Le politologue, Guillaume Bigot, parle des propos maladroits d’Emmanuel Macron à propos du Rwanda : «Il est important de partir de l’idée que la responsabilité, ce n’est pas la culpabilité».
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00:00 Alors d'abord, ce qui est assez remarquable, c'est qu'on connaît le goût assez immodéré du président de la République pour les sommets internationaux, les réunions internationales et en même temps pour les commémorations.
00:11 Et là, se rendre au Rwanda pour le 30e anniversaire, très triste du démarrage de ce génocide, le 7 avril 1994, 30 ans jour pour jour, voilà, il a quand même résisté. Il n'y a pas été lui-même.
00:25 Donc déjà, ça c'est assez remarquable. Il a envoyé Stéphane Séjourné, qui est le ministre des Affaires étrangères, et c'est à noter aussi, il a envoyé un secrétaire d'État, qui est un jeune homme assez brillant, qui s'appelle Hervé Berville,
00:35 et qui est lui-même un enfant rescapé du génocide rwandais. Il a été ramené quand il avait 4-5 ans par l'armée française. Voilà. Donc ce sont des représentants à la place d'eux du président de la République.
00:48 Il y a eu aussi une sorte de couac de communication, on faisait allusion à cette vidéo. Cette vidéo, elle a été tournée dimanche, c'est-à-dire le 7 avril 2024, donc pour la date anniversaire.
00:58 Et il y a des éléments de langage, comme on dit, qui ont été communiqués par l'Élysée à la presse jeudi. Et dans ces éléments de langage, on apprenait que la France...
01:09 Il était question dans cette vidéo que le président de la République dise "la France aurait pu arrêter la France et ses alliés, le génocide au Rwanda, elle n'en a pas eu la volonté".
01:19 Evidemment, ça va beaucoup plus loin que toute reconnaissance de responsabilité, en particulier ce qu'avait dit le président de la République en 2021 en se rendant au Rwanda. Pourquoi ?
01:29 Parce que dire qu'on aurait pu l'arrêter, c'est comme non-assistance à personne en danger, c'est non-assistance à peuple génocidé. Donc on passe de la notion de responsabilité à la notion de culpabilité.
01:40 Et en réalité, il y a eu rétro-pédalage, puisque dimanche, il n'est plus du tout question de cette culpabilité. Dimanche, on reste, et le président de la République a cité la formule qu'il avait utilisée le 27 mai 2021.
01:53 Donc on reste dans les purs de "la France reconnaît une responsabilité, mais vraiment très large et assez imprécise à l'égard du Rwanda".
02:00 Donc évidemment, on se pose la question quand même toujours de la même chose, c'est le "en même temps". C'est-à-dire qu'il y a une vérité jeudi, puis il y a une autre vérité dimanche, qui n'est pas nécessairement compatible avec ce qui était prévu de dire jeudi.
02:10 Mais quelle est la véritable responsabilité justement de la France ? C'est la question qui se pose dans le génocide rwandais.
02:16 Bon, reprenons, je pense qu'il est très important quand même de partir de cette idée que la responsabilité, ce n'est pas la culpabilité.
02:22 Pendant la Seconde Guerre mondiale, lorsque les alliés refusent de bombarder les chemins de fer qui vont vers les camps de la mort, ils ont une sorte de responsabilité, mais en rien, ils ne sont coupables de la Shoah, bien sûr.
02:35 Donc la responsabilité, on peut être responsable quand on est un acteur de quelque chose d'aussi terrifiant qu'un génocide, et qu'on est partie prenante, on peut avoir une certaine forme de responsabilité, mais en rien, une culpabilité.
02:44 Là, la France, à l'époque, nous sommes en 1994, c'est François Mitterrand qui est le président de la République, Édouard Balladur est le Premier ministre, c'est une situation de cohabitation, et Alain Juppé est le ministre des Affaires étrangères.
02:54 La France, indéniablement, a une responsabilité, mais en rien, une culpabilité. Ceux qui ont massacré, ce sont les extrémistes Hutus, personne d'autre.
03:02 Mais la France, pourquoi elle a une responsabilité ? D'abord parce qu'elle est très proche du gouvernement Hutu à l'époque du Rwanda, c'est le président Abiyarimana.
03:11 Comme beaucoup de pays d'Afrique, il y a une fracture ethnique entre une majorité Hutu et une minorité Tutsi, qui a pendant longtemps, et notamment avant la colonisation, contrôlé le pays, c'est une sorte d'aristocratie.
03:22 Et le gouvernement proche de ceux, on va dire ça comme ça, des Hutus modérés, quelle est sa responsabilité ?
