A quoi bon ?… A quoi bon se lever, se laver, s’habiller ? A quoi bon travailler, aimer ?…
“Oblomov”, roman d’Ivan Gontcharov paru en 1859, est un monument de la littérature russe. Et dans l’histoire littéraire, le personnage d’Oblomov est même devenu une figure mythique, au même titre que Don Juan, Faust ou Don Quichotte.
Oblomov est un jeune aristocrate qui vit reclus dans un petit appartement de Saint-Pétersbourg, à la fois criblé de dettes et menacé d’expulsion, et n’ayant pour toute société que son fidèle et vieux domestique Zakhar.
Sa particularité est de ne pouvoir sortir de son lit, si tant est qu’il essaie. Personnage mélancolique, accroché à l’enfance, adepte de la procrastination, du rêve ou tout simplement du sommeil, Oblomov tient finalement tête à une société industrieuse tout autant qu’à une aristocratie oisive qu’il juge l’une et l’autre dérisoires. Même l’amour lui paraît une entreprise vaine et fatigante.
Mais l’inertie du héros est moins un renoncement, une « paresse » que le refus assumé d’un monde lui paraissant dénué de sens, incapable de répondre à cette angoissante question : « À quoi bon ? »
En s’attachant aux seuls personnages d’Oblomov et de Zakhar, l’adaptation qui est ici proposée condense la puissance du roman et, par le duo plein de rage et de drôlerie que ceux-ci constituent, fait éclater la profonde sagesse d’un jeune homme qui, pour demeurer fidèle à lui-même, a le courage de faire face à la société tout entière et à ses idéaux – posture qui résonne singulièrement avec les doutes et les appréhensions de notre jeunesse d’aujourd’hui.
“Oblomov”, roman d’Ivan Gontcharov paru en 1859, est un monument de la littérature russe. Et dans l’histoire littéraire, le personnage d’Oblomov est même devenu une figure mythique, au même titre que Don Juan, Faust ou Don Quichotte.
Oblomov est un jeune aristocrate qui vit reclus dans un petit appartement de Saint-Pétersbourg, à la fois criblé de dettes et menacé d’expulsion, et n’ayant pour toute société que son fidèle et vieux domestique Zakhar.
Sa particularité est de ne pouvoir sortir de son lit, si tant est qu’il essaie. Personnage mélancolique, accroché à l’enfance, adepte de la procrastination, du rêve ou tout simplement du sommeil, Oblomov tient finalement tête à une société industrieuse tout autant qu’à une aristocratie oisive qu’il juge l’une et l’autre dérisoires. Même l’amour lui paraît une entreprise vaine et fatigante.
Mais l’inertie du héros est moins un renoncement, une « paresse » que le refus assumé d’un monde lui paraissant dénué de sens, incapable de répondre à cette angoissante question : « À quoi bon ? »
En s’attachant aux seuls personnages d’Oblomov et de Zakhar, l’adaptation qui est ici proposée condense la puissance du roman et, par le duo plein de rage et de drôlerie que ceux-ci constituent, fait éclater la profonde sagesse d’un jeune homme qui, pour demeurer fidèle à lui-même, a le courage de faire face à la société tout entière et à ses idéaux – posture qui résonne singulièrement avec les doutes et les appréhensions de notre jeunesse d’aujourd’hui.
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TVTranscription
00:00:00Apparition de Jésus sur l'île de Medjugorje ...
00:00:30Jésus sur l'île de Medjugorje ...
00:00:34Zakar !
00:00:45Zakar !
00:00:46Oui, oui, oui, Zakar, Zakar.
00:01:00Apparition de Jésus sur l'île de Medjugorje ...
00:01:29Monsieur ?
00:01:30Qu'est-ce que tu veux ?
00:01:32Vous m'avez appelé.
00:01:33Moi ?
00:01:34Qui d'autre ?
00:01:35Je dormais.
00:01:36Vous m'avez pourtant appelé.
00:01:38Mais non, je me réveille à l'instant.
00:01:41À moins que vous ne m'ayez appelé dans votre sommeil.
00:01:44Qu'est-ce que tu racontes ?
00:01:46Ou bien vous étiez réveillé, vous m'avez appelé, et le temps que je vienne, vous vous êtes endormi.
00:01:53Oui, si tu venais plus rapidement quand je t'appelle, c'est ta faute.
00:01:57Oui, mais maintenant je suis là.
00:01:59Oui, mais je ne sais plus pourquoi je t'ai appelé.
00:02:04Allons, retourne chez toi.
00:02:06Quand cela me reviendra, je t'appellerai.
00:02:17Zakar !
00:02:20Zakar !
00:02:21Oui, oui, oui.
00:02:23Où vas-tu ?
00:02:24Mais je suis là.
00:02:27Mais non, tu n'es pas là.
00:02:32Cela fait une heure que je t'ai appelé.
00:02:35Avec tous les soucis que j'ai, vraiment, j'ai autre chose à faire que de te courir après.
00:02:43Il faut que je retrouve cette maudite lettre du Star-host.
00:02:46Où est-ce que tu l'as mise ?
00:02:49Quelle lettre, monsieur ?
00:02:51La lettre que le facteur t'a donnée et que tu m'as donnée ensuite.
00:02:55Hier ou avant-hier, je ne sais plus.
00:02:58Retrouve-la.
00:03:00Je n'ai aucun souvenir d'une telle lettre.
00:03:05C'est la meilleure. Je l'ai inventée, peut-être.
00:03:08Je l'avais encore entre les mains hier soir ou ce matin.
00:03:11Qu'est-ce que tu en as fait ?
