Zaho de Sagazan : "La sensibilité peut faire des merveilles, comme des catastrophes"

  • il y a 4 mois
"La sensibilité peut faire des merveilles, comme des catastrophes. C'est une flamme à dompter. C'est dur, mais ça vaut le coup", estime la chanteuse Zaho de Sagazan, récompensée de quatre Victoires de la musique en février.

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Transcript
00:00 Léa, ce matin vous recevez une autrice-compositrice-interprète.
00:04 Bonjour Zahaut Sagazan.
00:05 Bonjour.
00:06 Merci d'être avec nous ce matin.
00:07 Si vous étiez une ville, un personnage historique et un sentiment, vous seriez quoi ?
00:12 Vous seriez qui ?
00:13 Alors, je serais...
00:16 Je pense que je ne me vois qu'en Saint-Nazaire pour l'instant.
00:19 Je pense que j'ai tout vécu là-bas et que je trouve que c'est une ville assez formidable.
00:22 C'est la ville de votre enfance où vous avez dormi avec vos sœurs ?
00:25 C'est facile à trouver mais c'est une ville que je trouve très belle
00:28 et on a tendance à ne pas la trouver belle au premier abord.
00:30 Il faut la découvrir et je trouve ça toujours assez joli.
00:33 Un sentiment, moi j'ai vu vice-versa et j'ai été bouleversée.
00:37 Je pense que je suis un bon mélange entre la tristesse et la joie.
00:40 Mais comme tout le monde, ce n'est pas très original.
00:44 Et un personnage historique ?
00:45 Et un personnage historique, je ne sais pas qui je serais
00:47 mais j'aurais beaucoup aimé côtoyer l'intelligence de Montaigne.
00:53 Mais je suis très loin d'être Montaigne.
00:55 Mais voilà, j'aurais beaucoup aimé.
00:56 Vous avez un livre de chevet, c'est "Apprendre à philosopher avec Montaigne".
01:01 Qu'est-ce qu'il vous apprend ce livre ?
01:05 Plein de choses. Je pense qu'il m'apprend à aimer la vie.
01:08 Et quand la tristesse, la peur, les angoisses viennent me caresser un peu trop longtemps,
01:17 Montaigne m'apprend à retrouver l'envie, la curiosité.
01:27 Je pense que c'est quelqu'un de très humain et ça fait du bien de lire.
01:31 Puisqu'on est sur les livres, Bernard Pivot pour vous, ça vous dit quelque chose encore ou vous êtes trop jeune ?
01:38 Alors je suis jeune, effectivement.
01:39 Parce que vous avez 24 ans.
01:41 Oui, mais moi j'ai découvert les livres il n'y a pas si longtemps que ça.
01:44 Après, effectivement, je connais comme tout le monde Bernard Pivot.
01:47 Ma mère écoutait beaucoup, etc.
01:49 Donc je connais sa voix, je connais son émission, etc.
01:52 Mais je vais laisser les gens parler de lui.
01:56 Ceux qui le connaissent vraiment, c'est pas forcément ma génération.
01:59 "Je ne peux pas faire de différence entre les larmes et la musique", écrivait Nietzsche.
02:05 Et vous, est-ce que vous arrivez à faire la différence entre les larmes et la musique ?
02:09 Je trouve cette phrase magnifique.
02:11 Après, j'ai un peu l'impression d'avoir découvert la musique parce que j'avais besoin de pleurer.
02:17 Et que j'ai trouvé un autre endroit que mon oreiller.
02:20 J'ai trouvé le piano.
02:21 Et effectivement, il y a cette notion de pleurs que je trouve assez évidente.
02:26 Je pense qu'effectivement, des fois, je ne pleure pas.
02:28 Et j'arrive à faire de la musique autrement qu'en pleurant.
02:30 Mais je crois que quand je pleure, c'est là où je fais les plus belles chansons.
02:33 Parce que c'est là où elles sont les plus vraies.
02:36 En tout cas, vos larmes, votre sensibilité à Fleur de Peau a touché la France entière à une vitesse dingue, fulgurante.
02:42 À 24 ans, vous avez marqué, survolé, écrasé les dernières victoires de la musique.
02:47 En repartant avec 4 victoires pour votre premier album, La Symphonie des éclairs, dans les catégories chansons originales.
02:52 Meilleur album, Révélation scène, Révélation féminine.
02:55 C'était en février dernier.