03:30 D'abord, on a essayé de rétablir un peu la paix avec la rébellion Tutsi, qui est armée par l'Ouganda, pays voisin, et qui est armée par les États-Unis aussi.
03:39 C'est un groupe armé qui s'appelle le FPR et qui essaye d'envahir le Rwanda Hutu, à ce moment-là.
03:46 Donc, première responsabilité de la France, on essaye de les mettre autour d'une table, ce sont les accords d'Arusha, qui datent d'août de 1993, et ça va échouer.
03:54 En fait, les accords ne seront pas appliqués, ne seront pas tenus. Ce n'est pas une culpabilité, c'est une responsabilité.
04:00 Ensuite, le déclenchement du génocide, c'est intéressant de revenir sur ce point, il arrive le 6 avril 1994.
04:08 Qu'est-ce qui se passe le 6 avril 1994 ? Il y a un avion, un petit avion privé, qui transporte le président du Rwanda, monsieur Abiyarimana, notre allié, et le président du Burundi.
04:18 Et il y a un missile qui est tiré et qui va détruire cet avion. Et c'est le signal du génocide qui démarre le lendemain.
04:25 Les extrémistes Hutus vont en profiter pour prendre le pouvoir et déclencher le génocide.
04:30 C'est un génocide particulièrement... Enfin, tous les génocides sont atroces, mais 800 000 morts en 100 jours, une sorte de génocide flash, à la machette, femmes, enfants, vieillards, c'est absolument épouvantable.
04:41 Autre responsabilité de la France, peut-être de ne pas avoir mesuré le risque, le danger imminent de ce génocide.
04:48 Ensuite, il y a un paradoxe dans cette affaire, puisqu'on pousse sans arrêt la France à reconnaître sa responsabilité, quasiment au bord de la culpabilité.
04:56 Le paradoxe, qu'est-ce que c'est ? C'est que les gens qui demandent à la France de reconnaître sa responsabilité, en réalité, sont plus responsables qu'elle dans le génocide.
05:04 Pas plus coupables. Ils ne sont pas plus et pas moins coupables que la France, mais plus responsables.
05:08 Ce sont les Anglo-Saxons, les Américains. A l'époque, c'est le président Bill Clinton.
05:12 Il va peser de tout son poids pour que le Conseil de sécurité des Nations Unies refuse une intervention militaire que demande la France.
05:19 Dès lors que le génocide démarre au Rwanda, le gouvernement français dénonce le génocide et prévoit d'intervenir militairement.
05:25 Seulement, à l'époque, nous n'avons pas d'avion de transport de troupes. On doit les demander aux Américains.
05:29 Le président Clinton dit non, vous n'aurez pas d'avion de transport de troupes.
05:32 Le gouvernement des États-Unis dit non au Conseil de sécurité, veto, nous nous opposons à une intervention militaire.
05:38 Alors, elle va finir par être autorisée, mais très tardivement.
05:41 Et ce qu'on reproche à la France, c'est d'être arrivé très tard.
05:43 Mais, justement, on a voulu passer par le droit international.
05:46 Peut-être qu'on peut reprocher à la France de ne pas avoir voulu agir seul. C'est possible.
05:50 On peut reprocher à la France de ne pas avoir eu d'avion de transport de troupes. C'est possible aussi.
05:53 Ensuite, on nous accuse aussi, en plus d'être arrivé tard, responsabilité de la France d'avoir aidé les génocidaires rwandais à fuir vers la République démocratique du Congo.
06:04 En fait, la politique de la France à ce moment-là, comme avant d'ailleurs le génocide, c'est d'empêcher les Hutus et les Tutsis de se massacrer.
06:11 Donc, il y avait déjà un massacre de Tutsis. C'est l'opération turquoise qui démarre au mois de juin jusqu'en juillet.
06:16 On essaie d'empêcher, on limite, disons, le génocide. Il y a déjà quasiment 800 000, presque 1 million de morts.
06:23 Il reste encore 5 millions, 6 millions de Tutsis qui seront épargnés.
06:28 Peut-être sans l'intervention militaire de la France, c'est important de le dire, ils auraient tous été massacrés.
06:32 En tout cas, ce qui est certain, c'est que le massacre des Tutsis s'arrête et beaucoup de Hutus fuient.
06:37 Et parmi ces fuyards, il y a aussi, bien sûr, les responsables du génocide.
06:40 En fait, la politique de la France est d'empêcher un contre-génocide et la suite de l'histoire, malheureusement, nous donnera assez raison.
06:46 [Musique]
06:50 [Sous-titres réalisés para la communauté d'Amara.org]