En 2014, un tableau représentant Judith décapitant Holopherne est retrouvé dans un grenier près de Toulouse. Après expertise, le cabinet parisien d'Eric Turquin attribue cette œuvre au célèbre peintre Caravage (1571-1610), réalisée en 1607. Ce tableau, estimé entre 120 et 150 millions d'euros, est considéré comme un chef-d'œuvre perdu depuis 400 ans. L'État français le classe alors "trésor national" pour empêcher sa sortie du territoire pendant 30 mois. Cependant, son authenticité en tant qu'œuvre originale du Caravage divise les experts internationaux. Certains détails stylistiques sèment le doute et laissent penser que le peintre flamand Louis Finson, qui a réalisé des copies du Caravage, pourrait avoir participé à son exécution. Pour clore la controverse, une vente aux enchères est organisée à Toulouse en 2019. Mais la veille, le tableau est cédé de gré à gré à un acheteur étranger lié à un grand musée new-yorkais, pour un montant confidentiel. Ce documentaire d'Arte et France 3 retrace cette incroyable affaire, mêlant enquête sur les origines du tableau, fascination pour le Caravage et enjeux colossaux du marché de l'art.
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00:00:00Générique
00:00:02...
00:00:16Bienvenue à tous au menu de ce débat d'octobre,
00:00:19le marché de l'art, avec, pour commencer,
00:00:21le documentaire qui va suivre,
00:00:23l'affaire Caravage.
00:00:25Voilà 10 ans, et moi, dans le monde de l'art,
00:00:27un tableau du Caravage aurait refait surface,
00:00:30découvert par hasard,
00:00:32dans le grenier d'une propriété toulousaine.
00:00:34L'attribution fait débat,
00:00:36les experts se divisent autour du tableau,
00:00:39la curiosité du public monte,
00:00:41et le marché s'emballe.
00:00:43La suite est à découvrir tout de suite,
00:00:45avec ce film,
00:00:46Suspense Guarantie,
00:00:48et je vous retrouverai juste après, sur ce plateau,
00:00:51en compagnie de la professeure de sciences économiques
00:00:55Nathalie Mourot,
00:00:56du vice-président de la maison de vente Christie's,
00:00:58Pierre-Emmanuel Martin-Vivier,
00:01:00et du journaliste Harry Belay.
00:01:02Avec eux, nous nous interrogerons
00:01:05sur les dessous et les ressorts du marché de l'art aujourd'hui.
00:01:08Bon doc.
00:01:12...
00:01:22C'est l'histoire folle d'un tableau
00:01:24dont les propriétaires ne soupçonnaient pas l'existence.
00:01:28Un Toulousain découvre une toile dans un grenier,
00:01:31et il va découvrir qu'il s'agit peut-être d'un tableau oublié
00:01:35du maître italien Caravaggio.
00:01:38Un chef-d'oeuvre inconnu retrouvé après 400 ans d'oubli.
00:01:44L'histoire est insolite,
00:01:45et l'énigme irrésistible,
00:01:48entraînant dans son sillage une multitude de questions.
00:01:52D'où vient le tableau ?
00:01:54Est-ce vraiment un Caravaggio ?
00:01:56Le verra-t-on un jour au Louvre ?
00:01:58Ou va-t-il disparaître dans le secret d'une collection privée ?
00:02:02...
00:02:05J'ai la chance de le découvrir,
00:02:07caché en plein coeur de Paris,
00:02:09tapis dans un écrin feutré,
00:02:11chez Eric Turquin,
00:02:13un des plus grands experts en peinture ancienne.
00:02:16Musique douce
00:02:20...
00:02:28Portes blindées, codes d'accès et identification oculaire.
00:02:32...
00:02:35Le tableau est protégé comme la joconde.
00:02:37Il m'attend dans une chambre forte,
00:02:40aménagée spécialement pour lui.
00:02:42...
00:02:50Je découvre une oeuvre somptueuse,
00:02:53une violence barbare,
00:02:55mêlée à d'étranges résonances érotiques.
00:02:59C'est Judith et Holoferne,
00:03:01une scène biblique.
00:03:03Une Judith fatale égorge le général Holoferne,
00:03:06nu sur un lit.
00:03:08Le regard de la meurtrière m'attire inexorablement.
00:03:12...
00:03:17Une puissance émane de ce tableau
00:03:20qu'aucun autre artiste à cette époque ne s'est produit.
00:03:23Caravaggio a remis tous les compteurs à zéro.
00:03:26C'est le genre d'artiste dont on peut seulement dire
00:03:29qu'il y a eu un art avant et un art après Caravaggio.
00:03:32Caravaggio, c'est le Jeff Koons de l'époque.
00:03:35...
00:03:40Cette histoire est de celle qu'on ne rencontre qu'une fois dans sa vie.
00:03:44C'est le début d'une aventure au long cours
00:03:46qui va me mener de Paris à Toulouse,
00:03:48en passant par Naples, Londres,
00:03:50Rome, Milan et New York.
00:03:53Trois années d'enquête,
00:03:55de rencontres fascinantes et de rebondissements imprévus.
00:03:58Je vais être pris dans la toile
00:04:00et découvrir les enjeux financiers énormes,
00:04:02les polémiques autour de l'attribution,
00:04:05la convoitise des musées,
00:04:06la frénésie des historiens et des chercheurs.
00:04:09La passion suscitée par ce peintre mort il y a 400 ans,
00:04:13Michelangelo Merisi, surnommé le Caravaggio.
00:04:31Le premier mystère du tableau tient à sa découverte,
00:04:34dans le grenier d'une famille toulousaine.
00:04:37Les propriétaires, tels des gagnants du loto,
00:04:41veulent rester anonymes.
00:04:43Je ne pourrai jamais les rencontrer.
00:04:45En revanche, je fais la connaissance
00:04:47du principal témoin de l'événement.
00:04:50Marc Labarbe est commissaire priseur à Toulouse
00:04:53et c'est lui qui parlera au nom des propriétaires
00:04:55tout au long de cette histoire.
00:04:58Rien ne le préparait à tomber sur l'affaire du siècle.
00:05:02C'est un client qui m'a appelé
00:05:05car il souhaitait me montrer un tableau
00:05:07qu'il avait sorti de son grenier.
00:05:09Il a sa place.
00:05:10Que j'ai découvert à ce moment-là assez sale,
00:05:15abîmé, je dirais pas abîmé, mais assez opaque.
00:05:18On avait du mal à voir la composition générale.
00:05:21Je lui ai demandé simplement un morceau de coton.
00:05:24J'ai juste, avec ce petit coton, passé un peu d'eau.
00:05:27On a fait des photos et j'ai dit à mon client,
00:05:30écoutez, je vais envoyer des photos de suite à M. Turquin
00:05:34et je pense qu'on aura une réponse assez rapidement.
00:05:37Et effectivement, dans l'après-midi, vers 16h, 16h30,
00:05:41j'ai reçu un coup de fil de Stéphane Penta
00:05:44qui m'a dit que j'avais trouvé un beau tableau.
00:05:47J'ai dit, qu'est-ce que ça vaut ?
00:05:48Il m'a dit que ça vaut 60 000 à 80 000 euros.
00:05:54Première estimation pour Judith, 60 000 euros,
00:05:57à partir d'une simple photo envoyée par SMS.
00:06:00Mais déjà, les experts du cabinet turcuin
00:06:03avec lesquels travaille Maître Labarbe
00:06:05se demandent s'il n'a pas déniché un trésor.
00:06:09La toile crasseuse découverte à Toulouse est donc expédiée à Paris,
00:06:12où elle fait instantanément sensation.
00:06:15Je prends mon téléphone et je lui dis,
00:06:17je sais pas ce que c'est que ton tableau,
00:06:19mais je crois que tu as une chose extraordinaire.
00:06:22Il me dit, c'est très caravagesque.
00:06:23Je dis, bien sûr, c'est éminemment caravagesque.
00:06:25J'étais en voyage le jour où le tableau est arrivé,
00:06:28donc c'est Stéphane Penta qui m'a appelé en disant,
00:06:30Eric, il y a une bombe qui est arrivée au bureau.
00:06:32J'ai eu la chance d'être au bureau
00:06:34le jour où le tableau est arrivé physiquement dans nos murs.
00:06:36Le regard de la Judith m'a happée,
00:06:38et la violence du tableau, même qui était posé au sol
00:06:40dans un état peu lisible, était tellement intense,
00:06:43que ça ne pouvait pas être un nom moyen ou un second couteau.
00:06:46Ça pouvait être qu'un grand, grand chef-d'oeuvre.
00:06:48J'ai pas eu une seconde d'hésitation, en fait,
00:06:50devant le visage de Judith.
00:06:51Et c'était, dès la première seconde, pour moi,
00:06:54une évidence que ce tableau était du Caravage.
00:06:58J'ai tout de suite couru chercher un ouvrage sur Caravage,
00:07:01en espérant trouver un tableau perdu.
00:07:04Ce qui était le cas, parce que le tableau était effectivement perdu
00:07:06et connu par une copie contemporaine.
00:07:13La Judith de Toulouse, comme on la surnomme déjà,
00:07:17a en effet une sœur jumelle à Naples,
00:07:19exposée dans la collection d'une banque.
00:07:24Même composition, même époque,
00:07:27la Judith de Naples a été peinte par Louis Finson.
00:07:32Peintre et marchand d'art flamand,
00:07:33Louis Finson est avant tout connu
00:07:36pour les copies qu'il a réalisées des œuvres du Caravage.
00:07:41L'affaire semble de prime abord évidente.
00:07:45Le tableau retrouvé serait un original perdu,
00:07:48qui ressemble trait pour trait à la copie d'époque.
00:07:52Je découvre aussi qu'il existe une lettre du peintre Pourbus,
00:07:57qui signale la présence en 1607
00:07:59d'une Judith et l'Auferme du Caravage
00:08:01dans la boutique du marchand Finson.
00:08:05L'histoire est presque trop simple.
00:08:10La presse s'empare de la découverte et c'est l'effervescence.
00:08:15Caravage déchaîne les passions artistiques et financières.
00:08:21Nous avons estimé le tableau à 120 millions d'euros.
00:08:24C'est le prix pour lequel il est assuré.
00:08:25Le prix de 120 millions, très franchement,
00:08:27il peut paraître énorme,
00:08:29mais il est plutôt prudent, plutôt modeste.
00:08:33Lorsqu'il estime la Judith de Toulouse à 120 millions d'euros,
00:08:36Éric Turquin pense forcément au tableau le plus cher du monde,
00:08:41le Salvatore Mundi de Léonard de Vinci,
00:08:45vendu en 2017 pour 450 millions de dollars.
00:08:50Un prix record, imaginable seulement pour les plus grands Picasso.
00:08:54On n'avait jamais vu ça dans la peinture ancienne.
00:08:58Évidemment, c'est une nouvelle formidable pour tout le marché de l'art.
00:09:01Et nous qui vivons des découvertes, c'est une très bonne nouvelle.
00:09:04Si vous êtes chercheur d'or et que vous apprenez
00:09:06que dans la rivière d'à côté,
00:09:07quelqu'un a trouvé une pépite de 5 kilos en pêchant une truite,
00:09:10vous vous dites, zut, j'ai une chance, moi aussi.
00:09:14120 millions, c'est 2 000 fois plus
00:09:17que la première estimation dont parlait Marc Labarbe, 60 000 euros.
00:09:22Voilà la différence entre un tableau dans le style du Caravage
00:09:26ou un vrai Caravage.
00:09:29L'attribution du tableau est un enjeu colossal.
00:09:34C'est le cas pour la Judith de Toulouse.
00:09:37Dès l'annonce de sa découverte, elle devient une affaire d'État.
00:09:42Le ministère de la Culture entre en scène avec un coup de théâtre.
00:09:46Il bloque ce chef-d'œuvre inconnu sur les territoires français
00:09:49en qualité de trésor national.
00:09:53Judith ne peut plus sortir de France pendant 30 mois.
00:09:56Elle ne pourra pas être présentée sur le marché international
00:09:59avant l'expiration de ce délai.
00:10:02Pour les conservateurs du Louvre, c'est une aubaine.
00:10:04Ils ont tout le temps d'ausculter l'œuvre et de l'acquérir,
00:10:08s'ils le souhaitent.
00:10:10Ils organisent une confrontation entre Judith
00:10:12et les principaux Caravages détenus par les musées français.
00:10:15Tout cela se déroule à huis clos.
00:10:17Le secret des délibérations est parfaitement gardé.
00:10:20Je n'ai réussi à retrouver que quelques photos
00:10:23de cette opération ultra-confidentielle.
