Les Cévennes, une histoire cousue de fil de soie.
Dans le sud de la France, les villages des Cévennes portent encore les marques d'une époque où la soie faisait les beaux jours de la région. A partir du XVIIe siècle, le pays cévenol devient un pôle de production majeure de cette précieuse fibre en France. Des milliers de mûriers fleurissent, pour nourrir les vers à soie, et des usines parsèment le territoire. Une économie prospère aujourd'hui indissociable de l'identité des habitants de ces reliefs cévenols.
Le Finistère au fil du lin.
Sur les côtes rocheuses battues par les vents du Finistère, d'imposantes bâtisses de granit témoignent encore du glorieux passé de la région. A partir du XVe siècle, les Bretons cultivent ici le lin et en tirent de précieuses étoffes. Pendant près de trois siècles, la vie s'organise alors autour de cette précieuse plante et de son commerce. Une activité qui a permis à la région de connaître un essor économique sans précédent et a durablement marqué l'imaginaire et la culture bretonne. Année de Production : 2022
Dans le sud de la France, les villages des Cévennes portent encore les marques d'une époque où la soie faisait les beaux jours de la région. A partir du XVIIe siècle, le pays cévenol devient un pôle de production majeure de cette précieuse fibre en France. Des milliers de mûriers fleurissent, pour nourrir les vers à soie, et des usines parsèment le territoire. Une économie prospère aujourd'hui indissociable de l'identité des habitants de ces reliefs cévenols.
Le Finistère au fil du lin.
Sur les côtes rocheuses battues par les vents du Finistère, d'imposantes bâtisses de granit témoignent encore du glorieux passé de la région. A partir du XVe siècle, les Bretons cultivent ici le lin et en tirent de précieuses étoffes. Pendant près de trois siècles, la vie s'organise alors autour de cette précieuse plante et de son commerce. Une activité qui a permis à la région de connaître un essor économique sans précédent et a durablement marqué l'imaginaire et la culture bretonne. Année de Production : 2022
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00:30...
00:44Entre les solitudes venteuses des hauts plateaux du massif central
00:48et les garigues des pleines langues d'ociennes,
00:52un territoire reculé et difficile à exploiter,
00:56les Cévennes.
00:57...
01:01Elles ont pourtant accueilli une fibre miraculeuse,
01:04aussi résistante qu'un fil d'acier,
01:06...
01:08mais souple et légère, brillante,
01:11d'une élégance brute.
01:13C'est la soie, et l'art de la fabriquer,
01:16la sériciculture,
01:18est devenue une spécialité cévenole.
01:21...
01:25La soie, la sériciculture, la filature,
01:28c'était identitaire.
01:30C'est-à-dire que le peuple des Cévennes
01:33avait pris ça comme un vecteur identitaire.
01:35La soie, c'était vraiment dans les gènes du pays.
01:38Et on continue toujours à éduquer des verres à soie,
01:41ne serait-ce que pour le faire boire aux enfants,
01:44pour leur montrer ce qu'a été le pays.
01:46...
01:48Entre les XVIIe et XIXe siècles,
01:51depuis ces contreforts jusqu'à ces sommets,
01:54le rude pays cévenole se transforme pour produire de la soie.
01:58Des muriers dont les feuilles sont l'unique aliment du verre à soie
02:02couvrent le paysage.
02:04L'habitat rural s'adapte,
02:06les ateliers et usines se multiplient.
02:09Malgré un environnement naturel difficile,
02:13un travail ardu,
02:15des fléaux, des maladies,
02:17cette terre montagneuse prospère
02:20pour devenir le 1er centre de production de soie naturelle en France.
02:24...
02:27Monoblé, en Piémont-Sévenol.
02:31Ici, les collines commencent à prendre de la pente.
02:35...
02:39Monoblé, avec ses airs allanguïs,
02:41a été un haut lieu de la production du cocon des verres à soie,
02:45cette chenille délicate et fragile
02:48qui ne tolère qu'une seule nourriture,
02:51la feuille fraîche et tendre du murier.
