Alaska _ un village dévoré par la mer - Shishmaref - Documentaire Environnement

  • il y a 5 mois
Il pleut à Shishmaref. Température extérieure, 2°.
Tout serait normal si nous n’étions pas en Alaska au cœur de l’hiver.
"À cette époque, il neige et fait entre -23 et -30 degrés", déplore Tony Weyiouanna, un habitant de Shishmaref, ce village septentrional devenu tristement célèbre car il aura bientôt disparu, victime du réchauffement climatique.

Le permafrost diminue, les glaciers fondent, laissant les vagues atteindre le village et emporter les maisons les plus proches du bord de la falaise. Les habitants de Shishmaref, qui appartiennent au peuple Eskimo, craignent de perdre leur culture et leurs traditions quand ils auront à partir s'installer dans un endroit plus sûr mais moins adapté à leurs modes de vie.
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00:30Nous sommes dans le golfe d'Alaska, au pied de cette montagne, le village de Vitier.
00:59Une communauté de 200 personnes environ qui vit essentiellement de la pêche et du tourisme.
01:04Chaque week-end, près d'un millier de personnes vient observer cet endroit magique, une réserve
01:15naturelle. Ici, ce sont des loutres, autrefois chassées pour leur fourrure. C'est aujourd'hui
01:28une espèce en danger. Un peu plus loin, dans le fjord, nous croisons des masses sombres. Ce
01:41sont des phoques, endormis dans la glace. Nous ne pourrons pas les approcher, la glace est trop
01:47dense. Plus loin encore, nous apercevons des ailens. Tout au long de notre voyage, nous allons
02:00rencontrer des dizaines d'espèces d'animaux et autant d'oiseaux. Ici, c'est un véritable
02:07sanctuaire pour la faune et la flore.
02:14Dans ce fjord, on se sent très vite au bout du monde. D'ailleurs, quand on évoque l'Alaska,
02:19on parle de la dernière frontière. Mais ce paradis est bel et bien menacé.
02:38En 1959, l'Alaska est devenu le 49e état d'Amérique. C'est le plus grand des Etats-Unis,
02:50trois fois la taille de la France, avec 100 fois moins d'habitants, soit 650 000 personnes environ.
02:56L'Alaska concentre la moitié des glaciers de la planète. Il y en aurait actuellement près
03:03de 100 000 recensés. Ici, le plus grand est d'une superficie équivalente à un pays comme
03:10la Suisse. Leur forme les rend très sensibles au réchauffement du climat. En 50 ans, la température
03:18moyenne dans la région a augmenté de 2 degrés environ. Quelques degrés de plus et le paysage
03:24est bouleversé. Témoin, Bill Stevenson. Il vit depuis toujours près de ce glacier,
03:35une zone qu'il a vu évoluer de jour en jour.
03:38Quand j'étais enfant, en 1964, le glacier était ici. Il a reculé de 300 mètres et 100 mètres de
03:57plus, ce qui fait à peu près 400 mètres. Le réchauffement climatique est bien réel, croyez-moi.
04:07Voici l'une des conséquences les plus spectaculaires du réchauffement climatique.
04:15Bill Stevenson a vu ces blocs de glace s'effondrer.
04:22Chaque année, 15 kilomètres cubes de glace se détachent des falaises.
04:37Certains glaciers ont reculé de près de 600 mètres et ce n'est pas tout.
04:43Des villages entiers sont également fragilisés par la hausse des températures.
04:48Là aussi, les images sont spectaculaires. Elles ont été prises sur l'île de Chichemaref.
04:56Chichemaref, c'est notre premier état. L'île est située au nord-ouest de l'Alaska.
05:14Pour s'y rendre, un seul moyen, l'avion. Ici, nous approchons du cercle polaire.
05:32Après une heure de vol, nous apercevons Chichemaref. Avec ces images aériennes,
05:38il est difficile d'imaginer que ce village est une île de 5 kilomètres de long.
05:43Après huit mois d'hiver à moins 20 degrés, la mer est toujours prise par les glaces et la neige.
05:48Chichemaref est coincée dans la banquise. Dès le printemps, la physionomie est différente.
05:54A droite, c'est le détroit de Bering. A gauche, le lagon. En bas,
06:00tous les bateaux sont bloqués. Ici, on vit au ralenti.
06:04Chichemaref est comme coupée du monde. Un mois avant notre arrivée, c'était encore la nuit polaire.
06:18Une nuit quasi continue. Nous sommes en mai, c'est le printemps.
06:27Le village sort à peine de la torpeur de l'hiver. Les habitants profitent des premiers rayons de
06:37soleil. Désormais, jusqu'au mois de septembre, il ne se couchera plus. Deux heures de pénombre
06:44à peine entre 3 et 5 heures du matin. Il faut s'habituer à ce nouveau rythme.
