Mardi 26 mars 2024, SMART MORNING SOUMIER reçoit Fanny Rolet (Fondatrice, Antofénol)
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00:00 Salut à tous, c'est sujet important, sujet dont on parle énormément aujourd'hui,
00:13 sujet agricole, les pesticides, que faire contre...
00:16 Enfin, que faire...
00:17 J'allais dire que faire contre les pesticides, que faire pour remplacer les pesticides.
00:22 Sujet sur lequel travaille Fanny Rollet.
00:25 Bonjour Fanny.
00:26 Bonjour.
00:27 Vous êtes créatrice d'une entreprise qui s'appelle Atophenol, entreprise industrielle,
00:32 on y reviendra.
00:33 Donc aujourd'hui c'est trois usines, c'est ça ?
00:35 Oui, alors deux usines établies et une en cours de construction, effectivement.
00:40 Faut que tu me racontes comment ça marche.
00:43 Voilà, faut que tu me racontes l'extraction des molécules, si j'ai bien compris, extraction
00:48 des molécules du système de défense des plantes.
00:52 Oui.
00:53 C'est ça que tu fais ? Vas-y raconte.
00:54 Oui, et en particulier de la vigne, parce que c'est la première question qui m'a été
00:58 posée quand j'étais encore étudiante.
01:00 C'est un viticulteur qui m'a posé la question, qui m'a demandé comment gagner plus d'argent
01:05 autrement qu'en vendant du vin.
01:07 Donc j'avais un peu trop arrosé ma soirée, donc je ne pouvais pas lui répondre dans
01:11 l'instant.
01:12 Mais le lendemain matin est venue l'idée de se dire comment est-ce qu'on peut valoriser
01:16 ces coproduits agricoles, ces déchets agricoles, et en particulier ce bois de vigne, et qu'est-ce
01:22 qu'il contient que je pourrais valoriser sur le marché.
01:23 Donc on était en 2012, à l'époque, on avait le plan EcoFITO 2018 qui se mettait
01:29 en place.
01:30 C'est quoi ?
01:31 Alors le plan EcoFITO 2018, c'est la déclinaison étatique du Grenelle de l'environnement
01:37 qui visait à réduire de 50% les pesticides d'ici à 2018.
01:40 C'est devenu EcoFITO 2025.
01:42 Peut-être que ça deviendra EcoFITO 2030 ou 2050, mais en tout cas la thématique est
01:47 lancée.
01:48 Et l'objectif pour moi était de proposer une solution aux agriculteurs qui leur permettait
01:52 de s'affranchir des pesticides conventionnels et donc de pouvoir utiliser des solutions
01:57 plus naturelles mais qui soient efficaces et rentables.
02:01 Les deux métriques sont indispensables et lorsque tu interviews des viticulteurs, leur
02:07 objectif premier c'est le prix, puis l'efficacité, et en troisième la naturalité.
02:13 Et malheureusement ils sont contraints par leur marché de raisonner dans ce sens-là,
02:17 même si on a une évolution depuis la création.
02:19 Alors revenons sur les bois de vignes.
02:22 Les bois de vignes contiennent des polyphénols, tu en retrouves dans un verre de vin.
02:28 Il y en a à peu près 10 à 15% dans un verre de vin.
02:31 Dans une anthophérine, qui est notre extrait de bois de vignes, il y en a plus de 30%.
02:36 Et ce sont ces polyphénols qui permettent de détruire les pathogènes fongiques, donc
02:43 les moisissures, sur les cultures.
02:45 Ce que tu appelles polyphénols, ce sont ces molécules du système de défense des plantes.
02:51 Exactement, c'est ce que la plante produit pour se protéger contre les attaques fongiques.
02:56 Et donc aujourd'hui, la vigne en produit…
02:59 Attends, pour bien comprendre, je vais dire une énormité.
03:02 En fait, tu vas prendre leur globule blanc.
03:03 On peut le synthétiser comme ça.
03:06 Alors si un scientifique écoute, ça ne sera pas bon.
03:09 Mais c'est un peu ça, le système immunitaire de la plante.
03:11 Tu vas te servir du système immunitaire de la plante, qui pourtant est morte, parce
03:15 que c'est du bois de vigne.
03:16 Oui, mais il en contient toujours.
03:18 Le bois est une structure pérenne dans la nature.
03:20 Donc la vigne est obligée de produire ces molécules et de les stocker dans le bois
03:24 pour être sûre que le plant de vigne reste d'une année sur l'autre et ne péréclite
03:28 pas à cause de pathogènes.
03:29 Comment tu les extrais ?
03:30 Alors, dans la littérature, à la genèse du projet, on les extrayait par solvents chimiques.
03:37 Mais pour moi, ça faisait un non-sens dans le projet.
