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00:00 6h39, les matins de France Culture, Guillaume Erner.
00:04 Marguerite Caton, vous êtes séchée, bonjour !
00:07 Bonjour Guillaume et bonjour à tous.
00:09 Alors, l'école privée dans le viseur ce matin.
00:11 Il y a un proverbe en économie qui dit que les pauvres payent deux fois.
00:15 Une voiture achetée pas chère consommera plus et tombera plus en panne, par exemple.
00:19 En matière scolaire, c'est un peu l'inverse. Les riches payent deux fois.
00:22 Une fois par l'impôt et une seconde fois en inscrivant leurs enfants dans les écoles privées.
00:27 Et ce de plus en plus au point que, si ça continue, il ne restera plus que les élèves
00:32 des familles défavorisées dans l'école publique. La fin de l'école républicaine en quelque sorte.
00:36 Bonjour Paul Vannier.
00:37 Bonjour.
00:38 Vous êtes député France Insoumise du Val-d'Oise, co-rapporteur avec votre collègue renaissance,
00:42 Christopher Weisberg, de la mission parlementaire sur le financement public de l'école privée sous contrat.
00:47 Un petit point de méthodologie, d'abord sur toutes les personnes que vous avez auditionnées.
00:51 Je n'ai repéré aucun responsable religieux des différents cultes.
00:55 Par contre, 6 membres du comité d'action laïque, un membre de la libre pensée.
00:59 Est-ce un rapport militant que vous prévisez ?
01:02 Non, nous avons vu tout le monde. Nous avons fait auditionner 60 acteurs, 43 auditions.
01:07 C'est 6 mois de travail, c'est deux déplacements de terrain.
01:10 Et à vrai dire, si nous avons rencontré des représentants des cultes, parce que nous avons vu le secrétaire général
01:15 à l'enseignement catholique par exemple, nous l'avons vu deux fois.
01:18 Et savez-vous qu'il est nommé directement par la conférence des évêques de France,
01:21 qui d'ailleurs peut poser question du point de vue de l'application de la loi laïque dans notre pays.
01:26 Et au-delà du réseau catholique, nous avons vu le réseau musulman, le réseau juif, le réseau protestant,
01:30 aussi le réseau laïque qui existe, et puis celui des langues régionales.
01:33 Donc, nous avons vraiment discuté avec tout le monde, et avec des chercheurs, avec des historiens, avec des sociologues,
01:39 pour apporter des données objectives dans ce rapport.
01:42 L'un des points de départ de la mission parlementaire que vous avez menée, Paul Vannier,
01:45 c'est le constat de l'écart social qui se creuse entre les établissements publics et privés.
01:50 40% des élèves viennent d'un milieu social très favorisé, contre 20% dans le public, et réciproquement.
01:56 16% des élèves du privé sont de milieux défavorisés, contre 40% dans l'enseignement public.
02:01 Ce sont les chiffres de 2022, mais on l'observe depuis les années 2000, et l'écart se creuse.
02:06 Comment l'expliquez-vous ?
02:08 Mais je crois que ces écarts qui s'aggravent apparaissent dans un contexte d'effondrement de l'école publique.
02:14 C'est ça, je crois, le fond de ce paysage, cette situation où, vous le savez,
02:20 beaucoup de professeurs absents ne sont pas remplacés,
02:22 où littéralement parfois le bâti scolaire tombe sur la tête des élèves,
02:25 il fait trop froid l'hiver, trop chaud l'été.
02:27 Et dans ce contexte, certaines familles, celles qui le peuvent en vérité,
02:31 celles qui disposent des moyens pour le faire, font parfois le choix, pas toujours,
02:35 de rejoindre l'école privée.
02:37 Au fond, cette situation illustre peut-être un point de bascule dans notre société,
02:41 celui du chacun pour soi.
02:43 Où chacun, en fonction de ses moyens, de ses aptitudes, de sa connaissance du système aussi,
02:47 va choisir une stratégie qu'il pense la meilleure pour lui, pour son enfant, bien sûr,
02:52 et cela est légitime et cela est compréhensible.
02:55 Et on assiste ainsi à l'institutionnalisation d'un système à deux vitesses.
03:00 On est aujourd'hui au bord de ça, à la croisée des chemins, je crois.
03:03 Je pense qu'il est temps d'agir, et c'est ce à quoi invite notre rapport.
03:06 Le professeur Bruno Pousset, grand spécialiste de l'école privée, que vous avez auditionné d'ailleurs,
03:10 nous disait l'énorme écart dans le taux d'encadrement, le nombre d'adultes par élève,
03:14 entre le privé et le public.
03:16 Il pointait aussi la différence de formation entre les surveillants du public,
03:19 qui en contrat précaire ne peuvent pas rester plus de deux ans en poste,
03:23 tandis qu'il s'agit de professionnels dans le privé.
03:25 Au-delà des pratiques élitistes, Paul Vannier, l'attrait pour le privé,
03:29 vous l'avez dit, celui notamment des classes moyennes,
03:31 de ceux qui font des efforts pour payer, qui s'appauvrissent en s'en payant,
03:35 c'est le reflet des carences de l'enseignement public.
03:38 Oui, en même temps, il ne faudrait pas caricaturer le paysage
03:41 et considérer que l'école publique serait défaillante sur le fond,
03:44 sur le plan pédagogique, sur le plan éducatif, je ne le crois pas.
03:46 D'ailleurs, il y a beaucoup d'études qui le montrent.
03:48 Les professeurs ne sont plus diplômés.
03:50 Les professeurs ne sont plus diplômés, ils sont dans une proportion plus forte
03:53 titularisés dans le public que dans le privé.
03:55 Il y a beaucoup de professeurs précaires dans le privé, 20% d'entre eux.