06:49A Chichemaref, il y a une trentaine de familles. 600 personnes environ qui vivent de la pêche,
07:01de la chasse et de l'artisanat. Un artisanat bien présent. Ici,
07:10pour réaliser ces statuettes, on utilise les produits de la chasse ou de la pêche.
07:14Des vertèbres de baleines ou des défenses de morses. Une tradition qui remonte à près
07:24de 4000 ans. Chichemaref est une communauté inupiaque qui appartient à la grande famille
07:29des Esquimaux. Depuis 1959, ils sont tous américains. Mais ils ne semblent pas avoir
07:38adopté le mode de vie de leurs concitoyens. Ici, il n'y a pas d'eau courante. Un seul point
07:45d'eau potable pour tout le village. Régulièrement, chaque famille vient s'approvisionner à cette pompe.
07:52Toutes les semaines, je viens chercher de l'eau ici. Pourquoi ? Parce que nous n'avons pas
08:12d'eau courante. Il faut venir la chercher à la laverie. Pour nous,
08:22c'est le meilleur moyen d'avoir de l'eau. Un euro les 15 litres d'eau potable. Pour
08:33la douche ou la vaisselle, les Esquimaux utilisent de la glace fondue. En ville,
08:40il y a juste deux grands magasins, une poste, un dispensaire, une église luthérienne et une
08:46école. Pas de bar, pas de restaurant ni de cinéma. On est loin de la société de consommation. Et
08:53pourtant, cette île du bout du monde est bien américaine depuis près d'un demi-siècle.
08:59Au fond du village, nous rencontrons Fred Waiwana. Il a 23 ans. Il n'a jamais quitté
09:12Chichmaref. Ce matin, il est un peu en colère. Son motoneige en panne, sa journée est compromise.
09:18Car ici, il n'y a pas de garagiste, il faut se débrouiller seul.
09:23Avec votre motoneige, vous faites tout ?
09:30Pendant l'hiver, nous allons chasser. Nous faisons des balades dans la plaine. Et là,
09:38j'essaye de réparer mon engin pour aller chasser le canard.
09:49Sans motoneige, que pouvez-vous faire ?
09:53Pas grand chose, vous savez. Je reste à la maison ou je bricole autour. En principe,
10:06je joue au ballon, mais là, c'est le début d'été et le gymnase est fermé.
10:18Comme d'habitude, Fred a réussi à réparer seul son motoneige. Ce matin, il nous emmène
10:32dans l'un de ses coins préférés. Nous sommes sur le lagon qui, la plus grande partie de l'année,
10:37est gelé. Ici, les motoneiges ont remplacé les traîneaux à chien. Autrefois, il était
10:46possible de parcourir une trentaine de kilomètres sur cette banquise. Fred préfère s'arrêter après
10:5315 kilomètres. Au-delà, il le sait, la glace n'est plus assez épaisse pour supporter le poids
10:58de son engin. Et aujourd'hui, il ne chasse pas le canard, il pêche. Sa sœur Émilie l'accompagne.
11:08Tous les deux connaissent parfaitement la banquise et ses pièges. Ici,
11:15la couche de glace est de plus en plus mince. Les temps changent, la météo surtout.
11:23Là, la glace fait à peu près 20 centimètres d'épaisseur.
11:53Toute cette glace que nous avons ici derrière nous, la banquise, toute cette glace doit
12:02normalement rester gelée. Mais cet hiver, certains endroits ont dégelé. Et ça,
12:08c'est vraiment pas normal. Ce n'est pas bon. Ça doit rester solide toute l'année, vous savez.
12:23Aujourd'hui, Émilie et Fred sont plus prudents. Les premiers effets du réchauffement climatique,
12:29ils les observent en venant pêcher dans cet endroit qu'ils fréquentent depuis leur plus
12:34tendre enfance. C'est sous la glace que Fred a observé les premiers changements.
12:40À mon sens, l'un des effets du changement climatique est l'augmentation du nombre de
12:46poissons. L'été dernier, nous avons attrapé des espèces qu'on ne pêchait jamais ici auparavant.
12:51Ça change maintenant chaque année. Le temps est différent de ce que nous avons normalement.
13:00À mon avis, le monde est engagé dans un drôle de processus. Avant, nous étions dans une période
13:13froide. Et maintenant, ça devient de plus en plus chaud.
13:36Retour au village. En moins d'une heure, Fred a pris une cinquantaine de poissons.
13:44Un poisson qu'il fera sécher pendant un an avant d'être consommé par toute sa famille.
