Nicolas Sarkozy, François Fillon, Patrick Balkany... La liste des politiques condamnés à de la prison est longue. Mais parmi ces délinquants politiques, rares sont ceux qui ont passé une nuit en cellule.
Alors la justice est-elle plus clémente avec ceux qui nous dirigent ? Est-ce qu'il existe une justice à deux vitesses ? Dans cette vidéo, on vous propose de plonger dans le grand jeu de la justice pénale. Et on peut vous le dire d'emblée : dans ce jeu, tous les persos ne se valent pas.
Alors la justice est-elle plus clémente avec ceux qui nous dirigent ? Est-ce qu'il existe une justice à deux vitesses ? Dans cette vidéo, on vous propose de plonger dans le grand jeu de la justice pénale. Et on peut vous le dire d'emblée : dans ce jeu, tous les persos ne se valent pas.
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00:00 Jérôme Cahuzac, ancien ministre du budget, condamné à 4 ans de prison dont 2 fermes
00:07 pour fraude fiscale et blanchiment. Temps passé en prison, 0 jours.
00:12 Mjid El Gherab, ancien député, condamné à 3 ans de prison dont 1 ferme pour avoir
00:17 tabassé un collègue député qui passera 3 jours en réanimation. Temps passé en prison,
00:23 0 jours. Etienne Dedieu, ancien maire de Saint-Lysier,
00:27 condamné pour agression sexuelle sur octogénaire, prise illégale d'intérêt et vol de l'église
00:33 du village. Temps passé en prison, 0 jours.
00:36 La liste des délinquants politiques qui n'ont jamais vu la prison est longue.
00:40 Corruption, fraude fiscale, trafic d'influence. Depuis 2008, au moins 2270 élus ont été
00:46 condamnés par la justice en France. Parmi eux, plus de 700 ont été condamnés à de
00:51 la prison ferme. Mais seule une poignée d'entre eux a fini en cellule.
00:54 Parmi eux, des têtes d'affiches comme Bernard Tapie, Claude Guéant et bien sûr Patrick
01:01 Balkany. Mais de manière générale, rares sont ceux
01:03 qui finissent en cellule. Et même quand ils sont condamnés.
01:06 Mais alors pourquoi si peu de politiques finissent derrière les barreaux ?
01:09 La première raison, c'est que les politiques ne sont pas des justiciables comme les autres.
01:13 Déjà, dans le grand jeu de la politique, tous les personnages ne se valent pas. Le
01:18 plus dur à attaquer, c'est le président de la République qui dispose de l'immunité.
01:22 Ça veut dire que pour tout ce qu'il fait en tant que président, il est intouchable.
01:26 On appelle ça l'irresponsabilité. Si dans le cadre de ses fonctions, je dis
01:31 n'importe quoi, un président de la République donne une gifle à quelqu'un dans la rue,
01:34 et bien il ne se passe rien. C'est tout. La seule instance qui peut mettre en cause
01:39 le président de la République, c'est le Parlement qui peut le destituer.
01:43 Et ça, ça n'est jamais arrivé et c'est peu probable que ça arrive un jour, sachant
01:48 qu'en général, le président a la majorité à l'Assemblée Nationale.
01:51 Par contre, le président peut être jugé pour des faits qui ne sont pas liés à sa
01:55 fonction. Mais pour ça, il faudra attendre un mois après la fin de son mandat.
01:58 On appelle ça l'inviolabilité. Pendant 5 ans, tous les procès qui ont pu
02:02 ou qui pourraient être formés contre lui pour des actes de sa vie privée sont suspendus.
02:07 Donc quand Macron dit "le voleur responsable, il est devant vous, qu'il vienne le chercher",
02:12 c'est juste pas possible. Et c'est plutôt logique pour le dirigeant d'un pays.
02:15 Que des filtres existent, c'est normal. Sauf que chez nous en France, on n'a pas un
02:19 filtre, on a un bouchon. Avec son totem d'immunité, le président
02:23 est intouchable. Enfin, presque.
02:26 Nicolas Sarkozy, condamné à un enferme. Nicolas Sarkozy a été condamné.
02:31 Nicolas Sarkozy est condamné. Sur les 9 affaires de Nicolas Sarkozy, l'immunité
02:35 l'a sauvé 2 fois. Mais ça ne l'a pas empêché d'être condamné 2 fois à des
02:39 peines de prison ferme. Une première sous la 5ème République.
02:42 Le seul autre président à avoir été condamné à de la prison, c'est lui.
