En Dordogne, le centre pénitentiaire de Mauzac est un établissement semi-ouvert qui accueille des condamnés à de longues peines, en majorité auteurs d’infractions à caractère sexuel. Une prison très atypique, imaginée par Robert Badinter dans les années 1980, dont la priorité absolue est la réinsertion des détenus…
Si dans les faits, les murs de la prison sont aussi hauts qu’ailleurs, à l’intérieur, il y a une relative liberté qui peut poser question… Car au fond, quelle est la fonction première de la prison ? Punir ou reconstruire ? Sanctionner ou réinsérer ? Le modèle classique est-il efficace ? Evite-t-il la récidive ? Doit-on interroger notre système carcéral et oser d’autres méthodes ?
Rebecca Fitoussi et ses invités ouvrent le débat.
Année de Production : 2023
Si dans les faits, les murs de la prison sont aussi hauts qu’ailleurs, à l’intérieur, il y a une relative liberté qui peut poser question… Car au fond, quelle est la fonction première de la prison ? Punir ou reconstruire ? Sanctionner ou réinsérer ? Le modèle classique est-il efficace ? Evite-t-il la récidive ? Doit-on interroger notre système carcéral et oser d’autres méthodes ?
Rebecca Fitoussi et ses invités ouvrent le débat.
Année de Production : 2023
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00:00 [Musique]
00:02 Nos voisins les détenus de Jamel Zahoui et Miguel Sanchez-Martin,
00:05 film qui nous fait découvrir un modèle de prison atypique,
00:09 vous l'avez compris, où le condamné dispose d'une certaine liberté
00:12 et même d'un certain confort pour mieux préparer sa réinsertion, sa sortie.
00:17 Est-ce efficace ? Est-ce acceptable aux yeux des victimes, aux yeux de l'opinion ?
00:21 On va en parler avec nos invités, Alexandra Borchio-Fontain.
00:24 Bienvenue à vous, vous êtes sénatrice LR des Alpes-Maritimes, secrétaire du Sénat.
00:28 Vous avez récemment vous-même visité la maison d'arrêt de Grasse,
00:31 où vous avez constaté une densité carcérale extrêmement importante.
00:35 Elle dépasserait là-bas les 130% et cela vous a interpellé.
00:38 On en parlera ensemble.
00:39 Béatrice Brugère, bienvenue à vous également.
00:41 Vous êtes magistrate, secrétaire générale du syndicat Unité Magistrat FO
00:46 et vous êtes l'auteur de ce livre "Justice, la colère qui monte"
00:50 aux éditions de l'Observatoire.
00:52 Sylvie Paré, bienvenue à vous également.
00:53 Vous êtes enseignante, vous avez été longtemps directrice
00:55 du centre scolaire de la maison d'arrêt de Nanterre.
00:58 C'est près de Paris.
00:59 Et vous êtes la co-auteur avec Cécile de Rame de ce livre
01:02 "L'école en prison, une porte de sortie" parue aux éditions du Rocher.
01:06 Merci beaucoup à toutes les trois d'être avec nous.
01:08 Il est possible que certains de nos téléspectateurs aient été un peu choqués
01:12 par la relative liberté accordée à ces détenus dans la prison de Mosac.
01:16 Possible qu'ils aient été heurtés par le quotidien rendu agréable,
01:19 disons-le, à des personnes lourdement condamnées pour des crimes graves.
01:24 Avez-vous été, vous, choquée à titre personnel ?
01:27 Alexandra Bourquiofontain.
01:29 Alors, je n'ai pas été jusqu'à être choquée.
01:31 En tout cas, je mets à la place des victimes et des familles des victimes.
01:35 À la fin de ce documentaire, on vient de l'entendre, se pose la question
01:39 de est-ce que Mosac serait un modèle à suivre en France ?
01:43 Ça introduit aussi l'idée de qu'est-ce que doit être une prison ?
01:46 Est-ce qu'elle est un lieu d'enfermement, de punition ou est-ce qu'elle est,
01:50 au contraire, un lieu de formation, de réinsertion ?
01:53 Certainement les deux, bien sûr, mais avec certaines limites.
01:56 Je prenais des notes durant le visionnage de ce documentaire
02:01 et je notais qu'un des détenus nous confiait, dans le début du reportage,
02:05 son arrivée à Mosac avec le chant des oiseaux, un cadre de plénitude et de calme,
02:09 un lieu de vie agréable, voire même un pavillon.
02:13 Ça ressemble plus à un vocabulaire d'une arrivée sur un lieu de vacances.
02:17 Donc, voilà, je me mets à la place des victimes et des familles des victimes.
02:20 Et je ne suis pas sûre, en tout cas, qu'elles puissent regarder ce documentaire jusqu'à la fin.
02:23 Sylvie Paré, avez-vous été choquée, vous, par ces conditions ?
02:26 Disons-le, relativement agréables pour des détenus condamnés,
02:29 pour la plupart, on l'entend dans le documentaire, pour des crimes sexuels,
02:33 donc des faits extrêmement graves, avec des victimes qui souffrent
02:36 et qui souffriront effectivement longtemps,
02:38 voire potentiellement leurs bourreaux être dans un cadre de prison très agréable,
02:43 peut les heurter ? Est-ce que, vous, ça vous choque ?
02:46 Non, ça ne me choque pas, parce que Robert Bindater le redit plusieurs fois,
02:52 un jour, ils sortiront.
02:54 Donc, il me semble que c'est très compliqué de sortir d'un enfermement très difficile,
02:59 se retrouver dehors directement, sans être passé par un SAS comme celui-là,
03:03 qui redonne un cadre de vie qu'ils auront dehors.
03:07 Donc, il faut se réhabituer aussi à un cadre de vie agréable.
03:12 Il faut se ressentir un petit peu valorisé, quand même, par le travail de la terre,
03:18 par tout ce qu'on leur propose.
03:20 Et c'est vrai qu'on pense aux victimes et aux familles des victimes, c'est évident,
03:24 mais en même temps, ces hommes, quand ils seront dehors,
03:27 il faut qu'ils puissent vivre et surtout ne plus recommencer.
03:30 Donc, c'est dans ce cadre-là que ça me choque.
03:33 Béatrice Brugère, c'est vrai qu'on les voit jardiner,
03:35 on les voit aller à leurs rendez-vous médicaux ou pas, avoir une certaine autonomie.
03:40 La question, c'est celle de l'équilibre qui vient d'être dit à l'instant,
03:43 entre le traitement qu'on peut donner à des détenus,
03:46 avec cette vision de réinsertion,
03:48 et celui qu'on donne ou qu'on donne pas aux victimes.
03:50 Déjà, ça, c'est la première chose.
