Travailler plus longtemps : nécessité économique ou échec sociétal ? [Gilles Rotillon]
La réforme des retraites est maintenant adoptée, mais il n’est peut-être pas inutile de revenir sur un des arguments clés qui la justifiait, mais qui n’a pas fait l’objet d’un débat public : quelle nécessité y-a-t-il à travailler plus longtemps ? Et si on cherche la réponse à cette question dans les discussions qui ont eu lieu autour de la réforme des retraites, ce qui frappe c’est l’absence d’un dialogue à ce sujet. [...]
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00:00La réforme des retraites est maintenant adoptée, mais il n'est peut-être pas inutile de
00:13revenir sur un des arguments clés qui la justifiaient, mais qui n'a pas fait l'objet
00:17d'un débat public.
00:18Quelle nécessité y a-t-il à travailler plus longtemps ?
00:21Et si on cherche la réponse à cette question dans les discussions qui ont eu lieu autour
00:26de la réforme des retraites, ce qui frappe c'est l'absence d'un dialogue à ce
00:29sujet.
00:30Car du côté du gouvernement, l'accent a principalement été mis sur la nécessité
00:35d'allonger le temps de travail pour tous, indiquant implicitement une indifférence
00:40à la nature des productions.
00:41Tandis que du côté des syndicats, ce sont surtout les conditions dans lesquelles ce
00:46travail supplémentaire allait s'effectuer qui étaient avancées, ce qui revenait à
00:50différencier les types de travaux qui pouvaient ou non être effectués plus longtemps.
00:55Les conditions concrètes de ces travaux, et en particulier leur pénibilité différente,
01:00étaient un des arguments que les syndicats avançaient pour justifier leur opposition
01:04à la réforme.
01:05Dès lors, on ne pouvait qu'avoir un dialogue de sourds, chaque parti n'ayant pas la même
01:09interprétation des conséquences de la réforme.
01:12Pour comprendre pourquoi la réforme était nécessaire du point de vue du gouvernement,
01:17il faut se placer dans le contexte macro-économique qui caractérise notre monde, car la France
01:22n'est pas la seule à être dans cette situation.
01:24Ce fut d'ailleurs un argument avancé par le gouvernement pour justifier sa réforme,
01:28à savoir les réformes de même nature que de nombreux autres pays avaient réalisées.
01:32Ce contexte, c'est une croissance très faible par rapport aux années 70.
01:38Depuis 1980, elle est en moyenne de 1,8% par an, contre 4,9% pour les 30 années précédentes.
01:46Or, cette croissance ralentie s'explique par la baisse des gains de productivité,
01:51limitant la rentabilité des capitaux cherchant à s'investir.
01:55Pour augmenter cette rentabilité en berne, il n'y a que deux possibilités.
01:58La première, c'est d'augmenter le temps passé au travail, et c'est la remise en
02:03cause des 35 heures, l'autorisation du travail le dimanche ou le recul de l'âge à la retraite.
02:08En une année, il y a un temps maximum qui peut être consacré au travail pour rentabiliser
02:13des capitaux.
02:14Il faut bien laisser les travailleurs récupérer.
02:16Mais le temps global à allouer au travail reste indéterminé a priori.
02:20C'est pourquoi, comme le note Marx, dans l'histoire de la production capitaliste,
02:25la réglementation de la journée de travail se présente comme une lutte pour les limites
02:30de la journée de travail.
02:31La seconde, c'est dans une durée de travail fixée, d'augmenter l'efficacité du travail
02:38grâce à la robotisation, à l'informatique, à la chasse au temps mort, etc.
02:42Mais l'intensification du travail atteint ses limites, comme le montre justement la
02:47baisse des gains de productivité.
02:49Malgré une technologie de plus en plus performante, la productivité stagne.
02:54C'est le paradoxe de Solow énoncé en 1987.
02:57On voit des ordinateurs partout, sauf dans les statistiques de la productivité.
03:01Il faut donc revenir à la première solution et allonger la durée légale du travail.
03:07C'est ce qui s'est passé en France avec ce point d'orgue qu'a été la réforme
03:11des retraites, où l'âge de départ à 64 ans n'a pas été négociable.
03:17Ce faisant, on rompt avec la baisse continue du temps de travail qui a caractérisé tout
03:21le XXe siècle, pour réactiver la lutte pour la durée légale du travail qui nous renvoie
03:26au XIXe siècle et explique sans doute l'opposition massive à la réforme.