00:10:29Je prends rendez-vous avec Stéphane Loire,
00:10:32le conservateur du Louvre en charge des peintures italiennes.
00:10:35Pas question de parler directement du tableau de Toulouse,
00:10:38puisque la réflexion est, à cette époque, toujours en cours.
00:10:42En revanche, on peut évoquer les difficultés d'attribution
00:10:45relatives à Caravage.
00:10:48On connaît aujourd'hui environ 70 tableaux
00:10:50d'attribution certaine de Caravage.
00:10:52Le musée du Louvre a la chance de posséder trois de ces tableaux,
00:10:55trois tableaux qui proviennent tous de la collection Louis XIV,
00:10:58qui ont été accueillis dans un intervalle de temps très rapproché,
00:11:01très précisément entre 1665 et 1671.
00:11:05Ces trois tableaux sont particulièrement bien documentés.
00:11:09Stéphane Loire souligne avec insistance
00:11:12la traçabilité des Caravages du Louvre.
00:11:16Leur authenticité ne fait aucun doute.
00:11:19On connaît tous leurs acquéreurs successifs depuis l'origine.
00:11:22Ce sont des toiles au pédigré indiscutable.
00:11:27Pour le tableau de Toulouse, par contre,
00:11:30on a un peu l'impression qu'il s'agit d'un tableau
00:11:32qui n'a pas beaucoup d'importance.
00:11:34C'est-à-dire qu'il n'a pas beaucoup d'importance
00:11:36pour le tableau de Toulouse, par contre.
00:11:39Le mystère reste entier.
00:11:41On ne sait pas d'où il vient,
00:11:43et sa trace a été perdue il y a 400 ans.
00:11:48Je suis curieux de savoir comment Eric Turquin réagit
00:11:50à cette perplexité des musées français.
00:11:53Je le retrouve avec son équipe au grand complet
00:11:55pour la séance de tri hebdomadaire.
00:11:58Trois experts, des documentalistes et des stagiaires,
00:12:02tous réunis pour identifier le plus précisément possible
00:12:06les dernières toiles mises en dépôt.
00:12:11La plupart sont des images anonymes
00:12:13sur lesquelles toutes les questions sont ouvertes.
00:12:16Chaque tableau est un mystère, une enquête en soi.
00:12:20À quelle école de peinture appartient-il ?
00:12:22À quelle époque a-t-il été peint ?
00:12:24Non, il est entoilé. D'accord.
00:12:26Il est signé, le tableau.
00:12:30Signé, édaté.
00:12:32A-t-on affaire à un original ou à une copie ?
00:12:35Autant de réponses à trouver
00:12:37avant de proposer une date, un nom et un prix.
00:12:41Qu'est-ce que ça vaut ? 1 500 000 ?
00:12:43Oui, 1 500 000. Et comme quoi ?
00:12:45Et comme école française, 1 824.
00:12:47Le tchê est fatigué.
00:12:49C'est marrant, mais c'est pas si facile à vendre.
00:12:50Ah bon ?
00:12:52C'est 40-60.
00:12:53Non, non, non. Alors 40-60.
00:12:54Oui.
00:12:56Et on le vend quand et avec qui ?
00:12:59Une attribution n'est validée
00:13:00que lorsque les experts arrivent à un consensus.
00:13:02Ce tableau est tout près de Zuccaro.
00:13:04Dans le cas du tableau de Toulouse,
00:13:06le cabinet turcain a pris le temps de la réflexion.
00:13:10Quand, au bout de deux ans,
00:13:12nous avons annoncé la découverte du tableau,
00:13:14c'est que j'étais sur, non pas de moi, mais sur du tableau.
00:13:18Je sais que je fais un métier où, effectivement,
00:13:20il faut 30 ans pour construire une réputation
00:13:22et 30 secondes pour la foutre par terre.
00:13:24J'ai fait des erreurs, beaucoup, et j'en ferai encore.
00:13:26Donc je sais ce que coûte une erreur.
00:13:28Je sais l'impact.
00:13:30J'ai vu le vent se lever, les coups de téléphone sonner,
00:13:33les gens me dirent
00:13:34« Comment on peut faire une chose pareille ? »
00:13:36J'ai connu ça.
00:13:37Mais sur ce tableau, je n'ai pas du tout cette angoisse.
00:13:44Je découvre peu à peu le caractère singulier d'Éric Turquin.
00:13:48Il aime le risque.
00:13:50La compétition l'amuse.
00:13:52L'adversité le stimule.
00:13:56Il a le regard incisif,
00:13:58aiguisé par 40 ans de pratique.
00:14:01Un peintre a aussi une écriture.
00:14:03Il a des tics de peintre,
00:14:04comme cette façon tout à fait extraordinaire
00:14:08de souligner le dessous des lèvres avec une grosse tache d'ombre.
00:14:12Ça, c'est du caravate.
00:14:14Puis il a d'autres tics de peintre.
00:14:15Par exemple, cette façon formidable de faire une main de guerrier,
00:14:20la main de l'auferne qui est ici.
00:14:21Il a la main bronzée, comme tous les guerriers,
00:14:23quand la main est dehors, mais le corps est blanc.
00:14:26Il pousse plus loin la réflexion,
00:14:28le détail matériel qui nous fait rentrer dans le tableau.
00:14:32En écoutant Éric Turquin,
00:14:34j'ai l'impression que son œil exercé d'expert
00:14:36suffirait pour donner une attribution.
00:14:39Mais pour un artiste de l'importance de Caravage,
00:14:42ce n'est pas si facile.
00:14:44Il existe plusieurs dizaines de spécialistes du peintre dans le monde
00:14:48qui défendent chacun leur vérité sur le maître.
00:14:52Il faut en moyenne 15 ans
00:14:54pour qu'il tombe d'accord sur un nouveau tableau.
00:14:56Quand le tableau est arrivé au bureau,
00:14:58c'était l'expertise la plus facile que le cabinet turcain ait jamais faite.
00:15:02Nous avions un original, le tableau était cadré comme perdu.
00:15:06C'était très simple.
00:15:08Et c'est ensuite que les ennuis ont commencé,
00:15:12puisque les deux premiers historiens d'art à qui nous l'avons montré,
00:15:14deux historiens d'art italiens, ont boulé l'attribution.
00:15:18Le premier, c'est Mlle Grégory,
00:15:20une des grandes connaisseuses du Caravage.
00:15:22Quand elle est venue voir le tableau, elle m'a dit
00:15:24« Vous avez trouvé le plus beau tableau italien de plus de 30 ans.
00:15:27C'est formidable, mais ce n'est pas lui. »
00:15:29Ensuite, Gianni Papi, un autre grand spécialiste et un ami,
00:15:34chercheur à Florence,
00:15:36pour qui le tableau est une deuxième copie de très belle qualité
00:15:41du tableau de Caravage perdu.
00:15:44Je reste toujours très perplexe
00:15:46quant à la possibilité que ce tableau soit une œuvre de Caravage.
00:15:50Car je ne retrouve pas, dans certaines parties,
00:15:53mais aussi dans l'ensemble de l'image,
00:15:56cette puissance et cet engagement dans l'action
00:16:00qui sont caractéristiques de Caravage.
00:16:03Et puis, il y a d'autres morceaux
00:16:07que je trouve un peu trop grotesques,
00:16:10comme le visage de la servante,
00:16:12mais aussi celui de L'Oloferne.
00:16:14Les querelles d'historiens ne font que commencer.
00:16:18Je décide de prendre l'avis d'un autre éminent spécialiste,
00:16:21anglais cette fois, John Gash.
00:16:24Je lui donne rendez-vous à Rouen, devant un Caravage
00:16:27qui aurait été peint à la même époque que la Judite de Toulouse.
00:16:32Ce tableau est un excellent exemple
00:16:35d'un Caravage qui se trouve déjà en France
00:16:38et qui est très proche de Judite,
00:16:40à la fois en termes de style et de technique d'exécution.
00:16:45On peut identifier la main d'un artiste par son écriture
00:16:49en regardant les petits détails qu'il peint de façon presque instinctive,
00:16:53sans même y penser.
00:16:56Regardez par exemple la façon dont l'ombre est posée
00:17:00juste en dessous de l'œil du Christ,
00:17:03ou la façon dont le reflet sur l'œil est fait
00:17:06avec une petite touche allongée
00:17:08qui part de la pupille pour aller vers le blanc de l'œil.
00:17:13Voilà de petits détails qui sont techniquement compatibles avec Judite.
00:17:19Ou regardez encore ce morceau de tissu effiloché.
00:17:23Caravage aime les petits détails qui apportent une touche de réalisme,
00:17:27car il observe tout avant de peindre,
00:17:30y compris les vêtements de ses modèles.
00:17:33Ensuite, si vous regardez le panneau,
00:17:35la façon dont il agence les reaux blancs
00:17:39fait avec des empattements un peu plus denses
00:17:42et les différents niveaux de gris qui composent les ombres,
00:17:46tout cela est parfaitement comparable
00:17:49avec le drap du lit de la Judite et Holofernes de Toulouse.
00:17:54Nous sommes aux antipodes de la position défendue par Gianni Papi.
00:17:59Je m'aperçois que le petit monde des caravagistes
00:18:02se divise en deux camps autour de Judite.
00:18:04D'un côté, des spécialistes anglo-saxons plutôt favorables
00:18:09et de l'autre, des Français et des Italiens en résistance.
00:18:13Ces dissensions vont peser lourdement sur le destin financier du tableau.
00:18:18Pour tout vous dire, je suis dans une démarche commerciale,
00:18:22pour défendre l'intérêt de mes clients.
00:18:25Nous avons eu la chance de trouver en Angleterre, aux Etats-Unis,
00:18:29des soutiens très importants pour ce tableau.
00:18:31C'est dommage pour eux, mais pas pour la vente du tableau.
00:18:36Eric Turquin ne recule devant rien pour faire avancer les intérêts
00:18:40de ses clients.
00:18:41Il défie l'interdiction de sortie du territoire
00:18:44et obtient une permission exceptionnelle
00:18:47pour envoyer le tableau au musée de Bréra, à Milan.
00:18:51James Bradburn, son flamboyant directeur,
00:18:54propose de confronter les deux versions de Judite,
00:18:58celle de Toulouse et celle de Naples.
00:19:01Le musée italien est accusé
00:19:04de faire monter la cote d'un tableau douteux
00:19:07en l'accueillant dans ses murs.
00:19:09Ce n'est évidemment pas le rôle d'un musée
00:19:12d'exposer les tableaux des copains pour qu'ils les vendent mieux.
00:19:16Mais là, ce n'était pas du tout le cas.
00:19:19Pour ce tableau, le propriétaire a déjà donné son prix,
00:19:23120 millions d'euros.
00:19:25Je ne vais donc pas faire monter le prix.
00:19:28Nous, on ne perd pas un centime.
00:19:31C'est le propriétaire qui sera perdant,
00:19:34c'est lui qui a été très courageux.
00:19:38Le musée milanais est pris dans la tourmente.
00:19:42Le conservateur en chef démissionne pour marquer son désaccord
00:19:46et le directeur se retrouve sur la scellette.
00:19:51Et pour ce qui est de l'attribution à Caravage,
00:19:54la confrontation milanaise est un coup d'épée dans l'eau.
00:19:59Au dernier jour de l'exposition,
00:20:02personne n'a été en mesure d'affirmer que c'était bien un Caravage.
00:20:06Judith ne deviendra un Caravage que quand un musée l'achètera.
00:20:10Si elle est achetée comme étant un Caravage,
00:20:13elle se retrouvera comme par magie définitivement étiquetée Caravage.
00:20:19Le tableau de Toulouse peine à convaincre.
00:20:22Une large part de ce scepticisme
00:20:25vient de la comparaison avec un autre tableau du Caravage,
00:20:29qui décrit la même scène.
00:20:31On l'appelle la Judith Barberini,
00:20:35du nom de la collection romaine à laquelle elle appartient.
00:20:39Elle aurait été peinte 5 ans seulement avant la Judith de Toulouse.
00:20:44J'y retrouve les 3 mêmes personnages.
00:20:48Le général assyrien Holoferne qui assiège la ville de Bétulie.
00:20:53L'héroïne juive, Judith,
00:20:56une veuve qui quitte ses habits de deuil
00:20:59pour se rendre dans son camp et le séduire.
00:21:02Elle va enivrer Holoferne au cours d'un banquet.
00:21:05Et de retour dans la tente du général,
00:21:08elle le décapite avec son propre sabre.
00:21:11Sa servante, Abra,
00:21:13tient un sac dans lequel elle va rapporter la tête dans la ville assiégée.
00:21:19Les 2 tableaux racontent le même drame et le même moment,
00:21:23celui de l'égorgement.