02:55Quelques passionnés perpétuent la culture du murier
02:58sur des parcelles plantées à proximité du village
03:01il y a une cinquantaine d'années.
03:05Ces chenilles mangent beaucoup.
03:07On leur donne, quand ils sont gros, 3 repas par jour.
03:10Quand ils sont petits, c'est 4 repas par jour,
03:13à des heures très régulières.
03:15Il fera 10 000 fois son poids de départ
03:18pour dire que ça mange énormément de feuilles.
03:21Ca fait énormément de bruit.
03:23Le verre à soie ronge la feuille petit à petit.
03:26C'est ce grignotage qui fait du bruit.
03:29On a l'impression qu'il pleut à l'intérieur de la manièrerie.
03:35Le verre à soie, au bout d'un mois,
03:37il va faire son dernier âge.
03:39C'est là qu'il va commencer à coconner, à cracher sa soie.
03:43Il va cracher des fils courts
03:45pour accrocher sa petite maison, son petit cocon.
03:48On fera en mesure de s'enfermer à l'intérieur
03:51avec un fil qui peut aller jusqu'à 1 500 m.
03:54On est obligés de sacrifier la chrysalide
03:56pour pas qu'elle devienne papillon,
03:58qu'elle tâche ce cocon et puisse le casser.
04:00On est obligés de la sacrifier.
04:05L'élevage du verre à soie
04:07a été jusqu'au VIe siècle un monopole chinois.
04:10Puis des moines, en ramenant à Constantinople
04:132 précieux cocons dissimulés dans leur bâton de pèlerin,
04:17l'introduisent dans l'Empire chrétien.
04:20En France, sous Henri IV,
04:22devant l'engouement de la noblesse pour les tissus soyeux,
04:26la production de soie est encouragée.
04:29Le célèbre agronome Olivier de Serres, lui-même sévenole,
04:33est chargé d'implanter l'arbre asiatique
04:36indispensable au verre à soie,
04:38le murier, qui n'a rien de commun
04:40avec la ronce produisant les murs des confitures.
04:44Les Sévènes possèdent un climat tempéré idéal pour le murier.
04:48Mais depuis le Moyen Âge,
04:50l'arbre dominant ici est le châtaignier,
04:53que les paysans appellent l'arbre à pain,
04:56car il est à la base de l'alimentation.
05:05Durant l'hiver 1709,
05:07un gel exceptionnel dévaste les châtaigniers.
05:14Les sévenoles, encouragées par le pouvoir,
05:17plantent alors massivement des muriers blancs,
05:20qu'on appelle l'arbre d'or,
05:22car il nourrit un commerce de soie devenu très lucratif.
05:26Une promenade sur les pentes du Mont Égoile par temps d'orage
05:30laisse imaginer le génie de ce peuple
05:33pour cultiver jadis des jardins suspendus.
05:37Les Sévènes se couvrent de muriers.
05:39On a gratté les versants relativement peintus en Sévènes
05:43pour créer des étagères, des traversiers,
05:46pour avoir des zones de culture.
05:48On grattait la terre jusqu'à une zone de rochers.
05:51À cette zone de rochers, on bâtissait un murier
05:54depuis lequel on faisait une nouvelle terrasse.
05:57Actuellement, on retrouve encore beaucoup de traces de ces muriers
06:01un peu partout dans le pays.
06:03Il faut imaginer que beaucoup des terrasses qu'on voit derrière nous
06:07étaient recouvertes de muriers
06:09qui servaient à nourrir les vers à soie.
06:12On retrouve actuellement pas mal d'endroits
06:15où des muriers sont encore présents.
06:17Soit ceux qui étaient là à l'époque,
06:19sachant que ça peut vivre à peu près 300 ans,
06:22soit d'autres qui ont pris le relais pour rester dans la tradition.