02:56 Trois mois après, vous êtes redescendue.
02:58 Vous êtes toujours sur le nuage ?
02:59 Je suis redescendue, mais moi très vite.
03:01 Parce que je n'ai pas tendance à trop passer mon temps à regarder ce que j'ai fait.
03:08 Je suis plutôt à tendance à penser à ce que je dois faire maintenant.
03:10 Et il y avait plein de boulot.
03:12 Donc on est très vite redescendue sur la terre ferme, celle du travail.
03:17 Et des fois je remonte, des fois en me disant "mais attend, qu'est-ce qui se passe ?"
03:20 Je n'ai toujours pas réalisé ce qui se passait au niveau des nuages.
03:23 C'était quand même fou, 4 victoires.
03:26 Non mais c'est n'importe quoi.
03:27 A 24 ans pour son premier album, je veux dire, soyons sérieux.
03:31 Qu'est-ce qu'il vous reste à faire après ça ?
03:33 Ah ben plein de choses.
03:34 Heureusement, il me reste plein de choses à faire.
03:36 Mais vraiment plein de choses à faire, ça je n'en ai aucun doute.
03:39 Effectivement, ça n'a aucun sens.
03:42 Et c'est pour ça que je pense aussi que je n'ai pas réalisé.
03:44 Et que je me suis dit que ça ne servait à rien que je passe mon temps à chercher à réaliser.
03:47 Il m'allait mieux travailler et faire d'autres jolies choses.
03:50 Alors, travaillez donc.
03:51 Vous serez ce soir au travail.
03:53 Vous serez à 20h au studio 104 de la Maison de la Radio.
03:56 On vous donnera un concert exclusif pour France Inter.
03:58 Accompagné de l'orchestre philharmonique de Radio France, sous la direction de Dylan Corlay.
04:02 Et puis vous enchaînerez une tournée des festivals.
04:05 Vous serez au festival Art Rock à Saint-Brieuc,
04:07 aux Francopholie de Montréal et de La Rochelle,
04:09 aux Eurocaine de Belfort, à Dours ou encore à Rock En Seine.
04:12 Liste non exhaustive, mais enfin vous allez faire tous les festivals.
04:15 Ce concert ce soir, il est à suivre en direct sur franceinter et franceinter.fr.
04:19 Il sera présenté par Laurent Goumard.
04:21 Vous avez annoncé une version revisitée de votre album, La Symphonie des Éclairs.
04:25 On va entendre quoi de différent ?
04:28 Déjà, l'album que vous pouviez entendre avant n'avait pas été joué par 38 personnes.
04:34 C'est complètement différent, c'est incomparable.
04:38 Là tout d'un coup je me suis dit, putain mais chanson c'est des musiques de films.
04:41 Évidemment c'est un orchestre symphonique qui est en train de le jouer.
04:44 C'est complètement différent, c'est arrangé différemment.
04:47 C'est un exercice hyper compliqué, en même temps c'est hyper intéressant.
04:51 C'est un peu flippant quand même d'avoir...
04:53 Oui c'est hyper flippant. J'ai perdu tous mes codes.
04:55 J'ai fait 400 concerts où je sais comment le faire.
04:59 Et là tout d'un coup, il n'y a plus les mêmes rythmes.
05:01 Débutante quoi !
05:02 Ah mais je suis complètement débutante !
05:03 Mais c'est ça qui est très intéressant.
05:04 Je pense que je vais chercher...
05:06 Ça demande une écoute énorme de jouer avec un orchestre.
05:10 Parce que ce n'est pas comme de la musique électronique où il y a un tempo, tac, tac, tu le suis.
05:14 Là il y a tout le monde qui bouge, il faut les écouter.
05:17 Chacun s'écoute et c'est ça qui est merveilleux aussi.
05:19 En tout cas, on a hâte de l'écouter ce soir.
05:21 On a hâte d'entendre la version philharmonique de votre album.
05:24 Vous avez fait 400 concerts, vous l'avez dit, en 2023.
05:27 Pas moins de 115 concerts, j'ai compté.
05:29 Ça veut dire un concert tous les 3 jours.
05:31 Vous ne craignez pas le burn-out ?
05:33 Et c'est une question sérieuse.
05:34 Alors si, je pense que...
05:35 Parce que vous aviez fait la première partie de Stromae par exemple.
05:38 Lui, il l'a fait le burn-out.
