• il y a 6 mois
Gaël Tchakaloff, Auteure de "La vie à mort"

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Transcription
00:00 *Générique*
00:04 Il est 8h moins le quart sur France Blogue,
00:06 à l'hôpital comme chez vous, et d'ailleurs bonne fin de férié à Nîmes avec ce matin,
00:09 quand un péresse de Tudela s'est corridé à cheval dans les arènes de Nîmes,
00:13 Léa Wyssen c'est à l'affiche, on en parle d'ailleurs avec notre invitée,
00:16 qui consacre justement un livre à la Torero, chef exprès, nîmoise.
00:20 Oui, bonjour Gaël Tchakaloff.
00:21 Bonjour !
00:21 Merci beaucoup d'être en studio avec nous ce matin.
00:24 Écrivaine, donc vous publiez chez Flammarion "La vie à mort",
00:28 en fait le livre d'une femme qui n'aimait pas la corrida,
00:31 mais c'est plus subtil que ça, mais on va y revenir,
00:33 sur l'une des plus grandes réronées adorades de son époque, Léa Wyssen.
00:38 Donc je voudrais d'abord savoir pourquoi vous avez décidé de faire un livre sur Léa Wyssen,
00:42 et elle en particulier ?
00:44 Alors, c'est tout à fait le hasard des choses,
00:47 je suis tombée sur un article, là, concernant, dans la presse américaine,
00:50 je crois que c'était le New York Times,
00:52 j'ai été bluffée d'une part évidemment par son intelligence,
00:55 mais par l'intensité dans le rapport à la vie qu'elle dégageait,
00:59 et je me suis dit "il se passe quelque chose d'extrêmement romanesque",
01:03 et puis j'ai oublié, et quinze jours après, par hasard,
01:05 je suis tombée sur elle, à la terrasse d'un café parisien,
01:09 et là je l'ai abordée,
01:11 j'ai compris qu'elle était tout à fait différente des autres hommes et femmes sur cette planète,
01:17 et donc je lui ai demandé si après ça, si je pouvais lui consacrer un livre,
01:22 elle m'a dit non, et j'ai donc mis deux ans à aller la suivre,
01:26 et donc ce livre est le résultat de 18 mois d'immersion quasi quotidienne avec elle.
01:30 Oui, pour faire le livre, vous avez forcé un petit peu le destin,
01:32 ou plutôt l'entrée du domaine de l'éaviscence en Espagne.
01:36 Tout à fait, j'ai trouvé l'adresse de sa finca en Andalousie,
01:40 et je me suis couché sur la route,
01:42 j'ai attendu que la porte s'ouvre,
01:44 et lorsque la porte s'est ouverte, j'ai fait croire que j'avais rendez-vous avec elle.
01:48 Et puis après on s'est pu quitter.
01:50 C'est curieux cette obstination à vouloir faire un livre sur elle,
01:53 alors que vous le dites, vous n'aimiez pas la Corrida avant.
01:56 Alors, ce n'est pas que je n'aimais pas, c'est que je faisais partie de cette catégorie
02:00 un peu molle dans la société française,
02:03 qui sont des gens qui ne sont pas anti-Corrida,
02:05 qui ne sont pas pro-Corrida, mais qui ne savent pas, qui ne connaissent pas,
02:09 et qui naturellement, portés par l'époque, se disent « ah bon, pas trop ».
02:14 Et moi, je n'avais pas du tout réfléchi à ça,
02:17 je n'avais pas réfléchi au modèle de femme libre qu'elle représente.
02:20 Je l'ai d'abord suivi longtemps dans sa finca,
02:22 c'était un endroit complètement exceptionnel,
02:24 qui mettait en valeur son rapport aux animaux et à la nature.
02:28 Et puis, lorsque je suis arrivé dans les arènes avec elle, plusieurs mois après,
02:32 là, effectivement, ça a été plus compliqué, parce que je m'y suis évanouie au départ.
02:36 - Oui, effectivement, vous dites au départ « la Corrida, ce n'est pas pour moi ».
02:39 Je trouve que c'est très joliment dit, puisque ça résume bien l'intelligence de votre démarche.
02:43 - L'intelligence pour merci, mais vous ne me connaissez pas suffisamment
02:46 pour voir que je ne le suis pas du tout.