00:21:25Mais l'interprétation de la scène est totalement différente.
00:21:30La Judith Barberini est belle, mais elle est crispée.
00:21:35On sent qu'elle se fait violence pour tuer.
00:21:38Elle se cabre dans les forts, le corsage est tendu sur sa poitrine.
00:21:42La Judith de Toulouse, en revanche, a gardé ses habits de deuil.
00:21:47Elle nous défie du regard. Sa détermination est sans faille.
00:21:51Elle tue presque machinalement, sans regarder ce qu'elle fait.
00:21:55On dirait une tueuse à gages qui exécute un contrat.
00:21:59Il reste pourtant un point commun troublant.
00:22:03Les 2 Judith portent la même boucle d'oreille,
00:22:06une perle en forme de poire surmontée d'un petit nœud de ruban noir.
00:22:10Est-ce suffisant pour dire qu'il s'agit de 2 œuvres du même peintre,
00:22:15exécutées à quelques années d'écart ?
00:22:18Ou a-t-on affaire à un suiveur, un imitateur du Caravage,
00:22:22qui reprendrait les mêmes accessoires ?
00:22:26Je crois que ce tableau est assez loin
00:22:30du type d'image dramatique que Caravage voulait produire.
00:22:34Il y a une insistance très forte sur une note presque grotesque,
00:22:37tout particulièrement dans la tête répugnante de Lofferne.
00:22:42C'est la touche grossière de quelqu'un
00:22:46qui connaît très bien les compositions caravagesques,
00:22:50mais qui les interprète à sa manière,
00:22:53en forçant le trait.
00:22:57On dirait le travail de quelqu'un que je sens très proche de lui,
00:23:02qui connaît très bien sa façon de travailler
00:23:04et son style de composition.
00:23:07Mais c'est quelqu'un qui exagère, qui en fait trop.
00:23:11Décidément, il est bien difficile de faire entrer un nouveau tableau
00:23:16dans le corpus des œuvres authentifiées de Caravage.
00:23:20Cet enfant terrible de la peinture italienne
00:23:23est aujourd'hui un artiste culte, à la cote inestimable.
00:23:29Pour prendre la pleine mesure du phénomène,
00:23:32je me rends dans la région lyonnaise afin de consulter Thierry Hermann,
00:23:37l'oracle le plus fameux du marché de l'art.
00:23:40Son antre s'appelle la demeure du chaos.
00:23:46Derrière ce décor insolite se cache ArtPrice,
00:23:50la plus vaste banque de données commerciale dans le domaine de l'art.
00:23:54Elle est aujourd'hui numéro 1 mondial.
00:23:57Aucune vente de tableaux ne lui échappe.
00:23:59ArtPrice enregistre tout et dans tous les pays.
00:24:04Son fondateur est un gourou atypique et iconoclaste.
00:24:08Prophète incontesté de l'art contemporain,
00:24:11il se risque désormais dans le domaine de la peinture ancienne.
00:24:15Il est le seul à avoir prédit la vente record
00:24:18du Salvatore Mundi de Léonard de Vinci.
00:24:21Je le rappelle longtemps, mais qui est faible,
00:24:24450 millions de dollars, c'est pas énorme
00:24:26Aujourd'hui, la moindre exposition se chiffre en millions de visiteurs.
00:24:31Je dirais qu'à une audience internationale.
00:24:34On a fait des calculs de projection pour le Louvre d'Abu Dhabi,
00:24:38incluant des prêts éventuels.
00:24:40Le tableau sera payé sur une variable entre 8 à 12 ans.
00:24:44On verrait le caravage arriver entre 250-300 millions.
00:24:48C'est pas du tout exclu.
00:24:50Je pense que l'oeuvre qui franchira le milliard se verra avant 2020.
00:24:53Ça a été confirmé par Christy, Sotheby, Bonhams, Philips, Bekowski.
00:24:58Tout le monde se reconnaît à dire que le milliard sera atteint.
00:25:02Le patron d'Artprice parle en connaissance de cause.
00:25:06Son site lui permet de prendre avec précision la température du marché.
00:25:11Il va se créer plus de musées entre 2000 et 2014
00:25:14que durant tout le 19e et 20e siècle réunis.
00:25:17C'est absolument hallucinant.
00:25:19Il se crée chaque année encore 700 musées,
00:25:214 500 pièces chacun sur l'ensemble des continents.
00:25:25On va très vite s'apercevoir que l'art ancien a une demande fabuleuse,
00:25:29que le marché dicte la loi et que les experts,
00:25:32même s'ils reconnaissent ou non, c'est le marché qui donne le ton.
00:25:36On a des clignotants qui s'allument sur les continents
00:25:39et qui font des recherches spécifiques sur le caravage.
00:25:42On sait déjà, comme on l'a vu pour le salle de bain-temps,
00:25:46que des gens se positionnent.
00:25:48Ce caravage a réveillé de fortes envies, comme nos oeuvres.
00:25:52Le paradoxe de cette convoitise mondiale,
00:25:56c'est qu'elle reste invisible.
00:25:58Tant que le tableau est bloqué en France,
00:26:01aucun acheteur ne se manifeste officiellement.
00:26:04Tout se joue en coulisses.
00:26:07Chez Eric Turquin, c'est un ballet incessant autour du tableau.
00:26:12Des curieux, des amateurs,
00:26:14mais aussi des acheteurs potentiels ultra-discrets,
00:26:17les visiteurs du soir qu'il met interdits de filmer.
00:26:20Un des aspects du secret professionnel dont il faut parler,
00:26:24c'est les acheteurs.
00:26:26Les acheteurs, d'abord, si vous êtes un chef d'entreprise,
00:26:30vous n'avez pas forcément envie de rentrer le lundi matin
00:26:33et de vous trouver votre usine en grève
00:26:35parce que vos employés ont découvert
00:26:37que vous aviez acheté un tableau pendant le week-end.
00:26:40C'est la première des choses.
00:26:42Une des raisons pour lesquelles ce bureau est devenu ce qu'il est,
00:26:46c'est parce que nous savons de temps en temps trouver des attributions
00:26:49que les autres n'ont pas trouvées, bien sûr,
00:26:53mais aussi parce que les gens savent qu'ils peuvent nous parler
00:26:56en toute liberté et que ça ne sortira pas de ce bureau.
00:27:02Certaines ambitions finissent pourtant par fuiter sur les réseaux sociaux.
00:27:07Keith Christiansen, par exemple.
00:27:10Il est le conservateur en chef du Metropolitan Museum de New York.
00:27:14Il ne peut pas dire officiellement s'il croit ou non
00:27:17à l'attribution à Caravage,
00:27:19mais son compte Instagram parle pour lui.
00:27:22« Je suis retourné à la Bréra pour voir encore
00:27:25la Judite éolopherne de Toulouse attribuée à Caravage.
00:27:29Honnêtement, qui d'autre aurait pu la peindre ?
00:27:32Si ce n'est pas Caravage, qui ça peut bien être ? »
00:27:37Du côté des opposants, en revanche, une hypothèse gagne du terrain.
00:27:42Et si la Judite de Toulouse et celle de Naples
00:27:45étaient en réalité les œuvres d'un seul et même peintre,
00:27:49à savoir Louis Finçon ?
00:27:52Louis Finçon, c'est ce peintre et marchand
00:27:55qui a peint la copie napolitaine du tableau de Toulouse.
00:28:00« Je n'aurais vraiment aucune difficulté à penser
00:28:04que Louis Finçon pourrait avoir peint la toile de Toulouse.
00:28:09Il y a des morceaux qui me semblent très proches de sa peinture. »
00:28:14« Moi, je soutiens que ça pourrait être un grand chef-d'œuvre de Louis Finçon.
00:28:19Il a peint des tableaux très importants.
00:28:23Il peut s'approcher des plus grands. »
00:28:28Lorsque je compare la Judite de Toulouse avec celle de Finçon,
00:28:33je n'arrive pas à croire qu'elles sont de la même main.
00:28:36Même pour moi, qui suis un simple amateur,
00:28:39le tableau de Toulouse semble bien plus beau que celui de Naples.
00:28:42Le visage de Judite est plus fin, plus vivant.
00:28:46Chez Finçon, le coloris paraît criard
00:28:49et l'expression plus maladroite.
00:28:53Dans le tableau de Toulouse,
00:28:56la manchette de la robe est faite d'un coup de pinceau,
00:28:59vif et souple.
00:29:01On a l'impression de voir danser la peinture.
00:29:04Chez Finçon, par contre, tout paraît plus raide.
00:29:08Mais les 2 tableaux ont plus de points communs
00:29:12que ce que j'imagine.
00:29:14On voit ici une ligne
00:29:17qui correspond à une couture de toile.
00:29:20D'où vient-elle ? C'est pas compliqué.
00:29:23A l'époque, les laits de toile tissés n'étaient pas grands
00:29:27pour faire des tableaux de ce format-là.
00:29:30Il fallait coudre ensemble 2 laits de toile
00:29:33pour avoir le format choisi.
00:29:35Là où c'est intéressant,
00:29:38dans la copie de Naples,
00:29:40il y a la même couture de toile au même endroit.
00:29:43On a analysé la toile de la copie.
00:29:47La toile de la copie a les mêmes symptômes.
00:29:50Elle n'a pas le même tissage en haut et en bas.
00:29:53Par contre, le tissage en haut est le même en haut
00:29:56et le tissage en bas est le même en bas.
00:29:59Il s'agit à l'origine du même lait de toile
00:30:01qui a été coupé en deux
00:30:04pour faire 2 tableaux, une copie et un original.
00:30:07Même support, même couture.
00:30:10Les tableaux de Toulouse et de Naples
00:30:13semblent liés de façon inextricable.
00:30:16On a analysé une autre oeuvre de Caravage.
00:30:20C'est le David et Goliath,
00:30:22qui se trouve actuellement au musée de Vienne.
00:30:26Le support sur lequel il a été peint
00:30:29a été ausculté.
00:30:30Et sous la peinture,
00:30:33on a retrouvé l'ébauche d'une autre composition.
00:30:37Mars, Vénus et l'amour,
00:30:39qu'on peut attribuer avec une très grande probabilité
00:30:43à Louis Finson.
00:30:45Et qu'est-ce que ça signifie ?
00:30:48Que bien évidemment, l'atelier de Finson
00:30:52devait être parfaitement accessible à Caravage.
00:30:56La proximité avec Finson est décidément troublante.
00:31:01Pour en avoir le cœur net,
00:31:03je me tourne vers le scientifique italien
00:31:06le plus réputé pour ses analyses des tableaux du Caravage.
00:31:10Claudio Falcucci est un explorateur
00:31:13des couches profondes des tableaux.
00:31:20Il a soumis la Judith de Toulouse
00:31:23à une batterie de tests,
00:31:26radiographies, rayons infrarouges
00:31:29et analyses en fluorescence,
00:31:31qui révèlent à chaque fois des moments différents
00:31:35dans l'élaboration du tableau.
00:31:39Si nous passons progressivement sur l'image radiographique,
00:31:44nous découvrons par exemple ce trait de pinceau
00:31:47qui définit l'épaule de la vieille servante.
00:31:50Nous voyons que ce trait de pinceau
00:31:53se poursuit sous le voile de Judith.
00:31:57Cela témoigne du fait que sous le voile de Judith,
00:32:02l'artiste avait d'abord peint l'épaule entière de la vieille.
00:32:06Évidemment, si un peintre copie une œuvre déjà existante,
00:32:10il sait si cette épaule doit rester apparente ou pas.
00:32:14Si elle était destinée à être recouverte par le voile de Judith,
00:32:18l'artiste aurait peint le voile directement.
00:32:22C'est donc l'œuvre d'un peintre qui réfléchit à la composition
00:32:27en même temps qu'il réalise l'œuvre.
00:32:30Il est donc impossible que ce tableau soit une réplique
00:32:34ou une copie d'un autre tableau déjà existant.
00:32:37Mais le tableau de Toulouse n'a pas encore livré tous ses secrets.
00:32:42Le morceau qui concentre toutes les critiques,
00:32:46c'est le visage d'Abrah, la servante,
00:32:48et en particulier les rides lourdement accentuées
00:32:52qui en sillonnent la surface.
00:32:54Nous avons effectué un petit prélèvement
00:32:58correspondant à une des rides.
00:33:02En effectuant ce prélèvement,
00:33:05la ride s'est détachée nette de la couche picturale en dessous.
00:33:10Cela signifie que cette ride a été appliquée
00:33:14sur une autre couche picturale déjà complètement sèche.
00:33:19J'ai l'impression d'entrer enfin au cœur des secrets du tableau.