05:41 Je pense que ne pas craindre le burn-out, c'est être complètement inconscient.
05:46 Évidemment qu'il faut faire attention à tout ça.
05:48 Je pense qu'il y a eu une période où j'ai un peu forcé sur la corde.
05:52 Là maintenant, j'ai eu l'intelligence de revoir un peu mon emploi du temps.
05:56 Que j'avais tendance à pousser un peu trop.
05:58 Parce que j'adore le travail et que j'ai tendance un peu à m'oublier là-dedans.
06:02 Mais je suis tellement bien...
06:05 Il n'y a personne qui me force à faire ce que je fais.
06:07 Je pense qu'il faut juste que je fasse attention à moi.
06:10 Parce que j'ai tendance à...
06:11 C'est quoi le risque ?
06:12 Le risque c'est de perdre le goût de la vie.
06:16 Puis c'est le burn-out.
06:18 Le burn-out c'est le risque.
06:21 Il y en a plein de risques.
06:22 Mais en tout cas c'est surtout la tristesse.
06:23 Et de perdre le goût de plein de choses.
06:25 De réaliser tout ce que tu fais, etc.
06:28 Voilà, de perdre le goût.
06:30 Ce risque, il existe encore plus pour l'hyper-hyprasensible que vous êtes.
06:35 Je parlais des victoires.
06:37 On se souvient et quand même il y a eu ce moment très très fort de votre discours aux victoires
06:42 où vous parliez d'une ode à la sensibilité.
06:45 On l'écoute.
06:46 Je suis née très sensible, comme vous pouvez le remarquer.
06:49 Et pendant très longtemps, j'ai pensé que ce n'était pas bien d'être sensible.
06:52 Parce que ça me faisait défaut dans la vie.
06:54 Parce que ça se traduisait en pleurs, en cris, en colère.
06:57 En plein de choses pas très agréables.
06:59 Et un jour, j'ai découvert la musique.
07:01 Et je me suis rendu compte qu'en pleurant sur mon piano, ça me faisait un bien fou.
07:05 Ça faisait de mal à personne.
07:07 Et surtout ça faisait des jolies chansons.
07:09 Et je me suis rendu compte que ce que je pensais être mon plus grand défaut dans ma vie
07:11 était finalement un plus grande qualité.
07:13 Et je suis trop contente.
07:16 Merci infiniment à toute mon équipe.
07:20 Et merci à vous qui avez voté.
07:22 Je finirai par une phrase que je finis toujours par dire à mon concert.
07:26 Être sensible, c'est être vivant.
07:27 Et nous ne sommes jamais trop vivants.
07:29 Elle était forte cette phrase.
07:33 Il était fort ce moment.
07:35 Il était très fort.
07:37 Et je pense que vous avez touché plein de gens précisément par vos mots à ce moment-là.
07:40 Et notamment plein de jeunes.
07:42 La sensibilité, c'était votre plus grand défaut.
07:44 C'est votre plus grande qualité aujourd'hui.
07:46 Je pense que c'est toujours un mix des deux.
07:48 La sensibilité, c'est comment tu la gères.
07:51 Et elle est dure à gérer.
07:52 Je pense qu'elle peut faire en même temps des merveilles, mais aussi des catastrophes.
07:57 Mais comme toute bonne chose, il y a toujours un mauvais côté à ça.
08:02 Effectivement, à un moment dans ma vie, je ne voyais que ces mauvais côtés.
08:05 Parce que je pense qu'elle s'est traduisée de manière pas très intéressante.
08:09 Mais c'est une flamme à dompter, la sensibilité.
08:13 Et c'est dur à dompter, mais ça vaut le coup.
08:16 Il y en a une qui ne vaut pas le coup.
08:17 Lors des victoires, vous avez aussi eu un mot pour les soignants.
08:20 Vous avez partagé votre dernière victoire avec eux.
08:23 Vous-même, vous avez été auxiliaire de vie pendant un temps.
08:25 C'était important pour vous de partager ce moment-là aussi ?
08:28 C'était l'autre moment très fort de ces victoires, quand vous partagez le prix avec les auxiliaires de vie ?
08:34 Oui, ça m'est venu comme ça.
08:36 Je n'avais pas du tout prévu de dire ça.
08:38 Déjà, je n'avais pas prévu de gagner quatre victoires.
08:40 Donc, au bout de la quatrième fois, je me suis dit "mais qu'est-ce que je vais raconter ?