02:48 Non, mais, en fait, j'étais interrogatif,
02:51 c'est-à-dire que je voyais bien que j'avais une extrasensibilité un peu anthropomorphique,
02:55 sans doute fabriquée par les vents des doxa modernes.
03:00 Et donc, c'est peu à peu qu'en suivant les Avicennes,
03:04 je me suis initié à la Corrida, qui est un art majeur,
03:08 et qui demande, à mon avis, beaucoup de réflexion
03:11 et beaucoup d'interrogations métaphysiques pour bien la comprendre.
03:15 J'ai mis plusieurs mois à cesser de m'y évanouir,
03:18 et maintenant j'adore ça !
03:19 Mais, effectivement, au départ, j'étais un peu reculonquant.
03:22 - Oui, effectivement, parce que la première Corrida, vous le dites, à laquelle vous assistez,
03:24 c'est à Valence, je crois, c'est El Rulli qui torrait,
03:27 et là vous tombez dans les pommes.
03:29 Et quelques heures après, vous assistez à une autre Corrida, de les Avicennes,
03:32 et alors là, vous êtes sublimé.
03:34 Qu'est-ce qui s'est passé entre le moment où vous tombez dans les pommes
03:37 et le moment où vous êtes sublimé dans les arènes ?
03:39 - D'abord, je pense que pour commencer, la Corrida à pied est plus complexe,
03:43 parce que l'épreuve du picador, pour quelqu'un qui ne connaît pas du tout,
03:46 peut sembler un peu brutale, d'une part,
03:50 et d'autre part, les Avicennes, elle a quand même quelque chose de particulier,
03:53 elle n'est pas arrivée au sommet de l'escalophone par hasard.
03:56 Elles dansent, si vous voulez, Béjar et Aurélie Dupont,
04:00 ils peuvent aller se rhabiller quand elles sont dans l'arène.
04:02 Je suis désolée, mais quand elles sont dans l'arène,
04:04 quelqu'un même de néophyte comme moi,
04:06 oublie totalement qu'on est dans une arène,
04:09 on est dans une danse qui met en rapport deux animaux,
04:12 et ce qu'elle a de particulier, c'est qu'elle s'efface dans le spectacle,
04:16 et ce sont les animaux qui prennent le devant de la scène,
04:19 et qui deviennent les démurges de l'arène.
04:21 - Mais les Avicennes, elle vous le dit,
04:23 la Corrida à cheval, ce n'est pas un combat d'égal à égal,
04:25 entre le matador et le taureau,
04:27 ce qui est peut-être un petit peu différent de la Corrida à pied.
04:29 - Oui, je ne sais pas si elle le dit dans le sens de la différence de la Corrida à pied,
04:35 parce que les Avicennes, elle est effectivement,
04:38 je pense, plus proche de Pina Bouche,
04:41 que d'une vision de la Corrida,
04:44 qui est celle du combat, de l'affrontement,
04:46 parce que tout simplement, c'est une femme,
04:49 qui ne revendique pas du tout sa féminité dans sa manière de combattre,
04:53 mais malgré tout, il y a quand même une féminité très forte qui ressort,
04:58 puisqu'elle n'est pas dans la domination,
05:04 et dans le faire-valoir d'elle-même,
05:06 ce qui pourrait être, en voulant caricaturer,
05:09 le fait du masochisme ou du machisme des garçons des années 40 ou 50.
05:15 - Effectivement, ça c'est un sujet dont vous parlez dans votre livre,
05:19 mais vous parlez assez peu, c'est ça qui m'a assez étonné.
05:22 Pour quelle raison vous n'avez pas voulu faire trop de place,
05:25 justement, à cette question de la féminité dans la tauromachie,
05:28 et surtout à la question de la virilité, voire du machisme ?
05:31 - D'abord parce que je ne suis pas suicidaire,
05:34 d'abord je me suis attaquée à la Corrida,
05:36 donc je me suis dit, si en plus je m'attaque au néo-féminisme,
05:39 je vais me faire flinguer,
05:40 donc j'ai essayé de serrer les sujets,
05:43 mais oui, j'en ai un peu parlé,
05:45 et puis en plus, si vous voulez, Léa Wiesen,
05:47 - Elle est très radicale.
