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Retrouvez "Pascal Praud et vous" sur : http://www.europe1.fr/emissions/pascal-praud-et-vous

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00:00 - Et nous sommes donc en direct de Nouvelle-Calédonie avec une auditrice je pense. Bonjour !
00:05 - Bonjour monsieur, bonsoir pour nous.
00:08 - Et merci d'être avec nous, on ne dira pas ni où vous êtes ni qui vous êtes.
00:12 Simplement ce qui nous intéresse c'est votre témoignage.
00:16 Comment est la situation ? À quelle heure est-il en ce moment en Nouvelle-Calédonie ?
00:21 - Il est 20h14.
00:23 - Comment est la situation ?
00:27 - Nous sommes enfermés entre femmes, amies du même quartier, avec chacune deux enfants,
00:33 5 ans, 7 ans, 12 ans, 9 ans, 17 ans,
00:37 livrés à nous-mêmes parce que nos hommes sont, j'ai envie de dire le mot, au front,
00:43 cachés, barricadés derrière des barrages de fortune.
00:48 Des barrages, vous pouvez imaginer tout ce qu'il peut y avoir dans une résidence, four, climatiseur, voiture,
00:54 on fait ce qu'on peut.
00:55 Je vais mal parler, ils sont avec leur bite et leur couteau.
00:59 On en est là, personne ne viendra nous aider.
01:01 On nous a prévenus, là c'est chacun pour soi.
01:04 Donc on sait nos maris là-bas, avec des émeutiers en face, armés maintenant.
01:11 Ça fait trois jours, ça dure depuis lundi soir, sachant qu'on a 10 heures de plus que vous.
01:15 Depuis lundi soir, on ne dort pas.
01:18 Vous avez au téléphone des mères de famille avec des enfants dans une situation chaotique.
01:27 Les seules choses qu'on voit, c'est sur les réseaux, c'est ce qui se passe sur notre île.
01:31 Ils ont bousillé notre île, il n'y a plus rien, il n'y a plus de concessionnaire, il n'y a plus de pharmacie,
01:35 il n'y a plus d'école.
01:37 Les lycées de nos enfants sont brûlés, les collèges de nos enfants sont brûlés.
01:40 Ils essayent tant bien que mal de sauver une seule grande surface, ce soit la commune de Dumbéa,
01:45 pour qu'il nous reste à bouffer, tous les piliers.
01:50 Ils sont ivres morts, mais je ne sais pas comment ils tiennent.
01:53 Toujours là, il y a des gens du nord qui arrivent, armés, prêts à en découdre.
02:09 Ils sont à priori arrêtés au niveau de la Tontouta qui est l'aéroport, mais certains sont passés à priori.
02:17 Ils visent de les écarter de blancs maintenant, parce qu'une fois qu'ils ont tous saccagé à l'extérieur,
02:22 maintenant il faut aller terroriser du blanc.
02:25 On parle de terrorisme.
02:26 Ce qui me révolte le plus, ce n'est pas l'état de ces êtres, on ne parle même pas d'êtres, là on parle de...
02:36 de chair de haine.
02:38 De chair de haine, je ne peux pas vous dire autrement.
02:41 De chair de haine sans cervelle.
02:43 Agé de 6 ans à je ne sais pas, parce qu'on parle quand même d'enfants de 6 ans, 8 ans, 9 ans, 10 ans qui pillent, OK ?
02:51 Et qui caillassent, et qui coptellent monotophe, et qui...
02:56 Imaginez-vous le chaos.
02:58 Imaginez-vous être sur une île française, monsieur.
03:00 Je suis française, j'habite en Cahaydonie depuis 10 ans.
03:05 J'ai mes sociétés ici, j'ai ma maison ici.
03:07 Ma deuxième fille est née ici.
03:09 Je travaille ici.
03:10 J'étais heureuse dans ce pays jusqu'à lundi matin.