03:52 Donc, c'est l'équilibre ou le déséquilibre qui pourrait être choquant,
03:56 dans une première partie.
03:58 Après, ce qu'il faut bien comprendre, pour éviter les stéréotypes,
04:01 c'est que cette prison, c'est pas un modèle très répandu.
04:04 Et il arrive à un certain temps de la peine.
04:07 C'est-à-dire que les gens, comme vous l'avez rappelé à l'instant,
04:11 ont commis des faits très graves et sur un segment très particulier,
04:15 qui sont des infractions sexuelles.
04:17 Donc, en général, c'est pas des gens dangereux,
04:19 c'est pas des gens violents, dans le sens criminel,
04:22 comme on a l'habitude dans d'autres centres de détention,
04:24 ce qui explique qu'on leur donne un peu plus de liberté.
04:27 Mais surtout, ce SAS, puisque c'est un SAS qui prépare la sortie,
04:32 arrive après un long temps, normalement, de détention,
04:35 où ils sont dans un centre de détention plus classique.
04:38 Et ça serait peut-être choquant pour répondre, alors, cette fois-ci,
04:41 vraiment à votre question,
04:42 s'ils rentraient directement après une condamnation dans cet univers.
04:49 Là, je pense que ça serait vraiment choquant.
04:50 On en parlera de l'efficacité,
04:52 si tant est que je puisse utiliser ce terme de ce type de prison,
04:56 mais peut-être cette question un peu plus philosophique,
04:57 quelle est la fonction de la prison ?
04:59 Quelle est, au fond, la fonction de la prison, Sylvie Paré ?
05:02 Mais, alors, la prison, elle est dans un temps défini.
05:06 Soit ce sont des petits délinquants et le temps sera court,
05:09 soit ce sont des délinquants, par exemple,
05:12 ce type de délinquant ou des trafiquants de drogue, ou cela.
05:16 Donc, ce sera un temps plus long.
05:17 Donc, dans ce temps long, il y a la maison d'arrêt,
05:19 qui est un type de prison où il n'y a pas du tout ça.
05:21 Au contraire, ils sont très tenus.
05:23 Et puis, après, ils vont aller dans un centre de détention,
05:27 qui peut être comme MOSAC,
05:28 où là, on va leur réapprendre un petit peu d'autonomie.
05:32 Parce que…
05:33 Mais la prison, elle est là pour sanctionner
05:36 et pour réinsérer dans quel équilibre ?
05:38 Elle est censée être dissuasive, aussi ?
05:42 Elle est censée être dissuasive,
05:43 elle est censée faire en sorte qu'ils redeviennent des citoyens à part entière.
05:50 Et puis, en même temps, on sait que c'est un lieu,
05:53 comme il y a beaucoup, beaucoup de promiscuité,
05:55 où il va y avoir des influences qui vont être néfastes, etc.
05:58 Enfin, bon, voilà, c'est compliqué.
06:00 C'est un lieu très fermé, quand même.
06:02 Alexandra Borchiofontain ?
06:03 La fonction de la prison.
06:05 Elle est dans mon propos liminaire,
06:07 c'est-à-dire qu'à la base, la fonction est un lieu d'enfermement,
06:10 qui était là, justement, pour effectuer une punition.
06:14 Bien sûr, comme le disait M. Badinter dans le documentaire,
06:17 c'est évidemment… L'objectif, c'est d'en ressortir meilleur.
06:20 On se doute, je ne suis pas une spécialiste du milieu carcéral,
06:23 ou en tout cas une psychologue,
06:24 mais on se doute qu'un enfermement avec un accompagnement médicamenteux
06:28 ne peut pas rendre l'individu meilleur.
06:30 Donc, je trouve qu'il y a un juste équilibre à trouver
06:33 entre purger sa peine et ensuite, bien sûr,
06:37 travailler à sa réinsertion.
06:38 On le voit dans beaucoup de maisons d'arrêt ou de centres d'étention,
06:42 toutes les activités qui sont possibles au sein de l'institution.
06:45 Donc, je pense que personne ne peut être contre
06:49 cette volonté de les voir travailler, de les voir se former.
06:51 Je ne pense pas qu'on puisse être contre ça,
06:53 mais il y a peut-être un juste équilibre à trouver entre une totale liberté.
06:58 Voilà. Et puis après, ce qui manque dans ce documentaire,
07:00 enfin, sauf à Renaud Vazard, c'est qu'il n'est pas documenté.
07:02 On n'a aucune idée, finalement, de l'efficacité de ce modèle.
07:06 Est-ce que le taux de récidive est plus important ou pas ?
07:09 Il n'y a pas de chiffre, donc c'est difficile pour nous aussi de juger.
07:12 Si c'est... Voilà, si tu as eu raison, et on aura effectivement un extrait
07:14 qui nous le montrera, fixer la réinsertion comme priorité,
07:18 d'après vous, c'est la bonne démarche ou pas ?
07:19 Alors, votre question, elle est vraiment primordiale.
07:21 Elle est intéressante, elle est philosophique,
07:24 parce que chaque société a des manières différentes de punir.
07:27 Et la vraie question, c'est aujourd'hui, est-ce que dans notre société,
07:30 on sait encore punir ?
07:32 Le terme même de sanction disparaît de plus en plus.
07:35 On parle souvent que de réinsertion, et d'ailleurs, on en fait très mal,
07:37 et on en fait très peu, en vrai.
07:39 Mais on en parle beaucoup.
07:41 Et je crois qu'il ne faut pas perdre de vue que d'abord, c'est une punition.
07:48 Alors, la punition, elle peut se décliner de manière extrêmement différente,
07:52 mais la prison doit rester d'abord,
07:54 et ça, c'est par respect par rapport aux victimes,
07:56 mais c'est aussi par, j'allais dire, justice,
07:59 parce que c'est une œuvre de justice, par rapport aux infractions qui sont commises.
08:02 Il y a une sanction. Cette sanction, elle doit être proportionnée,
08:05 elle doit être certaine, et la prison en fait partie
08:08 pour des gens qui ont des profils dangereux
08:10 ou qui ont fait des choses très graves.
08:12 Et je crois qu'il faut le redire et l'assumer.
08:14 Mais punir ne veut pas dire faire souffrir.
08:16 Exactement. Et il faut bien ne pas oublier que, aussi,
08:19 les peines longues sont arrivées,
08:22 en tout cas, je pense, pour la perpétuité,
08:24 dans quelque chose qui est plus doux par rapport à ce qu'il y avait avant,
08:28 c'est-à-dire la peine de mort.
08:30 Il ne faut quand même pas oublier qu'on est plutôt dans un processus,
08:33 si on commence à faire l'histoire des sanctions,
08:36 qui est plutôt un processus beaucoup plus humaniste
08:40 que toutes les peines corporelles qu'on a connues, etc.
