• il y a 5 mois
Un gouvernement décide qu’après l’âge de 68 ans, l’euthanasie serait obligatoire par mesure d’économie. Arrivée à cet âge limite, Mireille décide de fuguer et de vivre cachée. Dans son aventure, elle va croiser la route de Davia, une adolescente fascinée par la liberté et la soif de vie de son aînée. Dans son roman "Les jeux sont faits", Sarah Vajda célèbre l'esprit rebelle, l'honneur, l'élégance, l'ascétisme, mais surtout le beau, le juste, le vrai, tout ce qui permet à son héroïne de frôler la vie. Inversement, elle dénonce l'emprise grandissante de l'Etat sur nos vies, la destruction de la beauté parisienne, la société de consommation. Comment est-on passé du "jouir sans entraves" hurlé en Mai 68 au "droit à mourir dans la dignité" ?

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Transcription
00:00Bonjour à tous, bienvenue dans notre Zoom aujourd'hui en compagnie de Sarah Vajda.
00:11Bonjour Madame.
00:12Bonjour.
00:13Sarah Vajda, vous avez été metteur en scène de théâtre pendant 15 ans, vous êtes aujourd'hui
00:17romancière et biographe.
00:19Votre dernier roman, le voici, Les Jeux sont faits, publié aux éditions du Cherche Midi
00:25et comme d'habitude à retrouver sur la boutique de TV Liberté.
00:28Rapide résumé et puis ensuite on passe aux questions avec vous, Sarah Vajda.
00:32Un gouvernement, on imagine français, décide qu'après l'âge de 68 ans l'euthanasie serait
00:39obligatoire par mesure d'économie, on n'en est pas loin, arrivé à cet âge à la limite
00:44votre héroïne Mireille décide de fuguer et de vivre cachée dans son aventure.
00:48Elle fera la rencontre de cette jeune adolescente d'Avia qui l'admire pour son goût de la liberté
00:55et sa soif de vie.
00:57Pourquoi vous être lancée dans un roman qui part d'une histoire sur l'euthanasie,
01:02Sarah Vajda ?
01:03En fait, je cherchais un sujet de roman, j'étais dans une espèce d'écoute flottante
01:10et tout d'un coup je lis dans un article consacré à Trollope, un auteur anglais que
01:14j'estime fort par ailleurs, qu'il avait écrit, je fixe cette période, un roman qui
01:20n'a pas du tout marché en français, il n'a jamais été traduit, moins en Angleterre,
01:25où il imaginait qu'à 68 ans, on allait liquider tous les vieux, mais Trollope trouvait
01:29ça formidable.
01:30Trollope est un champ de utilitarisme, ce qui est drôle c'est qu'il est mort à 67
01:34ans, trois quarts, et immédiatement le personnage de Mireille, d'une fugueuse, s'est imposé.
01:41Alors Mireille c'est très simple, j'avais lu Mistral peu de temps auparavant, parce
01:46que longtemps j'avais renoncé, je ne savais pas lire Mistral, et tout d'un coup j'ai
01:51tombé sur Mireille, et tout d'un coup elle s'est imposée, elle a marché sur les routes
01:54de Provence, dans le soleil, bravant la mort, voilà, étant complètement dans le vivant,
02:03et le sujet du livre est arrivé, c'est simplement pour ça, il n'y avait rien de conjoncturel
02:07par rapport à la loi qui est en train de se voter.
02:10– Qui est du coup abandonné avec les législatives qui ont tout remis à plat, le dossier a été
02:15mis de côté.
02:16– C'est pas plus mal, mais pour revenir au plus vite, rassurez-vous je pense, et après
02:22ça m'a paru une jolie idée, en fait c'est un conte philosophique ce livre, l'euthanasie
02:29bien sûr, mais c'est que la conséquence de toute une série de choses qu'on vit
02:33depuis 50 ans.
02:34– Alors justement comment est-ce qu'on est passé du jouir sans entrave de mai 68
02:39à ce droit, dit-on aujourd'hui, entre guillemets, de mourir dans la dignité ?