06:26L'éducation du ver à soie, car on ne parle plus d'élevage
06:30comme si le terme manquait de prestige et d'intimité,
06:34se répand dans tous les cantons sévenoles.
06:37Peu à peu, le Bombix, l'autre nom du ver à soie,
06:41prend possession des maisons paysannes et villageoises.
06:45Comme ici, à partir de la fin du XVIIIe siècle,
06:49en Valais-Borgne, près du village des Plantiers,
06:52où s'écoule le Gardon de Saint-Jean,
06:55entre le Mont Égual qui domine les Sévènes
06:58et la Plaine-du-Rhône.
07:01La manianerie, c'est le lieu
07:03où on pratique les éducations des vers à soie.
07:06Au fur et à mesure où on a développé cette activité
07:09avec la culture du murier,
07:11on a commencé par surélever ce bâti initial
07:14pour faire une petite manianerie au-dessus de l'habitation,
07:18parce qu'il fallait beaucoup d'espace pour élever les vers à soie.
07:22Et donc, ça donne cet habitat extrêmement caractéristique
07:26des Hautes-Valais-Sévenoles.
07:29A peu près les 3 premières semaines de l'éducation,
07:32ce sont les femmes qui vont ramasser les feuilles de murier
07:36et qui nourrissent les vers à soie.
07:38C'est seulement au moment de la dernière semaine
07:41où le ver consomme le plus.
07:43Là, toute la maison, les hommes, les femmes, les enfants,
07:46tout le monde se met à ramasser.
07:48On fait ça tout le jour et on n'a pas fini de distribuer,
07:51qu'il faut recommencer à distribuer, tellement ils mangent.
07:54Alors là, il y a une effervescence, effectivement,
07:57qui est singulière et particulière.
08:03Le ver, c'est un insecte domestique quand même,
08:06vraiment fait partie de la famille.
08:08Même dans son appellation, manian,
08:11qui a donné le nom de manianerie,
08:13ça vient de manian, le nom qu'en Occitan on donne au ver à soie,
08:17qui peut venir soit du fait qu'il mange beaucoup
08:20et donc du verbe maniar, qui veut dire manger,
08:24soit qui veut dire manian, qui étaient les enfants de la famille.
08:30L'ensemble des vers, on appelait ça une chambrée,
08:33tout un vocabulaire très humanisé, lié à l'homme.
08:39Ces petites fenêtres qui sont très caractéristiques
08:42sont liées à la nécessité d'aérer la manianerie.
08:46C'est vrai qu'à certaines périodes, s'il y avait des orages,
08:50il fallait pouvoir aérer la manianerie et l'aérer de façon variable.
08:58Au milieu du XIXe siècle,
09:00plus de la moitié des cocons français sont produits dans les Cévennes.
09:04La soie sévenol est à son apogée.
09:08Le destin prend alors la forme d'une terrible maladie
09:11qui attaque les vers, la pébrine.
09:15Peu à peu, elle décime les élevages.
09:17On fait appel au brillant savant Louis Pasteur
09:20pour venir au secours de la sériciculture en Cévennes,
09:23dont l'économie est en train de vaciller.
09:28Il s'installe 5 années consécutives près d'Alès.
09:32Il va étudier les vers à soie qu'il ne connaissait absolument pas.
09:36Il va trouver un moyen, non pas pour guérir la maladie,
09:40il ne va pas trouver de vaccin,
09:42mais un moyen qui permet de sélectionner les pentes saines
09:47des pentes porteuses de la maladie.
09:53Il y avait un engouement, un enthousiasme
09:55autour de la personne de Pasteur, c'est sûr.
09:58Il y a des rues Pasteur,
10:00pratiquement dans tous les villages des Cévennes.
10:03Des manifestations, des fêtes à l'honneur de Pasteur
10:07où on élisait les miss Filature et les miss vers à soie, etc.