08:43 Donc, on ne peut pas dire qu'aujourd'hui,
08:45 les prisons sont des lieux épouvantables.
08:47 Ils sont devenus des lieux épouvantables
08:49 parce qu'on n'a pas assez de place, parce qu'on n'a pas assez de moyens
08:52 et qu'on est en surpopulation.
08:54 Mais il faut quand même dire les choses telles quelles.
08:56 Et en tout cas, cette prison que l'on voit,
08:59 elle pourrait même sembler idéale.
09:01 Tout le monde rêverait d'aller peut-être dans ce genre de prison.
09:04 Mais cette prison n'est pas du tout adaptée pour tout le monde.
09:07 Il y a une autre prison qui s'appelle Casablanca,
09:08 qui, exactement sur le même principe,
09:10 où les gens ont une forme de liberté,
09:13 en fait, participe d'une réflexion intéressante.
09:16 C'est-à-dire qu'à la fois, il faut rappeler que la prison est une punition,
09:22 qu'elle devrait aussi avoir cette fonction supplémentaire de réinsertion
09:27 pour ceux qui sont désinsérés.
09:29 Tout le monde n'est pas désinséré.
09:30 On part du principe que tout le monde est désinséré, c'est pas vrai.
09:33 Et d'ailleurs, dans le document Terre, on le voit très bien,
09:36 il y a un détenu qui dit "mais ici, vous savez,
09:38 il peut y avoir toutes les catégories sociales".
09:40 Toutes les catégories sociales.
09:42 Donc arrêtons de mettre comme ça des stéréotypes pour penser la prison.
09:45 Donc la prison, en fait, ce qui est intéressant,
09:48 c'est qu'elle devrait, aujourd'hui, avec les moyens qu'on a,
09:51 être pensée par rapport à certains profils de délinquants.
09:54 Or, nous n'avons pas les moyens de faire ça.
09:56 Et MOSAC est l'exemple, peut-être, un des exemples,
10:00 d'une prison un peu profilée, en tout cas,
10:03 sur un certain type de délinquant.
10:04 Et c'est ça qui est intéressant,
10:06 parce qu'en fait, il faudrait partir de cette idée de MOSAC
10:08 pour réfléchir sur d'autres profils.
10:10 Des profils extrêmement dangereux, des profils de toxicaux,
10:14 des profils de gens qui ont un problème de violence, etc.
10:17 Et ça, on sait pas faire.
10:19 Donc c'est pas que MOSAC est formidable,
10:21 c'est que MOSAC doit nous faire réfléchir
10:23 à ce que l'on pourrait faire aujourd'hui,
10:26 en termes de nouvelles prisons, avec...
10:29 Par profil de détenu ?
10:30 Oui, parce qu'aujourd'hui, le problème,
10:31 c'est qu'on mélange tout le monde.
10:33 Alors, est-ce qu'une prison comme celle de MOSAC est efficace ?
10:35 Vous avez effectivement posé cette question.
10:38 C'est évidemment la vraie question.
10:40 Ce centre évite-t-il la récidive plus que les autres ?
10:43 Ce modèle existe depuis plusieurs décennies.
10:45 On devrait avoir du recul.
10:47 Est-ce qu'il fait ses preuves sur ce point ?
10:49 Je partage ce que vous avez dit.
10:50 Le film reste relativement vague.
10:52 On n'a pas vraiment de chiffres.
10:54 Il semblerait d'ailleurs que les chiffres nationaux
10:56 soient assez flous.
10:57 On va écouter un extrait et on en parle juste après.
10:59 On n'a pas de données statistiques en France.
11:04 C'est pas une volonté dans l'air du temps.
11:07 On va s'attacher aux chiffres de la délinquance avant le procès.
11:13 Après, dans l'après, on n'a pas de données chiffrées actuellement.
11:17 Heureusement, les agresseurs sexuels ne récidivent pas tous.
11:21 C'est d'ailleurs pas l'infraction qui engendre le plus de récidives,
11:26 contrairement aux idées reçues, et de loin.
11:28 Et vraiment de loin.
11:30 Alors effectivement, quand il y a une récidive, elle est médiatique.
11:34 Les conséquences sont graves.
11:36 Mais la récidive n'est pas systématique.
11:40 Voilà, des chiffres flous.
11:43 Est-ce que ça vous a frappé, vous aussi, en regardant ce film ?
11:47 Oui, parce que le documentaire montre quand même un exemple.
11:50 Et on aimerait dire qu'il y a 90% de réassertions.
11:54 Qu'est-ce que ça veut dire, ce flou, d'après vous ?
11:56 Ça veut dire que c'est pas si efficace que ça ?
11:58 Comment le savoir ?
11:59 J'ai regardé, j'ai cherché des chiffres.
12:01 J'en ai pas trouvé.
12:02 Sur le centre de Mossack, il n'y en a aucun qui fit.
12:04 En général, le ministère de la Justice transmet peu les chiffres de récidive.
12:09 On sait qu'à peu près 60% il y a de récidive sur les 4 ans après la libération d'un détenu.
12:15 Là, ce qui est délicat, c'est qu'on ne sait pas documenter.
12:18 Donc on ne sait pas, finalement, si c'est utile.
12:19 En tout cas, j'ai noté dans la fin du documentaire, là aussi,
12:24 un interrogatoire de deux détenus qui semblent absolument pas guéris
12:28 à la veille de sa sortie, où ils s'interrogent sur une rencontre avec des petits-enfants.
12:33 On le semble, je reprends ces mots que j'ai notés.
12:36 Donc je parle à sa place.
12:37 Il dit "J'espère après ma libération pouvoir enfin comprendre,
12:42 enfin admettre ce qui s'est passé".
12:44 Moi, je trouve que c'est hyper inquiétant.
12:45 Après être passé dans cette fameuse prison exceptionnelle,
12:50 que ce travail, qui a dû certainement démarrer,
12:53 mais il n'est pas encore véritablement digéré.
12:56 Donc je ne suis pas convaincue.
12:58 Et peut-être que si c'était le cas, on aurait ces fameux chiffres.
13:01 Mais c'est peut-être un modèle qui a des qualités.
13:03 Et je veux rendre hommage aussi au travail que font tous les surveillants pénitentiaires.
13:07 C'est sûr que pour eux, ce sont des qualités, une qualité de travail
13:10 qui est bien plus importante.
13:11 Plus il y a de liberté, moins il y a de violence.
13:12 C'est une évidence.
13:13 Moi, j'ai visité plusieurs maisons d'arrêt, centres de détention.
13:16 Les surveillants de prison sont dans un état bien différent de celui-ci.
13:20 Donc voilà.
13:23 Une des explications au fond, c'est peut-être le manque d'intérêt politique.