02:43– L'important pour jouir c'est d'avoir un corps, le pouvoir à la jeunesse, tous
02:49les fascismes ont réclamé le pouvoir à la jeunesse, que ce soit le Mussolini, le communisme,
02:56les jeunesses hitlériennes, l'espoir est dans le monde d'après, ce sont les millénarismes
03:01comme les autres, ici c'était la consommation, en fait ce que n'ont pas compris les manifestants
03:06de 68 qui en grande partie étaient souvent sympathiques, c'est qu'en réalité tous
03:11les droits qu'on allait acquérir, c'était le droit d'être un consommateur, par exemple
03:15que la femme soit jeune éternellement, ça servait à quoi ? Elle continuera à consommer,
03:21avant à partir de la ménopause elles n'achetaient plus rien, elles mettaient une vieille robe,
03:25elles ne se maquillaient plus, elles ne fumaient pas, etc. etc. elles ne consommaient pas,
03:29elles ne partaient pas en voyage, en fait on s'est aperçu avec un cauchemar que tout
03:34ça avait été, le capital aveugle avait tout négocié et qu'en réalité on n'était
03:38que cette espèce de marchandise et de sujet, ce que j'appelle de la chaire à consommation
03:45qui a remplacé la chaire à canon, donc il était normal que ce jouir sans entrave aboutisse
03:50à l'euthanasie puisque là on ne sert plus à rien et on commence à être malade et
03:53à coûter cher, parce qu'en fait 68 ans c'était très bien calculé de la part de
03:57Trollope, c'est que c'est le moment où peuvent commencer les ennuis de santé.
04:00Oui dans votre roman c'est un algorithme d'une intelligence artificielle qui fixe
04:06la date de la mort, l'âge de la mort à 68 ans.
04:09C'est mourir en bonne santé, l'idée aussi c'est ça, c'est d'être toujours
04:12sain, ça fait partie aussi du marqueur du fascisme, en fait l'homme est un corps
04:16avant toute chose, avant d'être une âme, un esprit, un cerveau, voilà, et des sensations,
04:22c'est vraiment cette espèce de corps comme ça qui va, et quand il ne sert plus on le
04:27jette, rebut, donc c'était simple en fait, le petit soldat de la consommation ne sert
04:32plus à rien, donc il s'en va, et il va coûter cher.
04:35Justement vous dites sur le rapport à la consommation, vous dites ceci, il est toujours
04:39difficile d'admettre qu'on n'est pas plus libre en régime capitaliste que sous une
04:43dictature, comment se crée cette illusion de la liberté ?
04:48Justement, par la consommation, c'est ça qui est terrible, c'est là où le système
04:54est extrêmement pernicieux et très très difficile à vaincre, c'est que…
05:00Et l'autorité managériale sournoise aussi vous soulignez.
05:03En fait, tout est devenu sournois, c'est-à-dire que maintenant le prof de fac, il arrive avec
05:08un pull, en 68 il arrivait avec un pull déchiré, mais c'était quand même lui le maître,
05:13il avait la même place, il avait le même pouvoir, le manager qui vous tutoie vous fiche
05:18dehors de la même manière que l'ancien patron, là en fait c'est une véritable
05:23perversion et du coup on est tous victime d'une sorte d'harcèlement moral, c'est
05:28assez curieux, ce qui explique peut-être que les gens deviennent à moitié dingues
05:30en ce moment, comme si on était… ça c'est fait de manière très très insidieuse,
05:35mais le cool n'empêche pas le dur, très curieux, cette espèce de coolitude appliquée
05:41à chacun, on se tutoie, on s'appelle par son prénom, au lieu de s'appeler monsieur,
05:46madame, mademoiselle, de garder des formes, et les formes permettaient de respecter l'ordre
05:52des choses qui est toujours un peu dur, et là maintenant on a l'impression que ça
05:55va être doux, alors que c'est encore plus brutal d'avoir eu l'illusion qu'il était
05:59doux, je crois que c'est ça qui est le plus difficile à supporter dans notre monde.
06:04Pourquoi c'est la vieillesse d'une femme, Mireille, qui vous a inspiré pour ce roman ?
