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Le jeudi 8 juin 2023 avait lieu une attaque au couteau, sur le Pâquier, à Annecy (Haute-Savoie). Cette attaque a fait six blessés, dont quatre bébés. Un an après, France Bleu Pays de Savoie a retrouvé les soignants qui sont arrivés en premier sur place. Voici leurs témoignages.

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Transcription
00:00 Moi je suis Marion Lumet, je suis médecin au centre hospitalier Annecy-Jeunevoix depuis maintenant 12 ans,
00:07 avec donc une partie de mon activité sur le SMUR.
00:11 Et ce jour-là, je suis le médecin de l'équipe 1 et c'est notre première intervention.
00:16 C'est-à-dire que le bip sonne, on voit la feuille de départ et sur la feuille de départ,
00:23 je pense que pour se protéger, on se dit bon, homme, couteau, enfant blessé,
00:27 on y croit sans vraiment y croire parce que je pense qu'il y a une espèce de forme de protection.
00:32 Et puis sur le trajet, j'essaie d'avoir des infos et quand j'appelle la régulation, je sens la panique.
00:37 Et là, je dis au reste de l'équipe, avec mes mots bien à moi, ça va être la merde.
00:44 Voilà parce qu'on sent qu'on va arriver sur une scène qui va être inhabituelle et potentiellement très intense.
00:51 Ce trajet qui ne dure que 4-5 minutes, il vous paraît long quand même ou pas ?
00:57 Le trajet allé paraît moins long que le trajet retour,
01:01 parce que le trajet retour, pour le coup, avec Pauline, on est chacune avec un enfant qui est vraiment en urgence absolue.
01:07 Et pour ma part, le petit est même inconscient, donc vraiment moribond.
01:11 Donc le trajet allé paraît assez rapide au final, parce qu'en fait, on n'a pas beaucoup d'infos et on arrive sur quelque chose.
01:18 Donc non, il m'a paru assez rapide.
01:21 Alors quand on arrive, il faut bien se dire que ça vient de se passer et qu'il y a un mouvement de foule sur le paquet
01:26 et qu'il n'y a rien d'organisé.
01:28 Donc nous, on est arrêté par un mouvement de foule avec une poussette.
01:32 Donc on s'arrête net à cet endroit-là.
01:34 On le saura après que ce n'est pas les enfants les plus graves.
01:37 Mais voilà, notre début d'intervention se fait à ce moment-là, à cet endroit-là.
01:42 On a fait comme après, tout s'est enchaîné et on a mis en place les choses qu'on a l'habitude de faire en équipe.
01:49 C'est du multivictime.
01:50 Donc déjà, c'est des interventions qui sont plus rares.
01:52 Et là, ça touche des enfants de moins de trois ans avec du trauma pénétrant, c'est à dire des coups de couteau
01:59 qui ont été volontairement donnés à plusieurs reprises parce qu'il faut bien se dire que chaque enfant a plusieurs plaies.
02:04 Donc l'assaillant, il est revenu plusieurs fois sur ces petites personnes innocentes qui étaient juste à une aire de jeu.
02:10 Et voilà, en tant que maman, c'est juste inconcevable.
02:14 C'est ça, il faut réussir à se détacher.
02:18 C'est ça le plus dur ?
02:21 Pour ma part, le plus dur, ça a été quand on est arrivé dans le parc.
02:25 Parce qu'il était en train de mourir en fait dans le parc.
02:32 C'est une vision, déjà physiquement, il faut bien imaginer que physiquement, notamment le petit garçon, il était translucide.
02:40 Donc déjà, il y a quelque chose de physique et de visuel quand on arrive.
02:43 Nous, dans le métier de l'urgence, c'est aussi des éléments qui nous orientent sur la gravité.
02:48 Et donc moi, je sais que c'est encore une fois grâce à mon équipe que je pense que j'ai réussi à prendre ce jour-là les décisions qui ont été prises.
02:56 Parce que les quelques secondes quand on arrive dans le parc, moi, je sors de mon corps.
03:01 Je vois la scène et je me dis mais je ne peux pas gérer ça.