13:26 Et il le dit, cet intervenant dans le film,
13:27 il dit aussi que le responsable politique ne s'intéresse pas à l'après.
13:31 Il s'intéresse à l'avant, il s'intéresse à ce qu'a fait le détenu,
13:33 mais il ne s'intéresse pas à ce qui se passe après sa sortie.
13:36 Vous partagez ça ?
13:37 Le politique ne s'intéresse pas à l'après.
13:38 C'est aussi pour ça qu'on a peu de chiffres.
13:39 Robert Boninter s'intéresse à énormément.
13:42 Robert Boninter est une exposition.
13:44 La chance de le rencontrer, c'est marrant parce que c'était vraiment quelque chose
13:46 qui lui tenait extrêmement à cœur.
13:47 Parce que quand on l'a rencontré avec Cécile Dorham,
13:50 il nous a sorti la maquette, etc.
13:51 C'était quelque chose de très, très important.
13:52 Donc pour vous, il n'y a pas de manque de volonté politique ?
13:54 Vous n'y croyez pas à ça ?
13:55 Ça dépend des politiques, je ne sais pas.
13:57 Je ne peux pas juger de ça.
13:58 Mais c'est sûr, force est de constater que les chiffres, on ne les a pas.
14:05 Et je ne sais pas, j'ose espérer que sur une prison comme Mosac,
14:09 les chiffres seraient meilleurs que sur une maison d'arrêt.
14:12 Là, effectivement, comme tout est mélangé, c'est particulier.
14:17 Ça, c'est un sujet majeur, l'efficacité.
14:19 Et la faille ou la faiblesse du système, mais ce n'est pas que pour les prisons,
14:23 c'est pour toutes les analyses statistiques du ministère de la Justice.
14:28 On pourrait parler de la même façon pour les mineurs.
14:30 C'est qu'il y a un désinvestissement intellectuel,
14:34 d'ailleurs il y a un désinvestissement intellectuel sur ce que pourrait être
14:36 une prison demain, sur le côté architectural, sur la pensée stratégique,
14:41 sur la place du travail, c'est-à-dire qu'on jette comme ça des idées,
14:44 de la réinsertion du travail, mais en réalité, il y a un désinvestissement.
14:47 Et comme il y a un désinvestissement, il n'y a pas d'analyse très précise.
14:51 Pourquoi ? Sans doute parce que la prison, c'est aussi un peu tabou.
14:54 C'est un peu quelque chose qui est relégué.
14:56 C'est quelque chose qu'on n'aime pas, qu'on ne s'est pas approprié
14:59 de façon intelligente et de façon stratégique.
15:01 Et donc, ça pose la question de l'efficacité.
15:03 C'est que si vous ne savez pas ce que vous produisez,
15:05 si vous n'êtes pas capable de vous intéresser au contenu, etc.,
15:09 évidemment, vous ne pouvez pas en tirer soit des leçons positives ou négatives.
15:13 Et c'est vrai que même la question que vous posez,
15:17 la manière dont vous la posez sur la récidive,
15:19 et qui est dans le documentaire où il y a deux magistrats qui en parlent,
15:23 est assez ambiguë parce que la récidive, ce n'est pas la réitération.
15:27 Il y a beaucoup de réitération souvent et peu de récidive.
15:30 - Quelle est la différence ? C'est quoi la différence ?
15:32 - Parce que c'est une question légale.
15:33 C'est-à-dire que la récidive, il faut que vous ayez commis la même infraction
15:38 dans un délai où la première infraction a été jugée de façon définitive.
15:44 Donc, vous pouvez réitérer beaucoup de fois,
15:46 mais pas nécessairement en récidive.
15:50 - D'où la complexité des chiffres, alors.
15:51 - D'où l'intérêt aussi de se dire qu'à la fois il faut des chiffres
15:54 et que les chiffres ne disent pas tout quand on ne sait pas les décrypter.
15:57 Donc, il faut être très méfiant là-dessus.
15:58 Et dernièrement, sur la question de l'efficacité,
16:02 ce que je disais tout à l'heure, là, on est sur un segment très particulier
16:05 où vous avez souvent des pervers sur tout ce qui est pédophilie, inceste,
16:10 ou des choses comme ça.
16:11 Et c'est vrai que c'est très compliqué parce que c'est de l'ordre de la psychiatrie.
16:15 Et parfois, ce sont des gens même qui ne changeront jamais.
16:18 Et donc, la vraie question, c'est est-ce que la société
16:21 prend la responsabilité à un moment donné ?
16:23 C'est des vrais départs, en fait, de laisser ressortir ou comme ça,
16:27 une prise de risque, c'est ce que disait madame à l'instant,
16:30 où ils sont quand même attirés par les enfants, etc.
16:33 Ça, c'est un débat qui est politique et qui devrait être posé comme tel
16:37 dans le débat public parce qu'il intéresse tout le monde.
16:40 Je voudrais votre connaissance du terrain,
16:41 puisque nous ne disposons pas de chiffres sûrs et certains.
16:45 Vous les avez côtoyés, vous leur avez fait l'école à ces détenus.
16:50 Ça n'aura pas de valeur de statistique nationale,
16:53 mais est-ce que vous les avez vus revenir beaucoup en prison ?
16:56 Est-ce que vous avez vu qu'en leur renseignant des choses,
16:58 en les formant, ça leur permettait d'avoir une vie après ?
17:02 J'aimerais tellement vous dire, ils ne sont jamais revenus.
17:05 Mais vous les avez vus ?
17:06 Oui, je les ai vus revenir.
17:07 J'étais très mécontente à chaque fois.
17:09 Quand ils redemandaient l'école, je disais non, non, ça ne sert à rien.
17:11 Tu vois, t'es revenu.
17:13 C'est vrai ?
17:14 Oui, mais enfin, je les reprenais.
17:15 Vous avez vu les limites de votre activité ?
17:16 Oui, ça marche pour certains quand même.
17:19 Vraiment, ça a très bien marché.
17:20 J'ai beaucoup d'exemples en tête d'ailleurs
17:23 pour lesquels ça a très bien fonctionné,
17:24 puisqu'après, ils m'envoyaient des petits mails
17:26 avec le travail qu'ils faisaient,
17:30 leurs photos de famille, de mariage et tout ça.
17:32 Voilà, ça avançait quand même.
17:33 Donc, ça vous permettait de garder de l'espoir
17:35 et de voir l'efficacité de votre...
17:37 De toute façon, sur une classe de 12,
17:38 si j'en ai trois qui s'en sortent quand même grâce à l'école,
17:41 c'est toujours trois qui s'en sortent.
17:43 Et beaucoup étaient demandeurs, c'était sur la base du volontariat ?
17:45 C'est sur la base du volontariat ?