00:03:13Si vous l'aviez entre les mains précisément, c'est que je ne l'ai pas et que vous l'avez rangée quelque part.
00:03:21Oh ! Quel culot !
00:03:23Mais si je ne la trouve pas, c'est donc toi qui l'as rangée ?
00:03:28Allons, regarde partout.
00:03:35Cherche-la, bon sang !
00:03:37Ce n'est tout de même pas à moi de me lever pour aller la chercher.
00:03:52Voilà ce que j'ai trouvé.
00:03:58Ce n'est absolument pas ma lettre.
00:04:01Attendez, mais comment est-elle, cette lettre ?
00:04:07Eh bien, comme toutes les lettres.
00:04:11Sauf que celle-ci, c'est la meilleure.
00:04:15Eh bien, comme toutes les lettres.
00:04:19Sauf que celle-ci, il faut que je la retrouve.
00:04:23Est-ce qu'elle n'a pas glissé derrière le lit ?
00:04:26Ah ! Écoute, ne me dérange pas ici. Va t'en.
00:04:31Je la chercherai moi-même, puisque c'est comme ça, quand je serai levé.
00:04:36Cherchez-la donc. Dans votre lit, il n'y a que là que vous avez pu la ranger.
00:04:42Oui, je le regarderai.
00:04:44Bien.
00:04:49Ça t'arrangerait bien qu'elle y soit.
00:04:51Tu perds tout, et tu trouves encore le moyen de m'accuser.
00:04:58Je me demande bien à quoi tu m'es utile, et pourquoi je te garde.
00:05:06Voyons quel état est cette chambre.
00:05:08Jamais tu fais le ménage.
00:05:10Jamais ?
00:05:11Comment voulez-vous que je le fasse ? Vous êtes toujours ici du matin au soir.
00:05:16Comment ? C'est faux. Je sors bien de temps à autre, à dîner ou au théâtre.
00:05:22Il faudrait que je fasse le ménage la nuit.
00:05:25À chaque fois que je veux passer un coup de balai, vous me dites d'aller où.
00:05:28Ce n'est pas le moment. On verra ça demain. Si bien que quoi ?
00:05:31Que je ne peux rien faire, voilà.
00:05:33Ça t'arrange bien, les paresseux que tu es.
00:05:38Il faudrait au moins passer le chiffon partout.
00:05:41Regardez la couche de poussière qu'il y a sur les meubles par terre.
00:05:45Sur le miroir, là, on ne s'y voit même plus.
00:05:49À qui le dis-tu ?
00:05:51Sans compter que toute cette saleté attire les mythes. Je te l'ai déjà dit.
00:05:56Et même, monsieur, les punaises.
00:06:02J'en ai vu une courir l'autre matin au pied du lit.
00:06:07Elle était énorme.
00:06:11Mais c'est affreux.
00:06:12Affreux.
00:06:14Enfin, est-ce que c'est ma faute s'il y a des punaises dans le monde ?
00:06:21Ah, bien sûr. Avec un tel raisonnement.
00:06:26Il ne s'agit pourtant pas de les exterminer toutes, mais de les empêcher de vivre ici.
00:06:34En tout cas, tu me feras le plaisir de passer au moins le balai.
00:06:38Cet après-midi.
00:06:39Pourquoi cet après-midi ?
00:06:41Je peux très bien le faire ce matin, dès que monsieur sera lavé et habillé.
00:06:46Non, non. Cet après-midi, ce sera parfait.
00:06:51J'ai des choses à régler ce matin.
00:06:57Et à propos, tu nettoieras les vitres aussi.
00:06:59Regarde un peu comme elles sont.
00:07:01On ne voit plus au travers.
00:07:06En cette saison, tu te rends compte ?
00:07:08On ne sait même plus s'il fait jour ou s'il fait nuit.
00:07:11C'est à en perdre le sommeil.
00:07:16Pourtant, cela pourrait être une jolie chambre ici.
00:07:22Agréable à vivre.
00:07:25Et voilà, tout y est sale, tout est gris.
00:07:31Vraiment ?
00:07:35Être propriétaire de trois sans-âmes et vivre dans une crasse et une misère pareilles.
00:07:41Quelle honte.
00:07:44Et tout ça parce que j'ai un domestique qui ne veut pas se fatiguer.
00:07:51J'ai tort de ne pas être assez sévère avec toi.
00:07:55Je le sais que j'ai tort.
00:07:59N'est-ce pas ?
00:08:01Monsieur est comme il est, je n'ai rien à voir là-dedans.
00:08:05Bien sûr, tu n'y es pour rien.
00:08:08Mais tu en profites.
00:08:10Tu profites que je ne sois pas plus sévère.
00:08:14On ne se prive jamais de profiter de la gentillesse des autres.
00:08:20Au moins, quelle heure est-il avec tout ça ?
00:08:22Je n'en ai pas la moindre idée, monsieur, il faudrait faire réparer l'horloge.
00:08:26Et pourquoi n'est-ce pas fait ?
00:08:28Je vous ai dit le prix l'autre jour.
00:08:31Vous m'avez répondu qu'on verrait la chose plus tard.
00:08:35Oui.
00:08:37Après tout, on s'en passe très bien.
00:08:42Les gens qui sont toujours à se préoccuper de l'heure sont ennuyeux.
00:08:47Ou plutôt risibles.
00:08:50C'est une façon pour eux de se donner de l'importance.
00:08:53Ils ont des rendez-vous, ils voient du monde.
00:08:57On les attend.
00:09:00Mon Dieu, on les attend et ils n'aiment pas faire attendre.
