La disparition du président iranien dans un accident d’hélicoptère le 19 mai pose plusieurs défis aux responsables de la République islamique, soucieux de conserver leur mainmise sur le pouvoir.
Retrouvez l’analyse de David Rigoulet-Roze, expert de l’Iran et chercheur associé à l’IRIS, dans notre vidéo, disponible sur notre site ainsi que tous nos réseaux sociaux.
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00:00 C'est un crash d'hélicoptère qui a suscité une onde de choc en Iran.
00:08 L'hélicoptère a été trouvé.
00:11 Ce jour-là, vous voyez des dégâts.
00:13 Le président de l'Islam est en train de servir les gens
00:16 à un niveau de mort.
00:19 Le dimanche 19 mai, les médias du monde entier
00:21 annoncent la disparition du président Ebrahim Raisi
00:24 alors qu'il revenait d'une visite en Azerbaïdjan.
00:27 Et des nouvelles.
00:29 Les médias états-unis ont confirmé…
00:31 Le président et le ministre étranger d'Iran ont tous mort
00:34 dans un crash d'hélicoptère.
00:36 C'est la confirmation de la mort du président iranien.
00:39 À bord se trouvait également le ministre iranien des Affaires étrangères,
00:43 le gouverneur de la province, un imam,
00:46 le chef de la sécurité du président et trois membres d'équipage.
00:49 Soyez sûrs que rien d'incroyable ne se produira dans le pays.
00:57 Pas perturbé du tout.
00:59 Mais est-ce quand même le début d'un nouveau chapitre
01:01 pour l'Iran et pour les Iraniens ?
01:03 On essaye d'y répondre en trois points,
01:05 sur les conséquences pour la société civile,
01:07 sur les dynamiques de pouvoir à venir en Iran
01:10 et sur les répercussions géopolitiques au Moyen-Orient.
01:15 Après l'annonce de l'accident d'hélicoptère,
01:17 des attitudes très différentes ont pu s'observer sur les réseaux sociaux.
01:22 Des rassemblements pour honorer la mémoire du président,
01:25 mais aussi des feux d'artifice ou des coups de klaxon
01:28 pour se réjouir de la disparition d'un homme,
01:30 parfois surnommé le "boucher de Téhéran".
01:32 Rapidement, le hashtag #Helicotlet se popularise sur X.
01:37 Une contraction entre "heli" en référence à l'hélicoptère
01:40 et "cotlet", une spécialité iranienne à base de boulettes de viande et de pommes de terre,
01:45 une référence souvent utilisée chez les opposants au régime
01:48 et notamment en 2020 après la mort de Hassem Soleimani.
01:51 Le président Raisi était l'incarnation de la répression du régime.
01:56 Ce n'est pas surprenant qu'il y ait eu des manifestations de joie liées à sa disparition.
02:02 Simplement, il avait un pédigré quand même très lourd.
02:05 Il faut rappeler qu'il a été en 1988 partie prenante de ce qu'on a appelé le massacre des prisons,
02:12 qui avait fait plusieurs milliers de morts par pendaison.
02:15 Il était à Téhéran procureur adjoint
02:18 et donc il a été associé à ce qui relève pour certains d'une tâche indélébile
02:22 sur le régime de la République islamique.
02:25 Ibrahim Raisi a été l'incarnation d'un régime qui se durcit en Iran
02:29 45 ans après l'avènement de la République islamique.
02:33 Une répression accrue à l'encontre des Iraniens
02:37 qui ont pourtant exprimé leur colère à plusieurs reprises ces dernières années.
02:40 Ce fut le cas en 2017 pour protester contre la vie chère et le chômage.
02:45 En 2019, après une augmentation du prix de l'essence
02:48 qui occasionne cinq jours d'émeutes et des slogans anti-régime.
02:51 Et en 2022, après la mort de Masah Amini lors d'une garde à vue avec la police d'Emers.
02:59 Peut-être que aucun autre officiel de la République islamique
03:03 n'avait autant de sang que l'homme d'Ibrahim Raisi.
03:06 Il a dépassé l'Iran qui était politiquement repressé,
03:09 internationalement isolé, économiquement impoverri.
03:13 Et pour le décrire politiquement, il était un homme très impressionnable,
03:17 un homme non charismatique, un homme qui n'était pas un homme de oui
03:20 à l'exécutif du président Ayatollah Khamenei.