03:39 Proposer un produit naturel en extrayant avec un solvant qui est neurotoxique, ce n'était
03:44 pas l'objectif d'Antophenol.
03:45 Donc je peux dire aujourd'hui que je suis autant mécanicienne que biologiste.
03:50 Et on a développé avec l'équipe un système d'éco-extraction par micro-ondes qui nous
03:55 permet de ne pas utiliser de solvants chimiques pour sortir ce système de défense de la
04:00 vigne.
04:01 Donc ça, c'est l'innovation d'Antophenol.
04:03 C'est cette technologie micro-ondes qui nous permet de nous affranchir des solvants
04:07 chimiques, de réduire nos temps d'extraction et d'augmenter le taux en molécules d'intérêt.
04:13 Donc on est gagnant sur tous les points.
04:14 Et c'est ce qui nous permet aujourd'hui de proposer une solution à un coût acceptable
04:18 pour l'agriculture.
04:19 Et ça se matérialise comment pour l'agriculteur ? C'est de la poudre à l'arrivée ? C'est
04:23 une poudre qui va épandre sur...
04:26 C'est une poudre ou un liquide qu'il va mettre dans son pulvérisateur.
04:32 Donc il va mettre en solution dans de l'eau et qui va pulvériser à un certain volume
04:36 hectare en fonction du pathogène visé et en fonction de la culture visée également.
04:42 Tu ne vas pas avoir les mêmes volumes de pulvérisation sur un pommier que sur un plant de pomme de
04:46 terre.
04:47 Et donc l'idée, tu le disais, c'est fongique là aussi.
04:50 Il faut que tu nous expliques.
04:51 Oui.
04:52 Ce sont toutes les mousses, les champignons et choses comme ça ?
04:53 Alors surtout les champignons, c'est...
04:55 J'espère pas, mais on ne sait jamais.
04:57 Peut-être que tu as eu une barquette de fraises un jour qui a pourri ou une tomate qui restait
05:02 un peu trop longtemps dans le frigo et qui s'est mise à moisir.
05:04 Donc aujourd'hui, l'anthophérine, cet extrait de bois de vigne, vient inhiber la croissance
05:09 de ces moisissures.
05:10 Et donc on arrive à prolonger la durée de vie de ces denrées alimentaires entre une
05:17 à trois semaines pour certaines d'entre elles.
05:19 Parce que le problème, en fait, c'est que assez souvent, elles ne pourrissent pas.
05:23 Et c'est assez flippant, je dois te dire.
05:25 Non, mais c'est vrai.
05:26 Alors effectivement...
05:27 Maintenant que je sais qu'il peut y avoir l'anthophérine dedans, ça va me rassurer.
05:31 Mais quand tu te dis "il y a trois semaines qu'elle est là, elle n'a pas bougé", tu
05:34 te dis "bon, il y a un petit sujet quand même".
05:36 Il y a encore des traitements conventionnels qui existent.
05:38 Il y a des molécules de synthèse, j'en citerai une par exemple, l'imazalyl, qui est une molécule
05:45 qui est appliquée en post-récolte, mais qui est aujourd'hui décriée pour certains de
05:50 ses impacts sur l'homme et l'environnement, sur lequel l'Europe se penche pour une réhomologation
05:57 ou non.
05:58 Donc ça peut faire comme le glyphosate ou ça peut faire différent du glyphosate.
06:01 Et aujourd'hui, ces molécules-là sont dans la balance en 2024 jusqu'en 2026.
06:07 Il faut savoir qu'à peu près un tiers des substances actives homologuées en Europe
06:12 vont avoir leur réautorisation ou leur retrait du marché.
06:16 Donc on est vraiment sur une mutation de ce marché pesticide.
06:19 Et aujourd'hui, il faut vraiment réussir à développer ces solutions naturelles.
06:24 Donc l'Europe a pris le taureau par les cornes, c'est-à-dire qu'elle retire malgré tout
06:27 beaucoup de molécules.
06:28 - Attends, justement, elle a pris le taureau par les cornes et elle t'a donné un peu d'argent
06:33 parce que l'intensité capitalistique du truc...
06:36 - Est monstrueuse.
06:37 - Mais voilà !
06:38 - Monstrueuse.
06:39 - M'impressionne énormément pour une jeune entreprise quand même.
06:41 - C'est complexe, effectivement.
06:43 Pour donner un chiffre, l'autorisation de mise sur le marché d'une molécule de la
06:48 sorte nécessite à peu près trois ans d'études réglementaires.
06:52 Pas d'études R&D, vraiment le dossier qu'on doit constituer pour avoir l'autorisation
06:57 de mise sur le marché et nécessite une enveloppe budgétaire d'à peu près 5 millions d'euros.
07:01 Donc c'est conséquent.