00:33:26Ce qui est sûr, c'est que cette vieille est affectée
00:33:31d'une maladie de la thyroïde qui produit ce gouâtre,
00:33:35cette excroissance de la gorge.
00:33:38Et normalement, l'autre symptôme de cette maladie
00:33:43est une excroissance des yeux,
00:33:45qui se retrouvent agrandis et exorbités.
00:33:51Ce qui est intéressant, c'est que dans la radiographie,
00:33:56vous voyez comme ces yeux sont beaucoup plus grands
00:34:00que dans la version définitive.
00:34:06Il y avait donc cette figure quasi monstrueuse en plein centre
00:34:11qui devait changer totalement la perception
00:34:13que nous avons aujourd'hui du tableau.
00:34:19Claudio Falcucci est formel.
00:34:23Le visage d'Abra aurait donc été modifié.
00:34:26Mais par qui ?
00:34:28Nicola Spinoza, un des grands spécialistes italiens du peintre,
00:34:32a un avis tranché sur la question.
00:34:35Il faut chercher à comprendre
00:34:38si cela provient d'une restauration du XVIIe ou du XVIIIe siècle
00:34:41ou bien, comme je le pense, à une intervention de Louis Finçon
00:34:46pour compléter une partie inachevée du tableau de Caravaggio.
00:34:52La Judite de Toulouse serait donc une œuvre du Caravaggio,
00:34:57mais partiellement repeinte par Finçon.
00:35:00Un cas unique parmi les 70 tableaux authentifiés à ce jour.
00:35:05Cela reste une hypothèse, mais elle paraît vraisemblable.
00:35:10Les débats sur le tableau ne sont pas prêts de prendre fin.
00:35:15Et l'estimation financière proposée par Eric Turquin
00:35:19paraît d'autant plus risquée.
00:35:23Nous sommes dans un domaine,
00:35:26l'expertise artistique, qui n'est pas du tout objectif.
00:35:30Nous vendons du rêve, nous vendons de l'amour.
00:35:33Ça se quantifie comment, l'amour ? Mais ça a une valeur.
00:35:36Si je mets 400 millions sur un tableau de Vinci,
00:35:40il le fait par amour de l'objet.
00:35:42Mon conseil serait de vendre ce tableau en vente publique.
00:35:46Maintenant, il faut que je convainque les propriétaires
00:35:50qu'il faut prendre ce risque.
00:35:52De quel risque parle-t-il ?
00:35:55Pour vendre Judite, il n'y a en fait que deux options.
00:35:59L'une est sans danger et sans panache,
00:36:02c'est la vente à l'amiable.
00:36:03Un acheteur se présente et, après discussion avec le vendeur,
00:36:08ils conviennent ensemble d'un prix.
00:36:11L'autre option, beaucoup plus audacieuse,
00:36:14c'est la vente publique aux enchères.
00:36:17La mise à prix est plus basse,
00:36:19mais si les enchères s'envolent, on peut atteindre des sommets.
00:36:23C'est bien sûr le scénario dont rêve Eric Turquin
00:36:26et qu'il va réussir à imposer aux propriétaires.
00:36:29Eric Turquin aussi est intéressé au succès des enchères.
00:36:32Notre minération est publique.
00:36:35Nos honoraires sont de 5 % sur le montant vendu en vente publique,
00:36:40qui comprend la garantie, etc.
00:36:42Bien sûr que ce tableau est tout à fait hors norme.
00:36:45C'est une vente qui ne correspond à rien de ce qu'on fait d'habitude.
00:36:49Vous me permettrez de ne pas répondre de façon plus précise.
00:36:54C'est plus ou moins ? C'est exceptionnel.
00:36:58C'est exceptionnel.
00:37:00Il est pas mal, hein ?
00:37:03Étrange métier que celui d'expert.
00:37:06Sur un tableau École du Caravage, à 60 000 euros,
00:37:10Eric Turquin toucherait 3 000 euros de commission.
00:37:13Sur un Caravage à 120 millions,
00:37:16il toucherait 6 millions.
00:37:19Cela ne risque-t-il pas de faire pencher la balance de l'expert
00:37:23en faveur de la signature la plus prestigieuse ?
00:37:26Vous êtes quand même jugé parti.
00:37:29Vous êtes à la fois expert et vous avez un mandat de vente.
00:37:34Je suis pas jugé parti.
00:37:36Dans la 1re démarche d'expertise, de reconnaître le tableau,
00:37:40j'étais peut-être juge.
00:37:42Par contre, dans la 2e partie,
00:37:44la partie marketing, la partie commerciale de mon métier,
00:37:48il n'y a pas d'expertise sans commerce,
00:37:52il faut être le plus partiel possible.
00:37:55Je me considère plus comme un avocat que comme un juge.
00:38:01Je me demande quel atout Eric Turquin garde dans son jeu
00:38:06pour se montrer aussi confiant.
00:38:09Et en effet, quelques jours plus tard,
00:38:12il prend une initiative spectaculaire.
00:38:19Un nettoyage intégral pour faire la lumière
00:38:22sur les morceaux du tableau les plus controversés.
00:38:26Et tout particulièrement, le visage de la vieille servante.
00:38:30Alors là, je suis en train d'amincir le vernis,
00:38:34le vernis qui est...
00:38:36Le vernis très ancien,
00:38:39qui date d'une ancienne restauration,
00:38:42qui est très oxydée, qui est brun,
00:38:45qui modifie les contrastes
00:38:48en les atténuant entre les lumières et les ombres.
00:38:52Regardez cette...
00:38:55Cette écriture vertigineuse.
00:38:58Le tableau est là, quoi.
00:39:04Là, ça va être énorme.
00:39:07Ça va être très différent.
00:39:09Oui, très.
00:39:10On va avoir un contraste entre la zone lumineuse et l'ombre.
00:39:14On va avoir quelque chose qui va tourner.
00:39:17Ce qui gênait beaucoup de gens dans ça,
00:39:19c'est le côté systématique, parallèle, rectiligne.
00:39:23Et c'est pas du tout rectiligne.
00:39:25C'est une joie formidable de voir le tableau revivre.
00:39:30Formidable, formidable, formidable.
00:39:34Le tableau nettoyé retrouve des couleurs éclatantes.
00:39:39Eric Turquin y voit plus que jamais un chef-d'oeuvre,
00:39:43sans la moindre intervention de Louis-Finçant.
00:39:46Il décide donc de présenter Judith en vente publique,
00:39:48comme étant à 100 % de la main du Caravage.
00:39:52C'est un défi, pour lequel il met en jeu
00:39:55toute sa crédibilité d'expert.
00:39:57C'est aussi le moyen de demander le prix le plus élevé.
00:40:02Le tableau est bloqué depuis 30 mois dans sa chambre forte,
00:40:07lorsque l'interdiction de sortie du territoire prend fin.
00:40:11Aucune déclaration officielle du Louvre
00:40:14quant à l'attribution à Caravage.
00:40:15La République française prend le risque de laisser filer le tableau.
00:40:21Désormais, les enchères trancheront.
00:40:24Judith obtient enfin son passeport,
00:40:27dûment tamponné par le ministère de la Culture.
00:40:30Plus rien ne s'oppose à une vente internationale.
00:40:37Eric Turquin jubile.
00:40:40Il peut enfin lancer la grande offensive commerciale
00:40:42dont il rêve depuis l'arrivée du tableau dans ses murs.
00:40:48Il est persuadé de l'enthousiasme des acheteurs étrangers.
00:40:53Pourtant, il n'a jamais monté seul une opération d'une telle envergure.
00:41:00Il se hasarde très loin de son quotidien d'expert parisien
00:41:04en jouant sur le terrain des grandes maisons de vente internationales.
00:41:08Alors qu'il ne dispose ni de leurs équipes aguerries...
00:41:10Attention à la porte. Voilà, c'est bon.
00:41:13...ni de leurs fichiers de clients richissimes.
00:41:20C'est un pari hyper risqué, conforme à son tempérament de joueur.
00:41:26Il s'est donné six mois pour réussir son coup.
00:41:29Les propriétaires n'ont que trop attendu la vente du trésor retrouvé.
00:41:34Mais la partie va se révéler plus compliquée que prévue.
00:41:38Pour frapper son coup d'envoi, il choisit Londres.
00:41:43Une galerie dans le très chic district de St James.
00:41:47Ce sera le quartier général de Judith pour sa première bataille,
00:41:51la présentation à la presse internationale.
00:41:59Le jour de la conférence de presse,
00:42:02la curiosité est au rendez-vous et l'affluence inhabituelle.
00:42:05Tous les principaux médias anglo-saxons sont représentés.
00:42:09Les flashs crépitent.
00:42:19Il faudra recommencer trois fois le dévoilement de Judith
00:42:23pour satisfaire tous les photographes.
00:42:35Cette histoire a commencé à Toulouse.
00:42:39Elle doit continuer à Toulouse.
00:42:43C'est pourquoi le propriétaire et moi avons choisi cette ville
00:42:48pour la vendre le 27 juin
00:42:51au hall de concert de la ville, le Hallograin.
00:42:54Merci beaucoup.
00:43:05Pas du tout.
00:43:07Ce sera à Toulouse, chez Maître Labarbe.
00:43:11Encore un pari à haut risque.
00:43:14Les enchères démarreront à 30 millions,
00:43:17en espérant bien sûr dépasser la barre symbolique
00:43:20des 100 millions d'euros.
00:43:22Mais les questions sur l'attribution persistent.
00:43:35On verra.
00:43:37C'est une vraie auction. Le marché décidera.
00:43:40Mais c'est les gens qui vont voter.
00:43:42Les autres resteront à côté. C'est la bonne chose de l'auction.
00:43:45Vous êtes sûr qu'elle va se vendre ?
00:43:48Oui. Très sûr.
00:43:52Le succès de la conférence de presse avait fait naître de grands espoirs.
00:43:57Mais dès le lendemain, le soufflet retombe.
00:44:01Je découvre un Eric turcain désemparé,
00:44:03qui doute, peut-être pour la première fois, du succès de sa vente.
00:44:08Le tableau reste exposé toute une semaine,
00:44:11sans que la foule attendue ne se presse pour découvrir ce nouveau chef-d'oeuvre.
00:44:16On est loin de l'embrasement espéré.
00:44:25Déstabilisé et inquiet, Eric turcain repense son plan d'attaque
00:44:30et décide de frapper un grand coup.
00:44:31En réunissant tous les arguments en faveur du tableau
00:44:35dans un catalogue de ventes somptueux,
00:44:38200 pages d'analyses et de démonstrations visuelles irréfutables.
00:44:43Il est imprimé juste à temps pour un voyage décisif.
00:44:50Judith s'envole pour New York.
00:44:53C'est la carte maîtresse dans le jeu d'Eric turcain,
00:44:56le moment où tout doit se concrétiser.
00:44:58Double caisse renforcée et capitonnée
00:45:01et contrôle personnalisé de l'arrimage juste avant le décollage.
00:45:05Ce transfert est couvert par les assureurs à hauteur de 120 millions d'euros.
00:45:10Ils exigent les précautions maximales.
00:45:25Le tableau est présenté chez Adam Williams,
00:45:27le plus important marchand de peinture ancienne de Manhattan.
00:45:31C'est un lieu hautement stratégique,
00:45:34choisi avec soin à 100 mètres à peine du Métropolitan Museum.
00:45:39L'heure est grave.
00:45:42Eric turcain reste souriant et courtois.
00:45:45Mais je sens chez lui une fébrilité inhabituelle.
00:45:48Son anxiété monte.
00:45:51Je me rends compte qu'il n'est pas évident pour beaucoup de gens, ce tableau.
00:45:55Et c'est ça qui commence à me faire un tout petit peu peur.
00:45:59C'est vrai que je vois arriver le 27 juin à tous les jours un peu plus vite.
00:46:04Et j'aimerais voir un très grand client se sortir du bois et dire,
00:46:09je vais y aller, j'ai pas ça encore.
00:46:11Et ça commence effectivement à me rendre un peu nerveux.
00:46:14C'est aussi pour ça que nous sommes venus à New York.
00:46:16C'est pour ça que nous sommes ici chez Adam Williams.
00:46:18C'est pour justement apporter notre tableau vers les acheteurs.
00:46:22Adam Williams est un de ceux qui connaît le mieux
00:46:24ce milieu new-yorkais fortuné.
00:46:27Et je sais par expérience qu'il a de bonnes relations avec tous ces gens.
00:46:31Je n'aurais jamais accueilli le tableau
00:46:34si je n'étais pas absolument sûr qu'il est bon.
00:46:36Nous avons reçu des appels de partout aux Etats-Unis.
00:46:39Tous les gens des musées vont venir.