06:09Oh ben là c'était drôle, c'était vraiment… j'aurais pu prendre un homme, mais ce qui
06:13m'amusait là c'était finalement de conjurer ma propre vieillesse qui allait arriver, donc
06:18c'était assez… oui c'était comme… en fait pour moi c'était aussi une pochade,
06:23c'était aussi une manière de… c'est un exorcisme, c'est comme un exercice d'exorcisme,
06:28de se dire que jusqu'au bout on va rester… et puis il y a quand même beaucoup de vieilles
06:33femmes assez incroyables, alors il y avait aussi le modète évidemment Mélémède,
06:37la folle de Chaillot, qui est quand même une de mes héroïnes depuis l'enfance,
06:41je trouve qu'il n'y a que deux âges intéressants dans la vie, l'enfance et la vieillesse,
06:45entre les deux les gens passent leur temps à bosser, à s'occuper de leurs membres,
06:49à être… à jouer les jambes importants, aucun intérêt, moi j'adore les jeunes
06:54gens, ben les enfants, les jeunes gens et les vieillards, le reste c'est pas des âges
06:58littéraires.
06:59Ah ben je vous remercie.
07:00Non, non, je suis désolée, pour moi c'est pas des âges littéraires, c'est pour ça
07:02que j'écris pas des romans sur les employés ou des romans à la Houellebecq, j'écris
07:06pas sur le peine à jouir ou sur… ça m'intéresse pas, enfin je veux dire, ça me paraît pas
07:10littéraire, comme évidemment j'adorerais à Roldemode.
07:14Vous aimez ces âges où l'homme retrouve une forme de naïveté et de contemplation
07:20sur le réel.
07:21Voilà, de contemplation, de goût de la sensation, du goût de la plénitude, où les choses
07:27redeviennent blanches ou noires.
07:29Rire de la méchanceté, dit Mireille.
07:31Parce qu'en réalité le monde est compliqué, tout est gris, en fait on essaie de chercher
07:35ce qui est bien, ce qui est mal, où est l'ombre, où est la lumière, en fait, quand on est
07:40un enfant, moi, vieillard, on sait, on perçoit où est l'ombre, où est la lumière, l'ombre
07:45c'est la mort, la peine de la mort, la lumière c'est ce qui reste de vie, pour l'enfant,
07:50la lumière c'est le jeu, c'est le plaisir, et l'ombre c'est les primates des grandes
07:56personnes.
07:57Et je trouve ça merveilleux parce que pour moi le roman est un espace qui n'est pas
08:02l'espace du réel, c'est un espace où on produit ce que j'appelle moi la romancie,
08:07c'est-à-dire où on recrée un monde tel qu'il devrait être, j'ai toujours été
08:11du côté de Corneille contre Racine, pour moi c'est le monde tel qu'il devrait être,
08:14pas le monde comme il est, et là, le monde comme il est, moi je déteste le réalisme,
08:18je déteste cette peinture du monde comme il va mal, tous les mondes ont été mal,
08:24et dans ce roman, on part de ce monde qui va mal et on le transfigure, c'est un exercice
08:28de transfiguration ou de transverberation comme vous voulez, on va justement y injecter
08:32de la lumière, et la lumière c'est toujours la force de vie.
08:35– Alors justement, votre héroïne va refuser cette injonction que lui fait l'État à
08:42disparaître, quel est le processus qui va faire qu'elle va se rebeller et fuguer ?
08:51– Non mais elle est née comme ça, j'ai pas cherché d'explication, il n'y en a pas,
08:55elle n'ira pas, c'est-à-dire qu'en fait elle a toujours, alors ça aussi c'est un
08:59exorcisme en fait, c'est ce que je souhaite à tous mes lecteurs, de ne pas hésiter,
09:04d'être quelqu'un d'un peu buté, d'un peu borné, d'un peu animal, et de suivre
09:08ses instincts.
09:09– Dieu n'aime pas les tièdes.
09:10– Oui, Dieu vomit les tièdes.
09:11– Vomit même.