00:09:06Quand on n'attend personne et qu'on est gare attendue,
00:09:10voilà déjà bien un souci de monde.
00:09:13N'est-ce pas ?
00:09:15Cela est une façon de voir les choses, monsieur.
00:09:19Et c'est la mienne.
00:09:21Et elle me convient.
00:09:23J'ai déjà bien assez de soucis comme ça.
00:09:29Il faut pour commencer que je retrouve cette lettre du Starost.
00:09:34Et que je lui réponde.
00:09:37Tiens, apporte-moi du papier et de l'encre.
00:09:40Comme ça, j'aurai tout sous la main une fois que j'aurai rassemblé mes idées.
00:09:50Il faudrait peut-être que je me lève.
00:09:54Et que je me lave aussi.
00:09:56Zakar ? Monsieur ?
00:09:58J'aimerais faire ma toilette. Est-ce que tout est prêt ?
00:10:01Depuis longtemps, monsieur.
00:10:03Comment ? Mais si tu me l'avais dit plus tôt,
00:10:07je me serais levé depuis longtemps.
00:10:10Bon.
00:10:12A cause de toi,
00:10:15je vais me lever plus tard.
00:10:18Et m'occuper d'abord de cette lettre.
00:10:26Qu'est-ce que c'est que ça ?
00:10:27Puisque vous en êtes à régler vos affaires,
00:10:30je vous soumets aussi les factures qui sont à payer.
00:10:35Quelle facture ?
00:10:36Celle du boucher, du boulanger, de la blanchisseuse...
00:10:41Qu'est-ce qu'ils ont tous à vouloir être payés le même jour ?
00:10:44Non, pas le même jour. Ce sont des dettes anciennes.
00:10:47Seulement, ils ne veulent plus faire crédit.
00:10:51Il faut payer.
00:10:53Pourquoi me les donnes-tu toutes ensemble ?
00:10:56Tu ne pourrais pas me les donner une à une ?
00:10:58Cela ferait moins à payer.
00:10:59C'est ce que je fais, mais vous me dites chaque fois que ça peut attendre.
00:11:03Tu sais qu'il y a l'urgence.
00:11:04Ça peut attendre demain.
00:11:06Non, monsieur, non, non.
00:11:08Pas demain, cette fois. Ils insistent.
00:11:10Ils veulent être payés.
00:11:14Payés.
00:11:16Ou bien...
00:11:20nous ne pourrons plus rien leur acheter.
00:11:23Mais c'est un comble.
00:11:25A cause de toi, nous ne pourrons plus ni nous nourrir, ni nous habiller.
00:11:31Tu veux nous enfermer ici et nous tuer à petit feu.
00:11:37Bon. Laisse cela.
00:11:41Je me m'occuperai plus tard, quand je serai levé.
00:11:47Que de soucis. Vraiment.
00:11:51Cela m'épuise.
00:11:54Monsieur...
00:12:09Est-ce que vous dormez ?
00:12:11Oui.
00:12:12Très bien.
00:12:14J'ai oublié de vous dire que tout à l'heure, lorsque vous dormiez encore,
00:12:18le gérant a demandé aux concierges de nous dire
00:12:21qu'il faut absolument déménager.
00:12:24Ils ont besoin de l'appartement.
00:12:27Eh bien, nous déménagerons.
00:12:29Oui.
00:12:30C'est que...
00:12:32ça n'est pas la première fois qu'ils nous le demandent.
00:12:35Mais je le sais bien, cela fait trois jours que tu m'embêtes avec cette histoire.
00:12:38C'est qui m'embête aussi.
00:12:39Eh bien, tu leur dis que nous déménagerons.
00:12:41Oui.
00:12:42C'est ça.
00:12:44Ils veulent...
00:12:46Ils veulent que nous le fassions. Vraiment.
00:12:48Mais j'y pense.
00:12:50J'y pense.
00:12:51Ils ont dit que nous avions promis de partir avant la fin du mois
00:12:54et que nous sommes toujours là. Alors ?
00:12:57Alors...
00:13:00Ils veulent t'appeler la police.
00:13:03La police ?
00:13:05Rien que ça ?
00:13:07Mais pour qui se prennent-ils ?
00:13:09Je ne sais pas.
00:13:11Rien que ça ?
00:13:13Mais pour qui se prennent-ils ?
00:13:15On ne peut pas imposer aux gens de déménager comme ça du jour au lendemain.
00:13:19Il y a des lois.
00:13:21Et la police les connaît, les lois.
00:13:23Et moi aussi.
00:13:24Écoutez, je ne sais pas pour les lois,
00:13:26mais je sais qu'il y a un papier du gérant qui traîne quelque part
00:13:31et qui date de deux ou trois mois.
00:13:35Et qu'est-ce qu'il disait, ce papier ?
00:13:37Que nous devions quitter les lieux avant la fin du mois.
00:13:40Vous avez vu ce papier ?
00:13:41Si, monsieur, si. Je me rappelle très bien.
00:13:43Vous avez même dit qu'on verrait la chose plus tard.
00:13:46Oui.
00:13:48Nous déménagerons quand il fera un peu plus chaud.
00:13:51Disons, dans trois semaines.
00:13:54Dans trois semaines ?
00:13:56Mais enfin, le gérant a dit que les ouvriers arrivaient la semaine prochaine pour tout démolir.
00:14:02Il a dit que nous devons partir demain.
00:14:05Ou après-demain.
00:14:07Demain ?
00:14:09Mais pourquoi pas aujourd'hui tant qu'on y est ?
00:14:11Ou même carrément ce matin.
