À l'occasion de la célébration des 80 ans du Débarquement le 6 juin 1944, Emmanuel Macron s'est exprimé à Saint-Lô en hommage aux victimes civiles.
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00:002 enfants sont montés sur la branche d'un arbre
00:04et scrutent devant eux une rue aux maisons effondrées.
00:11Cette photographie, beaucoup à Saint-Lô la connaissent.
00:17Elle date de l'été 1944
00:20et vient en écho à d'autres images
00:23qui disent le destin singulier de la ville de Saint-Lô.
00:29Image de ce 6 juin 1944,
00:33où la rumeur du débarquement remontant de la côte
00:35vient nourrir l'attente et l'espoir dans toute la Normandie.
00:41Rumeur devenue certitude pour les habitants
00:44quand ils aperçoivent les premiers parachutistes américains
00:47prisonniers conduits à la commandant-tour de la ville.
00:54Alors ce 6 juin ne présage rien d'autre
00:58que la libération longtemps attendue.
01:04Le soir tombe sur la ville, encore à l'heure allemande.
01:12Jacqueline Le Caplin, âgée de 15 ans,
01:15évoque ce dîner du 6 juin.
01:18Un dîner comme les autres,
01:19soudain interrompu par le grondement des avions,
01:22le balancement du parquet sous les secousses,
01:25les silhouettes vagues de ses parents dans un nuage de poussière,
01:29la ruée vers le jardin,
01:31et cette vision d'une femme vêtue de noir
01:34qui apparaît en hurlant, le visage ruisselant de sang.
01:40Les mêmes images, ou presque,
01:43dans les yeux d'un autre témoin, Jean Roger.
01:47Le bruit fantastique de la 1re bombe, les carreaux brisés,
01:51la cave de l'immeuble dans laquelle se réfugie la famille,
01:54rue du château, les nouveaux arrivants,
01:56pâles de poussière, latentes, la crainte de sortir trop tôt,
02:00et à nouveau les bombes, le souffle chaud,
02:04l'écorce soulevée sur les cageaux, la lumière coupée
02:09et les déflagrations qui s'espacent.
02:14Et puis la fuite vers le tunnel sous la place des beaux regards
02:20et la course dans la ville dévastée,
02:22partout du feu, des ruines, de la poussière, des cris,
02:27des appels au secours, des fils électriques,
02:29des montagnes de gravats.
02:33Mémoire confuse et inoubliable de cette nuit du 6 au 7 juin.
02:41Car après la 1re salve de 20h,
02:45les avions passèrent toute la nuit au-dessus de Saint-Lô.
02:50Le coeur médiéval de la ville au sommet du rocher est en flamme.
02:55Le palais de justice, la préfecture, l'hôtel de ville
02:59ne sont plus que ce maître de débris fumant
03:02que les habitants contemplent au moment de se ruer
03:05vers les abris ou les chemins creux de la campagne.
03:10C'est, disent encore les survivants,
03:14une ville comme un bûcher,
03:17une grande brûlerie, selon le mot du poète Louis Boeuf.
03:23Au matin, Saint-Lô pleure ses quelques 350 morts.
03:32La prison s'est effondrée sur ses 150 occupants,
03:36dont de nombreux résistants.
03:40Ces bombes qui tombèrent ce soir-là
03:45étaient celles des alliés.
03:48Les avions américains et britanniques
03:49avaient visé Saint-Lô, centre routier
03:52dans le cadre du grand plan de neutralisation
03:54des voies de communication,
03:56et ce, pour empêcher les renforts allemands
03:59de venir repousser le débarquement.
04:03Et la ville, avec sa gare,
04:07sa garnison d'un millier de soldats ennemis
04:09à la caserne Bellevue, était une cible nécessaire.
04:15Comme l'étaient les villes de la côte,
04:17le long des dunes, touchées avant Saint-Lô.
04:23Comme celles qui furent elles aussi frappées cette nuit-là.
04:29Coutence, Flair, Lisieux, Caen, Vire,
04:34Condé-sur-Noireau, Pont-l'Evêque, Saint-Lô.
04:40Cible nécessaire, dont les alliés avaient pensé
04:43avoir averti les habitants en larguant avant les bombes
04:48les tracts les enjoignant à partir,
04:50tracts, hélas, dispersés loin de la ville
04:54dans les vents mauvais de cette nuit de juin.
04:57Saint-Lô, ville martyr sacrifiée pour libérer la France.
05:02Saint-Lô et son tunnel creusé par les Allemands,
05:07dans lequel tant d'habitants se réfugièrent,
05:09comme Auguste Lefrançois, un pharmacien,
05:13qui raconte les mines prostrées des occupants.
05:17Saint-Lô, encore frappé les jours suivants
05:19quand les bombes tombent dans des rues vides,
05:22les 10 000 habitants de la cité
05:23s'étant jetés sur les routes de l'Exode.
05:26Saint-Lô, ville de rues mêlées aux éboulis,
05:31de bâtiments à terre.
05:34Saint-Lô, année zéro.
05:39Saint-Lô, capitale des ruines,
05:43écrira un infirmier irlandais du nom de Samuel Beckett,
05:48venu sur place l'année suivante,
05:51hanté à jamais par ce cauchemar d'une humanité perdue
05:54en attendant le chaos.
05:57Revient alors l'image
06:01de ces 2 enfants devant la rue effondrée.
06:06Ces 2 enfants, Max et Jean-Robin,
06:11sont photographiés rudes et noyés au mois d'août.
06:17De retour à Saint-Lô, passant devant leur maison,
06:20rue Porte-aux-Fours, dont il ne reste rien,
06:24cherchant les traces de leur père, Raymond Robin.
