Jean-Claude Schlinger, expert en balistique auprès de la Cour de cassation, dévoile à Dominique Rizet toutes les subtilités de sa spécialité. Il explique les différents types d'armes, les douilles, les résidus de poudre, etc,. à partir de trois affaires : le "tueur de l'ombre" qui a sévit dans l'Oise à partir de 1969 ; la mort mystérieuse de Jeanine Deulin, en 1987, et l'affaire du berger de Castellar tué de plusieurs coups de fusil le 17 août 1991.
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00:00 L'arme du crime, cette formule consacrée, ces trois mots qui résonnent comme une marque déposée dans les affaires criminelles.
00:06 Mais quelle arme ? Et pour quel crime ?
00:09 Révolver, pistolet, fusil et la balle. Et la trajectoire ?
00:13 Marcel Barbeau, le tueur de l'ombre.
00:16 L'étrange suicide de madame Delain.
00:18 L'exécution du berger de Castellar. Dire la poudre à parler, c'est parfois parler un peu vide.
00:24 Putain !
00:25 Jean-Claude Schlinger, expert en balistique, qu'est-ce que ça veut dire ?
00:37 Eh bien, un expert en balistique est un technicien qui a la connaissance des armes, des munitions, de la balistique,
00:45 de la criminalistique, de tout ce qui s'attache à l'usage d'une arme.
00:49 Qu'est-ce que la balistique nous apporte dans les affaires criminelles ?
00:53 Alors dans les affaires criminelles, la balistique est importante puisqu'elle permet
00:56 de déterminer la position des protagonistes, par exemple au moment des coups de feu.
01:02 Hauteur victime.
01:03 Voilà. De calculer les distances de tir,
01:06 de calculer également les trajectoires avec précision,
01:10 d'effectuer des tirs d'essai, de comparaison pour déterminer si une balle ou une douille
01:16 retrouvée sur une scène de crime provient d'une arme donnée.
01:20 Vous nous avez apporté quelques spécimens d'armes, expliquez-nous comment ça fonctionne.
01:26 Alors on va commencer par une arme de poing.
01:30 Le revolver possède un barillet, qui est cette pièce cylindrique,
01:33 dans laquelle on place les cartouches.
01:36 Et cette arme peut être utilisée soit en armant préalablement le chien, qui se trouve ici,
01:42 et après quoi on appuie sur la détente.
01:45 Et ça, ça s'appelle comment ?
01:46 Ça s'appelle le tir à simple action.
01:49 Soit en exerçant une longue pression sur la détente,
01:51 ce qui va faire tourner le barillet d'un sixième de tour,
01:54 armer le chien, qui va retomber en fin de course.
01:57 Et ça, ça s'appelle ?
01:58 Ça, ça s'appelle le tir en double action.
02:00 Double action parce que le chien recule et revient.
02:02 Voilà. Tout à fait.
02:03 Révolver et ?
02:06 Et pistolet semi-automatique.
02:08 Donc la différence principale, c'est que le pistolet semi-automatique possède un chargeur,
02:14 dans lequel on va placer les cartouches.
02:18 Ce chargeur est introduit dans la poignée de l'arme.
02:20 Après quoi, on va armer la culasse en la tirant en arrière.
02:26 On la laisse revenir.
02:28 Ce mouvement permet à une cartouche de monter dans la chambre.
02:32 Lorsque l'on appuie sur la détente, on déclenche le coup de feu.
02:35 Sous l'effet des gaz de combustion de la poudre, la culasse recule,
02:40 éjecte la douille percutée, revient en avant et introduit la cartouche suivante.
02:46 Donc on a vu, Jean-Claude Schlinger, les armes de poing.
02:49 Et maintenant on regarde les armes d'épaule.
02:51 Expliquez-nous la différence entre celles qui sont ici.
02:53 Alors là, vous avez trois armes d'épaule.
02:55 Deux qui sont en calibre 22 long-rifle.
02:57 Une carabine à un coup, qui est ici, dont le fonctionnement est très simple.
03:04 Cette arme possède une culasse que l'on ouvre pour placer la cartouche directement dans la chambre.
03:09 On referme ensuite la culasse et le fait d'appuyer sur la détente déclenche le coup de feu.
03:15 Une seule fois ?
03:16 Une seule fois.
03:17 Un coup.
03:18 Si on veut tirer une deuxième fois, il faut de nouveau ouvrir la culasse pour éjecter la douille vide,
03:21 remettre une cartouche dans la chambre et refermer la culasse.
03:24 Une carabine 22 long-rifle.
03:27 C'est justement l'arme qui a fait régner la terreur en Picardie, il y a un demi-siècle.
03:33 Pendant sept ans, chaque soir, à la tombée de la nuit, la psychose s'emparait des habitants.
03:39 La peur du tueur de l'ombre.
03:42 Un homme qui ciblait uniquement les femmes.
03:45 Tout commence le 10 janvier 1969, vers 19h, à Neugean-sur-Oise.
03:50 La première victime vient de rentrer chez elle, Ruffet d'Herbe.
03:54 Elle range ses courses dans la cuisine, lorsque soudain, on se met à tirer sur elle depuis l'extérieur.
04:01 Elle se jette à terre, c'est ce qui la sauve.
04:05 Car sur les six balles tirées, une seule l'atteint, une blessure sans gravité, à l'épaule.
04:12 13 jours plus tard, le 23 janvier 1969, Thérèse Adam n'aura pas cette chance.
04:17 Cette jeune veuve de 46 ans habite à trois rues de là.
04:21 On retrouve son corps à quelques mètres de son pavillon, une balle de 22 long-rifle dans la tête.
04:27 Le scénario est exactement le même.
04:30 Elle aussi rentrait chez elle, vers 19h, avec ses courses, lorsqu'elle a été prise pour cible.
04:36 Certains éléments intriguent les enquêteurs.
04:39 La victime a été agressée sexuellement, mais le tueur a aussi volé son sac à main.
04:44 Dans les deux affaires, l'agresseur a utilisé une arme de calibre 22 long-rifle, seulement à l'époque, les carabines 22, c'est monnaie courante.
04:54 Les gens achetaient des carabines pour tuer des rats, tirer sur des rats.
05:02 On les a piquées ces gens-là, on leur a piqué leurs carabines, pour vérifier.
05:07 Vous voyez, les carabines, on avait une long-rifle, tout le monde avait une long-rifle.
05:10 Même les gamins, pour jouer à leur jardin.
05:13 Les policiers vérifient et revérifient tout, mais ils ont beau faire, il ne semble exister aucun lien entre les deux affaires.
05:21 L'enquête commence mal.
05:23 Ils en sont toujours au même point, lorsque, dix mois plus tard, en novembre, un autre meurtre est commis.
05:30 A nouveau dans la rue Federbe.
05:32 La victime s'appelait Suzanne Merrienne.
05:36 Sa fille Micheline, 17 ans, était là, et elle raconte.
05:39 Ça s'est passé à son retour du lycée, aux alentours de 19h.
05:43 Au moment où elle a ouvert la porte, un homme l'a poussée dans la maison où se trouvait sa mère.