03:58 On peut aussi s'interroger sur leur formation.
04:00 Ils sont moins inspectés, par exemple, ces professeurs-là que ceux du public.
04:04 Mais par exemple, la DEB produit un indicateur qui mesure la performance éducative des établissements.
04:09 Et fondamentalement, les établissements privés n'amènent pas plus loin
04:13 les élèves qui les fréquentent.
04:15 Il n'y a pas un rendement éducatif, une performance éducative
04:18 qui est supérieure dans les établissements privés comparé aux établissements publics,
04:21 même si les établissements privés, eux, demandent des frais de scolarisation
04:25 qui sont parfois importants.
04:27 Ce qui apparaît clairement dans votre rapport, et ce qui est très étonnant,
04:30 c'est l'opacité du financement des écoles privées.
04:33 Mais du financement, pas des finances, car leurs comptes sont publics,
04:36 comme pour toutes les associations.
04:38 Non, c'est l'État qui est incapable de fournir le montant des subventions allouées.
04:41 On ne peut pas ou on ne veut pas savoir, Paul Beny ?
04:44 Je crois qu'on ne veut pas.
04:46 C'est une découverte pour moi, vraiment, dans ce travail,
04:48 de constater qu'aucune administration publique ne chiffre à l'europrès
04:51 le montant total de la dépense publique consacrée aux établissements privés sous contrat.
04:56 Et je dois dire que la marge d'erreur, elle est sans doute de l'ordre du milliard.
05:00 On doit être quelque part entre 10 et 12 milliards.
05:02 Et si on ne sait pas, c'est qu'on ne veut pas savoir qu'il existe ce qu'un haut fonctionnaire
05:06 que nous avons auditionné a décrit comme une culture de lévitement,
05:09 et qui tient dans cette menace, celle, vous savez, qui est toujours pointée
05:13 vers ceux qui abordent ce sujet, celui de vouloir rouvrir la fameuse guerre scolaire,
05:17 qui est tout à fait fantasmée, et qui exerce un climat d'auto-censure,
05:21 qui conduit beaucoup d'acteurs publics, responsables de l'évaluation, responsables du contrôle,
05:26 à renoncer par crainte.
05:28 - Votre principale proposition consiste à moduler les subventions touchées par les établissements privés
05:33 en fonction de leur contribution à la mixité sociale et scolaire.
05:37 Ça s'entend, mais est-ce que les établissements publics seraient soumis aux mêmes obligations ?
05:41 On a beaucoup parlé du lycée Stanislas avec son indice de position sociale à 147,
05:46 Henri IV, 146, Victor Duru à côté, 142.
05:49 - Je crois que vous avez raison, il faut regarder cette question-là,
05:52 celle de la mixité sociale et scolaire, avec un prisme large.
05:55 Il ne faut pas la réduire uniquement à ce qui se passe dans l'école privée.
05:59 Si on veut véritablement lutter contre ces mécanismes, c'est tout le système éducatif qu'il faut refonder.
06:03 Bien sûr que l'école publique, elle aussi, doit voir certains de ces mécanismes être modifiés.
06:09 On peut s'interroger sur les contours actuels de la carte scolaire, sur la possibilité de la contourner.
06:14 Mais là, notre rapport portait sur l'école privée, et vous savez,
06:17 les établissements du privé échappent par exemple à la logique de carte scolaire.
06:20 C'est pour ça qu'il faut penser peut-être des dispositifs particuliers,
06:23 d'où ma proposition de malus, qui viserait à diminuer les moyens d'enseignement
06:28 et les moyens financiers des moyens publics consacrés aux établissements privés,
06:32 qui contribuent à la ségrégation.
06:34 - Est-ce que vous ne craignez pas un effet pervers d'une telle mesure ?
06:36 Un enseignement privé avec moins de ressources publiques va hausser d'autant ses frais d'inscription,
06:40 renforcer donc le poids des plus favorisés.
06:42 Ça va accélérer encore le processus d'enseignement à plusieurs vitesses dont vous nous parlez.
06:46 On risquerait d'aboutir sur un système à l'anglaise, une école publique pour les plus pauvres,
06:50 le privé comme norme pour les classes moyennes, les plus riches.
06:52 - Je ne crois pas. Je crois que les écarts sont déjà considérables.
06:55 Je crois surtout que si on ne fait rien, ils vont continuer à se creuser.
06:59 Mais vous savez, dans les établissements privés, il serait possible de pratiquer, au fond,
07:02 une forme de solidarité entre les familles.
07:04 Que les familles qui disposent des moyens les plus importants contribuent davantage,
07:07 à travers les frais de scolarité qu'elles versent à ces établissements,
07:10 que les familles qui ne disposent pas de moyens.
07:12 Or, qu'est-ce que l'on constate ? C'est que, ce qu'on appelle peut-être une tarification sociale,
07:16 elle est très rare, en tout cas, elle est insuffisante dans ces établissements.
07:19 Moi, je pense qu'ils ont les ressources, par eux-mêmes,
07:22 pour répondre à une éventuelle baisse des moyens publics.
07:25 Et je veux dire que si je préconise cette baisse pour certains établissements,
07:29 pas pour tous, il existe aussi des établissements privés dont, par exemple, l'IPS,
07:32 l'Indice de Positionnement Social, est bas,
07:34 c'est pour dégager des moyens et les affecter aux écoles qui, elles, ne trient pas les élèves,
07:39 qui les accueillent tous sans condition, les écoles publiques.
07:42 - Merci beaucoup, Paul Vannier, député du Val-d'Oise,
07:44 co-rapporteur de la mission parlementaire sur le financement public de l'école privée sous contrat.
07:48 sous contrat.