02:47 Mais Chirac n'avait pris que 2 ans de sursis pour détournement de fonds et abus de confiance
02:51 en 2011. Mais les présidents ne sont pas les seuls
02:54 à avoir ce précieux totem. Les parlementaires, c'est-à-dire les députés
02:58 et les sénateurs l'ont aussi, mais il est un petit peu moins puissant.
03:01 Tout ça vient du 19ème siècle. C'était au départ une protection démocratique.
03:07 C'était pour éviter que les règlements de comptes politiques ou des règlements de
03:13 comptes qui sont personnels, des vengeances, des choses comme ça, ne se traduisent par
03:16 des plaintes aux pénales. Alors, qu'est-ce qui se passe si un parlementaire
03:20 commet une faute ? Ses collègues vont pouvoir voter la levée de son immunité.
03:23 Nul, même si le parlementaire ne peut être indéfiniment au-dessus de la loi.
03:28 Sous la 5ème République, l'immunité parlementaire a été levée 49 fois. D'ailleurs, la première
03:33 fois, c'était en 1959 pour un certain François Mitterrand, alors sénateur de la Nièvre.
03:38 Pour certains, c'est presque devenu une habitude. Jean-Marie Le Pen, sa fille Marine et Bernard
03:43 Tapie comptent 3 levées d'immunité chacun. Un record quand on sait à quel point les
03:47 parlementaires peuvent être frileux à l'idée de renvoyer les collègues devant la justice.
03:51 Et c'est ça le plus gros problème avec le système d'immunité parlementaire.
03:55 Prenons l'exemple de Feu Serge Dassault, milliardaire et ex-sénateur de l'Essonne,
04:00 accusé entre autres d'achat de vote, de corruption et même de tentative d'homicide.
04:04 Bon là, c'est plus des casseroles, c'est des marmites. Les 26 sénateurs chargés de
04:09 se prononcer sur son immunité ont dû voter 3 fois avant qu'elle ne soit levée.
04:13 Ouais ouais, 3 fois.
04:14 En fait, comme le vote est secret, ses alliés de droite comme de gauche ont voté contre
04:18 jusqu'à ce que pour le 3ème vote, on passe à un vote public à main levée.
04:22 Et là, comme de par hasard, ils ont changé d'avis.
04:26 Nous sommes attachés au secret du vote qui est, j'allais dire, constitutionnel.
04:30 Imaginez que les personnes avec qui vous travaillez ont dit "attends, cette personne, elle pourrait
04:33 avoir commis un crime d'élite". Votre copain, votre copine, votre collègue. Votre premier
04:37 sentiment, dire "attends, je le connais, je lui ai serré la main, je vais la revoir
04:40 à la buvette de l'Assemblée la semaine prochaine, je vais la regarder dans les yeux,
04:42 je vais lui dire quoi ? J'ai voté contre ton immunité ? C'est pas possible".
04:47 Il y a des rapports de proximité qui, nécessairement, c'est pas une critique, c'est un fait.
04:52 Fausse le jugement et l'impartialité des personnes qui sont chargées de rendre une
04:56 décision.
04:57 Mais tout le monde n'a pas la chance d'avoir une immunité. L'élu local, lui, n'a pas
05:00 de totem, mais ça n'empêche pas d'avoir un certain sens du spectacle.
05:04 Comme Xavier Duguin, ex-conseiller régional d'Essone, qui a volé près de 1200 bouteilles
05:09 dans les caves du conseil régional pour les revendre. Ou cet ancien maire d'Alsace qui
05:13 a foutu le feu à 14 caravanes de gens du voyage parce qu'elles stationnaient sur
05:17 un terrain municipal.
05:18 Bref, certains élus locaux sont loin d'être des citoyens exemplaires.
05:22 Le nombre d'élus poursuivis a été multiplié par 4 en 20 ans. Et entre 2014 et 2020, c'est
05:28 près d'un maire sur 35 qui a été mis en cause au pénal.
05:31 En gros, qu'on soit maire, député ou même président de la république, quand on ne
05:35 respecte pas la loi, on va devant le tribunal correctionnel. Comme n'importe quel autre
05:39 citoyen.
05:40 Mais ça, ça n'est pas le cas des ministres et membres du gouvernement. Pour eux, c'est
05:44 différent, ils disposent de leur propre cour, la Cour de Justice de la République.
05:48 Une cour spécialement créée pour juger les membres du gouvernement, elle doit être
05:52 très très impartiale.
05:53 Ben non. Pas vraiment non.