05:48 Il les a braquées avec son arme, une carabine.
05:51 Et puis il les a fait sortir dans le jardin.
05:53 Micheline en a profité pour s'enfuir.
05:55 Et lorsqu'elle est revenue avec des voisins, pour porter secours à sa mère, elle l'a retrouvée, une balle dans la tête.
06:03 Les enquêteurs en ont la conviction absolue. Le tueur vient de récidiver.
06:07 On y a pensé tout de suite, là.
06:11 D'ailleurs, ensuite, à l'autopsie, la première chose, moi, je rappelle que j'ai dit au médecin légiste, c'était "il doit y avoir une balle, il me faut la balle".
06:21 La ballistique confirme que c'est la même carabine, 22 longs rifles, qui vient de servir dans les trois affaires.
06:29 Et là, quand j'ai vu que c'était la même balle, j'ai dit "oh là là, on a un délire qui tue n'importe qui, qui piège des femmes, il va falloir qu'on mette le paquet".
06:35 On a affaire à du 22 longs rifles.
06:39 Toutes ces balles, comme la balle de 22 longs rifles, elles ont une signature.
06:43 Alors, elles ont une signature parce que le canon de ces armes est rayé.
06:48 À l'intérieur.
06:50 À l'intérieur, il existe des rayures qui sont destinées à faire tourner les balles sur elles-mêmes pour stabiliser leur trajectoire.
06:58 Donc, la balle, elle se vise dans l'air.
06:59 Absolument. Et donc, là, on voit l'image d'une rayure 9 mm par abellum.
07:04 C'est donc ces rayures, la balle se force dans les rayures, tourne sur elle-même.
07:10 Et elle marque la balle lors de son passage dans le canon.
07:12 Et elle marque la balle puisque la balle force dans ces rayures.
07:14 Donc, les imperfections de ces rayures sont imprimées sur la balle.
07:18 Et quand on récupère la balle ensuite dans le corps de la victime ?
07:21 On peut la comparer.
07:24 Si on a découvert une arme, on fait des tirs de comparaison.
07:27 Et on va faire donc la comparaison des traces que l'on retrouve sur la balle.
07:32 Mais on trouve aussi des traces sur la douille.
07:35 Alors, on trouve également des traces sur la douille.
07:37 Si on regarde une comparaison, en voici une.
07:41 Vous avez ici, sur la gauche, une douille de 9 mm trouvée sur une scène de crime.
07:49 Sur la droite, une douille qui a été tirée dans l'arme saisie chez l'auteur supposé.
07:54 On va donc photographier ces deux images, les agrandir au microscope.
08:01 Rélever une partie de l'image sur une image, ici sur la percussion de comparaison,
08:09 qu'on va superposer sur la percussion de question.
08:12 Et si on a une parfaite concordance entre les deux,
08:15 on peut dire que c'est la même arme qui a tiré les deux douilles.
08:18 Donc dans l'affaire Barbeau, c'est ça qui a permis de dire que la même arme avait tiré des munitions utilisées dans trois affaires différentes.
08:26 Absolument. Donc la comparaison des stigmates balistiques que l'on retrouve soit sur les balles, soit sur les douilles, soit sur les deux.
08:32 Montrez-nous les calibres qui sont utilisés par les tueurs en général.
08:37 Alors, si on prend les principaux calibres destinés aux armes de poing,
08:41 on commence par les plus petits calibres qui sont le 6.35 et le 7.65,
08:47 qui correspondent à des armes de défense, pour le tir à courte distance.
08:52 On passe ensuite aux armes de guerre de plus gros calibre,
08:57 le 9 mm Parabellum, qui est la munition la plus utilisée au monde.
09:01 Millimètre, c'est le diamètre ?
09:03 9 mm, c'est le diamètre de la balle.
09:05 Et ici le 11.43, qui correspond au Colt 1911,
09:10 qui a été réglementaire dans l'armée américaine pendant 74 ans,
09:15 et qui est de calibre 11.43 mm.
09:18 Et ensuite ?
09:20 Ici, le revolver, donc toujours des armes de combat, en 38 spéciales et 357 magnum.
09:29 En fait, c'est le même calibre.
09:31 357 millième de pouce, ça correspond grosso modo aux 9 mm.
09:35 La seule différence entre les deux est une différence de puissance de cartouche.
09:38 Nous, on parle en millimètres, les américains parlent en pouces.
09:41 Ils parlent en fractions de pouces.
09:44 À Neugeans-sur-Oise, les carabines semblent s'être tues, temporairement.
09:48 Pendant deux ans, pas de nouveaux meurtres.
09:51 Jusqu'en février 72, on découvre, en plein centre-ville, le corps d'Anit Delil,
09:59 tué d'un violent coup à la tête.
10:01 Les enquêteurs sont sceptiques, ça ne ressemble pas au mode opératoire du tueur qu'ils recherchent.
10:07 À part le fait qu'elle soit dénudée, c'est la seule chose qui nous rapprochait des affaires d'urgence.
10:13 Mais en dehors de ça, pas de balle, découvert par le mari, dans des circonstances bizarres.
10:18 On a fait le rapprochement, mais sans trop y croire quand même.
10:23 Le rapprochement, en revanche, sera fait immédiatement lorsqu'on découvre, en mai 73,
10:28 les corps de deux amoureux, Eugène et Morissette, près de leur voiture,
10:34 dans un endroit connu pour les rendez-vous galants, le parking du cimetière de L'Aigneville,
10:39 tout près de Neugeans.
10:41 Il est évident que c'est encore le même tueur, celui qui terrorise la région depuis quatre ans,
10:46 car les victimes ont été tuées d'une balle dans la tête.
10:49 Le problème, c'est que l'arme utilisée ici, même si c'est toujours une carabine 22 long-rifle,
10:56 semble ne pas être la même qu'auparavant.
10:58 Une carabine qui va servir une seconde fois.
11:05 En janvier 1974, Josette Routier rentre du travail aux alentours de 19h30.
11:11 On retrouve son corps le lendemain.
11:14 Elle a été tuée de plusieurs balles et, comme dans les précédentes affaires,
11:19 elle a subi des violences sexuelles.
11:21 Son corps est agenouillé dans une position obscène et son sac à main a disparu.
11:33 Elle a été couchée sur le lit, dénudée, dans la même position que madame, d'ailleurs.
11:37 Oui, on a tout de suite fait la relation entre les crimes.
11:41 - Qu'est-ce que vous avez pensé ?
11:43 - Qu'on avait de nouveau une nouvelle affaire du tueur de l'oise.
11:48 Nouvelle affaire.
11:50 Tous les policiers de la région sont mobilisés.
11:53 Ça n'empêchera pas un nouveau meurtre.
11:56 Le 25 novembre 1975, vers 6h du matin,
12:00 Julia Goncalves est assassinée sur le chemin de la gare,
12:03 une balle de 22 l'onriffle en pleine tête.
12:06 Et le tueur de l'ombre, comme on l'appelle désormais, ne s'arrête plus.