13:54Le poisson séché n'est pas le seul plat typique. Il y a aussi ses morceaux de baleine,
14:13un plat traditionnel chez les Esquimaux.
14:17Sous le même toit, trois générations cohabitent, soit sept personnes, une petite famille.
14:34Ardite est la chef de famille. C'est elle qui veille sur toute sa petite tribu.
14:42Et en ce moment, ce qui l'inquiète le plus, c'est ce climat qui se dérègle.
14:47Au moment du dégel, elle suit sur Internet l'évolution de la banquise.
14:51Chaque matin, dans la maison, elle affiche la carte satellite qui donne la position de la glace.
14:58La masse sombre, c'est l'eau libre. En clair, c'est la glace, la banquise.
15:10C'est très inhabituel de voir l'eau comme ça. Nous pensons que c'est à cause du réchauffement
15:22climatique. Ce n'est pas normal que la glace fonde si tôt. Il reste un peu de glace par là,
15:29mais dès que le vent du sud soufflera, ça partira. Ce n'était pas comme ça avant.
15:47Il n'y a pas si longtemps, la banquise entourait Chichmareff 8 à 9 mois de l'année.
15:52Aujourd'hui, avec le réchauffement climatique, elle ne reste plus que 5 mois au maximum.
15:57Le retrait de la banquise, c'est aussi le territoire de l'ours blanc qui se réduit.
16:02Un habitat naturel qui est menacé. Sur une glace disloquée, la chasse est devenue plus difficile
16:12pour les grands ours. Alors parfois, ils sont contraints de s'approcher des maisons pour
16:18trouver un peu de nourriture. Actuellement, il existe près de 5000 ours polaires en Alaska.
16:34Fred se souvient d'une rencontre avec l'ours blanc. Un face à face qui a finalement tourné à son
16:41avantage. Il garde sa fourrure précieusement. Plus tard, quand la peau sera bien sèche,
16:46sa mère en fera des vêtements. C'était vraiment un gros ours.
16:52Une nuit, nous étions à la maison et les chiens se sont mis à aboyer dehors. Je suis sortie pour
17:01voir ce qui se passait. J'ai regardé autour de moi et je me suis dit mon dieu, il se passe quelque
17:08chose. Je suis rentrée. Les enfants, allez voir dehors, il se passe quelque chose avec les chiens.
17:15Alors Fred a décidé de prendre son fusil et d'aller voir de plus près. Il y avait un ours,
17:26il a fait le tour derrière les motoneiges. J'attendais dehors. Oh, un ours polaire.
17:34Et il l'a eu. Il s'est enfui au premier coup de feu. Et comme je ne voulais pas qu'il revienne,
17:43j'ai tiré cinq fois. Un vieil ours. Dis-leur ce qu'il avait dans le ventre.
18:01Il avait une poubelle entière avec le sac. Et quand ma mère lui a ouvert le ventre,
18:14on l'a sorti. C'était vraiment une poubelle. Il était affamé.
18:20Des ours affamés contraints de chercher leur nourriture près des habitations,
18:34de nouvelles espèces de poissons dans le lagon. Une banquise qui rétrécit et qui dure moins
18:40longtemps. Shishmaref semble perdre le nord. Le niveau de la mer monte chaque année. Il ne
18:51descend pas, il ne fait que monter. Pourquoi ? A cause du réchauffement climatique, ça fait
18:57monter l'eau. L'eau monte parce que la banquise fond. Toute notre côte est en train de partir
19:08dans l'eau. A cause de l'érosion, la côte s'effrite. L'océan, c'est un élément que nous
19:23ne pouvons pas contrôler. Impuissant face à cette menace. Ici, on connaît malheureusement
19:38trop bien les risques liés à l'érosion. À 1h30 du matin, quelqu'un est venu tambouriner à ma porte.
19:49Il faut que vous sortiez de là. Le sol s'effondre sous votre maison. Elle va tomber. Alors j'ai
20:01réveillé ma famille. Il faut que l'on bouge, que l'on parte de là. Il faut surtout sauver ce qui
20:08est important et laisser le reste. On a réveillé les enfants, on a rassemblé l'essentiel. Un des
20:20gars qui nous avait réveillés était venu avec un camion. Avec 8 ou 10 gars, on a formé une
20:27chaîne humaine. Et nous avons chargé le camion avec nos affaires les plus importantes.
20:33C'était à l'automne 2003. La banquise aurait dû ressembler à ça. Mais les températures trop
20:44élevées ont retardé sa formation. En l'absence de glace, le vent a soulevé la houle. C'est un
20:52villageois qui filme. C'est une tempête comme celle-ci qui a emporté la maison de Raymond.