05:56 La Cour de Justice de la République, c'est vraiment la French Touch en matière de responsabilité
06:00 pénale du gouvernement.
06:02 Un fonctionnement assez unique parce que devant cette cour, les politiques sont jugés par
06:06 des politiques.
06:07 Il y a 15 juges à la CGR, 3 magistrats professionnels et 12 parlementaires. 6 élus du Sénat et
06:14 6 de l'Assemblée Nationale. Des parlementaires qui, de fait, connaissent les ministres pour
06:19 avoir bossé avec eux au sein des mêmes partis.
06:21 C'est une anomalie institutionnelle caractérisée. Vous avez des amis, vous n'allez pas être
06:27 juge de vos amis.
06:28 Les politiques qui se jugent entre eux, c'est la principale critique qui est faite à la
06:33 CGR.
06:34 Dernier exemple en date, le procès d'Éric Dupond-Moretti, ministre de la Justice. C'est
06:38 la première fois que la CGR a jugé un ministre en exercice. Et dans ce procès, Paul Caccia
06:43 était témoin.
06:44 Il y avait au sein de la Cour de Justice de la République des parlementaires qui étaient
06:47 opposés politiquement à M. Dupond-Moretti. Bon ben ces parlementaires ont un peu jugé
06:52 contre M. Dupond-Moretti et c'est bien normal.
06:55 Il y avait des parlementaires renaissances et assimilés, de la même majorité politique
07:00 que M. Dupond-Moretti, qui avait sans doute un préjugé favorable à la gare du ministre.
07:03 Et c'est bien normal d'avoir un préjugé.
07:05 Cette collusion d'intérêts est en elle-même contraire au droit à un procès équitable.
07:09 Depuis sa création en 1993, la CGR a jugé 12 cas, 12 personnalités politiques de premier
07:15 plan pour des faits allant de la corruption à l'escroquerie, en passant par l'atteinte
07:20 involontaire à la vie. Les juges n'ont prononcé de peine que pour 5 des 12 personnalités
07:24 politiques poursuivies.
07:25 Et même dans cette décision-là, la clémence des juges a constamment été pointée du
07:29 doigt.
07:30 L'affaire Lagarde est une très bonne illustration de l'anachronisme de la Cour de justice
07:35 de la République. En juillet 2008, l'État a été condamné à payer quelque chose comme
07:39 440 millions d'euros à Bernard Tapie. Et cet arbitrage, extrêmement défavorable
07:43 aux contribuables nationaux, a été validé par la ministre de l'économie, Mme Lagarde.
07:48 Il se trouve que cet arbitrage était frauduleux. Il a fallu chercher les responsables de cette
07:54 fraude. Ses exécutants ont été condamnés par la juridiction pénale ordinaire, comme
07:58 ils devaient l'être, pour avoir été impliqués dans un arbitrage frauduleux. Mais la responsable,
08:02 elle, était justiciable de la Cour de justice de la République.
08:06 Mme Lagarde a été reconnue coupable. Coupable de négligence. Mais elle a été dispensée
08:11 de peine.
08:12 Bon, vous l'aurez compris, pas évident de juger des politiques en France.
08:15 Et même une fois devant le tribunal, ce qu'on observe, c'est que les politiques sont de
08:18 moins en moins condamnés.
08:20 Quand on parle de délinquance du personnel politique, on parle en général d'atteintes
08:24 à la probité, qui regroupent les classiques corruption, trafic d'influence et prise illégale
08:29 d'intérêt.
08:30 Et on a beau en parler beaucoup plus ces dernières années, avec des affaires hyper médiatisées,
08:33 on assiste paradoxalement à une chute des condamnations, qui ont diminué d'un tiers
08:38 entre 2000 et 2018.
08:40 Et si on condamne moins, c'est pas parce que nos politiques sont devenues exemplaires.
08:43 Le nombre de cas d'atteintes à la probité reste plutôt stable. C'est le nombre de
08:47 relax, c'est-à-dire de prévenus déclarés non coupables, qui augmente.
08:51 26,2%, c'est 3,5 fois plus de relax que pour le reste des infractions pénales.
08:57 Devant un tribunal, une procédure dure en moyenne un an.
09:00 Mais pour les affaires d'atteintes à la probité, on est sur une durée de 5 à 6 ans.
09:04 Des cas complexes, difficiles à juger, avec de nombreux protagonistes, particulièrement
09:09 bien défendus.
09:10 Les politiques font appel environ 5 fois plus que la moyenne.
09:13 Bref, juger des politiques en France, c'est toujours une tannée.