17:46 Les majeurs, c'est vraiment sur la base du volontariat.
17:49 Les mineurs, c'est obligatoire jusqu'à 18 ans.
17:51 Donc, eux, ce n'était pas sur la base du volontariat.
17:53 Donc là, ce n'était pas des élèves très attentifs,
17:56 très demandeurs du tout.
17:59 Mais les majeurs, oui, ils étaient demandeurs.
18:02 Et puis, ils étaient demandeurs au départ,
18:04 c'est souvent pour sortir de la cellule,
18:06 on ne va pas non plus se le dire,
18:08 et puis à nous de les accrocher
18:10 et là, de leur donner l'envie d'apprendre.
18:12 Et vraiment, souvent, ça marche.
18:13 Et de faire en sorte qu'ils y trouvent un intérêt.
18:15 Oui, parce que l'école, elle n'a pas été très bonne avec eux
18:17 jusqu'à maintenant non plus.
18:18 Il faut reconnaître que l'école peut être assez destructrice
18:21 pour certains enfants.
18:22 Donc, c'est vrai que c'était compliqué
18:24 de leur redonner un petit peu ce goût de l'école
18:27 et ce goût d'apprendre et cette confiance en eux.
18:29 Mais quand ça fonctionnait, oui, c'est une porte de sortie.
18:33 J'ai quelques chiffres quand même, j'en ai trouvé quelques-uns.
18:36 Ils datent un peu, ce sont ceux de l'INSEE,
18:38 ils datent de plusieurs années.
18:40 Peut-être que vous en aurez d'autres.
18:41 Moi, j'ai lu que 40% des personnes condamnées en 2019
18:44 sont en état de récidive ou de réitération.
18:48 Mais alors, quand on regarde dans le détail,
18:49 c'est 8% de récidive parmi les condamnés pour crime.
18:52 Donc, ce sont les fameux détenus que l'on voit
18:54 dans ce documentaire pour crime.
18:56 40% de récidive pour ceux condamnés pour un délit.
18:59 C'est-à-dire que là, on est plutôt dans la délinquance,
19:01 si je comprends bien. Je crois que c'est ça.
19:04 Non ?
19:04 Alors, là, je ne sais pas s'il n'y a que des crimes,
19:07 au sens où vous faites un peu de droit criminel.
19:11 Aux assises ?
19:11 Oui, mais ça peut être aussi des délinquants sexuels
19:14 pour des délits en agression sexuelle.
19:17 Il n'y a pas que nécessairement des criminels.
19:19 Je n'en suis pas si sûre.
19:21 Il faudrait regarder de près.
19:22 Mais ça veut dire beaucoup plus de récidive
19:24 parmi ceux qui sont condamnés pour un délit,
19:25 plus que pour un crime.
19:27 Qu'est-ce que c'est ?
19:28 Non, on a les chiffres, bien sûr, des récidives.
19:30 C'est indéniable.
19:31 Les chiffres que je vous ai cités tout à l'heure
19:33 viennent du ministère de la Justice.
19:34 Ils datent de 2023, donc ce sont des chiffres officiels.
19:37 Donc, 60% de récidive, 4 ans après la libération d'un détenu.
19:40 Mais le problème majeur, finalement, de tout ça,
19:43 et je m'inscris d'ailleurs dans les propos,
19:44 c'était le thème de l'ouvrage de Mme Brugère,
19:47 c'est qu'il y a une défiance envers la justice.
19:49 Il y a une augmentation indéniable de la violence depuis à peu près 2012,
19:53 110% d'augmentation d'homicides,
19:55 des augmentations immenses aussi sur les coups et blessures.
19:59 Rien qu'en 2021, pour les violences sexuelles,
20:01 je crois que c'est plus de 34%.
20:04 Et 41% des personnes condamnées n'effectuent pas leur peine de prison.
20:08 Donc, la colère, elle monte.
20:10 Les Français ont du mal à comprendre.
20:12 Dans un récent sondage de la Fondation Jean Jaurès,
20:15 on voyait une majorité de Français aujourd'hui
20:16 qui demandent des conditions carcérales de plus en plus dures.
20:20 Parallèlement, ils sont aussi favorables à la réinsertion,
20:23 c'est-à-dire à ce que les détenus puissent suivre l'école ou une formation.
20:27 L'un n'est pas contre l'autre.
20:28 Mais en tout cas, il y a un réel problème en France.
20:30 Et c'est ça qui est le problème sous-jacent, finalement,
20:32 de tous ces sujets des prisons.
20:34 Bien sûr, il faut plus de places de prison.
20:35 Bien sûr, il faut...
20:37 Nous, au sein de ma famille politique,
20:38 on porte des attentes et des demandes fortes
20:42 pour réformer tout un système carcéral qui a bout de souffle
20:45 et qui fait aujourd'hui que les Français sont en colère
20:47 et expriment leur colère à travers des élections.
20:49 Le cas de Mosac est atypique, on l'a compris,
20:51 mais l'écrasante majorité des prisons françaises est dans un état préoccupant.
20:55 Je vais revenir sur les tout derniers chiffres de la population carcérale.
20:58 Ils sont tombés le 1er avril.
20:59 77 450 détenus en France.
21:02 Densité carcérale de 125,8%.
21:06 C'est un nouveau record de surpopulation carcérale.
21:09 Chiffre publié par le ministère de la Justice.
21:11 La France a une nouvelle fois été condamnée
21:13 par la Cour européenne des droits de l'homme en juillet dernier.
21:15 Et pour y répondre, le gouvernement dit vouloir construire
21:18 15 000 nouvelles places de prison d'ici à 2027.
21:23 Est-ce que ça vous semble être la bonne réponse ?
21:25 Construire des places de prison ?
21:27 Oui, Pétrine Bougère ?
21:28 Alors, si je commence, d'abord, c'est intéressant
21:31 parce que le débat, il faut qu'il soit posé de façon très objective.
21:36 En France, nous manquons de places de prison
21:39 par rapport à la moyenne européenne.
21:41 Et si on regarde la moyenne européenne,
21:43 les magistrats ne condamnent pas plus.
21:46 Donc, en fait, on a un effet d'optique.
21:48 On a l'impression que les magistrats condamnent beaucoup
21:50 et de façon ferme, ce qui n'est pas vrai.
21:52 Ils condamnent tout à fait dans la moyenne
21:54 et on a un problème, comme vous venez de le rappeler,
21:56 d'exécution même des peines.
21:58 Mais comme on manque de places,
21:59 on a un effet de surpopulation ou de sous-équipement.
22:03 Ça dépend comment on regarde les choses.
22:05 Donc moi, je pense que oui, il faut construire
22:08 même beaucoup plus de places de prison pour plein de raisons.