21:01A Chichemaref, ces 20 dernières années, les tempêtes sont devenues plus fréquentes. Ce jour-là,
21:11des pans entiers de l'île s'effondrent en bloc. Ces vagues qui frappent les côtes ne sont plus
21:17arrêtées par la banquise. Cette banquise qui, en temps normal, est une barrière naturelle contre
21:23les vagues violentes.
21:48Nous n'avons pas eu le choix. Quand j'ai perdu la maison, je suis parti et j'ai mis ma famille à
21:56l'abri. L'été, parfois, je vois une partie de la maison à côté de l'aéroport. La porte de ma
22:08vieille maison est là, enterrée. Quand je passe en voiture, je la vois se faire balayer par les
22:13vagues. A chaque fois que je repense à ma maison, je rêve qu'il n'y ait pas eu de tempête. Mais je
22:26n'y peux rien. J'habite près de la mer et c'est elle qui gouverne nos vies. Elle nous donne la
22:37nourriture qu'il nous faut. La mer, c'est comme notre supermarché. Vous savez, quand l'océan est
22:48calme et qu'il fait beau, le supermarché est ouvert. On peut sortir et aller chercher la nourriture
22:54qu'il nous faut. Mais quand il fait mauvais et qu'il y a la tempête, là, le magasin est fermé.
23:01Cette tragédie, Raymond n'est pas le seul à l'avoir vécu. La mer dicte sa loi pour le meilleur et
23:14pour le pire. Dans le village, d'autres maisons en préfabriqués sont tombées. Tout le monde s'en
23:19souvient. Tempête d'octobre 1997, puis une autre en octobre 2001. Aujourd'hui, 10 ou 12 maisons
23:28sont encore menacées. Il faut donc se résigner à les déplacer. Face à cet enjeu de taille,
23:37un homme de Chishmaref a été désigné pour organiser les déménagements. C'est Tony Waiwana.
23:43Il passe ses journées dans ce bureau, situé dans les sous-sols de l'église. À deux reprises déjà,
23:50il a monté des opérations, en coordination avec les autorités fédérales. Pour bien comprendre
23:56à quel point l'intervention est délicate, Tony tient à nous montrer un film. Pour être déplacés,
24:03les maisons sont soulevées et reposées sur des skis géants. Ensuite seulement,
24:10elles sont mises à l'abri, loin des côtes. Un des gars qui travaille là sur la vidéo,
24:16c'est un de mes jeunes frères.
24:17Toutes ces maisons ici et là, il a fallu les déplacer. Il y en a eu 18 que nous avons
24:43commencé à déplacer en 1998. En 1999, on a déplacé 13 autres maisons. Mais ce ne sont pas les
24:53seuls travaux qu'il doit coordonner. Avec le temps, il a constitué une banque de données et de photos.
24:58Elles rappellent les crises traversées par le village et les nombreuses tentatives pour
25:03limiter les dégâts. Pour éviter que ces vagues n'emportent tout le village, des digues, entre
25:16autres, avaient été construites. Mais elles ont toutes fini par céder et sombrer. Des millions
25:25de dollars en pures pertes. Ils appellent ça l'unreflex, l'anti-reflux. Mais ça n'a pas marché
25:35car ils ne l'ont pas fait assez haut. C'était trop plat, tellement plat que ça ne bloquait pas les
25:41vagues et elles passaient par dessus. C'était du sable de la ville, de mauvaise qualité. C'était
25:57trop grossier, alors quand les vagues le balayaient, ça s'écroulait, comme ça là, et comme ici aussi.
26:04Regardez, ici ça s'est effondré à cause du sable. Ça a été construit entre 1984 et 1986. C'était
26:22un projet de 360 mètres devant la ville. C'était joli quand ça a été construit, mais tout est parti.
26:30Autant de projets, autant d'échecs. Les autorités ont donc décidé de faire
26:45appel à des spécialistes. Tony Waiwana se rend justement à l'aéroport.
26:53Il doit retrouver l'un de ses experts, un glaciologue québécois de l'université d'Alaska.
27:01Le temps est compté, le scientifique ne peut rester que deux jours à Chishmaref.
27:10C'est la première fois que Daniel Fortier débarque ici. Il ne connaît Tony Waiwana
27:23qu'au téléphone. Pas de temps à perdre, Tony l'emmène directement à la plage.
27:29Il veut lui montrer les dégâts causés par les dernières tempêtes. Ici encore,
27:34il faut faire preuve d'imagination, car la banquise est toujours omniprésente.
27:39C'est ici que ça s'est effondré, c'est à cet endroit.