09:12– Dieu vomit les tièdes, c'est ça, c'est-à-dire qu'en fait, elle n'ira pas plus qu'elle
09:16n'aurait pas épousé à une autre époque un garçon qui ne lui plaisait pas, elle fait
09:19partie de cette catégorie d'être humain, c'est pour ça que j'aime tellement Corneille,
09:23parce que c'est des héroïnes cornelliennes, voilà, Rome vous a choisis, je ne vous connais
09:28plus, bon ça n'existe pas, voilà, c'est comme ça, donc c'est vraiment, alors là
09:31pour le coup, il n'y a pas d'explication, ni psychologique ni rien, c'est vraiment
09:36une question de tempérament, ce que j'appelle le côté plus carmène que Bovary, c'est
09:40par aussi la manière dont les femmes se représentent, c'est tellement fatigant de voir maintenant
09:45que toutes les femmes ne parlent que de complexité psychologique, d'une sensibilité supérieure
09:51qu'elles auraient, de plus, d'infini, en réalité, je trouve que ce qu'il y a de
09:57plus beau en être humain, c'est quand même une manière de suivre son instinct et d'arrêter
10:03de passer son temps à finasser sur des choses qui n'aboutissent à rien, donc c'est vrai
10:07qu'il y a un petit côté aussi, l'affaire un peu sotte entre guillemets, un peu brute
10:12de caisse, c'était contre tous les portraits de femmes compliquées qu'on voit aujourd'hui
10:16dans les romans.
10:17Vous aimez les êtres qui jouent sur l'instinct.
10:19Oui, beaucoup.
10:20Les jeux sont faits, c'est le titre de votre roman, cela fait référence donc à ce programme
10:26de fin de vie organisé par l'État, vendu, je cite, comme une merveilleuse année en
10:31bord de mer, dédiée à la convivialité, à la détente et aux souvenirs, fin de citation,
10:36avant quand même d'être mis à mort, comment vous êtes arrivés à cette morgue, qu'est-ce
10:41qui vous a inspiré cette morgue ?
10:43Bon finalement c'est tout ce spectacle des vieilles dames qui font du yoga toute la journée.
10:49Par exemple le yoga, j'ai entendu un jour un professeur du collège de France raconter
10:53sur France Culture que le yoga c'était pour apprendre à mourir.
10:56Or en fait tout le monde fait ça pour être en bonne santé et en forme.
11:00Il y a une espèce de, cette interjonction du sport obligatoire, de la santé obligatoire,
11:07cette espèce de ridicule et de le faire en groupe, parce qu'il y a aussi ça, il y a
11:11une critique du groupe évidemment, je dis à partir de la crèche tout le monde au pot
11:15à la même heure, tout le monde au café à la même heure, à l'after hour, tout
11:19le monde en vacances, en vacances organisées, en tourisme.
11:22Les moutons se déplacent en groupe, le loup marche seul.
11:25En fait c'était ça, donc j'ai imaginé de manière un peu ironique évidemment qu'on
11:30faisait une espèce de super programme de sport, yoga, fitness, etc. parce qu'en fait
11:37presque toutes les vieilles dames maintenant pratiquent ça.
11:40C'est une réalité en fait, elles ne se contentent pas de faire des étirements ou d'aller
11:45à la piscine ou de continuer à faire ce qu'elles savaient faire par exemple à la
11:47danse de salon ou des choses qu'elles ont toujours fait.
11:51Elles se mettent à faire parce qu'elles sont vieilles des tas de choses en groupe.
11:55Alors là aussi c'est de la consommation, parce qu'elle s'est devenue un nouveau créneau
11:58de consommation.
11:59Avant il n'y avait que les gamins qui faisaient du sport, maintenant il faut continuer.
12:02Tant qu'on n'a pas tué tout le monde, tant qu'on n'a pas tué les vieilles, il faut
12:06aussi qu'elles raquent.
12:08Donc c'est pour ça que j'ai imaginé ce programme, bon évidemment c'est un peu forcé
12:12mais… parce que c'est drôle, ce qui était drôle dans cette affaire c'est ça avant
12:15la piqûre au fond de l'arbitre, voilà.
12:17– Oui le club med avant la piqûre.
12:18– C'est le club med avant la piqûre, mais c'est ça notre société en fait.
12:21– Justement cette société où l'État dirige nos vies quasiment depuis la naissance
12:26jusqu'à la retraite, on a aujourd'hui, vous le dites, un État-providence sur-endetté,
12:32c'est ce qui empêche encore l'État aujourd'hui de nous mettre à mort pour faire des économies
12:38et souvent, dit-on, pour l'amour de l'humanité.