08:42 Je ne peux pas encore parler de moi, c'est inintéressant."
08:45 Effectivement, ça m'est venu parce que je pense souvent à...
08:48 Je crois que ça m'a énormément marqué cette année en tant qu'auxiliaire de vie.
08:52 Et j'ai rarement vu des personnes que je trouvais aussi dingues.
08:58 J'ai été très, très admiratif de tous les gens que j'ai croisés dans ce milieu.
09:02 Vous dites que c'est un métier très difficile, qui demande énormément de bonté.
09:05 Oui, parce qu'on te donne très peu de choses en retour, et tu donnes énormément.
09:10 Et je crois que c'est ça pour moi la bonté, c'est de donner sans attendre quelque chose en retour.
09:14 Elles m'ont tellement marqué ces personnes-là que je me suis dit "moi je reçois un prix,
09:20 pourquoi est-ce que je reçois ? Je ne sais pas ce que c'est, pourquoi on me donne la parole ?
09:23 Je ne sais pas trop pourquoi non plus. Moi, j'ai envie de donner la parole."
09:26 Ces années comme auxiliaire de vie, vous dites "cette année, ça m'a appris complètement l'humilité.
09:31 Mon plus grand cauchemar aujourd'hui, ce serait de devenir une connasse qui pense qu'elle est un dieu."
09:35 Alors comment on se prémunit contre la grosse tête quand on reçoit 4 victoires ?
09:41 Je pense que c'est l'entourage, c'est comment tu as été éduqué, c'est plein de valeurs.
09:49 Je n'ai pas gagné confiance en moi en gagnant 4 victoires, ça n'a rien changé.
09:56 Je doute autant et surtout, je pense que si je commençais à devenir con,
10:02 tous mes meilleurs potes me foutraient deux bonnes grosses tartes et me diraient "tu te calmes, on revient te voir après."
10:07 Je pense que c'est vraiment la haine. Moi, je n'ai jamais aimé les pédants et je n'ai pas envie d'en devenir un.
10:17 Les impromptus pour terminer, vous répondez rapidement sans trop réfléchir.
10:21 Vous êtes contre le fric ?
10:24 Oui.
10:26 Le prochain album, il y aura moins de larmes ?
10:29 Pas sûr.
10:31 Vous êtes réconcilié avec votre corps ?
10:34 Oui.
10:35 Et l'amour dans tout ça ?
10:38 Il y en a partout, j'ai la chance d'avoir une vie entourée d'amour. Pas l'amour romantique.
10:43 Toujours pas l'amour romantique.
10:44 Mais ça viendra. L'amour est dans tout, plein de choses autres que le couple.
10:49 Je suis entouré de gens qui me donnent beaucoup d'amour et d'amitié.
10:54 Et vous dites "j'ai découvert une sensualité sur scène que je n'ai pas du tout dans la vraie vie parce que je ne connais rien au sexe."
10:59 Oui, ça c'est vrai.
11:02 C'est vrai que vous ne connaissez rien au sexe ou c'est vrai que vous avez une sensualité ?
11:06 Tout est vrai.
11:08 Bach ou Chopin ?
11:10 Chopin.
11:11 Barbara ou Brel ?
11:15 C'est horrible.
11:20 B.
11:21 B.
11:22 Pink Floyd ou Led Zeppelin ?
11:24 Pink Floyd.
11:25 Aya Nakamura qui chanterait Piaf au J.O. C'est bien ?
11:29 Bien sûr.
11:31 Vous mentez souvent, Zao Tsagasang ?
11:35 Une époque, oui. J'ai appris à m'arrêter.
11:39 La fumette, c'est fini ?
11:41 Oui, en tout cas ça arrivait une fois tous les 4 mois.
11:45 Vous votez ?
11:46 Oui.
11:47 Liberté, égalité, fraternité, vous choisissez quel mot ?
11:51 En liberté.
11:53 Et Dieu dans tout ça ?
11:55 Ouh là, moi ce n'est vraiment pas mon compagnon de bord.
12:01 C'est une réponse parfaite, c'est acceptable.
12:05 Vous serez donc ce soir et on va tous vous écouter à 20h au studio 104 de la Maison de la Radio pour ce concert exclusif accompagné de l'orchestre philharmonique de Radio France sous la direction de Dylan Corlay et présenté par Laurent Goumard.
12:17 Merci beaucoup, Zao Tsagasang.

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