12:10 Quelques semaines plus tard, c'est Françoise Jakubowska qui l'assassine,
12:14 à Villiers-Saint-Paul, à quelques kilomètres de nos gens.
12:17 Elle aussi se rendait à son travail, dans la nuit noire d'un matin d'hiver.
12:21 Les policiers ont la pression, mais comptent-ils vraiment
12:25 pour mettre enfin la main sur ce tueur fou ?
12:29 On sait qu'en 1969, une seule carabine a servi aux deux crimes.
12:32 En 1974 et 1973, on sait que la même carabine a servi
12:37 aux doubles crimes de Lénioville et à celui de Mlle Routier.
12:41 Et enfin, en 1975-76, on sait rapidement
12:46 que c'est également la même carabine qui a servi à tuer
12:50 Goncalves et Jakubowska.
12:52 Donc déjà, il y a trois séries de crimes qui sont bien établis
12:57 les renaissant deux par deux.
12:59 Daniel Neveu s'arrête aussi sur un autre détail passé jusqu'ici inaperçu.
13:04 Après le double meurtre du cimetière de Lénioville,
13:07 une cartouche de 22 longs rifles a été retrouvée près d'un robinet
13:11 dans un endroit connu d'une poignée de personnes seulement.
13:14 Une personne qui montait au cimetière pour arroser justement l'une des tombes,
13:19 une habitante de Lénioville, a découvert au pied du robinet du cimetière
13:25 une cartouche entière de la même marque que celle trouvée sur les lieux des crimes.
13:29 Cela impliquait que le tueur, ce soir-là, s'était rendu à ce robinet
13:34 pour probablement se laver les mains, puisqu'il avait perdu sur place une cartouche.
13:40 Et ce robinet, pour quelqu'un qui n'est pas du pays,
13:46 et même des gens du pays ne le connaissent pas,
13:48 il est très difficile à trouver.
13:50 Et en pleine nuit, il faut absolument savoir qu'il existe.
13:54 Donc, on pouvait très facilement déduire que le tueur connaissait l'existence de ce robinet
13:59 et donc était un habitueux des lieux.
14:01 L'inspecteur Neveu va faire preuve de flaire.
14:04 Il décide de répertorier tous les gardiens, les marbriers
14:08 et bien sûr, toutes les personnes susceptibles de venir se recueillir sur une tombe.
14:12 Une liste qui est confrontée aux relevés des délinquants déjà fichés.
14:17 Au final, après ces recoupements, il reste 30 noms,
14:22 30 suspects que les enquêteurs décident d'interpeller.
14:25 A la lettre B, 4e nom de la liste, un certain Marcel Barbeau,
14:31 un père de famille de 35 ans, ouvrier spécialisé, qui habite tout près de nos gens,
14:37 mais également un homme fiché pour une série de cambriolages.
14:40 Et quand les policiers perquisitionnent chez lui,
14:42 ils retrouvent une arme, et pas n'importe laquelle,
14:46 une carabine 22 longs rifles.
14:50 Une carabine, il faut quand même la détailler,
14:52 parce que c'est quand même une carabine très particulière.
14:55 Le canon a été scié, a été enanché au bout du canon à silencieux.
15:02 Il y a une ficelle qui sert de bandoulière.
15:08 Donc on voit très bien que c'est une arme changée, transformée,
15:13 qu'il peut donc mettre sur lui et cacher sous un imperméable.
15:19 Mais Marcel Barbeau nie tout en bloc.
15:22 Pour la carabine, il dit l'avoir trouvée en pièces détachées,
15:28 je vous donne en mille au cimetière de Lénioville.
15:32 Postérieurement au crime, bien évidemment, pour ne pas être le criminel.
15:37 Pourtant, la balistique est formelle.
15:39 C'est bien l'arme qui a servi pour les deux derniers meurtres.
15:43 Une arme déclarée volée quelques années auparavant,
15:47 après un cambriolage attribué à Marcel Barbeau.
15:50 Les enquêteurs s'intéressent maintenant à l'arme des meurtres de
15:54 Josette Routier, Dejean Stéphan et Morissette Van Hift à Lénioville.
15:59 Ils savent chez qui cette carabine a été volée.
16:03 Ils savent que c'est Barbeau qui a sûrement fait le coup,
16:06 mais il n'arrive pas à mettre la main sur l'arme.
16:09 Alors, il tente un coup de poker.
16:11 Comme c'était une carabine automatique qui éjectait les cartouches,
16:16 en bêchant le jardin, on a retrouvé les cartouches,
16:19 qui, comparées aux cartouches découvertes chez Mademoiselle Routier
16:23 et celles découvertes près de Stéphan et Van Hift,
16:27 se sont avérées les mêmes.
16:29 De manière formelle.
16:31 C'est l'avantage de la balistique.
16:33 Marcel Barbeau est donc bien l'auteur de ces cinq meurtres.
16:38 Restent les trois premières affaires.
16:40 Pour Thérèse Adam et Suzanne Meryenne,
16:44 la carabine utilisée ne sera jamais retrouvée.
16:46 Ce sera donc un non-lieu, faute de preuves.
16:49 Tout comme pour le meurtre d'Anick Delisle,
16:52 qui avait été tué non par arme à feu, mais d'un coup sur la tête.
16:55 Là non plus, aucune preuve matérielle.
16:58 Marcel Barbeau a donc été condamné en 1983
17:01 pour cinq des huit meurtres qui ont terrorisé nos gens.
17:05 Condamné à la réclusion à perpétuité.
17:09 On vient de parler d'une arme automatique.
17:11 Qu'est-ce que ça veut dire, une arme automatique ?
17:13 Une arme automatique, c'est une arme de guerre,
17:16 c'est-à-dire un fusil d'assaut ou un pistolet mitrailleur,
17:19 qui tire en rafale.
17:21 C'est-à-dire que tant qu'on laisse le doigt appuyé sur la détente,
17:24 les coups de feu vont se succéder automatiquement.
17:26 Là, on parle d'une 22 long-rifle automatique.
17:29 La dénomination d'automatique en matière de carabine 22,
17:33 c'est une dénomination qui est très très très très très très très très
17:37 c'est une dénomination commerciale. En fait ce sont des armes semi-automatiques.
17:41 - Donc ça n'est pas une arme automatique ? - Non, c'est une bande de Norif semi-automatique,
17:44 c'est de ça qu'on devrait parler. - Tout à fait, ce qui signifie que chaque fois qu'on va appuyer sur la détente,
17:49 on va déclencher un coup de feu et un seul.
17:52 - Il y a plusieurs cartouches à l'intérieur et à chaque fois qu'on appuie, on déclenche une cartouche ?
17:56 - Voilà, il y a une réserve de cartouches qui peut aller de 5 à 15, et chaque fois qu'on va appuyer après avoir armé la culasse,
18:02 chaque fois qu'on va appuyer sur la détente, on va déclencher un seul coup de feu.
18:05 - On va voir la différence entre les deux quand on les utilise.