12:40– Mais rien ! Et alors en plus il y a cette idée aussi que la vieillesse est atroce puisque
12:44on souffre, et la souffrance… alors qu'en fait la vie ne vaut…
12:48– La souffrance est indigne.
12:49– La souffrance est indigne.
12:50En fait le problème c'est que la vie est tragique, que la modernité veut l'oublier.
12:54La vie est tragique, elle est parsemée de souffrances qui rendent extrêmement beaux
13:00les grands moments de bonheur.
13:02C'est comme ça que c'est depuis la nuit des temps, depuis l'Antiquité, tous les
13:06textes le disent.
13:07À partir du moment où on refuse ça, on refuse aussi cette chose qu'est l'agonie.
13:12Alors pour les chrétiens c'est une sainte agonie, il est certain que le rapport à la
13:17mort a énormément changé.
13:19Le fait de partir en son temps dans la souffrance puis d'être soulagé par la mort est une
13:28chose qui paraît insupportable.
13:31Mais comme en fait pour les jeunes femmes, mettre au monde un enfant sans péridural
13:35est devenu insupportable.
13:37Or, mettre au monde un enfant sans péridural…
13:40– C'est l'histoire de l'humanité quoi.
13:41– Ça s'est fait depuis la nuit des temps.
13:43Bon alors à un moment donné, donc de la naissance à la mort, toutes ces femmes qui
13:48refusent le pouvoir mâle et qui ont complètement confié leur destin à la médecine, au pouvoir
13:55médical.
13:56Ce qui est absolument incroyable, au lieu de rester avec les sages femmes, les bonnes
14:01femmes, les sorcières qui aidaient et à naître et à mourir, avec des cataplasmes,
14:06avec des prières, avec des chants, enfin il y a plein de manières de mourir.
14:10On peut accompagner ça par des chants, il y a des rites, etc.
14:12Enfin vous savez très bien que ça… – Ou un curé à la place de la sorcière.
14:15– Oui mais le curé, l'imam, le rabbin à la place de la sorcière, qui vous voulez.
14:21Mais en fait, il y avait dans toutes les sociétés primitives, il y a un accompagnement à la
14:25mort.
14:26Or cet accompagnement à la mort, il n'existe plus, c'est juste le phénomène arbitral
14:30ou alors la sédation, etc.
14:33Or, ce qui est magnifique, écoutez, une pièce, elle a besoin du cinquième acte.
14:38Donc une vie humaine, elle a besoin de cinq actes.
14:40Il faut un dernier acte.
14:41Si vous ôtez le dernier acte, ça n'a plus de signification.
14:45Imaginez toutes les pièces que vous avez vues, il n'y a pas la fin.
14:47Et bien maintenant on essaye de faire un monde où il y aura un début mais il n'y a pas
14:50de fin.
14:51Et c'est pas possible.
14:52Et ça, je trouve que c'est une faute contre l'art, c'est une faute contre la raison,
14:58c'est une faute contre le bon sens.
14:59Pour moi, Mireille, ce n'est pas une militante ni rien.
15:01C'est vraiment quelqu'un qui est simplement têtu et de bon sens.
15:05C'est une bonne femme d'autrefois, c'est une bonne femme comme celle qu'on aimait quand
15:11on était petit.
15:12Parce qu'en fait, elle était rassurante.
15:14Elle savait qu'elle allait mourir mais elle ne nous transmettait pas sa peur.
15:18Vous voyez ce que je veux dire ? Elle prenait les choses aussi comme elles étaient.
15:22Et cette chose-là qui a disparu, ça fait une inquiétude généralisée.
15:26Et donc ces personnages-là, je crois qu'on en a besoin.
15:30De gens qui n'ont pas peur.
15:33Qui n'ont pas peur ou qui prennent les choses comme elles sont.
15:35Qui se disent que c'est ras-c'est ras.
15:36Adieu, vaille.
15:38Adieu, va.
15:39Mireille est une Parisienne donc qui fuit la ville pour aller mourir en Camargue et
15:46vous n'y allez pas de main morte avec Paris, vous dites qu'elle n'est plus une ville à
15:50vivre mais seulement à traverser, à visiter.