22:11 D'abord, pour pouvoir assurer des places individuelles,
22:13 pour assurer de la dignité,
22:15 pour que le personnel pénitentiaire puisse travailler correctement.
22:18 - Parce qu'on n'en a pas parlé, mais aussi en France.
22:19 - Évidemment, parce qu'on leur dit
22:21 "vous devez faire de la réinsertion, vous devez faire des choses,
22:24 mais si vous avez des gens qui sont les uns sur les autres,
22:26 vous ne faites rien, ce n'est pas vrai.
22:28 Vous faites du gardiennage, il y a de la violence
22:29 et en fait, vous faites de l'ordre public à l'intérieur".
22:31 - Oui, il faut y voir pourrir toute la journée.
22:33 - Donc oui, il faut en construire et même beaucoup.
22:36 Et je ne comprends pas que ceux qui pointent du doigt
22:40 la surpopulation carcérale en disant "c'est affreux", etc.,
22:45 refusent la construction des places de prison.
22:47 - Parce qu'il y a un démarre.
22:47 Est-ce que la prison est utile et efficace ?
22:49 Elle est là aussi, la question.
22:50 - La deuxième chose, c'est pourquoi aussi,
22:52 il faut s'interroger là-dessus,
22:54 il y a deux choses encore qui sont intéressantes,
22:56 c'est qu'il y a une augmentation des délits.
23:00 Une augmentation.
23:00 Et d'ailleurs, si on mettait à exécution toutes les places,
23:04 toutes les peines de prison,
23:06 je ne sais pas si vous avez une idée,
23:07 des peines de prison qu'on prononce par an.
23:10 Parce qu'on n'en parle pas.
23:11 On en prononce à peu près entre 120 et 130 000.
23:14 C'est assez stable.
23:15 C'est un peu à la baisse, mais c'est assez stable.
23:17 Donc imaginez que si on mettait à exécution
23:20 130 000 places de prison aujourd'hui,
23:23 ce n'est pas 70 000 personnes qu'on aurait,
23:26 c'est 130 000 en prison.
23:27 Donc, ça veut dire qu'on n'exécute pas ces places de prison.
23:31 - Faute de place.
23:31 - Donc, ça pose aussi un autre problème.
23:33 Et c'est là où les citoyens ne comprennent pas
23:36 et personne ne comprend,
23:36 c'est qu'on prononce des peines qui ne sont pas exécutées
23:38 ou trop tard ou mal exécutées.
23:40 Donc, vous voyez, rien que pour ça, c'est un deuxième.
23:42 Et enfin, ça c'est la dernière chose,
23:45 je pense qu'il faut changer de modèle
23:46 sur l'exécution des peines.
23:48 On a critiqué les courtes peines.
23:51 Et moi, je pense qu'il faut faire
23:52 même des ultra-courtes peines
23:54 entre 7 et 14 jours,
23:55 ce que d'autres pays font.
23:57 Parce qu'on se rend compte que si on mettait à exécution
24:00 très tôt dans les parcours...
24:01 - Ce serait déjà dissuasif ?
24:02 - Non, on fait baisser le taux d'incarceration,
24:04 on fait baisser la surpopulation.
24:06 Pourquoi ?
24:07 Parce qu'en fait, en France, on a deux problèmes.
24:09 On incarcère trop tard,
24:11 c'est-à-dire des gens qui ont déjà des casiers
24:13 ou en tout cas, des mentions extrêmement importantes.
24:16 Moi, je suis pénaliste,
24:18 on a vu des gens qui ont déjà 30 mentions
24:19 avant d'aller en détention.
24:21 Donc, ça, c'est un problème.
24:22 Quand ils sont incarcérés,
24:23 le travail de réinsertion, il est quand même très compliqué,
24:26 parce que les gens ont déjà un parcours de délinquance très fort
24:29 avec une forme d'impunité, etc.
24:32 Et s'il voulait, du coup,
24:33 il reste trop longtemps en détention.
24:35 Donc, en fait, on a tout faux dans le schéma.
24:37 Donc, il faut changer notre schéma.
24:38 Il faut incarcérer plus tôt, plus vite, plus court,
24:42 mais de façon certaine, proportionnée.
24:44 Et les ultra-courtes peines
24:46 ont démontré, par exemple, au Pays-Bas,
24:49 que les magistrats m'étaient incarcérés davantage
24:53 et que les prisons étaient vides,
24:55 parce qu'en fait, ils restent pas longtemps.
24:56 Et qu'une fois que vous êtes incarcérés très tôt
24:59 dans le parcours de délinquance, vous avez pas envie d'en venir.
25:00 - Mais alors, quand ça se passe en 15 jours,
25:02 qu'est-ce qu'ils font ?
25:03 Ils sont enfermés, OK ?
25:04 - Alors, vous avez plusieurs modalités
25:06 et ça dépend des profils,
25:07 parce que tout le monde ne peut pas aller sur les ultra-courtes peines.
25:09 Ça, c'est pour les primo-délinquants,
25:11 qui font des choses très graves,
25:13 c'est-à-dire pas des atteintes nécessairement aux biens,
25:15 c'est plutôt des atteintes aux personnes.
25:17 - D'accord.
25:17 - Et en fait, ça serait exactement la même chose pour les mineurs,
25:21 c'est-à-dire qu'en fait, c'est des salles d'évaluation.
25:23 C'est un peu comme les salles de sortie, en fait, aujourd'hui,
25:26 où pendant 15 jours, vous évaluez la personne,
25:28 mais surtout, le délinquant,
25:30 il a une rencontre directe avec la sanction.
25:32 Là, aujourd'hui, le problème...
25:33 - Elle arrive trop tard, la sanction.
25:34 - Mais c'est pas ça, c'est qu'on peut avoir 15 condamnations
25:37 et ne jamais voir la peine arriver.
25:39 Quand je vous dis, on prononce 130 000 peines, 120 000,
25:42 et on a 70 000, vous faites le calcul,
25:45 sachant que sur les 70 000 qui sont en détention,
25:48 c'est pas ceux qui rentrent,
25:49 il y a aussi du stock, il y a aussi des gens qui sont là.
25:51 Donc en fait, on incarcère 35 000 personnes par an
25:54 par rapport à ce qu'on prononce.
25:55 Donc vous voyez bien qu'il y a un problème,
25:57 c'est-à-dire que la question, c'est pas la prison,
25:58 la question, c'est l'efficacité d'une sanction
26:01 qui n'est jamais mise à exécution.
26:02 Donc évidemment, elle n'est pas efficace.
26:04 - L'idée aussi, c'est de pouvoir, étant donné que 45% des détenus,
26:07 ils ont moins de 30 ans, c'est aussi de rendre la première peine,
26:10 notamment pour les mineurs, en tout cas, moi, c'est ce que je pense,
26:13 rendre une peine immédiate, qu'elle soit dissuasive.