18:09 Vous allez nous faire une démonstration et nous expliquer ces fameuses douilles qu'on retrouve ou qu'on ne retrouve pas
18:15 en fonction de l'arme qui est utilisée. - D'accord.
18:17 - Ici, carabine manuelle. - Ici, carabine à un coup qui possède donc une culasse.
18:23 - On ouvre. - On ouvre la culasse.
18:25 - On pose une cartouche. - On place la cartouche ici sur l'objet de chargement.
18:30 - On repousse la culasse en avant, puis vers le bas, et à partir de là, on peut tirer.
18:37 - Et là, qu'est-ce qui se passe ? La balle est partie ? - La balle est partie, la culasse est toujours fermée.
18:42 - Et la douille est à l'intérieur ? - Et la douille est à l'intérieur.
18:44 Si j'ouvre la culasse doucement, la douille qui se trouve ici, et qui normalement, si je fais le mouvement brutalement, va être éjectée.
18:52 - Si vous avez tiré et que vous n'avez pas ouvert votre carabine et que vous repartez avec, la douille est à l'intérieur,
18:58 on ne la retrouvera pas sur place, sur le lieu du meurtre. - Absolument, tout à fait.
19:01 - Maintenant, on regarde avec une carabine automatique comment ça se passe, s'il vous plaît.
19:05 - Alors, celle-ci... - On l'a chargée auparavant.
19:07 - Elle a été chargée, je vais l'armer en tirant la culasse en arrière.
19:11 - C'est la fameuse carabine semi-automatique, qu'on appelle automatique. On essaie.
19:15 - Et là, lorsque je tire...
19:26 - Je provoque l'éjection automatique des douilles.
19:30 - C'est-à-dire que là, vous ne contrôlez pas. Les douilles partent. - Tout à fait.
19:33 - Vous les laissez sur place. Forcément, vous en laissez sur place. - Alors oui, ou j'essaye de les retrouver.
19:37 - Oui, enfin, si vous êtes sur du gazon, sur une pelouse, on ne les retrouve pas. - C'est pas facile.
19:41 Mais la balistique, c'est aussi l'interprétation d'une trajectoire ou d'un impact,
19:46 pour vérifier notamment si les déclarations des uns et des autres sont vraiment cohérentes.
19:50 À Maroilles, dans le Nord, on s'est longtemps posé la question de savoir ce qui s'était réellement passé
19:57 le 20 juin 1987, dans la maison des Delins.
20:01 Il est minuit, quand une détonation claque dans une ferme du village.
20:05 Jeannine Delin vient de mourir dans son lit d'une balle tirée en pleine tête par une carabine 22 longs-rifles.
20:12 Son mari se trouvait près d'elle.
20:15 - Il y a eu une carabine sur le lit ?
20:17 - Oui.
20:19 - C'est un peu bizarre.
20:21 - C'est un peu bizarre.
20:23 - C'est un peu bizarre.
20:25 - C'est un peu bizarre.
20:27 - C'est un peu bizarre.
20:29 - C'est un peu bizarre.
20:31 - C'est un peu bizarre.
20:33 - C'est un peu bizarre.
20:35 - C'est un peu bizarre.
20:37 - C'est un peu bizarre.
20:39 - C'est un peu bizarre.
20:41 - C'est un peu bizarre.
20:43 - C'est un peu bizarre.
20:45 - Je suis parti tout de suite.
20:47 Je suis parti tout de suite.
20:49 J'ai eu hongre devant le sang, alors je pouvais pas rester là plus longtemps.
20:51 J'ai eu hongre devant le sang, alors je pouvais pas rester là plus longtemps.
20:53 J'ai eu hongre devant le sang, alors je pouvais pas rester là plus longtemps.
20:55 Seul face au drame qui vient de se produire, le premier réflexe de Jean-Pierre, c'est de se précipiter chez ses parents à 300 mètres de là.
21:07 - Il s'est jeté dans mes bras, puis il me dit "Jeannine, viens te souder".
21:11 Je lui ai dit "Oui".
21:13 Il était plein de sang, forcément, vu qu'elle a tiré.
21:17 Il était couché à côté, il a tout reçu.
21:19 Les deux-là appellent le médecin de garde pour constater le décès.
21:23 Quelques minutes plus tard, il est sur place.
21:25 - Elle se trouve dans la chambre à coucher, dans son lit, au lit en fait, avec la carabine le long de son corps.
21:39 C'est une personne inanimée qui n'a pas de peau et qui ne respire plus, qui ostensiblement est décédée.
21:49 Avec un orifice d'entrée d'arme à feu au niveau de l'angle de la mâchoire.
22:03 - Il y a des éclaboussures de sang au niveau de la tapisserie qui est derrière et il y a une marre de sang au niveau du cou.
22:11 Aucune trace suspecte sur le corps, ni griffure, ni hématome, ni coup.
22:17 Pour le médecin, c'est clair, Mme Delain s'est suicidée.
22:20 Il délivre donc le certificat de décès.
22:23 Pendant que ses parents nettoient la maison, Jean-Pierre Delain éclate de rage et fracasse la carabine sur le sol.
22:30 La principale pièce à conviction vient donc d'être anéantie.
22:33 Dommage.
22:35 A 3 heures, tout le monde retourne se coucher.
22:38 Ce n'est que le lendemain à 9 heures que l'agriculteur pense enfin à prévenir les gendarmes.
22:44 - Une voix masculine qui me dit voilà, ma femme s'est suicidée, est-ce que ça vous concerne ?
22:51 Alors là, ça m'a un petit peu interloqué dans le sens où est-ce que ça me semblait tellement évident que je ne pensais pas qu'on me pose cette question-là un jour.
23:01 Alors je lui ai répondu, oui, ça nous concerne.
23:04 Donc voilà, ma femme s'est suicidée avec une carabine.
23:06 Généralement, quand les gens nous appellent, ça fait 10 minutes qu'ils ont découvert le corps.
23:13 Le temps qu'ils reprennent leurs esprits, qu'ils trouvent un téléphone, qu'ils trouvent leurs mots.
23:18 En fonction des circonstances, disons, dans les 10 minutes, un quart d'heure qui suit, on est avertis.
23:22 Pour les gendarmes, il n'y a pas une minute à perdre.
23:25 Ils se rendent aussitôt sur place.
23:27 - C'est-à-dire que le chef qui est arrivé le premier, il était deux, je crois.
23:32 Alors lui, tout de suite, il a dit, pour moi, c'est un meurtre camouflé, ça.
23:41 Donc on avait tout débarrassé.
23:43 C'est le début d'une enquête qui va durer 32 mois.
23:48 - On se demande toujours si on n'a pas...
23:50 Ça a pas été provoqué de nous compliquer nos investigations.
23:53 C'est sûr que si on n'arrive pas, nous, à travailler immédiatement sur un...
23:58 Quand c'est frais, quand les traces sont fraîches,
24:01 que c'est beaucoup plus difficile après pour pouvoir amener des éléments constitutifs
24:06 qui nous permettent de pouvoir diriger nos recherches, diriger...
24:11 Donc oui, quelque part, il faut qu'on soupçonne.
