Olivier Casas, réalisateur du film "Frères", Michel de Robert, dont l'enfance a inspiré le film, sont les invités du Live Switek sur BFMTV.
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00:00 Michel, malgré la vie dans la forêt, le froid, la difficulté,
00:04 vous semblez avoir des souvenirs heureux de cette période.
00:08 Oui, on a été effectivement très heureux parce qu'on a cette liberté de
00:13 pouvoir
00:14 de pouvoir comme des enfants, de pouvoir jouer, de pouvoir sauter
00:19 et monter dans les arbres, aller dans la rivière,
00:21 attraper des poissons, c'est un vrai bonheur.
00:24 On rit,
00:25 on se
00:28 on se lance dans les blés, on court, donc tout ça c'est que du bonheur.
00:34 C'est que du bonheur et les difficultés, on les rencontre simplement
00:38 pratiquement avec les problèmes de la météo, le froid.
00:41 Oui parce qu'on est dans les années 40, fin des années 40, années 50,
00:45 il faisait vraiment très froid, les hivers rigoureux à cette époque c'était pas du tout
00:48 ce qu'on connaît aujourd'hui.
00:50 Oui, moi j'ai mémoire vraiment de périodes très très froides
00:55 et là c'est difficile parce qu'on se demande,
00:58 on dort l'un contre l'autre enlacé, et là on se demande si le matin on sera là.
01:04 On est dans les bras l'un de l'autre, on s'endort comme ça quand il fait très froid,
01:07 on apprend tout ce qu'on a pour se couvrir, pour se réchauffer,
01:11 y compris s'entourer dans un tas de feuilles.
01:18 Et ça va plus loin que je te donne la chaleur de mon corps,
01:23 c'est "je te serre contre moi pour que tu vives".
01:26 Il faut quand même que vous nous racontiez, parce que des enfants de notre époque
01:29 survivraient pas en forêt. Comment vous avez fait vous ?
01:31 Vous, vous étiez plutôt à construire les cabanes, votre grand frère qui était un peu plus âgé,
01:36 lui chasser, vous nourrissez ?
01:38 Oui c'est exactement ça, c'est ce que je raconte et c'est la vérité.
01:42 En fait on a une complémentarité extraordinaire.
01:45 On est de deux pères différents, on a probablement des caractères totalement différents.
01:50 Et ce qui se passe c'est que moi je suis...
01:54 quelque part j'ai un don, on peut avoir un don de la musique ou du dessin,
01:58 j'ai un don pour fabriquer.
02:00 Donc en fait ça va être ma tâche principale.
02:02 Je vais réaliser les cabanes, je vais fabriquer les couteaux, je vais fabriquer
02:06 tout ce dont on a besoin.
02:08 Mais je vais demander à Patrice
02:10 de me trouver les choses.
02:13 Est-ce que tu peux me trouver un bidon parce que je veux faire un récipient ?
02:16 Bon il va arriver avec le bidon et je vais faire le récipient.
02:18 Voilà, en fait ça va fonctionner comme ça.
02:21 Et c'est un paramètre qui est très très important parce que ça veut dire
02:25 qu'il y a toujours le respect
02:27 du travail de l'un par rapport à l'autre
02:30 et il n'y a jamais de conflit.
02:32 C'est-à-dire que le conflit, vous construisez une cabane et vous êtes à deux
02:35 à vouloir un mettre le bout de bois vertical, l'autre le bout de bois horizontal,
02:39 forcément ça va générer des tensions.
02:41 Elles n'ont jamais existé.
02:43 Il y a l'idée de s'épater au contraire ?
02:45 S'épater l'un l'autre, s'impressionner,
02:47 se faire plaisir ?
02:48 C'était surtout s'impressionner et s'épater l'un l'autre.
02:52 Il y a beaucoup d'animations entre vous deux.
02:55 Olivier l'a montré particulièrement dans le film sur une petite image
03:00 où on voit Patrice qui arrive avec un lapin, ses bidons, etc.
03:05 Et en fait quelque part il n'y a pas de dialogue.
03:07 Mais qu'est-ce qu'il dit ? Il dit "Regarde Michel tout ce que j'ai trouvé".
03:11 Et moi je suis là, je dis "Ah c'est formidable".
03:12 Mais parce qu'il y a tout, dans cette image il y a la fierté, il y a la survie aussi.
03:16 Et donc même ça, pour répondre à ce que vous m'avez posé à la première question,
03:20 même ça c'est du bonheur.
03:22 Oui, et puis c'est une motivation aussi de se dire qu'on fait les choses
03:25 pour se protéger, pour se nourrir,
03:27 mais on fait aussi les choses pour rendre fier l'autre.
03:31 Et donc je pense que ça a été une grande motivation aussi pour eux.
03:34 Comment ça vous est venu cette idée Olivier de raconter à deux cette histoire ?
03:37 Parce qu'on parle de quelque chose qui s'est passé il y a presque 80 ans.
03:40 Pourquoi maintenant ?
03:41 C'est l'histoire d'un bout de bois taillé par Michel qui vous a impressionné je crois.
03:45 En fait ce qui m'a surpris c'est que moi ça faisait déjà 10 ans que je connaissais Michel
03:48 et on se côtoyait, on faisait partie de bande de copains
03:51 où on se voyait vraiment très souvent, tous les jours même.
03:54 Et on a...