09:16 Mais c'est pas forcément le cas partout.
09:18 En Norvège par exemple, c'est tolérance zéro.
09:20 En 2020, on a vu un ancien député être condamné à 11 mois de prison ferme pour
09:25 des notes de frais fictives.
09:27 Alors qu'en France, il y a une certaine culture de la magouille.
09:30 Et c'est un fait, les Français tolèrent plutôt bien la corruption.
09:33 31% des Français ne dénonceraient pas des faits de corruption s'ils en étaient témoins.
09:39 La majorité d'entre eux se dit opposée à la délation par principe.
09:43 Seuls 49% des Français jugent très grave d'accepter des pots de vin contre 67% pour
09:49 la moyenne européenne.
09:50 Ainsi va la vie, c'est le milieu politique qui induit ça, c'est pas les personnes.
09:56 Ça c'est la force des élites, c'est de faire croire que l'espace social dans lequel
10:01 ils vivent est particulier, qu'il a ses règles propres.
10:03 Et que donc, la justice ordinaire n'y a pas sa place.
10:06 Et les premiers à être tolérants à la corruption, c'est les politiques.
10:10 En réalité, ils ne se perçoivent de fait pas comme étant des délinquants comme les
10:15 autres.
10:16 Et même quand ils sont en prison, on constate à travers des enquêtes qui sont menées
10:19 que la manière dont ils sont traités en prison, tant par leur co-détenu que par les
10:25 gardiens etc. est totalement différente des autres détenus.
10:29 Donc je dirais qu'il y a quelque chose qui n'est pas juste lié à la justice.
10:34 Nicolas Sarkozy, quand il est condamné à un an de prison ferme dans l'affaire Big
10:38 Lion, on l'amène pas en cellule, non, on l'invite au plateau de TF1 pour le journal
10:41 de 20h.
10:42 On me condamne à trois ans de prison, c'est une injustice.
10:47 Et il va terminer, et ça c'est magnifique, l'interview en demandant au journaliste.
10:51 Si vous n'aviez pas la conviction que j'étais un homme honnête, est-ce que vous me réserviez
10:56 un train d'accueil ?
10:57 Tout est dit, il y a vraiment un traitement différentiel à tous les niveaux et pas seulement
11:01 au niveau de la justice.
11:03 Ce traitement différentiel, c'est aussi ces peines de prison ferme purgées à domicile
11:07 comme Jérôme Causac qui a passé un moment à l'ombre, mais à l'ombre du soleil de
11:11 Corse.
11:12 C'est ici, derrière les murs de cette villa, que l'ancien ministre purge sa peine sous
11:16 bracelet électronique.
11:17 Des peines de sursis ou aménagées presque indolores qui se traduisent aussi par le fait
11:21 que chez nous, des élus condamnés n'ont aucun mal à se faire réélire.
11:25 Les politiques véreux ne finissent pas en prison.
11:28 Mais au final, est-ce que c'est si grave ?
11:30 L'emprisonnement, c'est vraiment la pire des solutions pour tirer les conséquences
11:37 d'un délit ou d'un crime.
11:38 Parfois c'est nécessaire.
11:39 Mais s'il y a des alternatives à l'enfermement, il faut les privilégier.
11:43 Et je pense que la mensuétude dont il est fait preuve à l'égard des politiques dans
11:47 l'aménagement des peines, c'est-à-dire soit par du sursis, soit par un bracelet électronique,
11:52 cette mensuétude-là devrait être la règle commune.
11:54 Il semblerait en tous les cas que la prison ou le système pénal de manière générale
12:00 n'a pas un effet dissuasif sur le passage à l'acte délinquant, quel qu'il soit.
12:06 En réalité, ce qu'on aimerait vraiment bien maintenant, c'est que tous ces hommes
12:10 d'affaires pourris, tous ces hommes politiques pourris, ils aillent un peu voir en prison
12:15 comment ça se passe, parce que ça suffit.
12:18 Mais ça, c'est qu'un instinct de vengeance primaire.
12:21 Et peut-être qu'on ne fait pas grand-chose d'intelligent avec ce type d'instinct.
12:26 Pour résumer, si les politiques ne vont pas en prison, c'est parce qu'ils sont
12:29 protégés, qu'ils sont très peu condamnés et qu'on a tendance à les pardonner.
12:33 Alors, si vous trouvez ça injuste, rappelez-vous qu'il y a une sanction qui, elle, marche
12:37 vraiment, c'est la sanction électorale.
12:40 Et elle, c'est vous qui la prononcez.
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