24:14 - Ses soupçons, Jean-Pierre Delain ne les supporte pas.
24:17 Le jour des obsèques, alors que tout le monde l'attend à l'église,
24:21 il saute dans sa voiture et roule droit devant lui jusqu'à percuter un mur.
24:26 Mais il s'en sort, et dans la boîte à gants, on découvre un étrange papier, une lettre d'aveu.
24:34 4 jours après le drame, il est donc inculpé d'assassinat.
24:37 Sauf que le 2 juillet 1987, Delain se rétracte.
24:41 Il explique qu'il a tout inventé, que son désespoir lui a fait dire n'importe quoi.
24:46 Il n'a évidemment pas tué sa femme. C'est bien un suicide.
24:50 Un suicide ? Ce n'est pas l'avis des légistes.
24:54 Ils ont 2 bonnes raisons de ne pas croire à cette thèse.
24:58 La trajectoire de la balle et la longueur du bras de Jeannine.
25:02 Si l'on considère l'angle de pénétration du projectile,
25:06 Jeannine aurait dû déranger son mari, couché à ses côtés.
25:09 Elle l'aurait réveillé.
25:11 Compte tenu maintenant de la longueur de l'arme,
25:14 les experts considèrent que Jeannine n'avait sans doute pas le bras assez long pour atteindre la détente.
25:19 Alors comment est-ce qu'on détermine une trajectoire de balle ?
25:24 Pour déterminer une trajectoire, il faut 2 points.
25:27 Donc soit un orifice d'entrée, un orifice de sortie,
25:30 soit un orifice d'entrée et la position de la balle à l'intérieur du corps.
25:34 Si vous voulez bien, je vais vous montrer, je vais vous prendre comme cobaye.
25:38 Supposons que vous ayez été atteint par un projectile,
25:42 vous avez l'orifice d'entrée ici, sur la joue.
25:46 L'orifice de sortie de la balle se trouve ici, au sommet de la tête.
25:51 Je vais donc avoir un axe, que je matérialise avec cette tige,
25:56 et qui permet de déterminer que la trajectoire est d'avant en arrière,
26:01 et de bas en haut.
26:03 Et vous le faites vraiment sur un mort, sur une victime, vous passez vraiment la tringle ?
26:08 Lorsqu'on assiste à l'autopsie, effectivement, on passe la tringle dans les orifices
26:12 pour mettre en évidence les trajectoires.
26:14 Et oui, mais quand la balle ne ressort pas de la tête,
26:17 quand vous avez seulement un orifice d'entrée, comment faites-vous ?
26:20 Pour calculer, de toute façon, les médecins légistes, au moment de l'autopsie,
26:23 relèvent la position exacte du projectile à l'intérieur du corps.
26:27 Donc pour matérialiser la trajectoire, on détermine une trajectoire virtuelle,
26:31 comme si la balle était sortie du corps,
26:33 et on détermine la position d'un orifice de sortie virtuel.
26:37 Vous prolongez virtuellement la ligne ?
26:39 Voilà, tout à fait.
26:41 Et ça, c'est infaillible ?
26:42 C'est infaillible, sauf si, évidemment, il y a eu des ricochets de la balle à l'intérieur du corps,
26:48 auquel cas, évidemment, il faut que les constatations médicales soient complètes,
26:52 et qu'on soit certain qu'il n'y a pas eu de ricochets sur un os, par exemple,
26:57 ce qui peut arriver fréquemment.
26:59 À Maroilles, les enquêteurs butent toujours sur la possibilité ou non,
27:03 pour Mme Delun, de s'être techniquement suicidée.
27:07 Ils vont donc se lancer dans des calculs d'apothicaires.
27:10 On se rapproche donc de la mère, qui se trouve sur Beaurepère,
27:18 et elle nous dit que sa fille, en plaisantant, avait pour habitude de dire "on est de la même taille".
27:25 Bonne ou bonne pour nous, on décide donc de mesurer la mère, qui mesurait 1,57 m.
27:33 Sur la base de ces éléments, la juge ordonne une reconstitution des faits.
27:38 Le rôle de Jeannine est joué par la greffière, qui mesure justement 1,57 m.
27:44 Jean-Pierre est également présent.
27:46 - On a fait la reconstitution comme ça, alors moi, je me suis couché à ma place,
27:49 et la dame s'est pu coucher à la place de ma femme.
27:52 Et effectivement, quelle que soit la position que prend la greffière,
27:56 qu'elle soit allongée ou assise, elle n'arrive pas à atteindre la détente avec les doigts.
28:02 - Elle était beaucoup plus petite que ma femme.
28:05 Des petits bras de rien du tout.
28:07 Bien sûr, elle a jamais su tirer sur la queue de détente, quoi, c'était pas possible.
28:12 Moi et ma femme, on était de la même grandeur, alors...
28:15 Pour confirmer, la juge demande aux balisticiens de reconstituer la carabine cassée.
28:21 On mesure l'arme depuis le bout du canon jusqu'à la détente, 75 cm.
28:28 Il faut aussi calculer la distance entre l'extrémité du canon et la victime.
28:33 En fonction de la corolle, c'est-à-dire la trace laissée par la poudre brûlée sur la peau de Jeannine,
28:38 les experts disent que l'arme se trouvait à 5 cm de sa tempe, soit 80 cm.
28:45 Le bras de Jeannine aurait donc dû mesurer au moins 80 cm pour pouvoir presser la queue de détente.
28:52 Pour vérifier tout cela, on exhume le corps de Jeannine.
28:55 Or, elle mesure finalement 1,61 m.
28:59 Les experts refont leur calcul et là, coup de théâtre.
29:03 Tête droite, si elle presse la queue de détente avec son majeur, le suicide devient techniquement possible.
29:11 Malgré tout, sur la base des tout premiers éléments de l'enquête,
29:15 le nettoyage empressé de la scène de crime et la lettre d'aveu,
29:20 Jean-Pierre Delain reste inculpé du meurtre de sa femme
29:23 et son procès s'ouvre devant les Assises le 18 janvier 1990.
29:30 - La boue comme elle m'avait prévenu.
29:33 Une chance sur deux de venir en prison, quoi.
29:38 - Quand... Au cas général, le requisitoire, là, c'était... Tout était contre moi.
29:45 Moi, j'étais persuadé que j'allais pas être condamné à cause.
29:50 - Delain a toutes les raisons d'y croire, car son avocat, Eric Dupond-Moretti,
29:54 a un certain nombre d'atouts dans sa manche pour démonter l'accusation.
29:58 Dans sa ligne de mire, les expertises.
30:01 Celles du médecin légiste, mais surtout celles de la police.
30:04 La veille de l'audience, l'avocat a réalisé chez lui
30:08 une expérience en présence d'un huissier de justice.
30:11 - Je vais prendre 3 séries de feuilles de papier.
30:17 Une première série, une seule feuille.
30:20 Deuxième série, 5 feuilles. Troisième série, 10 feuilles.
30:24 - L'avocat place la carabine à bout touchant sur chacune des 3 séries de feuilles.
30:30 Sa démonstration est troublante.