27:49Non, non, c'est pas tout à fait ici. Devant plutôt, il y avait la route qui passait là,
28:02jusque là. La route ? Ah oui, c'est ce que j'ai vu sur les photos. Vous voyez le bateau là-bas ? C'est
28:15là que je jouais au basket quand j'étais petit. Ah, tu jouais au basket sur l'eau toi ? C'est un
28:30drôle d'endroit pour jouer au basket. Avant, il y avait une plage d'une trentaine de mètres de
28:37large. Alors on pouvait s'amuser. Mais aujourd'hui, avec la montée des eaux,
28:44il n'y a plus de plage. Il reste à peine dix mètres. On voit aussi que les marées sont
28:53différentes. Quand j'étais petit, on voyait les marées monter et descendre. Ça allait doucement,
29:05mais maintenant, il n'y a plus de marée. Ça va très vite. On a du mal à s'imaginer qu'il y a
29:13du sable et de l'eau, non ? Quand c'est couvert de neige, oui un peu. Mais effectivement, on voit
29:21d'ailleurs les marques d'érosion dans la falaise un peu partout. Donc, c'est effectivement les
29:27vagues qui vont taper dans la falaise à cet endroit-là. Évidemment, l'hiver, c'est un peu
29:31plus difficile à s'imaginer tout ça. Mais à voir les marques d'érosion, les maisons qui s'effondrent
29:37derrière, il n'y a aucun doute qu'il y a un bon niveau d'eau durant l'automne ici.
29:44C'est exactement de cet endroit que ces images ont été prises.
29:47La maison au bord du précipice, la voici.
29:54En fait, cette maison est certainement plus célèbre que la Maison Blanche à Washington.
30:03Probablement pas aussi célèbre que la Maison Blanche, mais cette maison est
30:10devenue le symbole du réchauffement climatique en Alaska. Elle est tombée en 2004. Depuis,
30:16personne ne l'a touchée. Elle a fait les gros titres de certains journaux américains.
30:21Daniel entame ses travaux. Il ausculte le sous-sol de l'île. Il cherche à comprendre
30:32comment ces maisons basculent si vite dans l'océan. La violence des vagues n'explique pas tout.
30:37Le village repose sur du pergélisol. C'est un sol gelé en permanence, mais avec la hausse
30:45des températures, les tempêtes de plus en plus violentes, le pergélisol est fragilisé.
30:49Si on a une période sans glace, là, les vagues commencent à venir taper sur nos
30:59falaises. Puis plus cette période-là est longue, plus la période d'érosion est longue.
31:04Chishmaref est menacée à terme, premièrement parce que c'est petit. C'est très étroit. C'est
31:11pas très élevé. Puis effectivement, ici, il y a une dynamique où la glace disparaît assez
31:17rapidement. Donc à terme, évidemment, oui, c'est menacé. Quand on a des maisons,
31:23des infrastructures du village près de la côte comme ça, évidemment, il faut réagir assez
31:30rapidement. Manifestement, dans le cas ici, la réaction n'a pas été assez rapide. On a
31:34sous-estimé les taux d'érosion. Mais il faut bien comprendre que d'essayer d'arrêter ce
31:42processus-là, c'est illusoire. Illusoire. Avant même d'arriver à Chishmaref,
31:49Daniel Fortier savait que le combat était perdu d'avance. Le phénomène est inéluctable.
31:55Chaque jour, l'érosion s'accélère et touche la plupart des villages côtiers d'Alaska. Pour le
32:03glaciologue, il est impossible de se protéger efficacement. De toute façon, Chishmaref n'a pas
32:10les moyens. Le village est une toute petite communauté. 600 habitants qui vont devoir se
32:16résoudre à partir. Déménagés, oui, mais pas à quelques dizaines de mètres de la côte,
32:22à plus de 40 kilomètres d'ici, sur le continent, à Tinkrick, c'est la première hypothèse. Nous
32:30sommes dans le bureau de Tony Waiwana. Daniel va tenter de dissuader Tony d'un tel déménagement.
32:36Pour lui, à Tinkrick, les problèmes seront tout aussi importants. Ce serait donc une grave erreur.
32:42J'étais en train de regarder cette carte. Et c'est Tinkrick, le site qui a été retenu. C'est
33:03l'endroit où vous allez déménager, c'est ça ? Oui, c'est ça. Ce que je pense, c'est qu'à cet
33:16endroit, l'état du pergélisol est effrayant. Parce que je ne suis pas un chasseur ni un pêcheur. Mais
33:27je parle simplement du pergélisol. Ici, le sol est stable, mais à Tinkrick, mais c'est sûr que
33:36si vous voulez aller pêcher, il faut parcourir 15 kilomètres environ. C'est peut-être un peu loin.