00:14:12Mais monsieur, vous ne savez pas que...
00:14:14Arrête !
00:14:15Arrête de me parler de ce foutu appartement.
00:14:18Je t'ai déjà dit de cesser de me tourmenter avec ça.
00:14:21J'ai déjà assez de soucis par ailleurs.
00:14:25Très bien.
00:14:30Qu'est-ce que je fais alors ?
00:14:34Qu'est-ce que je leur dis ?
00:14:37Est-ce que c'est toujours à moi de te dire ce qu'il faut faire ?
00:14:42Prends tes responsabilités et réponds-leur ce qu'il faut.
00:14:45Chacun ses ennuis, après tout.
00:14:47Monsieur, si l'appartement était à moi,
00:14:52je saurais très bien quoi dire et quoi faire.
00:14:57Eh bien, que ferais-tu ?
00:15:04Je déménagerais.
00:15:05Ah ! Naturellement.
00:15:13Il doit bien y avoir un moyen de s'arranger.
00:15:16Tu peux leur expliquer que nous sommes de vieux locataires
00:15:19et que nous avons toujours réglé notre loyer très ponctuellement.
00:15:22Mais je leur ai déjà dit, monsieur...
00:15:25Et qu'est-ce qu'ils ont dit ?
00:15:26Mais que là n'était pas la question qu'il fallait déménager, un point, c'est tout.
00:15:30Ils veulent faire de notre appartement et de celui du docteur
00:15:35un seul grand appartement pour le fils du propriétaire qui se marie.
00:15:40Ah ! Bien sûr.
00:15:43Tous ces ânes qui se marient.
00:15:45Mais vous pourriez peut-être lui écrire un mot, propriétaire,
00:15:51en lui expliquant la situation.
00:15:53Il pourrait vous laisser un moment tranquille
00:15:57en commençant les travaux par l'autre appartement.
00:16:02C'est en effet une idée.
00:16:05Je vais réfléchir.
00:16:08Et puis, quand je serai levé,
00:16:13oui, j'écrirai cette lettre.
00:16:17Il faut vraiment que je m'occupe de tout.
00:16:21Monsieur ?
00:16:22Quoi encore ?
00:16:23Un monsieur vous demande.
00:16:24Comment ça ?
00:16:25C'est votre ami que vous appelez Volkoff.
00:16:28À cette heure-ci ?
00:16:30Et que veut-il ?
00:16:34Il ne m'a pas précisé.
00:16:37Cette manie de toujours me déranger.
00:16:41Et si tôt en plus.
00:16:44Il avait l'air comment, dis-moi ?
00:16:46Plutôt gay ?
00:16:48Préoccupé ?
00:16:52Je saurais dire, monsieur...
00:16:54Alors, tu vois bien quand il te parle,
00:16:57si un homme est de bonne ou de mauvaise humeur.
00:17:00Il m'a simplement demandé s'il pouvait vous voir.
00:17:03Eh bien, ça suffit.
00:17:06Comment était-il ?
00:17:08Ah !
00:17:10Eh bien, dans ce cas, je dirais qu'il était plutôt...
00:17:14Il était plutôt...
00:17:17Il avait la voix au fond.
00:17:20Il était plutôt gay, monsieur.
00:17:23Plutôt gay.
00:17:26Il est vrai que c'est toujours la même rengaine avec lui.
00:17:30À croire qu'il vient là tout exprès pour me la mettre sous le nez, sa gaieté.
00:17:36Il y a des gens comme ça.
00:17:38Qui ont toujours besoin de démontrer aux autres qu'ils ont une vie pleine.
00:17:41Et qu'ils sont heureux.
00:17:43Comme si d'ailleurs ils en doutaient.
00:17:46Sais-tu que j'ai encore eu de l'avancement au bureau ?
00:17:49En même pas un an, tu te rends compte ?
00:17:51Jamais, hein ?
00:17:53Et puis, sais-tu que je suis désormais ami avec le prince Youmenyev ?
00:17:57Oh, il m'aime, celui-là.
00:17:59Il m'adore.
00:18:00Nous causons art et politique.
00:18:02Et il me flatte.
00:18:03Et il ne veut plus se passer de moi.
00:18:04Et il me fait rencontrer tous ses amis.
00:18:05L'Egor Younov, le Savinov, le Vyaznikov.
00:18:10Quelle folie, ça n'arrête pas.
00:18:12Pas un soir où je suis chez moi.
00:18:14Et c'est par eux que j'ai rencontré la belle Lydia.
00:18:18Oh, qu'elle est mignonne, celle-là.
00:18:21Tous les hommes lui courent après.
00:18:23Mais c'est pour moi qu'elle en pince.
00:18:25Je l'amuse.
00:18:27Je la distrais.
00:18:28Je lui joue de la musique.
00:18:30Mais je sais aussi jouer les âmes graves et ténébreuses.
00:18:33Je philosophe.
00:18:35Je manie les idées.
00:18:37Je l'impressionne.
00:18:40Et elle me regarde.
00:18:42Avec ses beaux yeux noirs.
00:18:45Et l'amour lui coule sur les lèvres.
00:18:48Mon vieux, tu verrais ça.
00:18:52Viens donc samedi chez les Ekaterinov.
00:18:54Ils seront tous là.
00:18:55Et tu verras que tout ce que je te dis est vrai.
00:18:57Et je te présenterai à tout le monde.
00:18:59Même pour moi.
00:19:00Même pour toi.
00:19:01Ça peut être utile.
00:19:03Allons.
00:19:04Il faut que tu sortes un peu.
00:19:05La vie les appelle.