30:34 Il affirme que le diamètre de la corolle ne dépend pas seulement de la distance,
30:38 comme s'est borné à le démontrer le balisticien,
30:41 il dépend aussi de l'épaisseur de la matière à traverser.
30:44 L'expert en balistique n'a pas tenu compte de cet élément.
30:47 Toute son expertise, à charge contre Jean-Pierre Delain, s'effondre.
30:51 Après 2 jours d'audience, le fermier de Maroilles est donc acquitté.
30:55 - La démonstration de l'avocat, est-ce qu'elle est convaincante ?
30:59 - Non, elle n'a aucune pertinence technique,
31:02 pour la bonne raison que l'avocat prétend que selon le support,
31:06 les traces périphériques, c'est-à-dire les traces laissées par les fumées
31:10 provoquées par un coup de feu, sont différentes selon la nature du support.
31:14 - La peau ou le papier ? - Voilà.
31:17 En fait, lorsqu'on a une carabine,
31:20 on peut la mettre sur un mur, sur un mur,
31:23 en fait, lorsqu'on tire une cartouche,
31:26 tous les résidus viennent se déposer autour de l'orifice d'entrée.
31:30 - C'est la corolle. - C'est la corolle.
31:33 Mais elle est constante, quel que soit le support sur lequel le coup de feu est tiré,
31:37 puisqu'il y a toujours la même quantité de résidus
31:40 qui sortent d'une cartouche donnée.
31:43 Donc, la différence qui a été constatée par l'avocat
31:46 est seulement due à la différence d'élasticité entre les supports.
31:50 Il y a plus d'élasticité entre 10 feuilles de papier l'une derrière l'autre
31:54 qu'une seule feuille de papier.
31:56 - Pour vous, ça ne démontre rien. - Absolument rien.
31:59 - Et cette histoire de longueur de bras
32:02 sur laquelle repose une bonne partie de l'enquête ?
32:05 - Effectivement, il est important de connaître la longueur du bras d'une victime
32:09 quand on suppose qu'elle s'est suicidée.
32:12 Mais l'expérience montre que lorsqu'on veut se suicider,
32:15 on trouve toujours le moyen de le faire,
32:18 et c'est long. - Et on peut se contorsionner.
32:21 - Oui. Vous savez, la torsion des bras,
32:24 la torsion de la tête, on arrive toujours à s'allonger,
32:27 si je peux me permettre l'expression, pour arriver à toucher la détente.
32:31 - Autre élément dont on reparle, c'est la notion de bout portant et bout touchant.
32:35 - Le bout touchant, c'est entre le point d'appui sur le corps
32:40 et 5 cm. C'est le bout touchant.
32:44 - Alors, bout touchant, le canon touche la peau.
32:48 - On a le bout touchant appuyé. Dans ce cas-là, effectivement,
32:51 l'arme est en contact avec l'épiderme.
32:54 Le bout touchant, entre 0 et 5 cm.
32:57 Le bout portant, entre 5 cm et 30 cm.
33:01 Le tir à distance, entre 50 cm et 1 m,
33:06 et le tir à grande distance, qui est au-delà d'un mètre.
33:09 - Enfin, autre preuve examinée par les balisticiens, les résidus de tir.
33:14 Ces traces que laisse la poudre d'une arme sont un indice précieux.
33:18 A Castellar, dans les Alpes-Maritimes,
33:20 ces restes de poudre ont fait basculer l'enquête.
33:23 C'était un dimanche d'août 1991, le 17.
33:27 Soudain, des coups de feu retentissent dans la montagne.
33:30 Pierre Leschiera, 33 ans, l'un des bergers du village,
33:33 vient d'être tué. Son père arrive très vite sur place.
33:36 - Il avait des impacts dans le dos et tout,
33:38 et la tête complètement éclatée.
33:41 Les cartouches récupérées sur les lieux permettent aux enquêteurs
33:48 d'affirmer que l'arme utilisée est un fusil de chasse de calibre 16.
33:53 Pourtant, les enquêteurs tiennent très vite des suspects potentiels.
33:57 Il leur a suffi pour cela d'écouter ce que l'on dit au village.
34:01 Tout le monde leur raconte, en effet,
34:04 que depuis que Pierre s'est installé à Castellar avec son troupeau de brebis,
34:08 il avait suscité des inimitiés vivaces.
34:11 - Si l'enfer existe, nous l'avons vécu pendant les 8 années
34:20 qui ont précédé la mort de Pierre.
34:23 - Il y avait un domaine qui était le domaine des chasseurs
34:28 et le domaine également du berger. C'était ça, le problème.
34:33 Dès l'instant où j'ai vu Pierre abattu comme ça,
34:35 je n'ai pas pensé à autre personne. C'est eux.
34:38 - C'est-à-dire que tout de suite, vous avez su qui avait tué votre fils ?
34:41 - Absolument. - Et sans aucun doute ?
34:44 Et vous le pensez toujours aujourd'hui ?
34:46 - Et on le pense toujours aujourd'hui.
34:48 Des chasseurs, des gens qui, par définition, possèdent des fusils
34:52 et auraient donc très bien pu commettre ce crime.
34:55 Pour les gendarmes de Menton, c'est évident.
34:57 C'est cette piste qu'il faut creuser.
34:59 Ils mènent donc l'enquête autour de cette famille
35:02 avec laquelle Pierre a déjà eu plusieurs fois mailles à partir,
35:05 les vérandaux, les chefs du clan des chasseurs.
35:08 Et pour leur venir en aide, ils peuvent compter sur la science,
35:12 car celui qui a tué Pierre Leschira
35:14 a forcément des traces de poudre sur les mains.
35:17 Avec la méthode du tamponnement,
35:19 les gendarmes espèrent détecter des résidus de tir sur le coupable.
35:23 Et effectivement, 3 vérandaux présentent des traces de poudre.
35:27 Alain, son frère Paul et son neveu Jérôme,
35:30 un ado de 16 ans.
35:32 Paul explique.
35:34 La poudre, c'est parce que la veille,
35:36 lors d'une petite fête, il a tiré en l'air, tradition oblige.
35:39 Et le matin, au moment du meurtre, il dormait.
35:42 Son épouse peut le confirmer.
35:44 Jérôme, lui, n'explique pas bien ces résidus de tir,
35:48 mais il jure que lui aussi dormait ce matin-là
35:51 aux côtés de sa petite amie.
35:53 La justice s'intéresse donc maintenant à Alain Vérandau
35:57 et voilà ce que dit ce dernier pour sa défense.
36:00 - Quand on utilise une arme à feu, on garde des traces sur soi.
36:23 - Oui. - Des traces de quoi ?
36:25 - Alors, supposons que vous ayez tiré avec une arme comme celle-ci.
36:29 - Hum-hum. - Donc, vous venez de tirer.
36:31 - J'ai tiré. - Lorsque vous avez tiré,
36:33 la culasse a reculé, la douille a été éjectée.
36:36 - Hum-hum. - Donc, vous allez avoir
36:38 sur toute la partie supérieure de la main
36:41 des dépôts de résidus.