03:13 - Alors ce qui le frappe, c'est la soudaineté de cela.
03:16 Est-ce qu'avant lundi, est-ce que vous aviez des prémices ?
03:21 - Des prémices, monsieur, ce serait très bon d'en parler parce que la Nouvelle-Cahaydonie a une histoire très compliquée
03:27 et je ne peux pas débattre sur le sujet là maintenant, c'est trop long.
03:31 Il y a un passif très lourd, très très lourd sur la Nouvelle-Cahaydonie, la colonisation, tout ça, tout ça.
03:38 Donc bien sûr, ça fait 10 ans que je suis imprégnée de tout ça, mais 10 ans qu'on vit ensemble.
03:44 10 ans que je n'ai pas peur.
03:46 Je n'ai jamais eu peur sur cette île.
03:47 Au contraire, depuis lundi soir, on est dans la terreur parce qu'on se rend compte.
03:53 - Et c'est ça que je trouve intéressant dans votre témoignage, quand je parle de soudaineté,
03:59 je vous dis, j'entends que par exemple la semaine dernière, on est aujourd'hui jeudi,
04:05 jeudi dernier vous n'aviez pas peur par exemple ?
04:08 - Je l'ai dit, je n'avais pas peur. Lundi matin, je suis partie bosser.
04:11 On se dit tous entre nous "putain, ça va péter, c'est tendu, ça va péter".
04:17 Mais on a tous eu très peur au niveau des référendums, il y a eu 3 référendums sur les accords de Nouméa
04:21 pour le maintien de l'Académie dans la France.
04:25 Il y a eu 3 référendums à deux ans d'intervalle, c'est bien ça, je ne dis pas de conneries.
04:29 Désolée, je n'ai pas les idées claires, on est à 4 jours d'insomnie.
04:32 - J'imagine, et je remercie d'ailleurs de témoigner.
04:35 - Il y a eu 3 référendums et là on avait peur, l'on se disait "ça peut déborder".
04:40 Les référendums se sont passés.
04:42 Et depuis, on a face à nous un gouvernement indépendantiste qui ne veut pas accepter qu'on est maintenu dans la France.
04:49 En fait c'est partie d'une histoire de dégel de corps électoral, je ne sais pas si vous êtes au courant de ça.
04:54 Si vous me dites que vous n'êtes pas au courant de ça, je vais m'effondre.
04:57 - Non mais on est tous au courant de ça.
04:59 - Et de la part de la société.
05:01 - Mais à votre avis c'est une erreur selon vous du gouvernement de faire ça ?
05:04 - Mais certainement pas monsieur, je paye mes impôts, je fais tourner l'économie.
05:08 - Donc il fallait le faire.
05:10 - Il fallait le faire.
05:12 On a tout misé ici nous monsieur.
05:14 Moi je l'aime cette terre comparée à ceux qui la revendiquent et qui sont en train de la détruire.
05:19 Vous ne pouvez pas imaginer la peur au ventre que j'ai si on arrive à sortir vivant monsieur, parce que je parle de sortir vivant.
05:25 On en est là.
05:27 La peur que j'ai, je ne sais pas quand, demain, après demain, dans trois jours, dans une semaine,
05:32 parce que c'est bien beau les pipos, l'armée est là, ça y est, tenez bon, ça y est l'armée est là,
05:36 l'armée est là depuis 24 heures, rien n'a changé.
05:38 Rien n'a changé, on n'est pas plus en sécurité.
05:42 C'est encore nos maris qui sont cachés derrière des climatiseurs.
05:44 A nous protéger, la peur au ventre.
05:47 - Est-ce que ça remet en cause votre...
05:49 - On est livrés à nous-mêmes.
05:51 Donc moi là je tremble, là, je me dis que donc je ne sais pas quand est-ce qu'on va sortir,
05:55 mais le jour où on va sortir, monsieur, il va y avoir une onde de choc.