33:44Oui, c'est peut-être un peu trop à l'intérieur des terres. Il reste encore beaucoup de travail
33:54à faire, beaucoup d'études à mener. Même si Tinkrick est l'endroit choisi, il y a d'autres
34:00sites plus près de l'eau qui seraient mieux pour accueillir le village. Mais tant que vous resterez
34:07près de l'eau, ça sera toujours problématique. En fait, toute la côte de Beaufort a le même type
34:18de pergélisol. C'est plein de petits lacs. Le sol contient plus de 50% de glace. C'est toujours
34:25un problème de construire dessus. Mais vous savez, si c'est bien construit, comme à Abaro,
34:34une grande ville au nord de l'Alaska, ça ira. Le problème reste l'érosion, quand on est trop
34:38près des côtes. Visiblement, les arguments du scientifique n'ont pas porté. Tony Waiwana fait
34:53comme s'il n'entendait rien. Daniel n'assiste pas. Le lendemain, nous retournons voir Tony. Il n'est
35:03pas plus loquace sur le futur déménagement. À notre arrivée, il préfère plaisanter sur les
35:07conséquences indirectes du réchauffement. Non, reste à côté de moi. Vous savez, parce que les
35:16conditions climatiques ont changé, nous avons aussi changé notre style de vie. Beaucoup d'entre
35:27nous étaient des chasseurs. Mais maintenant, beaucoup d'entre nous ne sont plus que des amants.
35:33Plus tard, il nous avouera que le déménagement a déjà été accepté. Les habitants ont voté
35:46pour Tin Creek. Un vote à la majorité. Il serait préférable que tout le monde parte. Quand ? On a
36:01déjà commencé à remblayer la route. Et on espère commencer la construction des maisons dans trois
36:14ans environ. Et après, on commencera à déménager. En attendant de déménager éventuellement à Tin
36:30Creek, Tony continue de préparer pour sa famille l'une des spécialités locales. Qu'est-ce que c'est
36:37Tony ? C'est une crème glacée Eskimo. C'est à base de graisse de caribou et d'huile de phoque
36:47mélangée avec du sucre, du lait et des bédérins.
37:07De l'autre côté du village, nous rencontrons Clara et Shelton. Ils s'apprêtent à partir. Il
37:37est 23 heures. Ils chargent leur motoneige. Ils vont passer quelques jours de l'autre côté du
37:42lagon sur le continent. Pourtant, ils ne partent jamais l'esprit tranquille. On est inquiets,
38:01c'est sûr. Ils n'ont jamais mis de rochers pour protéger notre maison. Je ne sais pas pourquoi,
38:10sur la plage, ils n'ont rien mis. Ils n'ont pas fait ce qu'ils avaient dit. Ils n'ont rien mis
38:20derrière la maison. On va mieux comprendre la réaction de Clara en regardant où est située
38:31sa maison. C'est la bleue au fond. Elle aussi est sur le point de s'écrouler.
38:37A l'intérieur, dernier préparatif avant le départ en week-end. Clara plume les canards. Son mari,
38:53lui, veut nous montrer qu'il ne peut jamais oublier la menace. Elle est sous leurs yeux.
39:01On voit qu'on est tout près de l'océan. Il y avait une rue qui descendait par là,
39:08et une grande colline. Il y avait aussi une maison en face de celle-ci,
39:18et encore une autre, peut-être 300 mètres de l'autre côté de la rue.
39:25Je resterai dans cette maison jusqu'à ce qu'elle tombe. Je vais rester dans cette
39:51maison jusqu'à ce que je la perde. De toute façon, on ne pourra pas la bouger.
39:56Dans le village, tout le monde le sait, Chichmareff est condamné. Les scientifiques
40:11prévoient que l'île pourrait devenir inhabitable avant 2015. Malgré les réticences des plus
40:19anciens, le transfert de tout le village aura bien lieu. Le déménagement est programmé,
40:24un défi pour toute la communauté inupiaque de Chichmareff. Déménager sans se perdre.
