Sommet pour la paix en Ukraine : "aucun des deux plans de paix ne va aboutir"
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00:00On retrouve Renaud Girard, journaliste éditorialiste au Figaro, spécialiste des relations internationales.
00:05Vos éditos paraissent tous les mardis, bonjour.
00:08Cette première conférence internationale pour la paix n'était finalement que l'occasion d'un rappel d'un soutien à l'Ukraine ?
00:16Oui, c'était une conférence de soutien à l'Ukraine.
00:19Les Suisses avaient envisagé à un moment d'inviter la Russie.
00:23Si la Russie avait été là, ça aurait été une véritable conférence de la paix,
00:28parce qu'on ne peut pas faire la paix en l'absence d'un des deux belligérants.
00:33Mais ils n'ont pas trouvé beaucoup d'intérêt au Kremlin, les Suisses,
00:39parce que le Kremlin reproche à la Suisse d'avoir abandonné sa neutralité.
00:45Et c'est vrai que la Suisse applique, par exemple, toutes les sanctions,
00:50la totalité des sanctions qui sont décidées par l'Union européenne.
00:55Et vous savez que l'Union européenne a déjà, depuis l'invasion de l'Ukraine par la Russie en février 2022,
01:05voté 13 paquets de sanctions de suite, qui sont tous appliqués par la Suisse.
01:15Et qu'en est-il du plan de paix ukrainien évoqué par le président Zelensky ?
01:21Le plan de paix ukrainien en dix points est aux antipodes, évidemment, du plan de paix de Vladimir Poutine.
01:32Poutine demande carrément aux Ukrainiens de quitter les quatre oblastes
01:40qui ont été officiellement annexés dans la constitution russe,
01:45mais qui ne sont pas aujourd'hui entièrement contrôlés par l'armée russe.
01:51Par exemple, l'oblaste de Zaporizhia ou de Kherson ne sont pas entièrement contrôlés par l'armée russe.
02:00Et il demande aussi, ce qu'il a toujours demandé, que l'Ukraine renonce à l'OTAN.
02:06En revanche, les dix points, c'est évidemment ce que demande Zelensky,
02:12c'est le retour de tous les territoires ukrainiens, y compris la Crimée,
02:18malgré le référendum de 2014, et puis aussi des réparations de guerre,
02:25et puis aussi des garanties de sécurité, évidemment, pour l'Ukraine,
02:29et aussi des condamnations pour les crimes de guerre qui ont été commis.
02:37Ça, c'est le plan en dix points de Zelensky,
02:41et c'est pour cela que le président ukrainien voulait convoquer cette grande réunion,
02:48où beaucoup de pays qui ne sont pas occidentaux sont quand même venus, comme le Kenya,
02:53pour présenter ce plan en dix points et pour, en quelque sorte, leur vendre,
03:00comme il vient de vous l'expliquer à l'antenne.
03:03Oui, alors, pour Vladimir Poutine, ce qu'il appelle un plan de paix,
03:07c'est la défaite militaire de l'Ukraine, mais est-ce que du côté ukrainien,
03:10c'est un vrai plan de paix ou c'est un plan de victoire militaire contre la Russie ?
03:14Alors, c'est aussi un plan, effectivement, de victoire militaire contre la Russie,
03:20parce que c'est un peu un plan qui reprend, je dirais, les 1945,
03:29c'est-à-dire après la victoire des alliés,
03:31c'est-à-dire le jugement des responsables de l'agression et des responsables de crimes de guerre,
03:37et aussi des réparations.
03:40Vous savez qu'évidemment, l'Allemagne a eu ses dirigeants jugés,
03:46les officiers responsables de crimes de guerre ont été jugés à Nuremberg et après,
03:52et également l'Allemagne a été condamnée, bien sûr, à verser des réparations
03:56après la Deuxième Guerre mondiale.
03:59Le plan de paix de Zelensky comprend tout cela.
04:04Alors, il est évident aujourd'hui qu'aucun des deux plans de paix ne va aboutir.
04:12Le plan de paix proposé par Poutine ne va pas aboutir,
04:17parce que les Ukrainiens continuent à résister et ont la volonté de résister,
04:22de récupérer les territoires occupés,
04:26d'autant plus qu'ils viennent de recevoir un soutien massif,
04:29financier et militaire massif des États-Unis,
04:3260 milliards de dollars et même un soutien important de l'Union européenne,
04:37plus de 50 milliards d'euros sur cinq ans,
04:41et évidemment que, de son côté, Vladimir Poutine ne va pas rendre
04:45un seul mètre carré du territoire chèrement conquis par ses forces armées.
04:52Donc, le meilleur scénario aujourd'hui, ce serait un cessez-le-feu,
04:58je ne dis pas un traité de peu, mais un cessez-le-feu à la Coréenne,
05:02comme encore la Corée du Nord et la Corée du Sud,
05:05après la guerre cessez-le-feu de 1953.
05:09Avec un front gelé, du coup.