26:16 - Ah bah, de toute façon, le mineur, il comprend que...
26:17 - Et pas désocialisante.
26:18 - Voilà, la réponse pénale aujourd'hui,
26:20 elle n'est pas à la hauteur des enjeux de violence.
26:22 Donc tout ça, c'est le serpent qui se mord la queue.
26:24 Il manque des places de prison,
26:25 donc comme il n'y a pas de peine de prison,
26:27 on a du mal à faire appliquer les peines.
26:28 Donc il y a une défiance des Français, de nos compatriotes,
26:32 envers la réponse pénale.
26:34 - Oui, puis il y a des lincans qui pensent à ça.
26:37 - Donc il faut...
26:38 - Vous l'avez constaté, cette surpopulation carcérale,
26:41 et à quel point les surveillants souffraient ?
26:43 - Il y a à peu près 120% de surpopulation carcérale en moyenne.
26:48 - Surtout dans les maisons d'arrêt, en moyenne.
26:49 - Moi, dans le cas de mon département,
26:51 nous avons la maison d'arrêt de Grasse,
26:55 ils sont à peu près dans la même proportion.
26:56 Par contre, du côté de Nice, c'est une surpopulation carcérale
26:59 à hauteur de 170%, avec 70% de population étrangère,
27:03 ce qui génère encore plus de la violence,
27:05 parce qu'il y a des problèmes aussi de communautés entre elles,
27:09 dans une prison très vétuste,
27:10 où les douches n'ont jamais été refaites depuis la construction,
27:13 c'est-à-dire avant 1900.
27:14 Donc il y a la question aussi de la dignité, évidemment,
27:17 c'est très important.
27:18 - Mais on a un budget pénitentiaire qui est énorme,
27:19 entre 2,5 milliards et 3 milliards d'euros en France.
27:21 - Oui, mais ça ne suffit pas pour pouvoir accueillir des détunés
27:24 dans des conditions dignes.
27:25 Toutes les cellules que j'ai pu visiter,
27:28 qui font entre 7 et 9 mètres carrés,
27:30 tout le monde dormait sur un matelas.
27:31 Ils sont censés être un, parfois ils étaient trois.
27:33 Mais on me dit qu'ailleurs en France,
27:35 parfois ils sont quatre et certains dorment par terre.
27:37 Ça, ce n'est pas acceptable.
27:39 Ils ont l'obligation d'avoir les sanitaires sans porte
27:42 pour que le surveillant puisse les voir depuis la porte.
27:45 C'est compliqué quand même.
27:47 - Donc entre Mosac et ce que madame est en train de décrire,
27:50 vous voyez bien qu'il y a un fossé, il y a une honte.
27:51 Donc en fait, il faut absolument réfléchir
27:54 sur des établissements spécialisés,
27:55 c'est-à-dire qu'ils ne soient pas tous identiques
27:58 ou alors quelque chose comme ça, un peu,
28:00 j'allais dire, qui est complètement atypique,
28:02 parce que Mosaic est totalement atypique.
28:04 En réalité, il faut avoir toute une sélection d'établissements
28:07 de très haute sécurité,
28:08 parce qu'il faut quand même le rappeler
28:10 et malheureusement l'actualité nous l'a rappelé récemment.
28:13 Vous avez aussi des gens qui, en détention continue,
28:15 leur activité criminelle avec violence,
28:17 voire projettent des tentatives d'assassinat
28:20 ou des évasions criminelles.
28:22 Vous avez énormément de gens qui ont des problèmes psychiatriques,
28:25 de toxicomanie,
28:26 sur lesquels on n'a pas le temps d'en parler,
28:28 mais c'est comme... C'est l'inverse de Mosaic,
28:31 il n'y a pas de prise en charge à la hauteur des enjeux.
28:34 Vous avez des gens qui ont des problèmes de violence
28:36 ou de radicalisme, on n'en a pas parlé,
28:38 parce que c'est un sujet aujourd'hui qui n'est pas évoqué.
28:40 C'est un sujet à part entière, c'est un autre débat.
28:42 Comment vous voulez, en mettant tout le monde un peu ensemble,
28:45 avoir un vrai travail de réinsertion,
28:47 et que ça ne sert à rien ?
28:49 Donc en fait, on fait de la gestion.
28:51 C'est pour ça qu'il faut d'urgence construire des prisons,
28:53 mais pas n'importe quelle prison.
28:55 Il faut construire des prisons qui soient adaptées à certains profils,
28:58 et il faudrait penser à un immense concours d'architecture,
29:01 parce que c'est ça, l'enjeu.
29:02 L'enjeu, c'est l'architecture des prisons.
29:05 Moi, j'ai visité une prison il n'y a pas longtemps, à Papeete.
29:07 A Papeete, vous avez deux prisons.
29:09 Vous avez l'ancien modèle, j'allais le dire, qui est assez...
29:12 terrible, on va dire.
29:13 En plus, le climat n'arrange pas les choses.
29:17 Et puis, vous avez une nouvelle prison qui a été construite,
29:20 qui est incroyable, où ça a été pensé
29:22 avec à l'intérieur du travail, de l'apprentissage,
29:26 où justement les détenus ont des conditions normales,
29:29 on va dire, ni meilleures qu'à l'extérieur,
29:33 ni moins bien qu'à l'extérieur, normales, dignes.
29:35 Il ne faut pas en faire trop ni moins.
29:37 Ça s'appelle de la dignité, parce que la dignité aussi,
29:39 il n'y a pas de raison que les victimes, elles,
29:41 n'aient pas cette dignité et voient un traitement de faveur.
29:44 Il n'y a pas à avoir un traitement de faveur,
29:45 il y a juste à avoir un traitement de digne.
29:47 Et donc, quand on veut, et quand on a la volonté politique,
29:50 quand on a l'intelligence aussi de réfléchir
29:53 à ce que doivent être ces quatre murs,
29:55 à ce moment-là, vous pouvez faire quelque chose d'intéressant.
29:57 Et ça veut dire qu'il faut investir intellectuellement.
30:00 Il ne faut pas rejeter en disant "les prisons, ce n'est pas bien".
30:04 Moi, je suis très choquée d'entendre aujourd'hui,
30:05 y compris dans la justice, des gens qui disent
30:08 "la prison, ça ne sert à rien, la prison, ce n'est pas bien".
30:10 Non, au contraire, on n'a pas le choix.
30:12 Il faut la réinvestir et en faire quelque chose
30:15 qui soit utile, qui sanctionne et qui soit utile pour la suite.
30:19 Et moi, je pense que l'architecture, effectivement,
30:21 est à la base de ce que peuvent devenir les prisons.