00:19:06Et elle n'attend pas.
00:19:08Mais monsieur.
00:19:10Monsieur, ça va ?
00:19:12Ça va.
00:19:13Mais pourquoi je raconte tout ça ?
00:19:16Puisqu'il va entrer ici d'une minute à l'autre et me refaire toute sa démonstration.
00:19:21Que je suis bête.
00:19:24C'est le double de fatigue.
00:19:33Eh bien, fais-le entrer.
00:19:36Je dirais que je suis malade.
00:19:38Pour qu'il se presse un peu et me laisse tranquille.
00:19:43Zaka ?
00:19:44Il est parti, monsieur.
00:19:46Comment ça, il est parti ?
00:19:47Il a dû s'impatienter.
00:19:48Il est parti.
00:19:50Eh bien, ce n'est pas plus mal.
00:19:52C'est toujours une visite en moins.
00:19:54Et des palabres inutiles épargnées à mes oreilles.
00:19:59Puis ça me laisse plus de temps
00:20:01pour me préparer et régler mes affaires.
00:20:07Il faut que je retrouve cette lettre.
00:20:10Il faut que je retrouve cette lettre du Starhost.
00:20:14Tu ne l'as toujours pas retrouvée, j'imagine.
00:20:18Bien sûr.
00:20:20Tu ne l'as pas cherchée.
00:20:26Tiens !
00:20:27C'est moi qui l'ai trouvée.
00:20:39Peux-tu me la donner ?
00:21:10Quelle peine vais-je avoir encore à la lire.
00:21:14Pourtant, j'y suis bien obligé, puisque je dois répondre.
00:21:17Non.
00:21:18Non, je ne pourrai le pas.
00:21:22Tiens !
00:21:23Lis-la, plutôt.
00:21:25Ce sera peut-être moins dur à entendre.
00:21:29Très...
00:21:31Très allumé, ce mormon...
00:21:33Excusez-moi.
00:21:34Très...
00:21:37Pardonnez-moi.
00:21:42Ah, voilà.
00:21:43Très estimé, monsieur.
00:21:45Votre grâce.
00:21:47Votre...
00:21:48Votre...
00:21:49Votre...
00:21:50Votre...
00:21:51Votre...
00:21:52Votre...
00:21:53Votre...
00:21:54Votre...
00:21:55Votre...
00:21:56Votre...
00:21:57Votre grâce.
00:21:58Notre père nourrissier, Ilia Illich...
00:22:01Non, mais passe !
00:22:02Passe.
00:22:03Va aux faits.
00:22:04Je vais aux faits.
00:22:05Alors, j'ai l'honneur d'annoncer à votre grâce seigneuriale
00:22:08que tout va bien dans votre fief.
00:22:11Depuis cinq semaines, il n'est pas tombé une seule goutte d'eau...
00:22:14Ah, mon Dieu !
00:22:15C'est ça !
00:22:16Ah, non, ça ne va pas bien !
00:22:18Pas bien du tout !
00:22:19Continue !
00:22:20Je continue.
00:22:21Il faut croire que nous avons mis le seigneur Dieu en colère
00:22:26pour qu'il nous prive ainsi de pluie.
00:22:28Les vieux eux-mêmes ne se souviennent pas d'une sécheresse pareille.
00:22:32Tous les blés ont brûlé et le semis d'automne est rongé par les vers
00:22:36et je ne sais pas ce qu'il sortira de tout ça.
00:22:39Tu te rends compte ?
00:22:40Tout a brûlé !
00:22:42Tout qu'il dit !
00:22:44Ah, mais moi non plus, je ne sais pas ce qu'il sortira de tout ça !
00:22:47Moi non plus !
00:22:49Mais revenu...
00:22:50Mais revenu...
00:22:51Continue !
00:22:52Euh...
00:22:53À la...
00:22:54À la...
00:22:55À la Saint-Jean, trois mougiques se sont encore évadées.
00:22:59J'ai envoyé leurs femmes les chercher.
00:23:02Elles ne sont pas revenues.
00:23:05Non, mais tu te rends compte ?
00:23:07Voilà qu'ils s'enfuient.
00:23:10Mais pour aller où ?
00:23:12Pour aller où ?
00:23:13Hein ?
00:23:14Réponds !
00:23:16Ah, mais je n'en sais rien, ce n'est pas écrit, monsieur.
00:23:19Mais je sais bien que ce n'est pas écrit !
00:23:21Mais enfin, où sont-ils passés ?
00:23:23Depuis qu'ils ont des mougiques, ils se croient libres d'aller et venir ainsi.
00:23:26Ils s'autorisent à quitter un domaine pour aller Dieu sait où.
00:23:29C'est quand même fort, hein ?
00:23:32Mais où va ce pays ?
00:23:34Continue !
00:23:36Euh...
00:23:37Alors...
00:23:38La...
00:23:39Ah, vous allez rire !
00:23:42La vieille Babouchka,
00:23:45elle s'est cassée la jambe en sautant par-dessus...
00:23:48Pas le...
00:23:50Je passe.
00:23:51Alors, dans les temps...
00:23:53Les temps...
00:23:55Le lac...
00:23:56Les poissons, à cause de la sécheresse, ils sont tous...
00:23:59Oh...
00:24:01Je passe aussi.
00:24:04Ah, voilà.
00:24:05Il y a du retard dans les arriérés,
00:24:07mais nous vous enverrons vos revenus,
00:24:09soyez sans crainte.
00:24:11Seulement, il y aura 2000 roubles de moins que l'an passé...
00:24:15Ah !
00:24:16Nous y sommes !