15:53Qu'est-ce qui s'est passé à Paris, là ?
15:55Je ne sais pas ce qui s'est passé à Paris mais c'est démentiel.
15:57Paris, quand j'étais jeune, était une ville d'un agrément incroyable, particulièrement
16:04dans le quartier populaire où j'ai grandi et que j'ai mis en scène, évidemment dans
16:08le livre.
16:09Je suis une enfant de la Place des Fêtes et des Fortifs, etc.
16:11C'est-à-dire que quand on était en haut des Fortifs, derrière il y avait l'Infini.
16:14C'est devenu le Grand Paris.
16:17Donc c'est devenu une ville, on ne parle même pas de la politique de Madame Hidalgo
16:21et de ce qui se passe avec les encombrements de Paris et des choses olympiques, mais c'est
16:24devenu une ville où il y a trop de monde, c'est-à-dire le Grand Paris, tout le monde
16:29se déverse, tout le monde revient et le tourisme a envahi Paris, c'est une des villes les plus
16:33visitées au monde.
16:34Donc ces chocs de population, ces chocs d'immigration massive, de touristes, de gens qui travaillent,
16:42ce n'est pas possible, il n'y a plus d'espace pour personne.
16:46Paris a été défigurée par les urbanistes et les architectes, tout est laid, il n'y
16:51a plus rien, il n'y a rien de beau dans les choses contemporaines.
16:53La seule chose c'est le métro Palais-Royal, le métro avec les boules à Palais-Royal,
16:57c'est la seule chose jolie qui a été faite depuis 30 ans à Paris.
17:01Tout le reste est hideux, tout le reste ressemble au monde entier, il n'y a plus de spécificité
17:06parisienne, elle a été complètement détruite.
17:08Donc on est dans une espèce de ville-musée, ce qui est ancien, a été lavé, blanchi,
17:13c'est musée, ça ne sert plus à rien.
17:15Juste pour les touristes.
17:16Or c'est une ville morte, puisque le tourisme c'est la mort, le tourisme enrichit une toute
17:20petite partie de la population, minuscule, permet des emplois complètement sous-payés,
17:25c'est politiquement une aberration, ce n'est pas une industrie, ce n'est pas une économie
17:28réelle, et ça augmente le prix de toutes les choses, et donc du coup elles sont vidées
17:35des habitants, les habitants n'y participent pas, et donc c'est une ville morte qui devient
17:40uniquement une cité de transit, où effectivement on passe pour aller bosser, et on va dormir
17:46dans le dortoir d'à côté, où on se réfugie chez soi, c'est plus une ville de convivialité,
17:54de sourire, voilà, de ville quoi.
17:56Après ça Fugue, je vous cite Sarah Vachda, Mireille appartenait à la catégorie des
18:02SDF, sans pouvoir prétendre à aucune assistance, finit le temps des papotages et des sourires
18:08chacun pour soi, Dieu pour personne, Google pour tous, qu'est-ce que cela implique, ce
18:12remplacement dans la société de Dieu par Google ?
18:17Ça implique la non-communication complète, il n'y a plus de communication entre les
18:23êtres, chacun sur son portable demandant à Google, on n'a plus besoin des autres,
18:29plus personne n'a besoin de personne, en fait psychologiquement on est quasiment comme
18:33ces ados japonais dont on nous parlait dans les journaux, qui restent 2 ans, 3 ans, 4
18:40ans, 5 ans sans sortir de leur chambre, en fait on peut maintenant vivre complètement
18:46en autarcie, enfin on l'a vu avec le confinement, et Google permet ça, donc il n'y a plus
18:50besoin de parler à l'autre, donc à ce moment-là il n'y a plus d'intersubjectivité,
18:55il n'y a plus de…
18:56Est-ce que vous pensez que les gens se rendent compte de cette rupture anthropologique, est-ce
19:01que vous pensez aussi qu'ils en souffrent ?