36:44 Ces résidus proviennent des composants de l'amorce.
36:48 Et on considère qu'il y a présence de résidus de tir
36:52 si on met en évidence 3 éléments ensemble,
36:56 le plomb, le barium et l'antimoine.
36:59 - S'il n'y en a que 2 ? - S'il n'y en a que 2,
37:02 on peut supposer que vous avez été en contact
37:05 éventuellement avec une arme, mais pour dire
37:08 qu'on est en présence de résidus de tir,
37:11 il faut absolument les 3 éléments.
37:13 - Et comment est-ce que les enquêteurs les prélèvent sur ma main ?
37:16 - Alors, ils utilisent... - Ces traces, ces résidus de tir ?
37:19 - Les enquêteurs utilisent ce qu'on appelle un tampon noir.
37:22 Ce tampon noir est composé d'une pastille adhésive
37:26 protégée par une aupercule
37:29 que l'on utilise, évidemment, après avoir enlevé l'aupercule.
37:33 Il faut penser à l'enlever parce que je peux vous dire
37:36 que dans plusieurs affaires, j'ai eu à traiter des cas
37:39 où les enquêteurs avaient oublié d'enlever l'aupercule.
37:42 Évidemment que le tampon noir ne comportait aucun résidu.
37:45 - Et ensuite, avec ça, avec le tampon noir, que faites-vous ?
37:48 - On va prendre le tampon noir, si vous permettez.
37:51 On va prélever, si vous avez tiré avec une arme de poing,
37:54 on va tamponner comme ça, tout autour, sur le dessus de votre main.
37:57 Et on va refermer le tampon noir.
38:00 On va utiliser un autre tampon noir qu'on va ouvrir
38:03 pour l'exposer à l'air ambiant,
38:06 de façon à ce qu'il puisse prendre éventuellement
38:09 les particules qui sont en suspension dans l'air.
38:12 - Si le tir a eu lieu dans une pièce fermée ?
38:15 - Si le tir a eu lieu dans une pièce fermée,
38:18 on va le refuser. - Même à l'extérieur ?
38:21 - Même à l'extérieur. Et on va ensuite analyser ce tampon noir.
38:24 - Et si j'ai utilisé un fusil de chasse ?
38:27 - Alors, si vous avez utilisé un fusil de chasse...
38:30 - J'ai tiré avec un fusil de chasse.
38:33 - Là, vous n'allez pas avoir de traces sur votre main droite,
38:36 mais éventuellement sur l'extérieur de la main gauche
38:39 qui est la plus proche de l'extrémité du canon.
38:42 - Donc, les seules sorties de résidus de tir,
38:45 la seule sortie, c'est le canon ? - Absolument.
38:48 Sauf si, après avoir tiré, vous ouvrez le fusil.
38:51 - Est-ce que j'en ai sur mes vêtements ?
38:54 - Vous allez en avoir pratiquement sur tout le corps,
38:57 mais en quantité plus ou moins importante.
39:00 Donc, effectivement, on peut très bien également faire
39:03 des prélèvements sur les vêtements,
39:06 ce qui peut permettre de dire quel type d'arme a été utilisé,
39:09 par exemple, 2 points à une main ou à 2 mains,
39:12 en analysant les résidus que l'on retrouve sur les manches.
39:15 - Celui qui a de la poudre sur la main, c'est donc celui qui a tiré ?
39:18 - Non, pas forcément. - Pourquoi ?
39:21 - Supposons que vous venez de tirer avec cette arme.
39:24 Vous posez le pistolet, vous allez vous laver les mains.
39:27 Moi, j'arrive, je prends l'arme. Les résidus vont se retrouver
39:30 sur mes mains et vous, vous n'en aurez plus.
39:33 - C'est vous qui avez eu du résidu de tir sur les mains.
39:36 - Non, dans une activité normale, 80% des résidus ont disparu.
39:39 - Si vous mettez la main dans la poche, ça s'en va ?
39:42 - Si vous mettez la main dans la poche, si vous serrez la main à quelqu'un,
39:45 vous allez transférer les résidus, mais ils vont disparaître petit à petit.
39:48 - Alors, Alain Vérando a-t-il ou non manipulé l'arme du crime ?
39:53 La version qu'il donne convainc moyennement le juge.
39:56 Le maçon explique alors que ce matin-là,
39:59 il a sûrement manipulé la malle qui contient ses fusils
40:02 et la dynamite qu'il utilise sur les chantiers.
40:05 - Pour moi, c'était, bon, la manutention d'explosifs
40:10 que j'avais dans ce coffre de chasse.
40:12 Ca peut venir que de là, donc je m'intigre, ça peut venir que de là.
40:16 - Il ne convainc pas, alors il est mis en examen
40:19 et placé en détention provisoire.
40:21 Mais Alain Vérando n'a pas dit son dernier mot.
40:24 Il cherche une explication qui le sortirait de ce guêpier.
40:27 Un mois après son incarcération, il se souvient soudain
40:30 que le matin du crime, il avait utilisé un spit,
40:33 un pistolet à poudre destiné à planter des clous dans le béton.
40:37 "Plausible", dit un premier expert.
40:40 Tandis qu'un autre affirme que pour avoir autant de poudre sur les mains,
40:44 Alain Vérando aurait dû planter 1 500 clous.
40:48 Cela semble donc hautement improbable pour cet expert.
40:51 Alors qui croire ? Dans le doute, la justice libère Alain Vérando
40:55 dans l'attente de son procès.
40:57 Le dossier semble bien fragile,
40:59 tant et si bien qu'il reste là à prendre la poussière
41:02 dans le bureau du juge pendant des années,
41:05 jusqu'à ce qu'un nouveau procureur reprenne l'affaire en main.
41:08 - J'ai quand même trouvé bizarre d'avoir à reprendre les expertises
41:13 dans le requisitoire définitif que j'avais rédigé,
41:15 qui n'avaient été lues par personne.
41:17 - Au procès, on oublie complètement la question du spit,
41:21 car de nouvelles expertises se montrent bien moins affirmatives
41:24 que les premières.
41:26 Ce sont elles qui vont faire basculer le procès d'Alain Vérando
41:29 9 ans après les faits.
41:31 Pour les 3 experts en balistique qui viennent d'être nommés,
41:34 les particules de poudre retrouvées sont certes compatibles avec un tir,
41:39 mais pas caractéristiques.
41:41 Cela veut dire que oui, Alain Vérando avait de la poudre sur les mains,
41:45 mais ce n'est pas pour autant qu'il avait utilisé une arme.
41:48 D'après les experts, de la poudre, on en trouve partout
41:51 chez les fous de la gâchette, que sont les Vérando.
41:54 - 1, 2, 3, 5 experts.
41:57 Pour entendre finalement la conclusion,
41:59 vous l'avez entendue comme moi à la fin des exposés,
42:02 que la certitude n'est pas qu'il n'a pas tiré,
42:05 mais qu'il n'est pas non plus qu'il a tiré.
42:07 Si bien qu'on nous renvoie finalement dos à dos.