00:24:17Tu entends ?
00:24:18Quoi ?
00:24:19Tu entends ?
00:24:20Il y a 2000 roubles...
00:24:21Ah, tais-toi !
00:24:25Continue.
00:24:26Puisse la sécheresse ne pas nous ruiner complètement,
00:24:29et puissons nous vous envoyer vos revenus comme toujours,
00:24:32votre staros...
00:24:33Tais-toi !
00:24:39Combien je reçus l'an dernier ?
00:24:41Tu t'en souviens ?
00:24:42Ah, monsieur n'a pas l'habitude de me mêler à ces affaires.
00:24:46Mais tu sais bien que je ne mets pas la mémoire des chiffres.
00:24:50Combien ?
00:24:517 ?
00:24:538000 roubles ?
00:24:54Oui, c'est ça, à peu près, environ...
00:24:57Moins 2000 roubles...
00:24:59Ça fait...
00:25:00Ça fait 6000 roubles.
00:25:016000, voilà, c'est ça, environ...
00:25:04Je vais mourir de faim.
00:25:07Comment vit-on avec 6000 roubles ?
00:25:11En ne dépensant pas davantage.
00:25:14Mais ce n'est pas une vie !
00:25:17Ah, quel malheur !
00:25:19Quel malheur !
00:25:20Eh oui, c'est bien, quel...
00:25:23Quel...
00:25:26Monsieur n'a...
00:25:30Monsieur n'a plus besoin de moi, je...
00:25:45Voilà !
00:25:51Ce Starost est une canaille !
00:25:54Il ment !
00:25:55Il ment sur tout !
00:25:57Sur la sécheresse, sur les arriérés,
00:26:00sur les paysans en fuite, sur les 2000 roubles...
00:26:03Il ment !
00:26:04Il ment depuis des années !
00:26:06Il me vole !
00:26:08C'est un brigand !
00:26:09C'est l'homme le plus malhonnête qu'il soit,
00:26:11et qui vole son maître !
00:26:14Alors je vais le renvoyer sur le champ.
00:26:16Je vais lui écrire que je le renvoie,
00:26:18et que ma décision est prise, et sans appel,
00:26:21et que je n'aurai aucune indulgence,
00:26:23et qu'il s'estime, heureux,
00:26:24que je ne lui réclame pas les 2000 roubles qu'il me doit.
00:26:27Allez !
00:26:29Hors de ma vue !
00:26:34Il faudrait que j'aille là-bas,
00:26:37que je vois de mes propres yeux ce qui s'y passe,
00:26:41et que je prenne en conséquence les décisions qui s'imposent.
00:26:48Cela fait tant d'années que je n'y ai pas mis les pieds.
00:26:51Pourtant, c'est chez moi.
00:26:53Et tout là-bas, hommes et biens, est à moi.
00:26:57Mais c'est un si long voyage.
00:27:00Il faudrait l'entreprendre en été,
00:27:03et arriver pour la moisson.
00:27:06Tu te souviens, mon bon Zakar ?
00:27:09Le temps des moissons.
00:27:12Sais-tu que j'ai en tête tout un plan de réorganisation du domaine ?
00:27:19Zakar ?
00:27:20Oui ?
00:27:21Sais-tu que j'ai en tête tout un plan de réorganisation du domaine ?
00:27:27Non.
00:27:28Eh bien, j'en ai un.
00:27:29C'est bien.
00:27:30En effet.
00:27:31J'y réfléchis depuis longtemps.
00:27:33C'est...
00:27:34C'est un plan ambitieux.
00:27:36Pourquoi ?
00:27:37J'ai commencé à prendre...
00:27:39Quelques notes.
00:27:40J'ai besoin de temps encore,
00:27:42pour l'élaborer complètement,
00:27:44dans ses moindres détails,
00:27:46sans parler de le mettre à exécution.
00:27:48Veux-tu que je t'en donne les principes ?
00:27:52Oui, oui, oui.
00:27:54Il s'agit de réviser,
00:27:57dans tous ses aspects,
00:27:59dans l'aménagement que l'exploitation lui domaine.
00:28:04Je ne sais pas si tu saisis l'ampleur de la tâche.
00:28:07Non.
00:28:08Enfin, oui.
00:28:11Oui ou non ?
00:28:12Oui, mais non.
00:28:14Enfin, non.
00:28:15Je dis non.
00:28:17Je dis non pour que monsieur me l'explique.
00:28:21Je veux tout revoir,
00:28:23et tout réorganiser.
00:28:25Tant l'agencement et l'affectation des terres,
00:28:28que le déroulement, la répartition,
00:28:31et le mode d'exécution des tâches.
00:28:33Bien.
00:28:34Mais aussi le contrôle des dépenses,
00:28:36du chiffre d'affaires,
00:28:37de rendement,
00:28:38et de la dîme.
00:28:40Et enfin,
00:28:42l'inventaire des sanctions,
00:28:45contre la paresse et le vagabondage.
00:28:48Nous nous voyons bien que j'en fais les frais.
00:28:50Tout cela me semble extrêmement prometteur.
00:28:54Parfaitement.
00:28:55Et crois-moi,
00:28:57c'est le fruit d'une longue réflexion,
00:28:59qui, pour ne pas être encore aboutie,
00:29:01n'en constitue pas moins les fondements solides
00:29:04d'une méthode nouvelle, résolument moderne,
00:29:07d'administration d'un domaine.
00:29:09Ah, il me tarde de voir cela.
00:29:12Ça, le Blomovka est un beau domaine
00:29:14qui mérite assurément
00:29:16qu'on en prenne soin,
00:29:18comme d'un maître,
00:29:20ou d'un enfant.