10:12En s'intensifiant, la sériciculture se rationalise
10:16et les mesures d'hygiène épousent le mouvement
10:20d'industrialisation du 19e siècle.
10:23Le chemin de fer se répand sur le territoire
10:26et dans les Cévennes, où la puissante industrie de la soie
10:30est présente dans chaque bourg ou chaque village,
10:33le train s'avère indispensable.
10:35Car bientôt, on songe à importer d'Asie.
10:38Suite aux maladies, on manque de cocons.
10:41De nos jours, tous les étés,
10:44on peut emprunter ce train à vapeur
10:47qui relie Anduz à Saint-Jean-du-Gare.
10:50A partir du moment où la production locale n'est plus suffisante
10:54ou n'importe des cocons qui viennent d'Orient,
10:57à ce moment-là, ces cocons débarquent à Marseille
11:00et viennent par le train.
11:02La ligne ferroviaire est un apport important.
11:05C'est également transporter les machines
11:08qui se modernisent si on veut rester concurrentiels.
11:23L'ancienne filature de Maison Rouge à Saint-Jean-du-Gare se visite.
11:27Elle a été la 1re filature industrielle de soie en France.
11:32Ce bâtiment est intéressant car c'est sur ce site
11:35qu'a été installée la 1re chaudière à vapeur
11:38pour chauffer les bassines en série.
11:41C'est le début de la vraie industrialisation
11:44de la filature de soie.
11:46C'est également la dernière filature à avoir fermé en 1958 en France.
11:51C'est un site symbolique de l'histoire de la soie dans notre pays.
11:58Beaucoup d'usines du 19e siècle sont des bâtiments de prestige.
12:02Il faut que l'usine montre la réussite de l'entreprise.
12:07Ici, ce genre d'escalier,
12:09c'est la manifestation de la réussite de la filature.
12:13Il faut des grandes ouvertures car la soie est extrêmement fine.
12:17Il faut le voir et donc le maximum de lumière.
12:20Plus les ouvertures sont grandes,
12:22plus le temps de travail des personnels pourra être long.
12:27C'est un travail féminin.
12:29C'est quelque chose d'exceptionnel.
12:31C'est le 1er travail social féminin que l'on a de manière systématique
12:35probablement en France.
12:41C'est un travail pénible car il faut avoir les doigts
12:44ou mettre les cocones dans de l'eau à 70 degrés
12:47et qu'on est en plein été le plus souvent.
12:50Il peut faire 30, 35 à l'extérieur.
12:53On essaie de le chauffer, saturé de vapeur d'eau.
13:03Si la soie Sévenol subit la concurrence des soies d'Extrême-Orient
13:07importées à faible coût,
13:09celles qui précipitent son déclin portent des noms
13:12tels que Rayon, Nylon ou Elastane.
13:16Pourtant, l'amour du travail de la soie naturelle est encore ardent
13:20et quelques ateliers de bonnetterie,
13:22comme ici à Monoblet, aux soirées des Sévènes,
13:25perpétuent ce passé chatoyant encore bien présent
13:28dans les imaginaires Sévenol.
13:46On connaît la Bretagne sauvage.
13:48Ses cailloux acérés, ses paysages austères
13:51à la dominante de gris granit et de bleu ardoise.
13:56Elle a pourtant connu un âge d'or,
13:58trois siècles d'effervescence grâce au tissage du lin.
14:02Une plante quasiment disparue de ses côtes,
14:05mais pas de l'imaginaire des Bretons,
14:07qui lui doivent une immense richesse.
14:09À partir du XVIe siècle,
14:11la Bretagne bat au rythme des coups secs qui cassent la fibre,
14:15des couinements des roues qui filent
14:17et du claquement des navettes qui tissent ces toiles
14:20et placent cette région au centre du commerce européen.
14:24Ces toiles-là étaient réputées dans le monde entier.
14:27Les Espagnols, les Portugais, les Anglais
14:30les recherchaient pour leur qualité.