00:46:41Et ils sont tous incroyablement excités à l'idée de voir le tableau.
00:46:45Le Metropolitan Museum, tout proche,
00:46:48possède déjà deux caravages importants,
00:46:51considérés comme des pièces maîtresses de ses collections.
00:46:57Mais aucun de ces tableaux n'a la force visuelle
00:47:01et la puissance théâtrale de Judith.
00:47:07Les conservateurs du Metropolitan Museum
00:47:10sont d'accord avec lui.
00:47:12Les conservateurs du Metropolitan se pressent chez Adam Williams
00:47:17dans les jours qui suivent.
00:47:19Et l'humeur d'Eric Turquin est au beau fixe.
00:47:22Je sens l'ambiance très positive.
00:47:24Personne ne se pose même la question de la prévention du tableau.
00:47:27Les gens qui arrivaient avec des idées un peu critiques, etc.,
00:47:31quand ils arrivent devant le tableau,
00:47:33ils sont bluffés par la qualité de la peinture.
00:47:36Réellement, c'était le bon choix.
00:47:38On aurait dû commencer par là.
00:47:42Mais en parallèle, des bruits de couloirs
00:47:45viennent assombrir la remontée que le tableau était en train de faire.
00:47:50Le fameux Salvator Mundi, vendu quelques mois plus tôt
00:47:54comme le tableau le plus cher du monde, est discrédité.
00:47:58De nombreuses voix s'élèvent et affirment
00:48:01qu'il ne serait pas l'œuvre de Léonard de Vinci.
00:48:04Tableau âprement discuté avant sa vente, comme Judith,
00:48:08ce revirement est une douche froide
00:48:09et ne pouvait pas plus mal tomber.
00:48:12Aucun musée ne peut se permettre une telle déconvenue.
00:48:15Certainement pas le Métropolitan, un des plus prestigieux au monde.
00:48:19Et en effet, le séjour new-yorkais s'achève
00:48:23sans qu'aucun musée américain ne confirme sa participation à la vente.
00:48:28Mais Eric Turquin maintient le cap.
00:48:34À Toulouse, le suspense est à son comble.
00:48:37Je retrouve Marc Labarbe, plein d'ardeur.
00:48:41Il m'emmène à la découverte du lieu qu'il a choisi pour les enchères.
00:48:45Et les rumeurs les plus fantastiques se multiplient.
00:48:49J'entends parler d'acheteurs russes, chinois,
00:48:52ou encore saoudiens et émiratis.
00:48:55Plus que 48 heures avant le coup d'envoi de la vente,
00:48:58chez Marc Labarbe, c'est l'heure des ultimes réglages
00:49:01avant les enchères.
00:49:03La halle au grain s'apprête à recevoir Judith
00:49:05en grande peau.
00:49:08Mais soudain, à 18 heures, l'impensable se produit.
00:49:12La vente aux enchères est annulée.
00:49:25C'est un coup de théâtre.
00:49:28Le tableau a été vendu en privé à un acheteur anonyme
00:49:32pour un montant confidentiel.
00:49:33Que s'est-il passé en coulisses ?
00:49:36On est 4 jours avant la vente,
00:49:38et vous savez que vous avez un acheteur.
00:49:41Nous savons que nous avons plusieurs acheteurs,
00:49:44mais nous n'avons qu'un acheteur très motivé.
00:49:47Dans une vente publique, pour réussir, il nous en faut 2.
00:49:51Pas 3, mais 2.
00:49:53On oublie toujours, la personne la plus importante
00:49:56dans une vente publique n'est pas l'acheteur.
00:49:59Celle qui fait le prix, c'est celle qui s'arrête.
00:50:01Nous savions que nous avions un acheteur
00:50:05qui était déterminé à acheter ce tableau.
00:50:08À un moment donné, il faut savoir accepter les offres.
00:50:12Les arbres ne grimpent pas jusqu'au ciel.
00:50:15Je pense qu'à un moment donné, il faut cesser de jouer au poker.
00:50:19Et comme je vous le disais,
00:50:21n'oublions jamais qu'en vente publique, il nous en faut 2.
00:50:25Je prends la mesure de ce qu'Eric Turquin et Marc Labarbe
00:50:29ont failli vivre.
00:50:30Payer 30 millions aux enchères
00:50:33pour un tableau dont personne d'autre ne veut,
00:50:36c'est une humiliation pour l'acheteur.
00:50:39En plus, ça discrédite le tableau.
00:50:41La vente privée de dernière minute a permis à tout le monde
00:50:45de sauver la face et de préserver le prestige de Judith.
00:50:54Dès le lendemain, le nom du mystérieux acheteur
00:50:58fuite dans la presse.
00:50:59Il s'agirait de Thomilson Hill,
00:51:02un milliardaire et collectionneur américain.
00:51:05Il aurait acheté le tableau pour le Metropolitan Museum de New York,
00:51:09dont il est l'un des administrateurs.
00:51:11Keith Christensen, le conservateur en chef du musée,
00:51:14aurait donc réussi à obtenir ce tableau qu'il convoitait
00:51:18en employant en coulisses une stratégie parallèle.
00:51:22Reste la question du prix.
00:51:25Le secret est bien gardé.
00:51:28Je ne saurais jamais si Eric Turquin a gagné son pari
00:51:31d'une évaluation à 120 millions d'euros.
00:51:35Une chose est certaine.
00:51:38Les vendeurs et l'acheteur ont désormais intérêt
00:51:41à laisser croire que Judith a été vendue pour une somme fabuleuse.
00:51:45Si le tableau finit par être exposé
00:51:48au Metropolitan Museum de New York,
00:51:50plus personne ne remettra en cause son avis.
00:51:55Ce sera une gifle pour tous ceux qui doutaient de l'oeuvre
00:51:59et une victoire retentissante pour Marc Labarbe et Eric Turquin.
00:52:05Ils pourraient bien rester dans l'histoire
00:52:08comme les découvreurs du plus beau caravage des Etats-Unis.
00:52:15Comme le veut la coutume, l'aventure se termine par un banquet.
00:52:20Mais celui-ci a le goût étrange des victoires mitigées
00:52:23et des dénouements en clair obscur.
00:52:34Judith a quitté la scène aussi mystérieusement qu'elle y était entrée,
00:52:39en emportant avec elle les secrets qu'elle continue farouchement de préserver
00:52:43et que tant d'entre nous ont cherché à percer.
00:52:47Ce soir-là, alors que je regarde ces gens autour de moi
00:52:51et leur air triomphant,
00:52:53je devine qu'au fond,
00:52:56nous partageons le même sentiment d'inachevé et la même envie.
00:53:00Que Judith revienne nous raconter la fin de sa folle histoire.
00:53:07Quelle histoire, quelle affaire que celle de ce tableau,
00:53:11ce supposé caravage, découvert par hasard,
00:53:14dans le grenier d'une propriété toulousaine.
00:53:17Son attribution, vous venez de le voir,
00:53:19grâce à ce documentaire de Frédéric Biamonti,
00:53:23a longtemps fait débat entre experts.
00:53:25Au final, il trouvera pourtant un acquéreur au prix fort.
00:53:29De quoi s'interroger, en prolongement de ce film,
00:53:32sur les ressorts du marché de l'art aujourd'hui.
00:53:35C'est ce que nous allons faire avec nos invités présents
00:53:38sur ce plateau de débats doc.
00:53:40Nathalie Moureau est avec nous. Bienvenue.
00:53:43Vous êtes professeure de sciences économiques
00:53:46à l'Université Montpellier III,
00:53:47spécialisée dans l'économie de la culture.
00:53:51Vous êtes l'auteur de ce livre,
00:53:53Le marché de l'art contemporain,
00:53:55ouvrage coécrit avec Dominique Sagot du Vauroux
00:53:58et disponible aux éditions de La Découverte.
00:54:01On espère en savoir plus sur ce monde
00:54:03que nous a fait découvrir à l'instant ce documentaire,
00:54:06ce monde, justement, du marché de l'art.
00:54:09Pierre-Emmanuel Martin-Vivier, bienvenue.
00:54:12Vous êtes historien de l'art,
00:54:14spécialiste des arts du XXe
00:54:15et du XXIe siècles
00:54:18et vice-président de la maison de vente aux enchères Christie's,
00:54:22dont il a été question aussi dans ce documentaire et pour cause.
00:54:26Chez Christie's a eu lieu la vente du tableau le plus cher de l'histoire.
00:54:31Il s'agit du Salvatore Mundi.
00:54:33Dieu sait si l'attribution de ce tableau
00:54:36qu'on a attribué à Léonard de Vinci
00:54:38a été aussi discutée entre experts.
00:54:40On ne sait toujours pas, d'ailleurs,
00:54:42si ce tableau est de Léonard de Vinci.
00:54:43Quoi qu'il en soit,
00:54:45il a été vendu 450 millions de dollars.
00:54:48C'était à New York,
00:54:50chez Christie's, justement.
00:54:52Puis, enfin, Harry Belet est également avec nous.
00:54:55Bienvenue. Vous êtes auteur, journaliste,
00:54:58au service culturel du quotidien Le Monde
00:55:01et, entre autres, auteur de Fossères illustres
00:55:04chez Actes Sud,
00:55:06un livre que je conseille.
00:55:08Il est surprenant.
00:55:10On y découvre qu'il y a beaucoup de fausses peintures.
00:55:12Évidemment, dans les musées,
00:55:15les musées nationaux, et notamment au Met,
00:55:18au Metropolitan Museum de New York,
00:55:20dont on a aussi parlé dans ce film.
00:55:22Qu'est devenu ce fameux tableau,
00:55:24ce supposé caravage, aujourd'hui,
00:55:26pour nous raconter la fin de l'histoire ?
00:55:28On ne sait pas très bien.
00:55:30On sait qu'il a été vendu, certes.
00:55:32Combien ? On ne sait pas.
00:55:34C'est une vente qui s'est faite en privé.
00:55:36Probablement pas les 120 millions qu'on espérait.
00:55:39Alors, moi, j'ai un chiffre.
00:55:40La source vient du New York Times,
00:55:43qui avançait, à l'époque, en 2019,
00:55:46le chiffre de 96 millions d'euros.
00:55:49Ce tableau a été vendu à James Tomilson Hill,
00:55:52qui est un milliardaire américain,
00:55:54que vous connaissez assez bien,
00:55:56parce que lui-même a un musée à New York.
00:55:59On n'est pas sûrs de cette information.
00:56:02Non, apparemment, une vente est privée.
00:56:04L'information vient du New York Times,
00:56:07on peut la supposer de référence,
00:56:09mais il n'y a aucun moyen de le prouver.
00:56:12Par nature, il n'y a que les ventes publiques,
00:56:15dans lesquelles on est à peu près sur du prix.
00:56:18Je vais encore utiliser le conditionnel.
00:56:20Ce tableau serait, aujourd'hui,
00:56:22omette, justement, à New York.
00:56:24On ne l'a jamais revu en public, ce tableau, depuis ça.
00:56:27Vous l'avez vu ?
00:56:28J'ai jamais vu. J'ai pas vu.
00:56:30Enfin, pas omette, en tout cas.
00:56:32Non, non, mais...
00:56:34Donc le mystère persiste.
00:56:36Oui, mais c'est bien, ça fait rêver.
00:56:37Il n'y a aucune religion sur l'attribution ou pas de ce tableau.
00:56:41Vous aviez suivi cette affaire.
00:56:43Il y a encore un doute, visiblement, sur l'attribution.
00:56:46Il n'y avait pas eu un doute, il aurait fait les 120 millions espérés.
00:56:50Il n'y aurait pas eu un acheteur, mais plusieurs.
00:56:53Donc oui, il y avait un doute, bien sûr.
00:56:55Le doute vient dès le départ.
00:56:57Quand vous avez un tableau qu'on retrouve dans un grenier,
00:57:00c'est-à-dire qu'il servait de film anti-puits,
00:57:03si j'ai bien compris, puisque la peinture à l'huile,
00:57:06c'est étanche.
00:57:07Un tableau dans un grenier qui ressort dans un état qui est plutôt bon,
00:57:11alors que les chaleurs des greniers toulousains sont légendaires,
00:57:15qu'il n'y a pas de provenance.
00:57:17On ne sait pas du tout d'où il vient, par où il est passé.
00:57:20J'ai des piques-lumières qui s'allument dans ces cas-là.
00:57:23Pourtant, il y a eu 5 ans d'expertise.
00:57:25On a découvert tout ça dans ce film.
00:57:27Les experts sont...
00:57:28Expertise française, internationale,
00:57:30américaine, anglaise, italienne.
00:57:32C'est l'histoire habituelle.
00:57:33On accepte la validité d'un tableau
00:57:36quand il y a une sorte de consensus entre experts.