40:31Le dimanche, tout le monde se retrouve à l'église luthérienne. Un coup de pouce
40:41venu du ciel serait le bienvenu. Mais ces prières des fidèles suffiront-elles pour
40:50réussir le déménagement à Tinkrick ? Loin d'ici, à Washington, les autorités américaines refusent
40:58cette option. Trop chère. En fait, elles veulent transférer le village à Nome, à plus de 200
41:04kilomètres d'ici. Pasteur Rob n'est ici que depuis quelques mois. Il arrive de Seattle. Ces
41:15derniers temps, toutes les conversations tournent autour de ce transfert. Tinkrick ou Nome ? Comme
41:22tous les habitants, ils s'interrogent. J'ai quelques doutes concernant le déménagement à
41:38cause de l'argent. J'ai entendu parler de plus de 80 millions de dollars juste pour déménager le
41:45village. Il leur faut trouver un lieu compatible avec le mode de vie des habitants. Quand les
41:52gens parlent de déménager, il faut juste leur rappeler qu'il s'agit d'une communauté qui se
41:56nourrit de ce qu'elles pêchent ou chassent. Ils ont besoin d'être près de l'eau, de pouvoir mettre
42:02leur bateau à l'eau pour pêcher. Et être près des phoques, car quand le printemps arrive, ils vont
42:10chasser le grooke, le phoque barbu. Des réserves et des questions qui se bousculent. Que deviendront
42:19ces tombes ? Les sépultures seront-elles transférées à Tinkrick ou à Nome ? Personne ne le sait. Et
42:27que deviendront les traditions ancestrales ? Il se peut qu'on doive partir un jour. C'est ce que
42:35j'ai entendu dire par les gens du village. Mais nous aimons notre île. On peut aller à la cueillette
42:40et quand on a du temps, on va sur la rivière serpentine en bateau. À partir de maintenant,
42:49on va aussi pouvoir aller à la chasse aux phoques barbus et faire sécher la viande.
42:55Je suis née ici. Pour tous les habitants, sans exception, aller à Nome serait signer l'arrêt de
43:13mort de la culture inupiaque. Qu'en pensent les enfants de Shishmaref ? Eux qui sont les
43:19garants de ces liens communautaires. Plus tard, ils devront transmettre à leur tour les coutumes
43:24esquimaux. Lucie est l'une des institutrices du village. Elle appartient à la communauté inupiaque
43:31dont elle connaît la moindre coutume. Elle veut sensibiliser ses enfants aux dangers qui les
43:42menacent. Ce réchauffement climatique, objet d'une angoisse permanente. A-t-on beaucoup d'érosion
43:52sur nos plages ? Oui. Effectivement, on en a beaucoup. Que peut-on faire pour lutter contre ?
43:59Bouger les maisons. Nous devons bouger toutes les maisons ? Ok. Donnez-moi les raisons pour
44:05lesquelles il serait préférable de déménager à Tin Creek. On pourrait perdre notre culture et nos
44:13valeurs. On pourrait perdre notre culture et nos valeurs ? Que veux-tu dire par là ? On ne pourrait
44:19plus chasser le phoque et ramasser des baies. Chasser le phoque, ramasser des baies ? Oui,
44:25c'est bien. Shishmaref est une ville où l'alcool est interdit. On ne peut pas en importer ou en
44:33vendre. À Nome, il y a beaucoup de bars et cela pose beaucoup de problèmes. Et puis Nome n'est
44:44pas notre terre. Il n'y a pas d'endroits pour nous là-bas. Alors qu'ici, on peut cueillir des
44:53baies, chasser, pêcher. On peut aller partout sur nos terres. Si on va à Nome, on perdra tout ça.
45:04Pour Lucie, en cas de déménagement, les Inupiaques n'ont qu'une seule chance de
45:13conserver leur tradition. Rester à proximité de cette région. À ses yeux, Tin Creek est le seul
45:20endroit possible. Ailleurs, elle pense que ce mode de vie finirait par s'éteindre. Comme la majorité
45:28des habitants de Shishmaref, Lucie est très attachée à son île. Mais elle sait aussi qu'un
45:33jour ou l'autre, ils devront tous partir. Le temps et le climat jouent contre eux. Une preuve de plus,
45:40juste avant notre départ. Le dégel arrive encore beaucoup trop tôt. Avec le réchauffement
45:49climatique, ce sont tous les villages côtiers d'Alaska qui sont menacés de disparition.
46:02Et nous allons le constater. Retour dans la région des glaciers à l'intérieur des terres,
46:06à plus de 1000 kilomètres de Shishmaref. La fonte des glaces est aussi perceptible.
46:15C'est ici que l'on étudie le mieux le pergélisol. Nous sommes sur le glacier de Matanuska. Daniel
46:24Fortier, le glaciologue de l'université d'Alaska, vient aussi ausculter cette région,
46:29deux fois par an. Il est accompagné d'un scientifique russe et de deux étudiants.
