Coralie Fargeat a été sélectionnée en compétition officielle pour un body horror poussé à l’extrême : The Substance. La cinéaste nous raconte comment elle a donné vie au film le plus gore du Festival de Cannes.
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Court métrageTranscription
00:00 Au côté de Julia Ducournau et Sébastien Vanitchek, Coralie Fargeat est l'une des
00:03 cinéastes de films de genre les plus prometteuses de sa génération.
00:05 A Cannes, elle a emballé les festivaliers avec son nouveau film "The Substance" présenté
00:09 en compétition officielle.
00:11 Un body horror ultra-gore et féministe, elle nous raconte comment elle a donné vie à
00:15 ce projet extraordinaire.
00:16 Pour moi cette violence du body horror résonne avec la violence de ce que doit traverser
00:22 Elisabeth et qui pour moi alors pour le coup n'est pas spécifiquement liée à l'industrie
00:28 de l'entertainment mais l'industrie de l'entertainment n'est qu'une illustration on va dire symbolique
00:33 de ce que je pense que toutes les femmes peuvent vivre à un level ou à un autre par rapport
00:39 à la place qu'elles pensent pouvoir avoir ou ne plus avoir dans la société en fonction
00:44 de ce à quoi elles ressemblent.
00:46 Donc en fait on va dire que l'industrie hollywoodienne était pour moi le meilleur symbole pour incarner
00:52 ça parce qu'elles sont plus paroxystiques niveau et qui permet aussi de convier les
00:58 symboles de l'inconscient collectif depuis la nuit des temps et qui du coup prémâche
01:04 une histoire qui arrive plus facilement au public.
01:08 J'ai commencé à écrire le film quand j'ai passé la quarantaine.
01:21 J'ai vraiment senti ce qu'on appelle cette crise de la quarantaine qui est une sorte
01:26 de descente d'estime de soi où on se dit "ça y est c'est fini je ne sers plus à rien"
01:32 et qui en fait se traduit différemment quand on est plus jeune qui fait qu'on est constamment
01:38 en autodépréciation ou en hyper contrôle de soi.
01:43 Et je me suis dit "bon je suis à peine à la moitié de ma vie, j'aimerais trouver
01:48 un moyen de sortir de ça".
01:50 Finalement je n'ai pas trouvé de meilleur moyen que de confronter ma propre phobie et
01:55 surtout de me poser la question "qu'est-ce qui fait que je ressens tout ça ?"
01:59 Et après il y a aussi, c'est vrai que ça fait partie du procès, tu parlais de Revenge
02:15 qui rejoint un peu notre condition de mortelle d'être remplacée, d'être effacée, comme
02:22 artiste aussi, de se dire "bon ben voilà, comment on reste, comment on laisse une trace"
02:26 donc il y a un peu tout ça qui s'est mélangé.
02:30 C'est vrai que le film parle spécifiquement des femmes et avec aussi cette condition humaine
02:35 de "on veut laisser une trace ouais".
02:37 Alors en fait moi je voulais vraiment créer un univers qui soit sans âge et qui justement
02:42 convoque un peu le passé, le présent, le futur, où l'univers est daté d'une manière
02:50 mais où il y a des éléments de modernité pour qu'il soit universel, intemporel et
02:54 justement que cette histoire reste très symbolique et pas liée à une époque précise ou à
02:59 un lieu précis.
03:01 C'est pour ça aussi que je n'étais pas intéressée par recréer le vrai Los Angeles
03:06 qui existe mais de créer le Hollywood de l'inconscient collectif, de ceux qui même
03:10 en étant jamais allées à Hollywood ont une idée de ce à quoi ça ressemble.
03:15 De créer mon propre univers symbolique qui me permettait de raconter cette histoire.
03:21 C'est vrai que quand je parle de symbolisme, je pose tous les curseurs, je prends les éléments
03:25 symboliques qui malheureusement ne sont pas si symboliques que ça puisqu'ils existent
03:31 à tous les niveaux mais oui je vais franco dans une direction sur effectivement comment
03:38 le regard masculin, on va dire de manière générale, porte un point de vue, porte un
03:43 jugement, porte une empreinte dans l'organisation sociale, comment on se sent dans l'espace
03:52 public ou comment on ressent sa propre existence dans la société et après aussi comment
04:00 soit en tant que femme par rapport à notre propre corps, on peut être amenée à juger
04:05 ce corps, à le haïr, à le détester, à le violenter.
04:10 J'ai envie de dire en ricochet par rapport à la violence, je pense qu'on se prend de
04:15 ce regard masculin qui nous assigne dans un rôle ou qui nous efface par moment ou qui
04:22 nous valorise si on est d'une certaine façon ou d'une certaine façon et je pense que
04:28 tout ça ce sont des ricochets où les regards se ricochent et finissent par influencer la
04:32 propre manière qu'on a de se regarder soi-même et de vouloir par moment se défoncer.
04:37 Et cette violence là, on repart sur le début de l'autobiographie, elle me questionne sur
04:45 d'où elle vient effectivement, comment elle se construit malgré nous en fait, comment
04:50 même si intellectuellement on peut se dire "ah oui mais non moi je veux pas être comme
04:55 ça" ou intellectuellement on peut être féministe, on peut etc.
04:59 Dans la vraie vie je pense que c'est quasiment impossible de se détacher de ça parce que
05:05 c'est tellement puissant, c'est tellement violent que c'est une influence qui nous
05:09 traverse malgré nous en fait.
05:11 En France on a toujours une relation assez torturée avec le film de genre, il y a plein
05:16 de tentatives et quand même on sent que c'est quand même génial, tous les films qui sont
05:20 arrivés, qui arrivent, mais que ça reste toujours difficile à porter ici, que l'appétence
05:26 naturelle des anglo-saxons et notamment des américains pour ce genre est tellement plus
05:30 naturelle et tellement plus organique.
05:32 En plus là-bas il y a un esprit très pionnier qui est vraiment de repérer les talents avant
05:37 même qu'ils éclosent, donc ils sont vraiment très friands de toute cette nouveauté et
05:42 nous on est un peu plus un vieux monde on va dire, qui aimons reconnaître des choses
05:47 qui sont déjà saluées ou déjà en place.
05:50 J'ai voulu aussi co-produire le film moi-même pour garder cette vraie liberté créatrice,
05:55 ici, pour travailler avec mes équipes.
05:58 Je pense que la manière dont on fabrique un film influence énormément sur la manière
06:03 dont il va exister.
06:04 Et je savais que mon film il était mutant, il avait une part qui était en France, il
06:07 avait une part qui était aux Etats-Unis, il avait une part qui était un peu partout
06:12 et pour moi le plus important c'est ça, c'est de conserver l'âme des films en fait, c'est
06:15 de conserver, je pense que c'est ce que Sébastien a réussi à faire avec Vermine, on sent qu'il
06:20 y a une sincérité.
06:21 Je pense qu'il y a aussi quand même une nouvelle génération de producteurs, de financiers
06:24 qui arrivent, qui est aussi friand de ça.
06:28 C'est un peu comme pour le féminisme, ça progresse très lentement.
06:32 Mais on espère que ça va continuer à progresser.
06:37 Colmini ! Colmini ! Colmini !
06:39 *Musique*