00:57:39Là, ce n'est pas le cas.
00:57:41Et une provenance.
00:57:43Même quand il y a des accords d'experts et de provenance,
00:57:46il peut s'avérer que ce n'est pas forcément un vrai,
00:57:49que l'attribution est erronée.
00:57:51Des fois, il y a des doutes sur certaines attributions.
00:57:54Peut-être pas sur les oeuvres d'art,
00:57:56peinture, mais dans la photographie,
00:57:58c'est un domaine sur lequel il est beaucoup plus difficile
00:58:01de démontrer l'authenticité d'une oeuvre.
00:58:02Sur Man Ray, je me souviens,
00:58:05il y avait une histoire de faux Man Ray,
00:58:07où les experts les plus prestigieux étaient d'accord
00:58:10pour s'assurer qu'il s'agissait de vrais Man Ray.
00:58:13On s'est rendu compte que c'était des faux Man Ray.
00:58:16Sur la photographie, c'est un peu différent
00:58:19que pour les oeuvres d'art.
00:58:21Une photo est considérée comme authentique
00:58:24quand c'est un vintage,
00:58:26c'est-à-dire qu'elle a été faite
00:58:28durant la vie de l'artiste,
00:58:30tirée sous le regard de l'artiste.
00:58:32Il y avait la femme de la personne
00:58:34chez qui Man Ray tirait ses photographies,
00:58:37qui avait profité de cette relation-là
00:58:39pour tirer les oeuvres de Man Ray dans l'atelier.
00:58:42Il y avait tout un faisceau d'éléments
00:58:44qui donnaient à penser qu'il s'agissait de vrais Man Ray.
00:58:47Or, c'était des faux, et tous les experts s'étaient trompés.
00:58:50C'est différent de la peinture à l'huile,
00:58:52mais c'est très difficile d'avoir toute la suite
00:58:55et toute la traçabilité des oeuvres.
00:58:57C'est plus facile de démontrer que c'est un faux,
00:58:59parce que les piquements ne correspondent pas à la période
00:59:03comme dans l'affaire Beltrachi, qui a été un faussaire.
00:59:06Pour le reste, c'est difficile.
00:59:08-"Les faux", c'est un vrai problème.
00:59:10Stupéfaction, dans votre livre,
00:59:12selon Thomas Owen,
00:59:14qui est l'ancien patron et l'ancien directeur
00:59:17du Metropolitan Museum de New York,
00:59:2040 % des oeuvres de ce musée
00:59:23seraient des faux, pour diverses raisons, d'ailleurs.
00:59:26C'est étonnant de découvrir ça.
00:59:28Il détestait pas la provocation Thomas Owen,
00:59:31mais lui dit précisément
00:59:33que 40 % sont soit des faux,
00:59:35soit des tableaux mal attribués,
00:59:37ce qui est peut-être le cas du Caravage,
00:59:39je veux pas me prononcer,
00:59:41soit des oeuvres qui ont été tellement repeintes
00:59:44que ça revient au même.
00:59:46On parlera pas du Vinci ?
00:59:48Mais bon...
00:59:50D'abord, on rappelle que l'écrasante majorité
00:59:53des oeuvres vendues sont bonnes.
00:59:54Evidemment...
00:59:56Quelle garantie vous offrez à vos acheteurs du côté de Christie,
01:00:00compte tenu de ce qu'on s'est dit ?
01:00:02D'abord, on travaille avec les experts
01:00:04qui se font autorités dans les différents domaines.
01:00:07Il y a quand même une écrasante majorité des oeuvres
01:00:10dont on connaît l'historique de façon assez précise.
01:00:13On va vendre la semaine prochaine
01:00:15un certain nombre d'oeuvres,
01:00:17notamment de la collection Renault ou de la collection Crémieux.
01:00:21L'historique des pièces est connue.
01:00:22On a toujours douté de l'authenticité
01:00:25d'une pièce subtilisée.
01:00:27On peut imaginer beaucoup de choses.
01:00:29Il y a plusieurs catégories de faux.
01:00:31Il y a le faux manifeste, l'affaire Beltrachi,
01:00:34et puis il y a le faux Man Ray,
01:00:36où il y a aussi des choses qui peuvent être assez discutables,
01:00:39parce que la photographie a été tirée par un tiers.
01:00:42En quelle mesure un objet est faux ?
01:00:44C'est aussi discutable, la vérité.
01:00:46On exige quand même dans ce milieu
01:00:48une vérité absolue, scientifique,
01:00:49dans un monde, le monde de l'art,
01:00:52qui n'est pas du tout précis, scientifique,
01:00:54et qui a plutôt tendance à être irrationnel.
01:00:57Il faut bien avoir ça à l'esprit.
01:00:59Il y a un acteur dans ce marché qu'on découvre.
01:01:02En l'occurrence, il s'agit d'Éric Turquin.
01:01:05Ce n'est pas parti des experts parisiens,
01:01:07mais il était directement lié à l'affaire
01:01:10qui nous intéresse aujourd'hui.
01:01:12On va l'écouter sur le rôle de l'expert.
01:01:14Première démarche d'expertise,
01:01:16qui était de reconnaître le tableau.
01:01:17Dans ce cas, j'étais peut-être juge.
01:01:20Par contre, dans la deuxième partie,
01:01:22qui est la partie marketing,
01:01:24la partie commerciale de mon métier,
01:01:26c'est un métier de commerce,
01:01:28il n'y a pas d'expertise sans commerce,
01:01:31il faut être partiel, le plus partiel possible.
01:01:34Je me considère plus comme un avocat
01:01:36que comme un juge.
01:01:38En l'occurrence, cet expert,
01:01:40Eric Turquin, il est en train de nous dire
01:01:43qu'il est jugé parti.
01:01:44Il est jugé avocat.
01:01:47Il est avocat, pardon.
01:01:49Ceux qui découvrent ce marché, qui viennent de voir ce film,
01:01:52peuvent être étonnés, tout de même,
01:01:54de voir tenir de tels propos par un expert.
01:01:57Alors, déjà, là, on est sur le second marché,
01:02:00le marché de la revente.
01:02:02Sur le rôle des experts et des maisons de vente,
01:02:05peut-être qu'on va nous dire qu'il y a une différence
01:02:08entre la France et les pays étrangers.
01:02:10En France, les experts ne sont pas des salariés des maisons de vente,
01:02:13et à l'étranger,
01:02:15ils peuvent être des salariés des maisons de vente.
01:02:18Il est dit, en France, que les experts sont plus indépendants.
01:02:22Ceci étant, c'est pas forcément évident
01:02:24que, par cette autonomie de l'expertise
01:02:26par rapport à la maison de vente,
01:02:28il y ait plus de rigueur dans les affaires.
01:02:31Peut-être que vous allez...
01:02:33Il y a quand même une chose importante à comprendre
01:02:36dans les grandes maisons de vente internationales.
01:02:39Christie's apporte une garantie sur l'authenticité
01:02:41du produit qu'il vend, qui est balisé dans le temps,
01:02:45que c'est cinq ans, mais il y a une garantie.
01:02:48La maison de vente est partenaire de l'avis du tiers sollicité
01:02:53pour attribuer ou non une oeuvre.
01:02:55On engage notre responsabilité de manière extrêmement claire,
01:02:59de sorte qu'on rassure les clients,
01:03:01ce qui fait qu'on nous fait relativement confiance
01:03:04dans le monde de l'art.
01:03:06Il y a des problématiques de faux, oui,
01:03:08mais, moi, je suis désolé,
01:03:11la majorité des oeuvres sont authentiques.
01:03:14C'est beaucoup plus compliqué, pardon,
01:03:17pour les périodes anciennes, évidemment,
01:03:20parce que vous n'avez pas les artistes,
01:03:22vous n'avez pas les archives,
01:03:24Caravage n'a rien laissé,
01:03:26donc, évidemment, il y a toujours...
01:03:29C'est beaucoup plus compliqué
01:03:31d'obtenir une assurance totale de l'authenticité d'une pièce.
01:03:35C'est beaucoup plus facile d'être sûr
01:03:37d'une décision pour un Dubuffet
01:03:40ou d'un Jeff Koons.
01:03:42Alors, évidemment, plus on remonte dans le temps,
01:03:45plus la provenance historique de la pièce se perd
01:03:49et plus les choses se fragilisent.
01:03:51Vous nous avez parlé du marché secondaire.
01:03:53Lorsqu'on parle de ce marché de l'art,
01:03:55on distingue d'emblée deux marchés
01:03:57pour bien comment les choses se passent.
01:03:59Le marché primaire et ce fameux marché secondaire
01:04:02que vous avez évoqué. Vous pouvez nous expliquer ?
01:04:04Le marché primaire, c'est le marché de la première vente.
01:04:08C'est la première fois qu'une oeuvre est mise en vente,
01:04:11qu'elle sort de l'atelier de l'artiste.
01:04:13En général, ce marché primaire, c'est un marché de galerie.
01:04:16Tout le marché de l'art contemporain,
01:04:18quand la côte des artistes est construite,
01:04:20c'est le rôle des galeries, pas des maisons de vente aux enchères.
01:04:24Donc, l'artiste, bien entendu, est le galeriste.
01:04:27Après que l'artiste ait acquis une certaine notoriété,
01:04:30que son oeuvre soit assez diffusée
01:04:32et soit partie dans des collections,
01:04:33lorsque ses oeuvres viennent à la revente,
01:04:36cette fois-ci, elles peuvent passer soit par les galeries,
01:04:39soit par les maisons de vente aux enchères.
01:04:41Le second marché, c'est le marché de la revente.
01:04:44Traditionnellement, le premier marché,
01:04:46c'est un marché de galerie.
01:04:48Le second marché, c'est soit des marchands,
01:04:50soit les ventes aux enchères.
01:04:52Les ventes aux enchères ont pris de plus en plus de poids
01:04:55dans le second marché de l'art contemporain
01:04:58parce qu'historiquement, elles étaient plutôt présentes
01:05:00sur les pièces modernes, impressionnistes ou anciennes,
01:05:04mais depuis les années 2000, le marché de l'art contemporain
01:05:07a explosé, donc les maisons de vente
01:05:09ont vu un marché juteux et sont de plus en plus entrées
01:05:12sur ce marché de l'art contemporain.
01:05:14C'est pour ça que dans l'esprit commun,
01:05:16même dans l'esprit public, le marché de l'art,
01:05:18c'est un marché d'enchères parce que les prix qu'on voit,
01:05:21qui atteignent des plusieurs millions,
01:05:23ce sont en réalité tous des artistes connus
01:05:25qui ont été soutenus dans un premier temps par des galeries
01:05:27qui les ont amenés à la reconnaissance, à la notoriété, etc.
01:05:31Ils ont été diffusés dans des collections
01:05:33et quand ils reviennent sur le marché,
01:05:35ils peuvent venir aux enchères,
01:05:37et donc les maisons de vente aux enchères
01:05:40se font naturellement en concurrence
01:05:42pour attirer les collections, les prix du prestigieuse
01:05:45et les mettre à la vente.
01:05:47Vous, maison de vente, second marché,
01:05:49si on a bien compris ce que vient de nous dire Nathalie Moureau,
01:05:53j'ai vu... C'est vous qui faites la cote.
01:05:55Les maisons de vente, aujourd'hui, font la cote.
01:05:58L'acteur principal de ce fameux second marché,
01:06:00ce sont les maisons de vente.
01:06:02Dans les maisons de vente, il y en a deux,
01:06:04il y a la vôtre et Somfyz aussi.
01:06:06A vous deux, vous représentez 50 % du marché mondial de l'art.
01:06:10Comment est-ce qu'on fait la cote d'une oeuvre d'art
01:06:13dans ce second marché ? Comment on fait monter cette cote ?
01:06:16C'est là tout votre intérêt, à vous, maison de vente.
01:06:19Ce qu'il faut bien comprendre,
01:06:21c'est que le monde des ventes aux enchères,
01:06:23on va se rester sur le cadre français,
01:06:25c'est en général là où se vendaient
01:06:27des produits d'occasion,
01:06:29qui venaient de succession, de faillite,
01:06:31parce qu'il y a toute une partie judiciaire
01:06:33dans le monde des ventes aux enchères.
01:06:35Et petit à petit,
01:06:37ces 20, 30 dernières années,
01:06:40le monde des enchères s'est rapproché
01:06:42du marché de l'art à proprement parler
01:06:44et celui autour des galeries,
01:06:46en vendant des collections,
01:06:48qui avaient été constituées par des gens
01:06:50auprès de galeristes ou d'artistes,
01:06:52et donc ces objets sont vendus aux enchères,
01:06:53au plus offrant.