00:29:22Je vais te dire ce que j'ai en tête.
00:29:25Oui.
00:29:26J'ai l'intention
00:29:28de raser notre vieille mazur
00:29:30pour la remplacer
00:29:32par une maison plus grande,
00:29:34et plus digne,
00:29:35et plus belle.
00:29:36Ça va de soi.
00:29:38Avec toute la réorganisation que j'envisage,
00:29:41et l'augmentation escomptée de mes revenus,
00:29:44je vois grand.
00:29:46J'ai déjà en tête
00:29:48la disposition des pièces,
00:29:50leurs dimensions,
00:29:52et tout le mobilier qui viendrait y prendre place,
00:29:54y compris les tapis.
00:29:56C'est important, les tapis.
00:30:01Et je peux déjà te dire
00:30:04qu'il y aura
00:30:06une salle de billard.
00:30:11Attendez, attendez, attendez.
00:30:14Il y aura
00:30:15une salle
00:30:17de billard.
00:30:23Ah, j'y tiens.
00:30:25Une salle de billard.
00:30:28Et je vois déjà
00:30:30quelle partie fameuse
00:30:32on fera là-bas.
00:30:39Il y aura aussi,
00:30:41naturellement,
00:30:43mon cabinet de travail.
00:30:46Pour quoi faire ?
00:30:51Où je disposerai
00:30:54d'un grand bureau,
00:30:56de deux fauteuils,
00:30:58et dans un coin,
00:31:01près de la fenêtre,
00:31:03d'un très gros globe ancien,
00:31:05cerclé d'un méridien en laiton
00:31:07et posé sur des pieds ennoyés.
00:31:09J'en ai vu un tantôt chez un antiquaire.
00:31:12Ah, je rêve de le faire tourner,
00:31:15et de parcourir ainsi le monde
00:31:17d'un seul geste de la main.
00:31:19Yah !
00:31:24Et, devant le mur du fond,
00:31:28couvert par des livres,
00:31:30trônera un grand canapé
00:31:33en acajou,
00:31:35auquel je confierai mes siestes
00:31:38et mes méditations.
00:31:42Il faudrait aussi
00:31:44réaménager le jardin.
00:31:46J'ai déjà quelques idées.
00:31:48Que penserais-tu
00:31:50si nous laissions certes
00:31:51les vieux tillels et le grand chêne,
00:31:53mais si nous faisions couper les acacias
00:31:56pour y planter à la place des pommiers ?
00:31:58Mais, mais, mais,
00:32:00mais c'est une excellente idée.
00:32:02Cela nous fera des, des, des,
00:32:04des fruits en automne,
00:32:06et puis, et puis aussi,
00:32:07hé, hé, hé, hé, hé, hé,
00:32:09de délicieuses compotes.
00:32:12Parfaitement.
00:32:13Et que diriez-vous,
00:32:14allez, soyons un peu fous,
00:32:16si nous installions
00:32:18un, voire deux,
00:32:20deux poiriers.
00:32:22C'est très juste.
00:32:23Oui.
00:32:24Cela fait d'aussi jolis fruits.
00:32:25Oui.
00:32:26Et si juteux.
00:32:27Oui.
00:32:28Et puis ça fait aussi de,
00:32:29de très bonnes compotes.
00:32:37Le soir,
00:32:40je suis assis dans une chaise longue
00:32:44au pied de mon grand chêne
00:32:47et je fume une longue pipe
00:32:49en buvant du thé.
00:32:52Une brise tiède me berce
00:32:55et remue mollement
00:32:56les volutes de fumée
00:32:57échappées de ma bouche
00:32:59et de ma pipe.
00:33:02L'ombre paisible du feuillage
00:33:07s'est emplie de fraîcheur.
00:33:11La lumière se fait douce
00:33:13et le soleil, au loin,
00:33:17qui roule sur un tapis
00:33:19de trembles et de bouleaux,
00:33:27couvre le paysage
00:33:30d'une brume dorée.
00:33:34Les paysans
00:33:38abandonnent les champs et les prés,
00:33:42poussés par le crépuscule
00:33:43qui monte de la rivière
00:33:46et lentement effacent les chemins.
00:33:50On entend des voix d'enfants,
00:33:53des cris,
00:33:56des chants,
00:33:59des cris,
00:34:01des cris,
00:34:03des rires.
00:34:06Tandis que la journée s'achève,
00:34:08ils livrent leurs dernières forces
00:34:09dans des jeux de poursuites
00:34:10ou de cache-cache.
00:34:13Est-ce que tu les entends ?
00:34:19Je les entends,
00:34:21je les sens.
00:34:24Je vais
00:34:27aller mettre le couvert.
00:34:31Et allumer quelques lumières
00:34:32pour le souper.
00:34:35Oui,
00:34:38car je vois descendre vers nous
00:34:39la reine des lieux,
00:34:41ma reine,
00:34:43qui me dit de rentrer,
00:34:45que je vais attraper froid,
00:34:47tout de suite, ma chérie.
00:34:49Elle est là,
00:34:52elle me tend ses bras,
00:34:54me tire de ma chaise non,
00:34:56et aussitôt je l'embrasse
00:34:58et je la soulève au-dessus de moi.
00:35:01Et je ne vois plus devant le ciel
00:35:03que sa bouche et ses yeux pleins de gaieté.
00:35:12Pardonnez-moi,
00:35:16on a sonné.
00:35:20C'est un certain
00:35:24Soudbinski.
00:35:27Soudbinski ?