42:09 - Impossible dans ces conditions de connaître la vérité.
42:13 Une vérité qui s'éloigne encore quand les gendarmes
42:16 viennent raconter à la barre qu'en allant perquisitionner
42:19 chez les Vérando, ils ont demandé à l'accusé de porter des fusils,
42:22 ce qui pourrait aussi expliquer les traces de poudre sur ses mains.
42:26 - Je ne suis pas très futil.
42:28 Je ne suis pas un enquêteur.
42:30 Mais on vous envoie dans une maison qui est suspecte.
42:33 Vous faites porter des armes pour les ramener chez vous,
42:38 c'est-à-dire à la gendarmerie, mais il y a de quoi se demander
42:42 si tout le monde a bien sa raison.
42:45 - À ce moment-là, la justice se souvient que d'autres personnes
42:50 avaient également de la poudre sur les mains.
42:52 Des personnes qui n'avaient pas été inquiétées
42:54 puisqu'elles avaient des alibis.
42:56 C'était peut-être aller un peu vite en besogne.
42:58 - Je pense que c'était dommage qu'un certain nombre de personnes
43:02 dans ce dossier n'aient pas été mises en examen,
43:05 étant précisé que mise en examen, dans un premier temps,
43:08 ce n'est pas un placement en détention provisoire.
43:10 C'est qu'il y avait des personnes qui n'ont pas été mises en examen,
43:13 auxquelles n'ont pas été reprochées un crime,
43:16 et contre lesquelles pèse dans ce dossier, à l'évidence,
43:20 de fort soupçon d'avoir commis le crime
43:25 de l'assassinat de Pierre Leschiens.
43:28 - La justice réexamine notamment le cas de Jérôme Vérando,
43:32 le neveu d'Alain.
43:33 On se rappelle alors que le jeune homme avait menacé le berger
43:36 3 jours avant le drame.
43:38 D'après les témoins, il lui aurait dit
43:40 "je te mettrai une balle dans la tête".
43:42 - J'ai dit ça comme ça, mais c'était des paroles, logiquement.
43:51 Et voilà, quoi. Je veux dire...
43:53 Mais ça n'a pas été plus long, quoi.
43:55 - A l'époque, les enquêteurs n'avaient pas remis en cause
43:58 les dires de l'adolescent, puisqu'ils avaient aussi
44:00 le témoignage de sa petite amie.
44:02 - Le matin, des faits, je veux dire, j'étais au lit
44:05 avec ma concubine, quoi.
44:07 Je veux dire, je me suis pas inquiété du tout.
44:10 J'ai passé la nuit chez moi, dans le lit,
44:13 et j'ai été réveillé le matin par les gendarmes, je veux dire.
44:16 - Des gendarmes à qui, surtout, Jérôme n'avait pas su expliquer
44:19 la présence de poudre sur ses mains.
44:21 Il a beau être chasseur, en été,
44:23 c'est une pratique totalement interdite.
44:26 - Tout a basculé sur moi, et j'arrive pas à comprendre pourquoi.
44:30 Je veux dire... Je supporte la chose, mais je veux dire...
44:35 Je... C'est dur. C'est dur.
44:39 J'avais 16 ans, à l'époque. Je veux dire, j'aurais jamais pensé
44:44 à faire ça ou à tuer qui que ce soit, je veux dire.
44:47 Vous savez, à 16 ans, c'est les filles, la mobilette,
44:50 et puis je travaillais, je veux dire...
44:52 Je faisais la vie comme tous les jeunes.
44:54 - On en revient donc toujours à cette présence de poudre massive
44:58 et sans doute permanente chez les Verrando.
45:01 Et si la balistique a apporté un certain nombre d'éléments,
45:04 elle n'a pas permis de lever à elle seule toutes les ombres du dossier
45:08 ni de combler les lacunes d'une enquête un peu trop rapide.
45:12 Tout cela ne fait que renforcer l'impression
45:14 d'être face à un embrouillat mini-judiciaire,
45:17 et dans le doute, Alain Verrando et son neveu Jérôme
45:20 sont donc tous les deux acquittés.
45:22 La poudre n'aura donc pas permis d'élucider le meurtre du berger de Castellar,
45:26 et aujourd'hui encore, cette affaire reste un mystère.
45:30 - Quand vous êtes à la barre d'un tribunal, chaque mot est important.
45:37 - La difficulté de l'exercice, c'est de faire comprendre de façon simple
45:42 à des jurés qui ne sont pas des spécialistes des armes
45:46 le travail que l'on a pu faire,
45:49 et l'expliquer de façon suffisamment simple
45:52 pour qu'ils comprennent et se fassent leur opinion.
45:54 La difficulté principale, c'est d'arriver à résumer en quelques minutes
45:58 ce qui a nécessité parfois plusieurs mois de travail.
46:01 Mais finalement, c'est la finalité de l'expertise,
46:04 c'est de pouvoir transmettre au moment des assises
46:08 les éléments techniques de façon suffisamment compréhensible
46:11 pour que les jurés puissent apprécier.
46:14 - Le fait que les armes se soient beaucoup perfectionnées
46:17 ces dernières années, est-ce que ça vous pose problème ?
46:19 - Finalement, lorsqu'on regarde de près,
46:22 les progrès faits sur les armes sont relativement peu importants.
46:26 Les armes fonctionnent de la même façon
46:29 qu'elles fonctionnaient au début du XXe siècle.
46:32 Les seules améliorations ont surtout porté sur les matériaux utilisés.
46:38 Quant aux munitions, il y a eu des tentatives
46:41 pour faire des munitions combustibles,
46:44 c'est-à-dire où il n'y a pas de douille.
46:46 La douille brûle au moment du coup de feu.
46:48 - Pas de traces. - On n'a pas de traces.
46:50 Et également, les rayures polygonales que l'on retrouve
46:53 dans certaines armes comme les pistolets Glock,
46:56 qui ne sont plus fabriqués par usinage, mais par martelage.
46:59 C'est-à-dire qu'on part d'un mandrin qui a la forme intérieure du canon
47:03 sur lequel on va forcer l'extérieur du canon.
47:08 - Ça laisse pas de traces, ces balles ?
47:10 - Ça laisse des traces, mais beaucoup moins sensibles
47:12 et beaucoup moins précises que sur un canon usiné.
47:15 - Dernière chose, il y a aussi des munitions qui se détruisent
47:18 au contact du corps.
47:20 - Les balles frangibles, mais qui sont des munitions
47:23 très particulières, très peu utilisées,
47:26 et qui se désintègrent au moment de l'impact.
47:28 - Donc on ne retrouve même pas de balles à l'intérieur du corps.
47:30 - Non, mais ce sont des munitions beaucoup moins performantes
47:33 que les munitions traditionnelles.
47:35 - Même s'ils sont très médiatisés,
47:39 en France, les crimes et délits commis par arme à feu
47:42 représentent moins de 1% des affaires.
47:44 Car, heureusement, chez nous, la réglementation drastique
47:48 sur la vente et l'usage des armes nous met à l'abri
47:51 d'une dérive à l'américaine.