30:26 Parce que l'architecte pense tout, pense le mouvement, pense la lumière.
30:31 La lumière, c'est quelque chose d'essentiel.
30:33 - Pourquoi vous dites ça ? Ils vous l'ont dit ?
30:34 - Oui, parce qu'on le voit bien, on a mis des grillages sur les barreaux,
30:41 parce qu'ils jetaient tout.
30:43 Ça, c'est vrai, franchement, on arrivait à des tas d'ordures
30:46 d'un mètre par jour.
30:47 C'est complètement fou.
30:49 Ils jettent par la fenêtre.
30:51 Donc, on a mis des grillages, des barreaux,
30:54 du grillage grand comme ça, la lumière ne rentre pas.
30:57 Donc, tout ça fait un climat...
31:01 - Après, adapter les bâtiments, c'est important aussi
31:03 pour le personnel pénitentiaire.
31:04 - Exactement, et qui cavale moins.
31:08 - Et voilà, qui puissent être aussi dans un écosystème
31:12 qui soit favorable pour la surveillance, pour eux-mêmes, etc.,
31:15 pour leur sécurité. C'est ça qui est difficile.
31:17 Mais comme on parlait à l'instant aussi du budget des prisons,
31:21 ça choque aussi les Français, la prise en charge des détenus.
31:24 Ça coûte 105 euros par jour par détenu.
31:26 Moi, je serais favorable à ce que les détenus puissent participer
31:29 à une partie des frais et de coûts de la détention,
31:33 parce qu'il y a le coût effectif chaque jour,
31:35 mais il y a aussi l'après.
31:36 On parlait de réinsertion.
31:38 Beaucoup sont dans la précarité, éloignés de l'emploi.
31:41 65 % des détenus sont au chômage.
31:43 80 % des détenus n'ont pas le baccalauréat.
31:45 Retrouver un travail, vous êtes mieux placé que moi pour le savoir,
31:48 ce n'est pas si évident que ça.
31:49 Il y a aussi une prise en charge par toutes les aides
31:52 qu'ils peuvent avoir de pôle emploi, du RSA, etc.,
31:55 qui coûtent aussi à la société.
31:56 Je trouve que c'est bien aussi de les faire travailler,
31:59 mais qu'une partie du travail qu'ils vont effectuer,
32:01 vous savez qu'ils peuvent travailler soit en interne,
32:03 soit sous-traités par les entreprises.
32:05 Ils sont rémunérés à peu près 45 % du SMIC.
32:08 Cette somme, qui sert souvent à démiser les victimes,
32:10 elle sert aussi à payer, pour moi ce serait aussi une forme
32:13 de responsabilité de la part du détenu, de contribuer
32:16 et de ne pas faire payer encore le français pour ces délinquants.
32:19 Une toute dernière question qui sera la conclusion de ce débat.
32:21 Emmanuel Macron réfléchirait à mettre en place
32:23 une convention citoyenne pour revoir le système carcéral,
32:26 consulter les citoyens pour revoir le système carcéral.
32:30 Est-ce que ça vous semble être une bonne idée ?
32:32 Non, je vous vois votre mou.
32:35 Non, mais je pense qu'il y a une réforme à opérer sur le système carcéral.
32:39 Après lancer une consultation citoyenne,
32:41 on est des hommes et des femmes de terrain,
32:42 on ne va pas encore perdre du temps dans l'administration,
32:44 dans des énièmes réunions, colloques avec des présidents et des sous-présidents.
32:48 Vous avez des femmes de terrain ici qui sont confrontées,
32:52 peut-être pas quotidiennement, mais presque en tout cas à ces sujets-là.
32:55 Donc en fait, il y a du bon sens à effectuer.
32:57 Puis le mieux, c'est d'aller visiter, d'aller prendre du temps,
32:59 comme moi, je le fais dans mon département,
33:01 d'aller écouter et les détenus et l'administration pénitentiaire
33:05 pour être à leur écoute et essayer d'adapter un système,
33:07 le rendre en tout cas plus efficace.
33:09 Mais le problème majeur, c'est l'effectivité des peines.
33:11 C'est ça le nerf de la guerre.
33:13 Et tant qu'il n'y aura pas une justice ferme,
33:15 une réponse pénale ferme à hauteur des enjeux du pays,
33:17 le système carcéral souffrira en France.
33:19 Sylvie Paré ?
33:20 En plus, c'est un milieu fermé, donc ça donne accès à tous les fantasmes des gens,
33:25 puisqu'ils ne savent pas ce qui s'y passe.
33:26 Donc je trouve ça compliqué de faire une convention.
33:30 Donc non, c'est de la communication.
33:32 Non, mais là où je suis d'accord,
33:33 c'est qu'en fait, il faut avoir une vision politique.
33:38 Bad Inter en avait une.
33:39 Il faut qu'on ait des gens qui sont en responsabilité,
33:42 qui ont une vraie vision et une vraie compétence
33:43 et qu'après, ils lancent un projet.
33:46 Voilà, c'est ça, c'est eux qui sont en responsabilité.
33:48 D'ailleurs, ils le rappellent toute la journée.
33:50 Donc voilà, on a envie de leur dire, allez-y, lancez ces projets.
33:54 Montrez-nous quelle est votre vision, votre voie.
33:57 Moi, je suis un peu étonnée.
33:59 On a quand même un projet de construction qui est assez énorme par rapport...
34:05 Bon, je n'ai pas dit qu'il allait être fait, mais en tout cas, il est annoncé.
34:08 C'est très étonnant que derrière,
34:10 il n'y ait pas plus de vision sur ce que l'on va faire.
34:13 Voilà, il faut réinvestir ce sujet d'urgence.
34:17 Mais bon, les citoyens ont sans doute peut-être des choses à dire.
34:20 Pourquoi pas ?
34:21 Mais c'est surtout ceux qui sont en charge de faire les choses
34:24 qui devraient avoir cette vision.
34:25 Et moi, je l'attends, cette vision.
34:27 – Et on s'arrêtera là. Je précise que nous devions être quatre,
34:29 comme d'habitude dans un monde en doc,
34:31 mais que Théo Gomez, qui est lui-même directeur pénitentiaire,
34:33 n'a pas pu venir à cause de ce qui s'est passé dans l'heure
34:35 et ce fourgon attaqué.
34:37 On pense évidemment aux victimes tuées par balle cette semaine,
34:40 à un détenu qui s'est évadé.
34:42 Merci infiniment à toutes les trois d'avoir participé à cette émission.
34:45 Merci à vous de nous avoir suivis,
34:47 comme chaque semaine, émission et documentaire
34:49 à retrouver sur notre plateforme publicsena.fr.
34:51 À très bientôt sur Public Sénat. Merci.
34:53 [Musique]