01:06:56La cote, elle s'établit théoriquement comment ?
01:06:59En fonction de l'offre et de la demande.
01:07:01Et puis, petit à petit, le marché se construit,
01:07:04avec des résultats qui sont publiés,
01:07:06avec des cours qui apparaissent littéralement
01:07:08pour un certain nombre d'artistes.
01:07:10On va prendre des artistes comme Picasso
01:07:12ou la production en 60 000 oeuvres.
01:07:14Même s'il y a beaucoup d'oeuvres dans les musées,
01:07:17on en vend régulièrement plus d'une centaine,
01:07:19que ce soit à Paris, Londres ou New York,
01:07:21ou Hong Kong, aujourd'hui.
01:07:23Il y a une cote qui se constitue
01:07:25et qui est basée sur l'offre et la demande.
01:07:28Je vois les critiques arriver, de part et d'autre,
01:07:31avec un monde qui s'est énormément professionnalisé
01:07:36en termes de cote,
01:07:38parce que la finance est rentrée dans le monde de l'art.
01:07:42L'art est devenu un actif financier à part entière
01:07:45et, par conséquent, c'est sécurisé, aussi.
01:07:48On a vu apparaître des moyens,
01:07:50ce qu'on appelle le prix de réserve,
01:07:52c'est-à-dire des montants en dessous duquel
01:07:55une oeuvre ne peut pas être vendue,
01:07:57qui, quelque part, casse un peu le jeu libre des enchères.
01:08:02Il est apparu, ces 20 dernières années,
01:08:04des systèmes de garantie,
01:08:06c'est-à-dire des prix planchers,
01:08:08qui étaient garantis ou par des maisons de vente
01:08:11ou par des tiers-garants,
01:08:13de sorte de sécuriser la cote.
01:08:15Tout ça a un effet qui est très critiqué par certains,
01:08:18disant que les cotes sont artificielles.
01:08:19Mais moi, je me porte en faux,
01:08:22parce que les gens qui portent des garanties
01:08:25sont des collectionneurs,
01:08:27et donc, s'ils partent avec des tableaux garantis,
01:08:30au bout d'un moment, quand ils en ont acheté dix,
01:08:33ils vont être un peu déçus, donc la cote va baisser.
01:08:36Et d'ailleurs, on le constate.
01:08:38Donc, la garantie, la réserve,
01:08:41c'est le monde des enchères 2.0.
01:08:43Rires
01:08:44Arie Meulen.
01:08:45Oui, tout ça, c'est parfaitement exact.
01:08:47En fait, ils ne sont pas déçus du tout.
01:08:50Je connais, comme vous, quelques-uns
01:08:52qui continuent de garantir.
01:08:54S'ils se retrouvent avec le Picasso,
01:08:56c'est pas grave, ils sont contents.
01:08:58Mais je voulais revenir sur ce que vous disiez,
01:09:01sur les experts.
01:09:02Vous n'avez pas du tout envie de réagir
01:09:04sur le rôle des maisons de vente dans ce marché de l'art ?
01:09:07Sa financiarisation, alors qu'on parle d'oeuvres d'art ?
01:09:10J'y arrive.
01:09:11Mais sur les experts qui, également,
01:09:13sont en train de regarder le cas d'Éric Turquin,
01:09:15il y croit vraiment à ce tableau.
01:09:19Et il prend aussi des responsabilités
01:09:22juridiques et financières qui ne sont pas minces.
01:09:25Il joue sa réputation.
01:09:27Accessoirement, ça se perd très vite.
01:09:29Mais quand il envoie le tableau à New York,
01:09:32dans des conditions un peu extraordinaires,
01:09:35il a joué le jeu jusqu'au bout et il l'a fait comme il pouvait.
01:09:39Sur la financiarisation,
01:09:41ça a toujours été un meilleur marché financier.
01:09:43Depuis les années 20, on trafiquait les cotes.
01:09:47Mais dès l'avant-guerre,
01:09:49on avait plein de tableaux d'un tel.
01:09:52On en vendait un, on le rachetait soi-même,
01:09:55mais très cher.
01:09:56Du coup, tous les autres valaient...
01:09:58Ça a toujours existé.
01:10:00Maintenant, c'est vrai que c'est devenu sophistiqué.
01:10:03Quand on va dans les grandes maisons
01:10:05comme Christie's ou Sotheby's,
01:10:07autrefois, on n'y croisait que des experts.
01:10:10Maintenant, on croise des gens qui viennent
01:10:13d'une excellente école.
01:10:16On a changé de monde.
01:10:18Oui, parce que c'est devenu...
01:10:20Autrefois, les gens qui achetaient de l'argent,
01:10:23c'était plutôt des collectionneurs, si j'ose dire.
01:10:26Maintenant, c'est un asset.
01:10:28C'est une... C'est comme une action.
01:10:31C'est un placement.
01:10:33Un placement à risque, mais un placement.
01:10:36Donc, on a affaire à des gens qui font des placements.
01:10:40Oui, par rapport à ce que vous disiez, Harry.
01:10:44Effectivement, le marché de l'art,
01:10:46il y a toujours eu un actif financier,
01:10:48des placements, des investissements,
01:10:50mais il me semble quand même que sur les 20 dernières années,
01:10:53il y a eu une accélération de tout ça,
01:10:55ne serait-ce que, via l'Internet,
01:10:57on a eu une multiplication de sites
01:10:59qui donnent les prix des oeuvres.
01:11:01Il y a eu création de rankings,
01:11:03de codes pour des artistes,
01:11:05et ce qui a facilité la financiarisation,
01:11:07parce qu'il y avait cette diffusion d'informations
01:11:10beaucoup plus large par rapport aux prix atteints,
01:11:13comme à la bourse, on connaissait,
01:11:15on avait des listings de prix antérieurs,
01:11:17on pouvait faire des prévisions, ce genre de choses,
01:11:20qui n'étaient pas possibles auparavant.
01:11:22Il y avait de la spéculation
01:11:24ou des jeux d'investissement, de placement, etc.,
01:11:27mais qui n'étaient pas de la même façon qu'aujourd'hui.
01:11:30Et pour rebondir...
01:11:31C'est vous qui avez mis les pieds dans le plat.
01:11:34Vous avez parlé des garanties.
01:11:35C'est vrai qu'il me semble que dans le mécanisme...
01:11:39C'est peut-être un peu technique.
01:11:41Je ne sais pas si on peut rentrer là-dedans.
01:11:43J'espère. En fait, le prix de réserve,
01:11:45c'est là, OK, il n'y a aucun souci,
01:11:48vous avez une oeuvre, vous y tenez beaucoup,
01:11:50parce que c'est issu de votre famille, etc.
01:11:52Vous avez besoin d'argent, vous voulez vous en démettre,
01:11:55mais pas à n'importe quel prix, donc vous dites,
01:11:57au moins, je veux que ça vaille 1 000 euros.
01:11:59On va rester sur des montants faibles.
01:12:01Et donc, on commence les enchères un peu en dessous,
01:12:03pour lancer le mécanisme de l'encherre,
01:12:06et s'il n'y a pas d'adjudication avant 1 000 euros,
01:12:09vous restez avec votre oeuvre, elle ne part pas pour rien.
01:12:12Donc ça, on peut tout à fait le comprendre.
01:12:14Le mécanisme de la garantie, ce n'est pas la même chose.
01:12:17C'est la maison de vente aux enchères
01:12:19qui a envie d'avoir une collection très importante,
01:12:22un Picasso ou je ne sais quoi,
01:12:24et qui dit, donnez-moi votre Picasso à moi
01:12:27plutôt qu'à mon concurrent, je ne vais en citer aucun,
01:12:30je vous assure que quel que soit le résultat de l'enchère,
01:12:33vous aurez un montant de 100 millions d'euros.
01:12:36C'est ce que vous nous expliquez.
01:12:38Et donc, si l'oeuvre vaut 70 millions d'euros,
01:12:41la maison de vente aux enchères prend des risques,
01:12:44elle va devoir sortir 30 millions d'euros de sa boche
01:12:47pour payer la différence.
01:12:49On n'est plus dans un jeu d'encherre,
01:12:53on est dans une vente certaine,
01:12:55et surtout, si je ne me trompe,
01:12:57si le prix de l'oeuvre n'est pas 100 millions d'euros,
01:13:00mais 150 millions d'euros,
01:13:01c'est-à-dire 50 millions d'euros en-dessus du prix d'adjudication,
01:13:06les 50 millions d'euros vont être partagés
01:13:09selon un contrat secret entre la maison de vente
01:13:12et le vendeur ou, si le tiers garant,
01:13:14c'est un autre collectionneur, entre l'autre personne.
01:13:17Donc, vous disiez tout à l'heure
01:13:19que les autres personnes ne jouaient pas ce jeu-là
01:13:22parce qu'ils risquaient d'y perdre.
01:13:24En fait, ils jouent sur le marché de l'art
01:13:26comme ils pourraient jouer en bourse.
01:13:28Et pour moi, ce mécanisme de la garantie,
01:13:29c'est quelque chose qui contribue très largement
01:13:33à la spéculation sur le marché,
01:13:35parce qu'on rend le marché de l'art comme un actif financier.
01:13:39Mais après, je veux bien croire que les garanties...
01:13:42C'est quelque chose qui existait depuis très longtemps,
01:13:45mais pendant longtemps, quand ça a été mis en place
01:13:48sur le marché, c'était plus pour assurer
01:13:50une certaine fidélisation à certaines personnes, etc.,
01:13:53mais c'est devenu quelque chose qui est vraiment
01:13:56dans la concurrence des maisons de vente,
01:13:57sans parler de votre maison de vente ni de Sotheby's.
01:14:01On avait Sotheby's, Christie's et Philips,
01:14:04qui est la troisième maison de vente aux enchères
01:14:07qui avait été rachetée par Bernard Arnault.
01:14:10Christie's appartenant à François Pinault.
01:14:13C'était un peu dans la rivalité François Pinault-Bernard Arnault.
01:14:17Philips, qui voulait arriver au niveau de Sotheby's et de Christie's,
01:14:21avait fait énormément de garanties.
01:14:23Il s'est trouvé que les prix de vente aux enchères
01:14:25n'avaient pas atteint les garanties.
01:14:28Philips a fait énormément de pertes
01:14:30et Bernard Arnault a revendu Philips.
01:14:32Il y a des jeux un peu dangereux avec ces garanties.
01:14:35On s'interroge sur les marchés les forts aujourd'hui,
01:14:39ceux qui, d'une certaine manière, gouvernent ce marché.
01:14:43Un, les Etats-Unis.
01:14:45Deux, la Chine.
01:14:47Trois, la Grande-Bretagne.
01:14:49La France arrive quatrième.
01:14:51La France, dans ce marché de l'art,
01:14:53pèserait 7 % du marché de l'art.
01:14:55Expliquez-nous un petit peu le pourquoi de cet ordre.
01:14:59Etats-Unis, Chine...
01:15:01Il est quelque part...
01:15:03Et puis, Grande-Bretagne, France.
01:15:05D'abord, il faut penser Europe que Grande-Bretagne, France,
01:15:08même si la Grande-Bretagne est sortie de l'Union européenne.
01:15:12Grosso modo, c'est un tiers, un tiers, un tiers,
01:15:15bien que l'Europe baisse un peu,
01:15:17à l'image du reste de l'économie, d'ailleurs.
01:15:21Le gros moteur est le moteur américain,
01:15:23qui, à mon avis, représente plutôt 40 % du total.
01:15:28C'est un marché qui est très dynamique,
01:15:31qui est financiarisé davantage
01:15:33que le lait, évidemment, de marché européen.
01:15:36C'est l'une des explications de ça.
01:15:38C'est un épicentre mondial.
01:15:40C'est là aussi où tous les gros tableaux,
01:15:42qui valent plusieurs dizaines,
01:15:44plusieurs centaines de millions d'euros, sont vendus.
01:15:47Ils sont moins vendus à Londres qu'ils l'étaient.
01:15:50Ça prend une part plus importante.
01:15:51Puis, la Chine, l'Asie, s'est développée énormément.
01:15:55Une maison comme Christie va ouvrir de nouveaux bureaux en septembre
01:15:59pour accueillir davantage de ventes.
01:16:01Vous parlez de la Chine.
01:16:03Le marché chinois, j'ai découvert qu'il est très jeune, ce marché.
01:16:07Il remonte à 2000.
01:16:09C'est-à-dire qu'en 25 ans, la Chine est deuxième mondiale.
01:16:13On spécule, on investit sur l'art, aujourd'hui, en Chine ?
01:16:17Alors, la spéculation...
01:16:20J'ai bien entendu les critiques qui ont été faites.