05:58 Le pays est ragé.
06:00 Ils ont détruit le bitume, ils ont volé des minipelles, ils ont pris des hachoirs dans les boucheries,
06:07 ils ont vidé toutes les cabavins parce que sa boite n'a plus à avoir de sens,
06:14 mais il tient encore, on se demande de comment, je ne sais pas comment.
06:17 Ils ont tout détruit, monsieur, les centres commerciaux, il y a des menaces d'explosion,
06:22 des brasseries, tout, tout, tout.
06:27 La ville est...
06:29 - Mais comment vous faites pour...
06:31 - C'est un chaos, monsieur, c'est une petite ville et c'est un chaos.
06:33 - Comment vous faites pour boire, pour manger ?
06:35 - On avait quelques provisions, on a nos frigos.
06:39 - Oui mais j'imagine que...
06:41 - On prend le trade, on rationne.
06:43 Ma fille voulait un dessert à midi, j'ai dit non, j'en prends un, tu partages avec ta sœur.
06:47 - Vous avez combien d'enfants ?
06:49 - Là j'ai pas peur de mourir de faim, j'en ai rien à foutre parce que là...
06:51 - Moi, monsieur, on ne mange pas.
06:53 - On ne mange pas.
06:55 - On ne mange pas.
06:57 - Les maris et les enfants.
06:59 - Mais quand vous dites "vos maris sont où" ?
07:01 - Là j'ai pas peur de mourir de faim parce que je me dis qu'on va se démerder, il y a des papayes,
07:05 on a des frigos, on a des conserves, c'est pas de problème.
07:09 - Vos maris sont où ? Quand vous dites "nos maris nous protègent", ils sont où, vos maris ?
07:13 - Tous mes maris, moi je ne vais pas parler forcément du mien qui fait partie de l'eau,
07:17 celui de mes amis, mais en fait on fait tous des barrages comme on peut pour protéger nos habitations.
07:21 On n'en parle pas de maisons individuelles, on a la chance d'habiter un endroit où il y a une entrée principale,
07:27 et nous on est sur l'arrière.
07:29 - Mais ils sont armés, vos maris ?
07:31 - Comme on peut.
07:33 - De fortune.
07:35 - Est-ce que ça remet...
07:37 - Je ne veux pas vous entrer là-dedans parce que je ne peux pas...
07:39 - Je vous comprends, est-ce que ça remet en cause votre présence sur l'île ?
07:41 Est-ce que vous vous dites "après les événements, nous on rentre en métropole" ?
07:45 - Mais monsieur, j'aime cette île. Je vous ai dit, j'ai tout aimé.
07:49 Et puis ce n'est pas si facile, on a tous des copains de Marseille ou de n'importe où qui me disent "alors vous prenez l'avion-camp".
07:55 Mais les gars, on n'en est pas là. On a nos maisons. Moi j'aime mes animaux plus que tout, j'ai mes animaux.
08:01 Mes filles ont leur vie. On a un équilibre, on a une vie saine.
08:04 - Oui mais...
08:06 - Mais monsieur, je suis dans le brouillard le plus total, c'est-à-dire que rien ne sera plus jamais comme avant,
08:12 et on est toutes là, on est trois gonzesses, trois mamans, on se dit "mais quel regard on va avoir maintenant ?"
08:18 On n'est pas prêts à partir d'ici, on n'est pas prêts à rester ici, on n'est pas prêts à rentrer en France, on n'est pas prêts...
08:24 J'ai pas de mots.
08:27 - On veut retrouver nos vieilles familles, nos maris, on veut retrouver nos maris.
08:30 - On veut retrouver nos maris, vivants.
08:33 - C'est un témoignage de très grande force que vous nous proposez, parce que c'est le témoignage de la réalité.
08:40 Je retiens de ce que vous dites, évidemment, votre peur importante.
08:44 - La réalité, c'est que j'ai un râteau derrière ma porte, que j'ai une tête de...