14:33Quand on pense aux heures de travail qu'il a fallu au tisserant,
14:37c'est assez émouvant, quand même.
14:46Tout commence au XVIe siècle,
14:48le temps des grandes découvertes et des échanges transocéaniques.
14:52On a besoin de surfaces de toiles énormes pour les vêtements,
14:56les emballages de marchandises et les voiles des navires.
14:59Les Bretons saisissent l'opportunité et développent un savoir-faire.
15:08Le Léon, région à l'extrême nord-ouest du Finistère,
15:11est la plus bouleversée.
15:14Ce pays a vécu un foisonnement économique et culturel
15:17qui a renversé son organisation sociale
15:20et laissé un patrimoine unique.
15:23Sur la côte, les champs de choux et d'artichauts tombent dans la mer.
15:29Ce garde-manger de la Bretagne, qu'on appelle la Ceinture Dorée,
15:33est une zone fertile connue depuis l'Antiquité.
15:37À sa pointe, Roscoff,
15:40un port qui fut longtemps le dernier abri avant l'océan Atlantique.
15:46La région du Léon, comme la région du nord des Côtes d'Armore,
15:50était propice à la culture, puisqu'on a des zones qui sont limoneuses.
15:54Et le climat océanique, avec ce vent comme celui qu'on en a aujourd'hui,
15:59venait aussi renforcer les tiges de là.
16:02Et c'est ce qui faisait aussi de l'Inde qualité.
16:10Sa position géographique fait de cette ville
16:12la 1re étape de l'aventure du textile.
16:15Les belles façades de granit ont gardé la marque de cette épopée.
16:19Au XVIe siècle, l'engouement pour la culture du lin est si grand
16:23qu'on fait importer les graines par la mer.
16:26Toutes les graines de lin qui arrivaient de la Baltique,
16:29notamment du port de Libeau, dans le nord de la Baltique,
16:32arrivaient au port de Roscoff.
16:34Et elles arrivaient au printemps dans des petits tonneaux.
16:38Les graines de lin étaient ensuite redistribuées par cabotage
16:41sur tout le nord de la Bretagne.
16:45Les graines viennent des Pays-Bas, d'une part,
16:47parce qu'ici, on cultive le lin pour la fibre
16:50et qu'on n'attend pas la maturité des graines.
16:53On peut expliquer aussi par le phénomène de vernalisation,
16:56puisque les graines viennent du nord, de pays froids,
16:59et vont être semées dans des terres qui sont dites chaudes,
17:02puisque les gelées sont finies.
17:04Et donc, il y a un phénomène d'éclosion de la graine.
17:07Ca, c'est une autre explication.
17:12Si la zone côtière offrait des conditions idéales à la culture,
17:16la manufacture des toiles s'est organisée dans l'arrière-pays,
17:20là où une main-d'oeuvre nombreuse
17:22pouvait transformer la plante en produit fini.
17:29Le lin a offert une opportunité à la population rurale
17:34provoquant un invraisemblable bouleversement de classe
17:37dans les fermes.
17:41Ici, nous sommes dans un hameau
17:44de paysans marchands de toiles,
17:46qu'on appelait, jadis, les julodettes.
17:50Ils avaient une relative grande ferme
17:53qui dégageait des surplus financiers
17:56qui ont été investis dans le commerce.
18:01Ils ont continué à vivre de leur ferme.
18:04Ce sont des paysans,
18:07mais qui ont trouvé un autre créneau important.
18:14Dès que les travaux de la ferme le permettaient,
18:17les paysans organisaient le travail du lin.
18:20Certains cassaient les tiges, filaient les fibres.
18:24D'autres, enfin, tissaient les toiles.
18:27La campagne Léonard est encore jalonnée
18:30de petites maisons construites par les paysans marchands
18:34qu'on appelle Candie, maison à Blanchir, en Breton.
18:40Le fil, tel qu'il arrivait ici,
18:43c'était un fil brut, qu'on appelait un fil écru.