46:37Première mission, choisir la meilleure parcelle du glacier, celle qui leur permettra d'obtenir
46:43le maximum d'informations sur le réchauffement de la planète. Durant cette sortie, Daniel fera
46:52une quinzaine de prélèvements. Aucun lieu n'est choisi au hasard. A chaque fois, il revient sur
46:59les traces de ses précédents passages. Son objectif, comparer et mesurer la quantité de
47:05glace dans le pergélisol. Ce que tu aperçois ici, qui est noir à transparence, c'est la glace. Puis
47:15les bandes ici, c'est le sédiment qui contient aussi de la glace. On a des petits graviers à
47:20travers. Le pergélisol, autrefois, c'était considéré comme étant une couche qui était
47:26stable. Là, avec le réchauffement du climat, ces zones-là qui sont près de zéro, qui contiennent
47:30de la glace, commencent à fondre. Et puis là, ça tasse. Donc, toutes les infrastructures, comme les
47:35routes, ça pose des problèmes. Bon, des dépressions dans les routes, les chemins de fer qui peuvent
47:41à peine tolérer un tassement. Évidemment, ça va dérailler. Donc, de plus en plus, on a des études
47:47qui font appel aux connaissances dans le pergélisol. Il y a dix ans, le pergélisol n'intéressait
47:55personne. Aujourd'hui, ce sol gelé depuis des millénaires est au centre de toutes les études
48:01liées au réchauffement climatique dans le Grand Nord. Il y a des scientifiques qui essayent de quantifier
48:10ce que pourrait être la hausse de la fonte des glaciers, des calottes glaciaires associées avec
48:16l'expansion de l'eau. Et puis là, ça fait des hausses quand même assez marquées. C'est pas
48:21nécessairement dans un futur très rapproché, mais quand même. On parle de quelques mètres,
48:26là. Puis à ce moment-là, bon, il y a plusieurs populations qui sont bâties dans des régions basses
48:31qui vont être affectées très rapidement. Pour Micha, son collègue russe, ce n'est pas une
48:39surprise. Lui aussi connaît parfaitement les effets des hausses des températures sur ces sols gelés.
48:46Tout le monde sait que le réchauffement climatique est en cours. Et maintenant,
48:55il faut vraiment que l'on connaisse le taux et la structure de la glace dans le pergélisol.
49:01Surtout si ça continue de se réchauffer comme ça. C'est sûr que le pergélisol se réchauffe
49:12tout doucement. Mais même si on ne devrait pas s'en effrayer dans l'immédiat,
49:18le processus est en marche. C'est inéluctable. L'enjeu est de taille. Avec la fonte du pergélisol,
49:30c'est un territoire grand comme 27 fois la France qui se dérobe sous les pieds de
49:344 millions d'habitants. C'est l'Alaska qui s'enfonce. Pour Daniel et son équipe,
49:42la journée est terminée. Pourtant, sur la route du retour, Daniel tient à nous
49:48montrer une nouvelle conséquence de la fonte du pergélisol. Nous longeons l'une des plus
49:53grandes forêts des Etats-Unis. Une forêt défigurée. Des centaines d'arbres sont au
50:01sol. D'autres sont inclinés et penchent dans toutes les directions.
50:06En anglais, on appelle ça les « drunken forests ». C'est des arbres qui penchent en tête.
50:12Et puis, on appelle ça aussi, on peut traduire les forêts ivres. Puis ça, c'est des arbres
50:19qui ont poussé sur un sol qui est gelé, donc le pergélisol. Et puis quand cette couche
50:25gelée-là se déstabilise, il y a du tassement. La glace fond, donc ça perd du volume. Il
50:30y a du tassement. Puis là, à ce moment-là, les arbres commencent à pencher d'un côté
50:34et de l'autre. Ça arrive de façon naturelle. Mais si on a un réchauffement climatique,
50:39ça va être accéléré. La fonte du pergélisol, la déstabilisation du pergélisol, en général,
50:44c'est problématique. Que ce soit pour tout ce qui est infrastructure, évidemment. Mais
50:49même les écosystèmes, c'est quand même un gros changement.
50:54Des arbres couchés, des glaciers qui fondent par blocs et tombent à la mer, des villages
51:01qui disparaissent. Les températures ici montent plus vite qu'en n'importe quel autre endroit
51:09de la planète. L'Alaska est à l'avant-poste du changement climatique.
51:15Ironie du sort, les Etats-Unis, souvent montrés du doigt pour les dommages qu'ils causent
51:19à l'environnement, sont ici les victimes du réchauffement climatique. Une situation
51:25qui, pour le moment, ne change rien à leur comportement. Ils restent les premiers pollueurs
51:29au monde. A eux seuls, ils produisent toujours davantage d'émissions de gaz à effet de
51:35serre que les autres pollueurs du monde.
51:39A eux seuls, ils produisent toujours davantage d'émissions de gaz à effet de serre que
51:45l'Amérique du Sud, l'Afrique, le Moyen-Orient, l'Australie, le Japon et l'Asie réunies.
52:09Sous-titres réalisés para la communauté d'Amara.org

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