19:03Malheureusement les jeunes n'imaginent pas qu'on puisse vivre autrement, le problème
19:09il est là, ils n'ont pas connu le monde d'avant, moi je sais que ma fille elle me
19:12dit mais comment t'as pu rencontrer papa, ah oui, comment vous vous êtes téléphoné,
19:17en plus il n'y a pas de téléphone, moi quand j'étais adolescente chez mes parents
19:20il n'y a pas de téléphone, donc vous imaginez, et bien si, voilà, ça se faisait, puis même
19:24au XVIIe siècle, ni même dans l'Antiquité, il n'y avait aucun de ces moyens-là, les
19:27gens se rencontraient, faisaient des enfants, n'en faisaient pas, enfin bref, on vivait,
19:31bon ça c'est la question, les gens d'un certain âge évidemment sans doute en souffrent,
19:36quoique je connais bien des gens âgés qui ont un grand plaisir à poster les photos
19:41de leurs petits-enfants sur internet et compagnie, j'ai l'impression qu'en fait il y a cette
19:45idée du progrès qui ne peut pas se limiter, en fait le progrès ça ne se refuse pas.
19:49On ne l'arrête pas dit-on.
19:51Non on ne l'arrête pas, ce qui n'est pas vrai, vous connaissez l'histoire de Dupré
19:55et de Louis XV, j'adore cette histoire, un certain ingénieur Dupré avait trouvé la
20:00formule du feu grégeois, ce qui permettait en termes d'avancée militaire des sacrés
20:06prodiges.
20:07Il a présenté ça au roi Louis XV, Louis XV a regardé l'ingénieur, il lui a dit
20:12écoutez, je vais vous pensionner jusqu'à votre mort si vous gardez cette formule secrète,
20:16ou quelqu'un d'autre l'a trouvée.
20:18Donc il est possible de limiter le progrès, pas de l'empêcher, mais de le choisir, moi
20:25c'est pour ça que je suis cancienne, je suis du côté de la distinction, je suis du côté
20:28de la limite.
20:29Toutes choses, il ne s'agit pas de vivre sans antibiotiques, et sans eau chaude, effectivement
20:38l'intelligence artificielle et internet méritent des réflexions, et manifestement on n'a pas
20:43réfléchi, on y a été, on peut le faire, il n'y a qu'à, on y va.
20:46On a peut-être réfléchi, rappelons qu'à la base internet est un projet militaire américain.
20:50C'est vrai, donc là on a mis tout le monde sur orbite, sous surveillance, et les empêchant
20:57de communiquer les uns avec les autres, puisque toute mon histoire est, en fait évidemment
21:00c'est des gens qui n'ont plus de portable, qui n'existent que dans la parole, la parole
21:05et le regard.
21:06Parce que Paul voit Mireille, bon il emmène Mireille, Mireille aurait pu dire non, etc.
21:10Davia la regarde, tout se passe par les yeux, tout se passe par les sens, il n'y a aucune
21:14information qui circule.
21:15D'ailleurs, bon, je suis toujours assez mitigé sur la question de l'information, je pense
21:19que tout n'est pas bon à dire, la transparence de ce monde est absolument terrifiante.
21:25Vous parliez distinction, Sarah Wajda, vous avez aussi cette réflexion sur l'exigence
21:30d'élégance, dites-vous, dans un monde de traîne-savaterie généralisée.
21:34Pourquoi selon vous les Français ont oublié l'élégance, en tout cas dans leur majorité ?
21:38Je crois que c'est toujours la même chose.
21:41En fait, ils se sont dit ça sert à quoi ? Ben ça sert à rien.
21:44Ça sert juste à embellir la vie.
21:47Oui, on est moins confort dans un costard que dans un Bermuda.
21:52Ou dans un survêtement.
21:54Le pire c'est quand on commence à se travailler dans le survêtement dans les années 80.
21:57C'est très simple.
21:58Ça sert à quoi ? Alors, ce qui est drôle, c'est quand même…
22:02C'est comme l'art, ça sert à rien, ça sert à être beau juste.
22:05Voilà, ou l'art ça sert à tout.
22:07Non, non, non, attendez, excusez-moi, ça sert à militer.
22:12Non, mais je me fais l'avocat du diable, madame.
22:14Ah si, ça sert plus qu'à militer, là.
22:16Ah oui, ils ont tous trouvé un truc, ils n'ont pas compris que l'art, justement,
22:20servait juste à embellir le monde, à faire réfléchir les gens en profondeur.