03:05 Et en fait, on a avec Pauline, on se regarde et on se donne une espèce de force en se disant bah si là, il faut qu'on fasse parce que de toute façon, il n'y a pas le choix.
03:13 Et donc tout s'enchaîne avec Brice, avec Pauline.
03:16 Je n'ai pas eu ce sentiment quand on est arrivé sur le paquet avec les deux premières victimes que je vois,
03:21 parce que mon fort intérieur me dit que ces premières petites victimes que je vois, leur pronostic vital, il n'est pas engagé.
03:28 Et que vu l'ampleur de l'intervention, on sait qu'il va y avoir du renfort.
03:31 Et donc on fait une espèce de marche en avant.
03:34 On a vu les trois premières victimes dans les exercices multivictime.
03:39 On sait que voilà, on leur a mis une pancarte autour du cou.
03:41 On sait qu'il y a du relais qui va arriver, qu'elles vont être prises en charge.
03:44 Et vraiment le cœur de l'intervention pour moi qui me marquera la vie, c'est vraiment l'arrivée dans ce parc.
03:49 Là, on tombe sur deux enfants qui clairement sont moribonds et nous, on n'est pas un bloc opératoire, on n'est pas chirurgien.
03:55 Et clairement, on se sent quand même assez limité et démuni.
04:01 Le reste de la journée, ça se passe comment ?
04:04 Moi, j'ai complètement vacillé dès le moment où les enfants ont été sous la responsabilité des équipes de réanimation et des chirurgiens.
04:14 Moi, j'ai perdu pied, clairement.
04:16 Voilà, je n'ai pas honte de le dire.
04:17 Je n'ai pas pu reprendre le cours de ma journée.
04:25 Oui, il y a une sidération, il y a une émotion qui fait qu'on vit un truc qu'on ne pensait jamais vivre.
04:31 Et d'un autre côté, c'est vrai que tout ce qui a été fait, on l'a dit, a permis que ces enfants vivent aujourd'hui.
04:40 Ça, moi, sur le moment, ce n'est pas quelque chose qui me pousse, parce qu'au contraire, j'ai plutôt ce sentiment de me dire mais en fait, j'ai servi à pas grand chose.
04:49 Donc ça, c'est un travail qui se fera derrière avec le retour d'expérience, de se dire bah oui, on a pris des décisions qui ont permis de mettre en place cette chaîne de l'urgence.
05:00 Et pour le coup, ce jour-là, mon rôle de médecin urgentiste au SMUR, c'était ça.
05:04 Ce n'est pas juste parfois faire des gestes techniques ou c'est aussi prendre des décisions de triage.
05:08 Et c'est ce qu'on a fait avec l'équipe.
05:12 Après, vous faites quel bilan de cette journée, de cette intervention, que ce soit sur un plan professionnel, sur un plan humain ?
05:21 Alors, sur un plan humain, c'est une intervention, je pense, qui restera vraiment ancrée en moi, mais qui ne m'empêche pas d'avancer.
05:30 Ce n'est pas quelque chose qui m'envahit, à laquelle je pense tout le temps.
05:34 Pour même être honnête, je ne savais même pas quel jour tombait le 8 juin.
05:39 C'est en en reparlant avec Pauline il n'y a pas longtemps qu'on s'est dit « ah oui, ça tombe un samedi ».
05:42 Je n'y avais pas vraiment pensé.
05:46 Après, sur le plan professionnel, oui, c'est une intervention qui restera une intervention unique, je l'espère, que je ne revivrai jamais ce genre de situation.
05:56 Mais j'ai été aussi accompagnée par l'équipe de psychologues de l'hôpital.
06:02 Avec Brice et Pauline, on se côtoie régulièrement.
06:05 Ce n'est pas quelque chose de tabou, on en discute.
06:09 Mais je ne pense pas que c'est justement un impact sur l'évolution de nos vies derrière.
06:13 Et c'est ce qui fait aussi le sens de notre métier, c'est qu'on a un travail d'équipe.
06:17 Quand on sort de l'hôpital, on reprend aussi un peu nos vies.
06:19 [SILENCE]

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