03:23 Au premier jour des funérailles de l'ancien président,
03:25 des habitants de Téhéran ont reçu des messages sur leur téléphone
03:29 de la part des autorités les incitant à se rassembler pour honorer sa mémoire.
03:34 Mais existe-t-il un risque pour le régime
03:37 que cette disparition se transforme en opportunité
03:40 pour la société civile de montrer son mécontentement ?
03:43 C'est peu probable parce que le coût des manifestations réprimées a été terrible.
03:48 Près de 500 tués, des milliers de personnes incarcérées avec la torture,
03:53 pression sur les familles, donc ce n'est pas à l'ordre du jour.
03:56 Les actes de résistance, c'est plutôt sur le fait pour les femmes
03:59 de ne pas mettre le voile par exemple.
04:00 Ce sont des choses comme ça où là ça devient un problème de fond en fait.
04:04 Mais il n'y aura pas d'opportunité institutionnelle de toute façon.
04:09 En fait, la contestation silencieuse des Iraniens se manifeste
04:13 depuis quelques années par le vote.
04:15 Ou plutôt par le fait de refuser de se rendre aux urnes.
04:19 La participation à la présidentielle est en chute libre de 71% en 2017.
04:24 Elle est passée à 48,8% en 2021.
04:27 Dans la province de Téhéran, la participation a même perdu 30 points
04:32 pour atteindre 34% au dernier scrutin.
04:35 La réalité est qu'il n'y a pas vraiment d'enthousiasme pour tout ça.
04:41 Je pense que si on parle aux gens d'Iran maintenant,
04:43 ce n'est pas comme s'ils étaient excités de penser
04:45 "Oh, qui va être le président ? Allons voter."
04:47 Je pense qu'ils sont juste malades et fatigués de l'Islamique
04:51 et ils ont pris une reprise.
04:53 La disparition d'Ibrahim Raisi occasionne un double défi pour le régime.
05:04 Sur le plan politique et sur le plan religieux.
05:07 Cela entraîne déjà une vacance du pouvoir exécutif,
05:09 mais qui est prévue par la Constitution.
05:12 Le premier vice-président, Mohamed Morper,
05:15 prend l'intérim jusqu'à la prochaine présidentielle,
05:17 prévue le 28 juin.
05:19 Un scrutin qui intervient dans une République islamique
05:21 qui se durcit politiquement.
05:23 Après huit années de présidence, assurée par le réformateur Hassan Rouhani,
05:28 l'arrivée au pouvoir d'Ibrahim Raisi en 2021
05:30 a signé un virage conservateur très net en Iran.
05:34 Mais là, on arrive à une situation où de toute façon,
05:36 ceux qu'on appelait les modérés, par exemple,
05:38 incarnés par l'ancien président Rouhani et d'autres,
05:41 ils sont hors-jeu, ils sont totalement hors-jeu.
05:44 Et même ceux qu'on appelait les conservateurs ont été mis de côté,
05:48 ils ont été marginalisés.
05:49 Donc il ne reste aujourd'hui que, on va dire, entre guillemets encore, les ultras.
05:53 Donc c'est des ultras radicaux en face d'ultras conservateurs.
05:57 Donc on est dans une logique ultra.
05:59 L'autre défi est d'ordre théocratique.
06:03 Un point essentiel à saisir dans l'équilibre des pouvoirs de la République islamique,
06:08 c'est la suprématie du religieux sur le politique.
06:10 Plus précisément, la mainmise du guide suprême,
06:13 de ses proches et des gardiens de la révolution sur les affaires du pays.
06:17 D'ailleurs, à entendre Ali Khamenei,
06:20 qui dit qu'il n'y a pas d'ordre théorique,
06:24 on pourrait presque comprendre qu'il n'y aura aucune perturbation,
06:28 car c'est bien lui qui est de toute façon aux commandes.
06:31 Même les futurs candidats à la présidentielle devront tous être,
06:34 a priori validés par un conseil des gardiens de la Constitution,
06:38 placé sous l'autorité d'Ali Khamenei,
06:40 et qui a restreint en 2021 la pluralité des profils.
06:45 Les élections présidentielles en Iran ne sont jamais libres ou faires,
06:49 mais elles sont parfois compétitives.
06:52 Elles ont été compétitives de 1997 à 2017.
06:55 Des gens comme Khatami et Ahmadinejad ont fait ça pour la première fois,
06:59 et Rouhani, ils ont été électés en compétition.