07:03 - Pendant tes 5 millions d'euros, tu comptes aussi l'ensemble de ton outil industriel ?
07:07 - Pas du tout.
07:08 L'ensemble de l'outil industriel, on est sur des investissements qui sont entre 40 et
07:13 60 millions.
07:14 - 5 millions d'euros de procédure ?
07:16 - Oui, exactement.
07:18 Aujourd'hui, c'est le cas avec trois ans d'études, puis entre cinq et six ans avant
07:23 d'avoir le retour des instances européennes pour avoir l'autorisation de vendre ce produit.
07:29 C'est un parcours du combattant.
07:31 C'est la plus forte barrière à l'entrée sur ce marché des pesticides naturels.
07:35 - Comparable à ce qui se fait pour le médicament finalement.
07:37 - Exactement.
07:38 Il n'y a que le vaccin Covid qui se fait homologuer en trois mois.
07:40 Le reste met beaucoup plus longtemps.
07:42 - C'était l'urgence absolue, le fast-track !
07:44 - Exactement.
07:45 - J'ai dit les Américains.
07:46 - Exactement.
07:47 - L'urgence absolue.
07:48 Donc, on est avec cette poudre.
07:51 Non, le sujet, parce que tu l'as dit très, très justement quand tu as commencé, c'était
07:54 remarquable.
07:55 Le sujet de l'agriculteur, ça va être d'abord le prix.
07:59 - Exactement.
08:00 - On est tout enthousiasmé par tout ce que tu lui racontes là.
08:02 - On a beaucoup d'engouement pour le produit, mais c'est toujours avec cette question latente
08:06 mais ça va me coûter combien ?
08:08 - Voilà.
08:09 - Et aujourd'hui, si on veut le succès pour ce genre de biosolutions, que ce soit les
08:13 biostimulations ou les produits de biocontrôle, il faut qu'on soit à un coût acceptable
08:16 pour l'agriculteur et il faut qu'il y voit son retour sur investissement.
08:19 Ce n'est qu'en finalement ayant un système vertueux avec tous les maillons de la chaîne
08:25 agricole qui arrivent à générer une plus-value que l'on va pouvoir démocratiser ces solutions
08:30 naturelles et petit à petit venir en complément, puis en remplacement de ces solutions chimiques.
08:36 - Et on est où justement sur la compétitivité prix ?
08:39 - Alors aujourd'hui, on est sur l'éculture pommier, vignes et autres arboricultures.
08:46 On est totalement en adéquation avec les attentes du marché.
08:49 Donc on a un coût hectare/an qui est compris entre 45 et maximum 200 euros hectare/an.
08:57 Donc c'est un nombre de pulvérisation.
08:59 Sur ce coût-là, par contre, il est encore trop élevé pour des cultures annuelles comme
09:05 le blé, comme la pomme de terre.
09:06 Et donc on travaille à Antofenol sur des formulations, c'est-à-dire un moyen de mieux solubiliser
09:13 notre produit pour pouvoir réduire ses doses hectare et arriver à un coût acceptable
09:17 pour l'ensemble des agriculteurs.
09:19 - Et quels produits tu produis ?
09:20 - Aujourd'hui, je produis à l'échelle de plusieurs dizaines voire centaines de kilos
09:25 jusqu'à la tonne.
09:26 Mais ce n'est pas ça qui va nous permettre d'accéder sur le marché.
09:29 - Ta prochaine usine, je crois que c'est...
09:31 - 800 tonnes/an.
09:32 - 800 tonnes/an, voilà, c'est ça.
09:34 Je n'osais pas le dire en fait.
09:35 J'avais le chiffre en tête.
09:37 Une tonne par jour.
09:38 Là, tu as un effet d'échelle qui te permettra de faire baisser tes coûts, justement.
09:45 - Oui, totalement.
09:46 C'est que avec cet effet d'échelle que nous arriverons à un coût qui est en adéquation
09:49 avec les attentes du marché.
09:50 Donc, on est dans le bon timing.
09:52 On n'est ni en avance ni en retard.
09:55 C'est-à-dire qu'aujourd'hui, on a le terrain qui a été préempté, le permis de construire
10:00 qui a été obtenu.
10:01 On va lancer les travaux en juin 2024 pour avoir une livraison de l'usine sur 2025 et
10:08 un lancement de nos productions en 2026.
10:10 Sachant que j'espère, et c'est encore la boule de cristal, on peut hypothéquer là-dessus,
10:17 que l'Europe, l'EFSA, me donnera l'autorisation sur l'année 2026.
10:22 Mais ça ne reste encore que les hypothèses.
10:25 Donc, c'est ça qui est le plus complexe dans le projet aujourd'hui.