22:24L'art est subventionné, maintenant.
22:25Oui, mais comme il est, mais c'est que du militantisme.
22:28Mais maintenant, alors ça ils ont gardé,
22:30mais alors le véritable art, ils l'ont complètement oublié.
22:32Ce qu'on a appelé l'art pendant 19 siècles, ils l'ont oublié.
22:37L'art est là pour dire quelque chose.
22:38Qu'est-ce que l'auteur a voulu dire ?
22:39Quel message il a voulu transmettre ?
22:41Or, l'auteur, il n'a rien voulu transmettre.
22:44L'auteur, il est ce qu'il est,
22:47et sa vision du monde, il la donne au lecteur qui la reçoit,
22:51et à ce moment-là, le lecteur, ça peut changer d'un millimètre sa perception.
22:56Et c'est tout ce jeu subtil de faire entrer de la beauté dans des gens,
23:00dans des vies qui peuvent en être privées,
23:03qui fait un agrandissement, une augmentation du bien.
23:07Or, ça, c'est une idée qui a complètement disparu.
23:10Alors, pourquoi les gens ont arrêté de s'habiller ?
23:12Ce qui est très drôle, c'est que jamais, jamais,
23:14les journaux n'ont plus parlé de mode.
23:16Jamais, jamais que dans les années 80, il y a eu des créateurs aussi géniaux.
23:20Il y a eu un boom sur la mode, c'est devenu incroyable.
23:23– Comme sur la gastronomie, alors que tout le monde est en train de devenir obèse.
23:26– Voilà, c'est ça, et que tout le monde mange mal.
23:27Alors, ça, c'est l'un des trucs les plus extraordinaires du capitalisme.
23:31C'est qu'on parle tout le temps de choses qui ne sont plus.
23:34Alors, c'est extraordinaire, oui.
23:35Vous avez raison, sur la gastronomie, c'est pareil.
23:37Il n'y a que de la malbouffe partout.
23:39En revanche, il y a des émissions de cuisine toutes les semaines.
23:41Je vois 5 fois par semaine à la télé, j'imagine.
23:43– Tous les jours. – Tous les jours, d'accord.
23:45Et pareil pour le vêtement.
23:47Il y a des conseils.
23:48Moi, j'habite dans le Marais, donc je vois des fashion weeks.
23:51– C'est prendre la culture par le petit bout de la lorgnette, quoi.
23:53C'est la bouffe, les fringues, enfin…
23:55– Mais en même temps, les gens ne le vivent pas.
23:58Ils se contentent d'en être les spectateurs.
24:00C'est une société de spectacle.
24:01Ils regardent, mais c'est pour les autres.
24:03– Mireille rêve de cette vie.
24:05Surtout ne plus courir, vivre de silence et de paix.
24:08Est-ce qu'au final, cette promesse de Tanazi
24:11ne lui aura pas permis de frôler la vie ?
24:14– Ah si, là, je crois qu'elle a…
24:16– En fait, il faut mettre un flingue sur la tête des gens
24:19pour qu'ils se rendent compte qu'ils sont vivants.
24:20– C'est ça.
24:20Mais en fait, c'est vrai.
24:22Et toujours.
24:23C'est parce qu'on était certains que la vie était tragique
24:26qu'on vivait mieux autrefois.
24:28Parce que justement, cette tension entre le tragique de la vie,
24:31sa brièveté et cet instinct en nous,
24:34cette espèce d'équation à trois parties qui faisait le vivant.
24:39Si vous enlevez le tragique de la vie, tout est bancal.
24:42Vous avez absolument raison.
24:46Mireille est beaucoup plus heureuse d'une certaine manière,
24:49là, aux portes de la mort, qu'elle ne l'a été autrefois.
24:53Par ses rencontres, puis par les jubilations, finalement,
24:57d'être vraiment une rebelle.
24:59Alors que les autres font semblant d'être des rebelles,
25:01mais elle l'est vraiment.
25:03– Un manuel de résistance aux injonctions
25:07qu'on entend tous les jours sur les médias mainstream.
25:11Avec ce roman Sarah Vajda, les jeux sont faits.
25:15Merci à vous de nous avoir suivis et merci à vous, madame.

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