08:48 On a les râteaux, ma collègue est infirmière, elle dort avec une lame de bistouri dans la poche.
08:54 - Que l'île soit rasée, vous me dites "toutes les concessions automobiles ont été saccagées, tous les magasins ont été saccagés".
09:01 C'est ça que je retiens, c'est-à-dire qu'en trois jours, cette île a été rasée.
09:09 - Il y a des émeutes par millier en France. Je pense que c'est même jamais arrivé, un tel désarroi en France.
09:18 Je ne comprends pas... - Ah non, mais ça, tel que vous le racontez, je vous confirme.
09:22 Je vous confirme, parce qu'il y a intervention. Ce qu'il a manqué manifestement, c'est la réponse policière.
09:28 - L'anticipation ! Hier soir j'ai paniqué, hier soir on me perd des pieds.
09:32 Monsieur, on me perd pieds, on entend des pieds au bout de la résidence.
09:35 Hier j'ai appelé la Provence, j'ai appelé ma famille en France, je leur ai dit "je vous en supplie, aidez-nous, appelez le président".
09:42 J'ai appelé ma mère, monsieur, j'ai 39 ans, j'ai appelé ma mère en pleurs.
09:45 J'ai pleuré comme un enfant, j'ai pleuré comme un bébé en lui disant "maman j'ai peur, maman j'ai peur, appelle la radio, appelle quelqu'un, maman j'ai peur".
09:53 Je suis mère de famille. Monsieur, avant-hier j'ai dormi avec mes filles.
09:56 Vous savez la scène du Titanic où un enfant dort dans le nez avec ses deux gamins parce que mon mari était devant ?
10:00 Je me suis endormie avec mes filles. J'ai éternué. En pleine nuit, j'ai éternué.
10:05 Discrètement. Ma petite-fille de 7 ans, elle a fait un bond de 1 m dans le lit, elle avait les mains placardées sur le visage en panique.
10:11 Vous croyez qu'on peut oublier ça ? Qu'un enfant ne dorme pas tranquille parce que j'ai éternué à côté d'elle ?
10:16 J'ai envie de dire comment on peut vous aider.
10:20 Là on est en train de dire à nos gamins... Là, monsieur, il y a une demi-heure on était en train d'expliquer à nos 7 gamins, monsieur.
10:26 Si on doit se cacher les enfants, vous devez pas pleurer.
10:29 On se sert les uns contre les autres. Maman, elles ont pris tout ce qu'il faut. Surtout, faut pas pleurer.
10:34 La petite-dernière elle a 5 ans, c'est ça ?
10:36 La dernière a 5 ans, la mienne a 7 ans.
10:39 On regarde nos enfants en leur disant "les enfants, par pitié".
10:42 Le moment, si on doit décoller, il n'y a pas de bruit, il n'y a pas de bruit.
10:46 Je vais vous poser une question simple parce qu'on échappe là à simplement le regard journalistique que je peux avoir.
10:55 Comment on peut vous aider ?
10:59 Comment cette station, comment nous, à l'antenne, comment on peut vous aider ?
11:05 - Eh bien, monsieur, je sèche. Je sèche ou alors hurler, hurler.
11:09 Il faut aider, il y a des familles en danger de mort.
11:12 Il y a des familles pétrifiées depuis 4 jours. Il y a des enfants pétrifiés depuis 4 jours.
11:17 Je sais pas quelle thérapie il va falloir qu'on fasse pour s'en remettre.
11:20 Mais il faut que ça s'arrête, monsieur. Vous êtes père de famille, je pense.
11:24 - Oui, bien sûr, et c'est pour ça que j'entends ce que vous dites.
11:26 - Imaginez vos enfants, imaginez mon mari qui m'appelle il y a une demi-heure en me disant...
11:32 Enfin, je sais plus.
11:36 - Non mais je comprends votre fatigue.

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