03:55 Pour moi ce qui a été intéressant c'est que j'avais une image de Michel
03:58 qui était celle d'un architecte du 17ème,
04:00 avec un nom à particules, un monsieur très élégant,
04:03 qu'il est toujours d'ailleurs, mais en tout cas avec une image un peu de notable.
04:09 Et on a passé un week-end ensemble avec plein de copains de cette bande
04:14 et je l'ai surpris au bord de la piscine à tailler un bout de bois avec un couteau
04:17 comme l'aurait fait un Indien Chiroqui et ça m'a complètement interpellé.
04:21 Et naïvement je me suis approché de lui en lui disant
04:23 "Michel, il y a quelque chose que tu ne m'as pas raconté"
04:25 et il a eu un petit sourire et il m'a dit "Tu sais j'ai eu une enfance un peu particulière".
04:29 Et j'ai tout de suite été fasciné par cette histoire
04:34 mais au-delà de la surprise et de la fascination que ces deux enfants aient survécu pendant 7 ans,
04:40 surtout ce qui m'a fasciné c'est le lien d'amour avec son frère.
04:42 C'est l'histoire d'amour entre deux frères qui vivent un bonheur
04:45 et qui ont un lien qui est totalement hors norme.
04:48 Qui vont d'ailleurs se retrouver à l'âge adulte en pleine nature.
04:51 Absolument, et en fait la force de vivre enfant
04:56 c'est vraiment lié à cet amour incommensurable qu'on avait entre nous.
05:03 Cette complémentarité elle est aussi dans l'amour, ça décuple.
05:08 C'était impossible de vivre l'un sans l'autre et du reste ça nous poursuivra toute notre vie.
05:16 On gardera cette histoire pour nous, on se la racontera très souvent.
05:22 Vous ne l'avez raconté d'ailleurs vous qu'après la mort de votre frère.
05:25 C'était un secret jusque-là.
05:26 Tant que Patrice était là on se la faisait entre nous.
05:29 On avait besoin de se raconter, on avait besoin de ses souvenirs, on avait besoin de là.
05:33 Et cette phrase de Patrice qui dit "Mais Michel on a commencé par la faim,
05:38 on a commencé par le meilleur"
05:40 ça montre à quel point cette période a été intense au niveau du bonheur
05:45 et intense au niveau de l'amour.
05:47 Et que dans la vie après, comme les traumatismes sont là,
05:51 il n'arrive pas à refaire son intégration.
05:57 À trouver la saveur à la vie, c'est ça qui est magnifique.
06:00 Ce qui apparaît comme étant la partie dramatique
06:04 est en fait tellement belle et tellement lumineuse et sublime
06:08 que la vie dans la société, dans les contraintes de la vie,
06:14 dans les obligations, devient impossible.
06:17 D'ailleurs je rebondis sur ce côté notable.
06:19 C'est vrai que vous êtes très élégant.
06:20 Michel vous êtes devenu architecte.
06:23 Non mais Patrice était médecin alors que vous avez passé des années en forêt
06:27 sans aucune instruction, une enfance plus que cabossée.
06:29 Et pourtant tous les deux vous allez faire des études brillantes.
06:33 Écoutez, ça c'est aussi les aléas de la vie, la chance, l'envie de se battre
06:38 et surtout, comme toujours pour tous ces enfants,
06:42 l'envie d'être comme les autres.
06:44 Et l'envie d'être comme les autres, elle vous donne aussi de la force.
06:47 C'est-à-dire que c'est vrai que quand on regarde,
06:50 on se dit "bon lui il a eu la chance de...
06:52 lui il a pu faire ça etc. et pas moi".
06:55 Mais à ce moment-là, on prend le taureau par les cordes, c'est vrai.
06:58 Et on se dit "bon, il faut que j'y arrive".
07:01 Et en même temps, il y a des paramètres dans la vie qui sont insoupçonnés.
07:06 C'est-à-dire que vous rencontrez aussi des gens qui vous tendent la main,
07:09 vous rencontrez des gens qui vous aident.
07:10 - C'est comme ça que vous sortirez de la forêt d'ailleurs ?
07:12 Un ostréiculteur notamment qui va vous aider ?
07:14 - Oui, l'ostréiculteur c'est formidable parce qu'il va nous apprivoiser.
07:21 Parce qu'on est, entre guillemets, extrêmement difficile, extrêmement méfiant.
07:26 Patrice a toujours ce traumatisme du départ dans la tête.
07:31 Donc cette méfiance, elle perdure.
07:33 Et en fait, cet homme, il va nous amadouer,
07:39 il va prendre le temps.
07:41 Dans le film, on est pour des raisons de durée.
07:45 Il faut faire... on montre ce que c'est,
07:47 mais dans la réalité, c'est vraiment apprivoiser, c'est vraiment le mot.
07:52 - C'est pour votre frère qu'aujourd'hui vous la racontez cette histoire ?
07:55 Au grand public, à tous ?
07:57 - C'est pour Patrice, parce que c'est un hommage à mon frère.
08:01 Et ça me permet de le voir en vivre, mais dans l'amour.
08:10 Et je l'ai raconté aussi pour Olivier, qui est un jeune réalisateur.
08:16 Et je l'ai raconté parce que pour moi, le prix à payer, il n'est pas important.
08:22 Pour lui, j'ai considéré que c'était important.
08:25 Donc quelque part, la transmission, c'est quelque chose d'important.