10:26 - Fanny, à chaque fois que je rencontre un entrepreneur comme toi, à chaque fois, j'ai
10:30 la question quand même qui est de dire mais Bayer...
10:33 - Bayer...
10:34 - Sans doute, ils connaissent les possibilités d'extraire les molécules du système de défense
10:43 des plantes.
10:44 - Oui, Bayer, BASF, Sumitomo Chemical.
10:46 - Pourquoi ils y vont pas ?
10:47 - En fait, imagine-toi, il y a 50 ans, tu as fait les investissements dans tes usines
10:51 pour produire de la molécule de synthèse.
10:53 C'est un produit qui est un produit vachalé sur lequel tu arrives à faire ta marge.
10:57 - Le glyphosate, il est mort là justement.
10:58 - Et sur lequel la totalité de tes usines tournent.
11:00 - Donc aujourd'hui, ces gros de l'agrochimie ont un pas hyper aidé qui est conséquent,
11:06 mais grossissent par croissance externe.
11:09 Donc aujourd'hui, nombreux de mes collègues vendent au bout de 5-7 ans, à la première
11:15 autorisation, à des géants de l'agrochimie.
11:18 C'est aussi un peu l'originalité d'Entofénol.
11:21 Je n'ai que 35 ans.
11:23 J'ai envie d'aller jusqu'au bouffe.
11:26 Donc, si à 80 ans, je peux encore être à la tour d'Entofénol...
11:29 - Non, non, non, Fanny, c'est épuisant.
11:31 - C'est un beau challenge.
11:34 - Et si Bayer débarque ?
11:35 Mais non, mais c'est parce que...
11:36 Alors c'est bien que tu dises ça, c'est normal, tout à fait.
11:40 Mais j'en ai croisé beaucoup qui disaient ça.
11:42 À un moment, si une grosse boîte débarque avec un gros chèque et te donne les moyens
11:46 en fait d'accélérer...
11:47 - Alors, les moyens d'accélérer, il n'y a pas de souci.
11:50 Mais dans ces cas-là, on fait une JV.
11:52 On ne fait pas une vente de la société.
11:54 - Tu crois que tu as vraiment une pépite là en fait ?
11:56 - Je pense qu'à mon échelle...
11:58 - Un effort décisif important.
12:00 - J'ai la prétention encore aujourd'hui de croire qu'à mon échelle, je peux changer
12:04 les choses.
12:05 Alors je n'y arriverai pas sans ces gros-là, bien sûr.
12:07 Il va falloir travailler avec eux sur la distribution, sur le marketing, sur la démocratisation
12:11 de ces solutions.
12:12 Il va falloir que ce soit une volonté forte de leur part d'aller commercialiser auprès
12:16 des agriculteurs du monde entier ce type de solution.
12:19 Mais si je vends la première solution que l'on a sortie, je fais quoi des 15 autres
12:24 qui sont en R&D ?
12:25 - Oui, oui, puis tu as raison, on ne se disrupte jamais soi-même.
12:28 Voilà, Microsoft rate le mobile, Facebook rate TikTok, on ne se disrupte jamais soi-même,
12:36 aussi grand soit-on et même sans doute quand on est très grand.
12:38 Bon, bah bonne route.
12:41 - Merci.
12:42 - Bonne route.
12:43 On va regarder ça, c'est absolument passionnant.
12:45 Derrière en plus c'est un outil industriel et on sait que la réindustrialisation est
12:49 une cause.
12:50 Enfin, tu maries là une masse de causes merveilleuses, formidables.
12:54 - Mais la réindustrialisation est clé.
12:55 - J'ajoute une femme chef d'entreprise, il n'y en a pas tant que ça, encore plus dans
12:58 le secteur industriel.
12:59 - On est 30% au global dans la France, on monte petit à petit, par contre on est très
13:03 fédérés et aujourd'hui les femmes chefs d'entreprise dans le domaine agricole, il
13:07 y en a quelques-unes qui ont fait de très beaux succès.
13:10 Vous prenez par exemple Pamela Marron aux Etats-Unis qui a, elle justement, revendu
13:14 à Bayer son Agraquest, mais elle en a créé quatre autres derrière.
13:18 Donc c'est aussi une autre stratégie et oui, cette réindustrialisation me tient à
13:23 cœur et nous avons eu des soutiens étatiques et européens avec le France 2030 en particulier
13:28 pour pouvoir mener à bien ce projet d'usine.
13:30 - Oui, mais j'aime bien ton discours parce que c'est bien les soucis étatiques et européens,
13:33 mais tu m'as parlé rentabilité prix des premières minutes.
13:36 - C'est l'honneur de la guerre.
13:37 - Voilà, exactement et ça, chapeau et bravo.
13:40 Formidable.
13:41 Fanny Rollet donc qui nous accompagnait en tophénol.
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