18:47Et puis, vous savez bien
18:50que le fil blanc est supérieur,
18:53par sa qualité, par son apparence,
18:56au fil écru.
18:58D'où la nécessité de le blanchir.
19:03Cette technique donnait à la toile une apparence plus noble qu'ailleurs.
19:08Elle a fait la renommée des craies,
19:11nom donné aux toiles du Léon,
19:14et réclamée de l'Amérique du Sud au nord de l'Europe.
19:18Dans les années 1670,
19:21on était au maximum de la production.
19:24Et à ce moment-là,
19:26on produisait annuellement 10 000 km,
19:30on a du mal à croire ça,
19:33de toiles de lin.
19:35J'ai l'habitude de dire
19:37que si on avait mis les toiles de lin bout à bout,
19:41en 4 ans, grâce à elles,
19:43on aurait fait le tour de la Terre à l'Équateur.
19:47C'est inimaginable
19:49combien ce commerce a été important.
19:52Et puis, progressivement,
19:54ces paysans marchands de toiles devenus plus riches,
19:58ils ont fini par même constituer dans le Léon une caste.
20:05Les Julodettes sont un exemple unique d'aristocratie paysanne.
20:10Jalousés pour leur richesse immense,
20:13ils se sont auto-constitués en un groupe fermé
20:16qui se mariait au sein de leur communauté.
20:19Ils se créèrent même un costume
20:21qui est resté leur signe distinctif pendant des siècles.
20:25Dans cette campagne pieuse,
20:27où chaque croisement est signalé d'un calvaire,
20:30l'accumulation infinie de richesses ne pouvait échapper au regard de Dieu.
20:35Saint-Aigonec est un tout petit bourg de 2 500 habitants
20:39dont s'élance pourtant une flèche orgueilleuse.
20:42Chaque village du Léon a vu sa petite église
20:45remplacée par ce qu'on appelle un enclos paroissial,
20:48financé par ses riches paysans.
20:50Un ensemble architectural religieux unique au monde,
20:54où s'accumulent calvaires, ossuaires, sacristies,
20:57le tout clôturé d'une porte triomphale.
21:02Nous sommes ici dans un enclos paroissial
21:05qui a été voulu par des paysans qui étaient très peu instruits.
21:11Il y avait un certain nombre d'analphabètes
21:14et ils nous interrogent.
21:16Ils nous interrogent quand on voit leur réalisation.
21:22Il n'y a pas, en France, de région rurale
21:25qui a une telle richesse artistique.
21:30En finançant ces édifices,
21:32ces paysans espéraient gagner plus vite le paradis
21:35et, si possible, impressionner les villages voisins.
21:38Rien n'est trop beau, rien n'est trop cher pour ces maîtres du Matuvu.
21:43Ici, on voit une colonne cannelée
21:46surmontée d'un chapiteau
21:49qui est typique de l'art de la Renaissance.
21:56Il y a par ailleurs des coupoles, des dômes.
22:00Tout ça s'est inspiré de l'art de la Renaissance.
22:04Et cet art s'est combiné avec l'art gothique
22:08et même avec des courants artistiques
22:12venus de Touraine ou d'Anjou.
22:15Et ça a créé un art tout à fait original.
22:21Les sculpteurs et peintres bretons s'en donnent à coeur joie
22:24et ces églises des XVIIe et XVIIIe siècles
22:27prennent des airs de Saint-Pierre-de-Rome.
22:30Ces julodettes, élevées au rang d'élite dirigeante
22:33de l'arrière-pays breton, ne purent exister
22:36que dans le dernier maillon de la chaîne de production,
22:39les vendeurs de toiles.
22:44Située sur la rivière du Docène,
22:47au fond d'une immense baie qui offre un abri naturel aux navires,
22:51Morlaix est l'unique port autorisé
22:54à exporter ses toiles du Nord-Finistère.
23:01La ville de Morlaix est orientée sur la Manche,
23:04face à l'Angleterre.