01:16:24Elle n'est pas forcément grave.
01:16:26On connaît des spéculations intellectuelles.
01:16:29Il y a des spéculations d'argent sur l'engouement
01:16:32que suscite un artiste. On peut se tromper.
01:16:35Au fond, quel est vraiment le problème ?
01:16:38Je crois qu'il n'y en a pas.
01:16:40À la fin, c'est l'art qui gagne.
01:16:42C'est ce qu'on observe d'une manière générale.
01:16:45Pour revenir sur les problématiques de spéculation,
01:16:48mais elles sont le fait de l'engouement,
01:16:52parce que nos acheteurs, en Asie aussi,
01:16:55ils choisissent pas de spéculer sur le pétrole.
01:16:58Ils spéculent sur l'art, parce qu'ils aiment l'art.
01:17:01Ça fait 14 ans que je suis chez Christie's.
01:17:04On est confrontés à des gens qui aiment ça,
01:17:07même s'ils ont fait des écoles d'économie.
01:17:10On peut bénéficier d'un certain nombre d'exonérations fiscales.
01:17:14On a parlé de la fondation Arnaud, Pinault,
01:17:18mais aux Etats-Unis, il y a eu multes fondations
01:17:21qui offrent aussi de très importantes exonérations fiscales.
01:17:25C'est aussi un autre aspect du dossier.
01:17:28On va réécouter un deuxième extrait du documentaire.
01:17:32Cette fois, c'est le patron d'ArtPrice
01:17:35qui tient les comptes de ce marché de l'art qui s'exprime.
01:17:39Il va se créer plus de musées entre 2000 et 2014
01:17:41que durant tout le 19e et 20e siècle réunis.
01:17:45C'est absolument hallucinant.
01:17:47Il se crée chaque année encore 700 musées,
01:17:50le plus de 4500 pièces chacun sur l'ensemble des continents.
01:17:54On va très vite s'apercevoir que l'art ontien a une demande fabuleuse
01:17:58et que le marché dicte la loi.
01:18:00Les experts, même s'ils reconnaissent ou non,
01:18:03c'est le marché qui donne le ton.
01:18:05Le patron d'ArtPrice, avec tout de même ce qu'il nous dit,
01:18:09est particulièrement surprenant.
01:18:12Pour ceux qui ne connaissent pas le secteur,
01:18:15entre 2000 et 2014, il se crée autant de musées
01:18:18qu'au 19e et 20e siècle.
01:18:20Il va falloir les remplir.
01:18:22Notamment en Asie et en Chine.
01:18:24C'est la question que je vous pose.
01:18:26Où sont-ils, ces nouveaux musées ?
01:18:28Comment est-ce que, pardonnez-moi l'expression,
01:18:31on va les remplir avec quelles oeuvres ?
01:18:33Est-ce que ça va booster ce marché encore un peu plus ?
01:18:36Thierry Raymond a raison.
01:18:37Il a lancé son site Internet,
01:18:40qui est devenu une référence.
01:18:42Il est parti d'un principe très simple.
01:18:45Autrefois, quand il n'y avait pas les codes de largus
01:18:48des voitures d'occasion, on pouvait vous vendre
01:18:51n'importe quelle épave à n'importe quel prix.
01:18:54Aujourd'hui, on ne peut plus.
01:18:56C'est pareil avec son site.
01:18:58Vous avez une idée à peu près juste
01:19:00de ce que vaut une oeuvre.
01:19:02Vous ne vous faites plus avoir, tout simplement.
01:19:05Enfin, moins.
01:19:07Ça sécurise les choses.
01:19:10C'est une information.
01:19:12Elle n'existait pas.
01:19:14Il la livre. Il l'a fait payer, mais il la livre.
01:19:17Et c'est plutôt précieux.
01:19:19On l'utilise tous.
01:19:21C'est pas...
01:19:22Comment on va les remplir, ces musées,
01:19:24ces nouveaux espaces d'exposition pour ces oeuvres ?
01:19:27Par quel type d'acquisition ?
01:19:30Il y a une appétence particulière pour l'art contemporain.
01:19:33Il y a beaucoup de musées qui se créent,
01:19:34qui sont tournées vers l'art contemporain.
01:19:37En France, il y a beaucoup de fondations
01:19:40qui sont multipliées et de musées privés.
01:19:44En Asie, en Chine aussi.
01:19:47Et puis après, on voit l'art ancien,
01:19:50qui, jusqu'à présent, était un art
01:19:52qui avait une demande qui tendait à diminuer,
01:19:55qui peut atteindre des prix phénoménaux.
01:19:58C'est l'exemple du Léonard de Vinci,
01:20:00qui a atteint 450 millions de dollars ou d'euros.
01:20:02Deux dollars.
01:20:04Deux dollars.
01:20:05En fait, c'est une pièce qui est très discutée
01:20:08quant à son authenticité,
01:20:10qui a été énormément restaurée, etc.
01:20:13Mais c'est la seule oeuvre, et puis c'est...
01:20:16Qui est partie du côté de l'Arabie saoudite.
01:20:19Le prince héritier de l'Arabie saoudite.
01:20:22Qui avait besoin de cette oeuvre.
01:20:24Si on veut de l'art ancien, il ne reste plus que ça.
01:20:27Même si la qualité est moindre,
01:20:29on est prêt à les payer à des montants extraordinaires,
01:20:32mais pour ces oeuvres-là, il y a aussi une notion de pouvoir.
01:20:36Montrer à tout le monde qu'on a les moyens et qu'on est là.
01:20:39Donc, payer un prix phénoménal et le montrant à tout le monde,
01:20:42c'est un effet de distinction terrible
01:20:44et ça contribue aussi à augmenter le prix de l'oeuvre.
01:20:47On peut s'associer avec des musées existants,
01:20:49ce qu'a fait le Louvre avec Abu Dhabi.
01:20:51Abu Dhabi a décidé de créer une collection,
01:20:54sinon encyclopédique, du moins généraliste,
01:20:57depuis la préhistoire à l'art contemporain,
01:21:00et Abu Dhabi n'ayant pas les moyens physiques,
01:21:04je veux dire, les oeuvres pour le faire,
01:21:07s'est associé avec le musée du Louvre,
01:21:09puis d'autres musées,
01:21:11pour qu'ils soient aidés à constituer leur collection.
01:21:15C'est ce qu'ils commencent à faire depuis une dizaine d'années.
01:21:19L'art ancien, si on vous suit bien,
01:21:21va bénéficier à ces nouveaux musées.
01:21:23En tout cas, l'art ancien va reprendre une certaine valeur,
01:21:26voire augmenter sa valeur avec ces nouveaux musées.
01:21:29Par ailleurs, j'ai... Après, je vous donne la parole.
01:21:33L'art contemporain,
01:21:35on est sur quelque chose de plus spéculatif par nature,
01:21:38c'est en tout cas ce que j'ai compris.
01:21:40Et puis, l'art moderne est toujours une valeur sûre.
01:21:43Dans l'art moderne, on est sur le 19e, sur le 20e, non ?
01:21:47Expliquez-moi les choses.
01:21:49J'ai quelques chiffres intéressants
01:21:51pour expliquer un peu la tendance de fond.
01:21:54Chez Christie's, vous avez des départements
01:21:56d'art ancien, d'art asiatique,
01:21:59d'art contemporain, d'art moderne, etc.
01:22:01Aujourd'hui, je crois que j'ai regardé les chiffres,
01:22:04en 2022, ce qu'on appelle le département impressionniste,
01:22:07qui couvre, grosso modo, les oeuvres de Rodin,
01:22:10en allant jusqu'à Sabador Dali,
01:22:12grosso modo, le début de la Seconde Guerre mondiale,
01:22:15et le département contemporain,
01:22:17contemporain au sens là, le posoir,
01:22:19l'après-guerre et contemporain,
01:22:21c'est-à-dire l'après-guerre jusqu'à aujourd'hui,
01:22:23ça représente 66 % du chiffre d'affaires de l'entreprise.
01:22:29En 2000,
01:22:31cet ensemble-là ne représente pas 10 %.
01:22:35Les 10 % aujourd'hui, en 2022, c'est l'art ancien.
01:22:40Et en 2000, les 50 %,
01:22:44c'est l'art ancien.
01:22:46Donc il y a eu un basculement, comme ça, très fort,
01:22:49qui s'est produit,
01:22:50que toutes les maisons de vente aux enchères constatent,
01:22:54qu'on observe dans les galeries
01:22:56et qu'on observe également chez les antiquaires.
01:22:59D'abord, il y a une réfection des oeuvres anciennes.
01:23:02La plupart des oeuvres importantes
01:23:04sont désormais dans des musées et elles ont sorti,
01:23:07on ne l'espère plus.
01:23:09Là, je dois rendre hommage aux experts
01:23:12ou aux chargés d'affaires de Christie's
01:23:15et des autres maisons de vente,
01:23:17je pense en particulier à Philippe Ségalo,
01:23:19qui, en 1990, a eu l'idée de mettre en avant
01:23:23les ventes d'art contemporain chez Christie's
01:23:26en créant presque un nouveau genre.
01:23:28Il y avait autrefois l'art d'après-guerre et contemporain,
01:23:31mais quand vous vendiez un Jeff Koons,
01:23:33ça n'était pas cher à l'époque, ça coûtait 5 millions,
01:23:36mais en même temps qu'un tableau historique
01:23:39de Jackson Pollock, la presse faisait les gros titres
01:23:42sur le Pollock qui valait des fortunes,
01:23:44et le petit Jeff Koons à 5,5 millions, c'était rien.
01:23:47Ségalo a eu cette idée, pour Christie's,
01:23:49de faire une vente à part pour l'art d'après les années 60,
01:23:53ce qu'il a appelé l'art contemporain,
01:23:55et ça a mis en valeur des artistes qu'on ne regardait pas autrement,
01:23:59en termes de prix, je veux dire.
01:24:01Non, ils sont des génies du marketing,
01:24:03si je peux me permettre.
01:24:05Il en reste une minute.
01:24:07Il faut bien comprendre, je vais être assez rapide,
01:24:10que si l'art moderne et contemporain
01:24:12aujourd'hui représente un tel volume, une telle valeur,
01:24:15c'est que le XXe siècle est terminé
01:24:16et qu'il y a encore la possibilité,
01:24:19contrairement aux époques plus anciennes,
01:24:21d'acheter des chefs-d'oeuvre,
01:24:23qui sont beaucoup plus faciles d'accès.
01:24:25Je voudrais terminer sur une chose.
01:24:27On a beaucoup parlé de millions,
01:24:29d'oeuvres extrêmement chères, de ventes aux enchères,
01:24:32mais c'est ce sur quoi se focalisent les médias,
01:24:35mais il faut savoir que dans les ventes aux enchères,
01:24:38c'est 0,5 % des transactions
01:24:41qui atteignent plus d'un million,
01:24:42mais ça fait quasiment 55 à 60 % en valeur du marché.
01:24:47Tout ce dont on vient parler,
01:24:49c'est un nombre extrêmement réduit d'oeuvres d'art,
01:24:52et il y a 70 % des oeuvres placées aux enchères
01:24:55qui vendent moins de 5 000 euros, si je ne me trompe pas.
01:24:58Chaque fois, on se focalise sur le haut du marché,
01:25:01on trouve que c'est indécent
01:25:03d'avoir des oeuvres si élevées, des prix si élevés,
01:25:06mais le marché de l'art, c'est pas que ça.
01:25:08Il y a énormément d'artistes, énormément d'oeuvres
01:25:10à des prix bien moindres,
01:25:13et même sur l'art contemporain,
01:25:15il y a des artistes qui crèvent la dalle, qui ont faim,
01:25:18et c'est pas un marché du luxe, nécessairement.
01:25:21C'est pas un marché comme les autres,
01:25:23vous nous en avez fait la preuve sur ce plateau,
01:25:26après ce documentaire consacré à ce tableau,
01:25:29ce fameux tableau découvert dans un grenier toulousain en 2014
01:25:33et qui a finalement été attribué au Caravage.
01:25:36C'était la fin de ce film.
01:25:38Merci encore à tous les trois d'avoir participé à ce débat.
01:25:43Aujourd'hui, avec ce documentaire autour de l'affaire Caravage,
01:25:47merci à Félicité Gavalda et Emma Kempf,
01:25:49qui m'ont aidé à préparer cette émission aujourd'hui.
01:25:52Vos réactions, ça sera sur hashtag débadoc, bien entendu.
01:25:55Je vous donne rendez-vous pour un prochain Debat doc,
01:25:58et ça sera toujours avec son documentaire et son débat.
01:26:01A très bientôt.
01:26:08Sous-titrage ST' 501