05:49 - Elle n'est pas féministe, c'est le moins qu'on puisse dire,
05:51 je ne pense pas qu'elle soit anti-féministe non plus,
05:53 mais c'est quelqu'un qui va contre l'époque,
05:55 à la fois parce qu'elle a choisi un métier qui n'est pas totalement à la mode dans l'époque,
06:00 parce qu'elle vit quand même en dehors du monde,
06:03 en pleine nature de manière voltairienne ou roussaouiste, si on peut le dire,
06:07 et enfin parce que quand elle dit qu'on m'appelle Torero et pas Torera,
06:13 parce que le taureau ne fait pas la différence entre une femme et un homme,
06:17 bon, ça veut dire qu'elle a quand même un biais, un regard sur les femmes,
06:22 qui fait que je pense qu'elle est existentialiste,
06:24 c'est-à-dire que pour elle, les hommes et les femmes existent par ce qu'ils font,
06:29 et pas par le genre qu'ils représentent.
06:32 - Elle dit notamment sur le féminisme,
06:34 "je serai féministe lorsque les militantes iront libérer leur sort en Afghanistan
06:37 plutôt que de passer leur temps à faire des mitous déguisés en folle".
06:40 - Voilà, ça me paraît clair.
06:42 - Effectivement.
06:43 En vous lisant aussi, je me suis dit que vous préfériez peut-être la corrida à cheval
06:47 que la corrida à pied, est-ce que je me trompe ?
06:50 - J'aime beaucoup les deux, moi-même je suis cavalière,
06:53 d'un niveau épouvantable évidemment,
06:55 parce que tout cavalier qui se compare à Léa a l'impression d'être une brêle,
06:59 moi-même je suis cavalière, donc j'ai un grand plaisir à voir la corrida à cheval,
07:03 j'aime beaucoup la corrida à pied aussi,
07:05 mais il se passe dans la corrida à cheval quelque chose
07:08 qui a plus à voir avec la mise en scène des animaux,
07:12 parce qu'en réalité dans la corrida à pied, c'est le torero face au taureau,
07:16 dans la corrida à cheval, ce sont deux animaux, il y a une triangulaire qui se joue.
07:20 Donc je trouve qu'il y a un paradoxe supplémentaire dans la corrida à cheval.
07:24 - Ce qui n'est pas forcément le cas de tous les aficionades,
07:26 parce qu'il y a certains plus jeunes qui disent...
07:28 - Oui, notamment dans les années 80, le rayon était considéré comme étant secondaire,
07:32 ce que je trouve vraiment dommage.
07:33 - Gaile Tchakaloff, vous relevez aussi un paradoxe chez Léa Wyssen,
07:36 c'est que d'un côté elle est folle amoureuse des animaux,
07:38 elle joue un peu les mères Teresa d'ailleurs dans son domaine en Espagne,
07:42 et de l'autre elle tue des taureaux dans l'arène.
07:44 Comment vous l'expliquez-vous ce paradoxe à elle ?
07:47 - Alors moi je ne cherche pas à l'expliquer,
07:49 parce que je trouve que quand on a affaire à un grand héros romanesque,
07:52 on ne veut pas percer son mystère.
07:54 Si vous voulez dans le rouge et le noir, Julien Sorel à la fin,
07:56 on ne sait pas ce qu'il y a dans sa tête.
07:58 Donc évidemment je ne me compare pas du tout à Stendhal,
08:00 ce n'est pas le sujet.
08:01 C'est qu'au fond, pour qu'un héros garde son épaisseur,
08:04 il ne faut pas chercher à le simplifier.
08:06 Ce qui m'a intéressé chez Léa Wyssen,
08:08 c'est qu'elle est emplie de dualité et de paradoxes.
08:11 Une des premières fois où je suis allée à Safinka,
08:13 elle avait acheté des taureaux de combat pour s'entraîner,
08:16 qui étaient au choral et qui se sont battus entre eux le soir.
08:19 Et l'un a été très blessé, elle a réussi à l'isoler dans un coin,
08:23 et elle l'a veillé toute la nuit pour ne pas qu'il souffre, pour le soigner.
08:26 Et je me suis dit, c'est quand même drôle,
08:28 elle tue trois ou six taureaux par semaine,
08:30 et toute une nuit elle va aller veiller un taureau.
08:33 Pourquoi ? Parce qu'en réalité, les taureaux et le reste des animaux,
08:37 les animaux dans l'arène et le reste des animaux
08:40 ne sont pas traités de la même manière pour elle.
