrer les Palestiniens et ne
19:52 les mettent pas sur des bateaux qui vont ensuite venir jusqu'à Menton.
19:55 Gilles Kepel, comment voyez-vous les choses dans les prochaines semaines, dans les prochains
20:00 mois ? Y a-t-il un moment où cette guerre va s'arrêter ? Va devoir s'arrêter ? Et
20:05 si oui, à quelles conditions ?
20:06 Alors on est aujourd'hui dans un moment de bascule qui est très important pour comprendre
20:10 les choses.
20:11 Vous avez vu que l'Union Européenne, et c'était encore réitéré par le Président
20:15 de la République, mais le consensus des 27, exige maintenant un cessez-le-feu.
20:21 Et M. Biden également est revenu sur son soutien massif à Israël auparavant en disant
20:29 "il ne faut pas"
20:30 Parrafa
20:31 Parrafa.
20:32 Alors le problème, pourquoi est-ce que Netanyahou refuse ? Parce que la guerre qu'il a menée,
20:38 qui est destinée à une certaine manière à cautériser le traumatisme épouvantable
20:43 du 7 octobre dans la population israélienne.
20:45 Israël est un pays qui n'est pas très grand, tout le monde connaît quelqu'un qui etc.
20:49 Comme ce qui s'est passé à Paris dans le Bataclan, si vous voulez, on connaissait
20:53 tous quelqu'un qui etc.
20:55 Ça, il ne peut pas faire un cessez-le-feu parce qu'aujourd'hui, de son point de vue
21:01 politique, sa survie politique à lui, parce qu'il va donner le sentiment qu'il a cédé
21:05 au Hamas sans avoir obtenu rien en échange.
21:08 Son obsession c'est d'arriver au moins à "liquider", c'est-à-dire à tuer.
21:14 C'est noir.
21:15 Il n'y a rien si noir, bien sûr.
21:16 Mais si ça se produit, il peut d'une certaine manière se présenter de nouveau devant son
21:20 électorat.
21:21 Et je crois que c'est ça qui est en train de se passer aujourd'hui.
21:24 C'est un jeu politique assez cynique dont les malheureux palestiniens qui sont bombardés
21:31 aujourd'hui à Rafah sont les victimes.
21:32 - Merci Gilles Kepel d'avoir été à ce micro.
21:35 Holocauste au pluriel, Israël, Gaza et la guerre contre l'Occident est publié chez
21:41 Plon.
21:42 Merci encore.
21:43 Il est 8h46.
21:44 ça.
21:45 *musique*