05:11Mais une médiation, elle est possible ?
05:12Quel pays pourrait servir de médiateur ?
05:14La Turquie, éventuellement ? La Chine était absente.
05:18Alors, la Chine est sans doute considérée, comme la Chine était absente,
05:23comme pas suffisamment neutre pour être médiateur.
05:28Elle a tous les moyens pour être médiateur.
05:31La Chine fait valoir qu'elle ne porte pas la moindre responsabilité
05:35dans l'agression russe de l'Ukraine, ce qui est vrai,
05:39mais ce qui est vrai aussi, c'est que l'industrie chinoise
05:44aide l'effort de guerre russe,
05:46puisque des centaines de machines outils sont livrées tous les mois
05:53par la Chine au complexe militaro-industriel russe.
05:58Mais un autre médiateur possible serait évidemment la Turquie.
06:02Il y a eu des conversations en mars 2022 extrêmement profondes
06:11entre les Russes et les Ukrainiens à Istanbul.
06:16Ça a échoué, mais en fait de peu.
06:21Certains journaux britanniques ont dit que c'est une mission de Boris Johnson,
06:30qui était premier ministre britannique à l'époque,
06:32à Kiev au début avril 2022,
06:35qui aurait fait en sorte de dire aux Ukrainiens
06:38non, ces garanties de sécurité ne vous suffiront pas.
06:41En tout cas, nous, les Anglais, nous ne vous donnerons pas de garantie de sécurité,
06:45mais en revanche, nous vous donnerons des armes
06:47pour que vous continuez la guerre et pour que vous bâtiez la Russie.
06:52Ce calcul de Boris Johnson s'est révélé un mauvais calcul,
06:57mais ce n'est pas le seul mauvais calcul qu'il ait fait de sa vie.
07:00Vous parliez des moyens financiers massifs apportés par les Américains notamment.
07:05Il y a également des moyens militaires promis par les Occidentaux,
07:08toujours en particulier par les Américains.
07:11Est-ce qu'ils arrivent sur le terrain ?
07:13Est-ce que vous pensez réellement que ces moyens peuvent changer la donne ?
07:17Tout à fait, ces moyens arrivent.
07:21Vous avez vu que l'offensive sur Kharkov est pratiquement bloquée aujourd'hui.
07:28Les Russes n'ont pas été capables de faire des avancées significatives.
07:34Bien, ils ont conquis 800-600 kilomètres carrés,
07:40mais ça fait un millième du territoire ukrainien,
07:44donc ce n'est pas significatif.
07:46On n'est pas là dans une offensive, genre offensive allemande,
07:50du 10 mai 1940 contre la France.
07:52Pas du tout.
07:54Donc les Ukrainiens résistent.
07:57C'est normal parce qu'ils savent qu'ils ont l'Amérique derrière eux.
08:01Et les armes vont faire en sorte que jamais les Russes
08:07ne pourront prendre Odessa ou ne pourront prendre Kharkov.
08:12Et je pense que le plan des Ukrainiens,
08:16c'est en miroir en fait du plan russe de 2023,
08:21c'est de construire une ligne de fortification.
08:24La ligne russe qui a montré son efficacité en 2023
08:27s'appelle la ligne Surovikine.
08:29Et donc que Stridski, le chef d'état-major ukrainien,
08:32construise une même ligne de fortification,
08:35empêchant les Russes d'avancer plus en Ukraine.
08:41Et lorsque vous aurez effectivement deux lignes machinaux
08:45qui se font face, la guerre ne pourra plus vraiment,
08:51la guerre de mouvement en tout cas, ne pourra plus vraiment continuer.
08:56Et donc c'est comme ça un petit peu que je vois les choses à l'avenir.
09:03Mais je ne vois pas du tout les Ukrainiens décider aujourd'hui de céder.
09:08Ils tiennent à leur liberté, à leur indépendance.
09:11Et je ne vois pas du tout non plus les Occidentaux céder
09:16parce qu'ils ont investi énormément pour l'Ukraine.
09:20Et céder, ce serait comme avait dit De Gaulle
09:23lors de la crise de Berlin contre l'URSS,
09:26céder, ce serait surexciter l'adversaire,
09:30surexciter la Russie, l'encourager à d'autres conquêtes.
09:35Or c'est exactement ce que les Occidentaux refusent.
09:41Il s'agit en fait de calmer la Russie
09:46et de faire en sorte qu'elle renonce à des conquêtes territoriales
09:52qui vont à l'encontre, vous l'avez répété,
09:55qui vont à l'encontre du droit international
09:58et des traités que la Russie elle-même avait signés.
10:02Parce qu'il faut quand même rappeler à vos auditeurs
10:05que c'est avec la pleine volonté de la Russie
10:08et des Russes et des Ukrainiens
10:10que l'Ukraine a acquis son indépendance en 1991.
10:16Merci beaucoup Renaud Gérard d'avoir été avec nous.
10:18Merci infiniment pour votre décryptage.