07:02 Il y avait différents candidats, les gens ont voté, la plupart des gens ont voté aussi.
07:06 2021 a été la première fois où la plupart des gens n'ont pas voté,
07:09 car les résultats ont été préordonnés.
07:11 Tout le monde savait que Rais allait être élu,
07:13 donc il l'a été.
07:15 Raisi n'a pas été élu par une définition normale d'élection.
07:21 Si vous éliminez tous les candidats possibles,
07:26 et que je suis le seul à être élu, je pourrais être le prochain président de la France.
07:29 Donc la prochaine élection sera probablement encore pire.
07:33 L'équation se corse un peu quand on sait que le guide suprême,
07:36 justement celui qui concentre l'essentiel des pouvoirs,
07:39 a 85 ans, une santé déclinante, et qu'il réfléchit à sa succession.
07:44 Or l'un de ses successeurs potentiels était justement Ibrahim Raisi.
07:48 Pas un favori, mais un prétendant.
07:50 Il était le factotum du guide, donc c'était utile.
07:56 Mais de là à le voir prendre la charge,
07:58 incarner la charge de guide suprême, c'est une autre affaire.
08:01 Dans cette liste de prétendants officieux,
08:03 on trouve aussi en bonne position Mojtaba Khamenei,
08:06 le fils de l'ayatollah actuel.
08:08 Mais l'opacité du processus de décision incite à la prudence,
08:12 autant sur le nom du futur guide
08:15 que sur l'hypothèse d'une libéralisation politique future
08:18 qui pourrait profiter aux 90 millions d'Iraniens.
08:21 Au Proche et Moyen-Orient,
08:25 l'Iran structure son approche géopolitique autour de deux piliers.
08:29 Sa rivalité face à l'Arabie saoudite
08:31 et son opposition totale à l'existence d'Israël.
08:34 Après l'attaque du 7 octobre,
08:36 Ebrahim Raisi avait d'ailleurs félicité le Hamas.
08:39 C'est une manifestation de la résistance et de l'insistance
08:44 face au régime de la pochette
08:47 qui a dit félicitations aux Palestiniens,
08:50 aux Mojaheddins palestiniens,
08:51 à toutes les groupes palestiniens
08:54 et à l'Ommet islamique.
08:57 Mais son agressivité dans les meetings,
08:59 les tribunes et les conférences de presse concernant Israël
09:03 ou encore le grand ennemi américain,
09:05 le dictateur de l'Union des Etats-Unis,
09:11 ne devrait pas faire oublier qu'en Iran,
09:13 les grandes manœuvres géopolitiques échappent,
09:16 là encore, au président de la République.
09:18 L'affluence iranienne a été structurée,
09:21 elle a été pensée et planifiée par le général Soleimani,
09:25 qui a été tué en janvier 2020.
09:26 Et donc l'idée c'était que,
09:28 compte tenu du fait qu'il y a un syndrome obsidional de l'Iran,
09:31 c'est-à-dire qu'il se sent encerclé,
09:33 il fallait absolument qu'il y ait une projection géopolitique
09:36 via des proxys d'obédients chiites,
09:39 à l'exception du Hamas,
09:41 mais tous les autres sont d'obédients chiites,
09:42 que ce soit le Hezbollah, les Houthis
09:45 ou les milices de Hachd al-Shaabi en Irak, etc.
09:48 Sans caricaturer, il y a effectivement un arc chiite
09:53 via les proxys qui permet à l'Iran
09:55 d'avoir son mot à dire sur les équilibres régionaux.
09:58 Simplement, l'Iran aujourd'hui est dans une situation très difficile
10:01 parce que d'abord cette logique des proxys a ses limites,
10:05 et puis par ailleurs il y a la crise économique en interne,
10:08 ça coûte très cher.
10:09 Peu de risque donc que le crash d'hélicoptère du 19 mai
10:13 bouleverse l'approche iranienne sur les grandes crises régionales
10:16 ou même sur la stratégie à tenir sur le programme nucléaire.
10:20 Raisi était un homme insubstantiel
10:24 dans une position très insignifiante.
10:27 Paradoxalement, la mort du président Raisi
10:30 a davantage rappelé à quel point le plus haut fonctionnaire de l'état iranien,
10:34 le seul élu au suffrage universel,
10:36 n'exerce en réalité son pouvoir que dans un espace très restreint
10:40 et délimité par un guide suprême, tout puissant.
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