06:30Ces 2 enfants apprirent quelques jours plus tard
06:32que ce dernier avait été arrêté par les Allemands et fusillé,
06:37comme d'autres résistants, dans la ferme de Beaucoudray.
06:43Saint-Lô, capitale de la douleur,
06:48capitale d'une Normandie du sacrifice,
06:52avec toutes ses autres villes frappées
06:55par les bombardements, les combats contre les Nazis.
07:01L'été 1944 fut celui des 13 000 civils morts,
07:07disparus au cours de cette bataille
07:10où le sort du monde se jouait.
07:14Mémoire saisie par Patrick Modiano,
07:17dont l'enfance eut pour décors ces haras où nous nous trouvons
07:21et dont les phrases, les images intimes
07:23furent hantées par ces spectres.
07:27Les continents opaques, cette mémoire grise.
07:32Mémoire grise des tombes anonymes du cimetière de Saint-Lô,
07:35juste à côté d'ici,
07:37où les victimes, mais connaissables,
07:40furent parfois enterrées sans leur nom.
07:44Mémoire inconfortable,
07:47parce que ces morts des bombardements
07:48furent les victimes de notre combat
07:51pour la liberté et la patrie.
07:55Oui, huit décennies plus tard,
08:00la nation doit reconnaître avec clarté et force
08:04les victimes civiles des bombardements alliés
08:08en Normandie et partout sur notre sol.
08:13Nous devons porter cette mémoire en pleine lumière,
08:16regarder notre histoire comme ces deux orphelins
08:22regardaient leur ville détruite avec tristesse et lucidité.
08:31Alors d'autres images viennent à l'esprit
08:35quand la mémoire de cet été 1944 revient.
08:40Ce cercueil sanglé du drapeau étoilé,
08:44amené au milieu des ruines de l'église Sainte-Croix
08:46le 18 juillet,
08:49pour respecter la dernière volonté d'un héros,
08:52Thomas D. Howey,
08:54commandant du 3e bataillon américain
08:56fauché par un éclat de mortier la veille,
08:59lui qui s'était juré d'entrer le premier dans la Ville libre.
09:05Alors reviennent ces images de ses frères d'armes,
09:08ses soldats américains menant les combats dans le bocage
09:11au cours de ce qu'on appela la guerre des haies
09:14et qui dura tout le mois de juillet.
09:17Soldats alliés avançant contre l'ennemi
09:19au rythme lent des assauts et des retraites,
09:22libérant la région champ après champ,
09:25rangée de pommiers après rangée de pommiers.
09:29Ces baraquements américains
09:31pour reloger une ville devenue vagabonde,
09:34tentes et lits des sauveurs
09:39de la Croix-Rouge irlandaise
09:42qui permirent de prendre en charge
09:44la masse des blessés à Saint-Lô,
09:47alliés et Français ensemble,
09:50prenant tous les risques pour secourir d'autres Français.
09:56Les traces de cette dette de sang,
10:00ce pacte indissoluble d'amitié et de liberté
10:08avec nos alliés américains,
10:10ce jumelage de Saint-Lô avec la ville de Roanoke en Virginie,
10:17dont la plupart des libérateurs étaient originaires,
10:22dont américain pour bâtir
10:24le centre hospitalier mémorial France-Etats-Unis
10:27qui plaça après la guerre Saint-Lô à la pointe du progrès,
10:31où ses fleurs posées par des gardiens de mémoire
10:33sur les tombes de soldats américains morts ici.
10:37Non.
10:40Jamais, jamais à Saint-Lô,
10:45le chagrin ne s'est mêlé à la haine.
10:48Au contraire.
10:51La mémoire des habitants a toujours tenu ensemble
10:57le deuil et la reconnaissance,
11:01la cendre des morts et la fleur de la liberté.
11:06Saint-Lô,
11:08ville qui reçut la croix de guerre et la Légion d'honneur
11:13pour ses épreuves et son courage,
11:16s'est relevée et s'est reconstruite.
11:204 ans durant, les habitants ont vécu dans les gravats
11:23qu'évacuaient les premiers débléments,
11:25mais la cité, presque entièrement détruite,
11:28fut rebâtie selon les plans des meilleurs architectes,
11:33André Hilt puis Marcel Mercier,
11:35avec des rues plus larges, des équipements plus salibres,
11:39effort gigantesque de la nation pour se relever
11:42et ajouter l'empreinte du progrès sur les vestiges du jour,
11:47sans rien occulter,
11:51mais avec l'ambition de conquérir l'avenir.
11:57Ainsi de l'église Notre-Dame,
11:59dont la façade ne fut pas ressuscitée,
12:02mais reconstruite en schiste vert, couleur de l'espérance.
12:06Ainsi de l'église Sainte-Croix,
12:07qui accueillit le corps du major Thomas Dioui
12:11et dont le clocher du XXe siècle a remplacé l'édifice roman,
12:15balayé par un obus allemand.
12:19Et aujourd'hui, pour qui la découvre,
12:23toute la ville se présente ainsi,
12:26palimpseste de douleurs et des progrès conquis.
12:33Alors aujourd'hui, l'image des deux orphelins
12:36de la rue des Noyés nous frappe encore.
12:40Ils sont les enfants d'une génération
12:43qui dut affronter la barbarie nazie,
12:47connus les horreurs de la guerre,
12:52puis le temps de la reconstruction.
12:55Deux enfants de Saint-Lô,
12:59orphelins dans le siècle,
13:02la mémoire et l'espoir,
13:06la douleur et la grandeur.
13:12Saint-Lô pour la nation, c'est tout cela.
13:19Et nous n'oublions pas.
13:23Vive la République.
13:26Vive la France.
13:27Applaudissements