08:42 Elle est extrêmement proche des animaux,
08:44 elle ne les comprend plus qu'un autre.
08:46 Je m'en suis rendu compte parce que même les chiens la suivent dans la rue
08:49 quand on va en Espagne ou en France ensemble.
08:51 Et donc elle a comme un droit de vie et de mort sur les animaux
08:55 parce qu'elle est encore plus proche d'eux que n'importe quel humain sur Terre.
08:58 Mais vraiment, je pense que c'est une forme de valkyrie des fauves.
09:01 - Ce rapport aux animaux, assez paradoxal,
09:04 on le retrouve aussi chez un autre personnage dans votre livre,
09:07 j'ouvre une parenthèse sur Simon Casas.
09:10 Vous dites à son sujet, je vous cite,
09:12 "Simon reconnaît avoir été rebuté par la vue du sang
09:15 et supporte de plus en plus difficilement la mort du taureau."
09:18 On parle quand même du directeur des Arènes de Nîmes et de Madrid.
09:21 - Oui mais Simon Casas, c'est pas un être monolithique,
09:30 il a un côté extrêmement sensible, extrêmement féminin,
09:34 il a un côté extrêmement masculin, c'est un artiste.
09:39 Et donc je pense que tout artiste reconnaît en creux
09:42 ses fragilités et celles qu'il le fabrique.
09:44 Je pense que c'est justement parce qu'il dit
09:46 "par moments j'ai du mal à regarder le sang sur la nuque du taureau"
09:49 qu'il a une acuité encore plus forte à voir ce qui se passe dans l'arène.
09:53 - Mais si ça c'est vrai pour Simon Casas,
09:55 ça veut dire que c'est peut-être vrai aussi pour d'autres aficionados ?
09:58 - Peut-être, je ne sais pas, il faut leur poser la question.
10:00 Moi je connais moins bien que vous.
10:01 - Vous avez une réponse ?
10:02 - Je n'ai pas de réponse, je pense que contrairement
10:05 à ce que croient les gens qui ne sont jamais allés dans les arènes,
10:08 les aficionados et les taureaux sont des gens qui aiment les animaux,
10:11 qui aiment la nature et qui sont d'une grande sensibilité,
10:14 sans doute encore plus exacerbée que les autres.
10:17 Donc ce ne sont pas des monstres et des primates qui sortent du Moyen-Âge.
10:21 Non, c'est l'inverse.
10:22 - J'ai une dernière question, c'est sur le titre de votre livre,
10:25 Gaël Tchakalov, il s'appelle "La vie à mort".
10:27 - Oui.
10:28 - Qu'est-ce que vous avez voulu dire ?
10:29 - J'ai voulu montrer quelle est l'intensité, la puissance de vivre,
10:33 la frénésie de vivre, quand on fait ce métier qu'exercent les Ivy Saints,
10:37 et en même temps, le fait de chérir la vie
10:42 n'empêche pas de tutoyer la mort.
10:45 Donc je voulais absolument qu'il y ait ces deux mots, "vie" et "mort" dans le titre.
10:48 Et évidemment il y avait un parallèle avec "mise à mort",
10:50 donc ça s'appelle "La vie à mort"
10:51 et puis comme le livre sort en Espagne et au Portugal dans les mois qui viennent,
10:55 j'en ai parlé avec les Ivy Saints et puis c'était joli dans la traduction espagnole,
10:58 donc on a gardé ce titre-là.
11:00 - Et vous serez donc dans les arènes de Nîmes tout à l'heure en fin de matinée
11:03 pour encourager évidemment les Ivy Saints.
11:05 Passez haut à 11h30, je le rappelle.
11:07 Je vous remercie beaucoup en tout cas Gaël Tchakalov.
11:09 - C'est une joie d'être avec vous.
11:10 - D'être venu nous parler de votre livre passionnant, je le redis,
11:13 et intelligent, même si vous ne vouliez pas que je utilise ce terme.
11:15 - Merci.
11:16 - "La vie à mort" que vous publiez chez Flammarion dans la jolie collection Versilio.
11:20 Merci beaucoup Gaël Tchakalov.
11:22 - Et bonne journée.
11:24 Sous-titrage ST' 501
11:27 Merci d'avoir regardé cette vidéo !

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