23:06Nos ennemis héréditaires, peut-être,
23:08mais notre clientèle principale.
23:10Ce sont nombreux ceux qui viennent ici repérer ses toiles.
23:13Ce n'est pas un petit port de Bretagne,
23:15c'est un des grands ports d'Europe.
23:17Il faut imaginer les allées et les retours des bateaux.
23:20The place to be, là où il faut vendre,
23:23c'est le quai de Tréguier.
23:25C'est un endroit équipé de maisons à pans de bois
23:28formant une sorte de galerie.
23:30Au XVIIIe, les premiers touristes ne s'y trompent pas,
23:33c'est le petit Rivoli.
23:36La galerie fut détruite,
23:38mais il reste de nombreuses maisons à pans de bois,
23:41dont certaines ont une architecture unique.
23:44On les appelle les maisons à Pondalaise.
23:47Elles sont commanditées par des nobles qui quittèrent leur manoir,
23:51attirés par l'appât du gain.
23:54Dans le cadre d'une guerre intestine,
23:56pour le trône du Cal,
23:58ces nobles ont beaucoup investi,
24:01sont sortis un peu désargentés.
24:03Ils ont fait le choix de travailler.
24:05Ils ont obtenu du duc la possibilité de se mettre commerçant
24:09à la condition de mettre en dormition leur noblesse.
24:15La sobriété extérieure
24:17ne dit rien de ce qui attend les acheteurs à l'intérieur.
24:21Ces maisons, c'est aussi avant tout des showrooms.
24:24On peut penser que depuis ces galeries suspendues aux étages,
24:28on puisse développer les toiles
24:30pour en contrôler la qualité du tissage.
24:36Ces anciens nobles reproduisent à échelle réduite
24:39leur demeure rurale.
24:43La salle principale est étroite, mais haute de presque 20 m.
24:49L'escalier sculpté dans un tronc d'une seule pièce
24:52et qui soutient toute la maison
24:54est un rappel de la tour des manoirs.
24:58Les nobles ont fait le choix
25:00d'abandonner tous ces espaces d'étage.
25:03Il faut pouvoir se le permettre.
25:05Mais cela pour un effet ostentatoire.
25:11A la fin du XVIIIe siècle,
25:13les guerres menées contre les pays importateurs
25:16et la concurrence du coton provoquent l'effondrement du marché.
25:22La Bretagne, qui avait tout misé sur la manufacture des toiles,
25:26se retrouve ruinée pour les deux prochains siècles.
25:32L'Aucronan, autrefois cité prospère de 400 tisserands,
25:36fut désertée de ses petites mains sans ouvrage.
25:41Mais elle a pris sa revanche.
25:43Elle est devenue l'un des villages les plus visités de Bretagne.
25:49Le teintement des métiers à tisser
25:51résonne même à nouveau entre les murs de granit.
25:56Hervé Lebillan, historien reconverti,
25:59est le premier des nouveaux tisserands de l'Aucronan.
26:08Le tissage, c'est beaucoup de patience.
26:10Rien que pour monter la chaîne, il faut compter à peu près une semaine.
26:14Parce que là, j'ai environ 2 000 fils.
26:16Il faut d'abord que je prépare mes bobines.
26:19Donc je mets 1 000 m de fils sur chacune.
26:23Une minutie et une patience infinies
26:26pour finalement se raccorder à l'histoire de ses ancêtres oubliés.
26:32Il est important qu'ici, à l'Aucronan,
26:34on garde le fil de cette histoire textile.
26:37Quelque chose peut renaître de ce petit fil
26:40que j'essaie de maintenir.
26:42On ne sait pas ce qu'il va apporter demain.
26:47Même si elle a finalement payé un lourd tribut à cette manufacture,
26:52les toiles ont donné à cette région une fierté.
26:55La fierté de savoir qu'une grande partie du monde
26:58a tenu dans ses mains un bout de ces villages bretons.