00:35:31Ah oui, Soudbinski.
00:35:33Mais que fait-il là ?
00:35:36À cette heure-ci, il devrait être au bureau.
00:35:38Il t'a dit ce qu'il voulait ?
00:35:40Je le lui ai demandé.
00:35:42Et bien ?
00:35:43Il m'a dit simplement qu'il passait vous voir en coup de vent.
00:35:46Maintenant ?
00:35:48Apparemment.
00:35:50Ce n'est vraiment pas le moment.
00:35:51Je ne suis même pas lavé.
00:35:53Qu'il attende un peu.
00:35:57Monsieur,
00:35:58Monsieur m'a précisé
00:36:01qu'il devrait être à midi au bureau.
00:36:04À midi ?
00:36:09C'est un horaire de chef de service, ça.
00:36:15Il aura donc réussi à passer chef de service.
00:36:20Et l'an prochain, il sera conseiller d'État.
00:36:23Belle carrière, dites-donc.
00:36:26Mais moi, je sais quel sacrifice il faut faire pour cela.
00:36:29On n'a plus de temps à soi.
00:36:31C'est tous les jours,
00:36:33au bureau ou chez soi,
00:36:35le matin et le soir,
00:36:37travail, travail,
00:36:39faire des rapports,
00:36:41des vérifications, établir des listes,
00:36:43archiver ceci ou cela,
00:36:45écrire des lettres,
00:36:47rédiger des commandements,
00:36:49préparer des réunions.
00:36:51Et tout cela pour quoi ?
00:36:54Pour servir l'État ?
00:36:57Mais n'est-ce pas lui plutôt qui se sert de nous,
00:37:00qui nous mange nos plus belles années,
00:37:02qui nous flétrit, nous vieillit,
00:37:05et qui finit par nous tuer pour de bon ?
00:37:12Ah, bon sang.
00:37:15Zaka,
00:37:17apporte-moi cette maudite pantoufle.
00:37:23Allez.
00:37:53Je ne sais pas où est l'autre.
00:38:11Qui l'avait mise là ?
00:38:16Tous les jours,
00:38:18je me félicite d'avoir échappé à cette vie-là.
00:38:22Une vie de mougique.
00:38:25Car ça ne s'arrête jamais.
00:38:27Un bureau est toujours plein d'activités.
00:38:29Et du matin au soir, c'est sans répit.
00:38:32Pas une heure pour souffler un peu,
00:38:34pour fumer ou boire un thé.
00:38:37Quel ennui.
00:38:39Et puis il faut toujours tout faire très vite,
00:38:42comme si rien ne pouvait attendre.
00:38:44À quoi bon être aussi pressé ?
00:38:46Alors on règle une affaire,
00:38:48et aussitôt qu'elle est réglée, on l'oublie,
00:38:50et on fait être sur une autre,
00:38:51comme si le salut de l'Empire en dépendait.
00:38:54Et pourquoi ?
00:38:56Pourquoi cela ?
00:38:58Pour oublier aussitôt cette affaire,
00:39:00et on en a mis aussitôt une troisième.
00:39:02Mais c'est sans fin.
00:39:05Et puis il faut être là tous les jours,
00:39:07à l'heure.
00:39:10A-t-on le droit d'échapper à cette discipline toute militaire ?
00:39:13Non.
00:39:14Bien sûr.
00:39:16A-t-on le droit de se sentir un peu fatigué ?
00:39:18Nullement.
00:39:20Et de prendre un jour ou deux de repos ?
00:39:22Jamais.
00:39:24Et puis, qu'on crève de chaud ou de froid,
00:39:26ou qu'il pleuve,
00:39:28au point que tout soit inondé et gorgé de boue ?
00:39:31Eh bien, il faut venir quand même.
00:39:34Car on vous attend, de pied ferme.
00:39:38En fait, il n'y a jamais d'excuse possible.
00:39:43Deux années comme ça,
00:39:45à obéir comme un bon soldat et à me tuer à la tâche.
00:39:48C'est long, deux années.
00:39:51Deux années qu'on a volées à ma vie.
00:39:57Il a bien fallu que je mette un terme à cette folie.
00:40:01Ou bien avec le temps, je serais devenu fou moi-même.
00:40:04Ou bien j'aurais sombré dans le plus grand désespoir.
00:40:08Heureusement que j'ai eu cette bonne idée.
00:40:12Ah, oui.
00:40:14Vous voulez parler du...
00:40:17du certificat ?
00:40:19Oui.
00:40:22Je me souviens que j'ai mis longtemps à le rédiger.
00:40:27Et que je te demandais de me le lire tout haut
00:40:29pour voir si cela sonnait bien.
00:40:31Parfaitement, monsieur. Parfaitement.
00:40:34Dis-moi un peu ce qui était écrit.
00:40:36Tu t'en souviens ?
00:40:38Euh...
00:40:41Parfaitement.
00:40:43Je, sous-signé,
00:40:46certifie que le secrétaire de collège,
00:40:50Ilya Oblomov...
00:40:52Oh là là.
00:40:54est atteint d'une hypertrophie du cœur
00:40:58avec dilatation du ventricule gauche
00:41:02ainsi que de douleurs chroniques que zofois
00:41:06entraînant d'une façon dangereuse
00:41:10dangereuse surtout pour sa santé
00:41:13voire même sa vie, la vie du malade
00:41:16lesquels accès étant dû selon toute probabilité
00:41:21à la fréquentation journalière du bureau.
00:41:28C'est tout à fait ça.
00:41:30En conséquence, afin de prévenir les éventuelles rechutes
00:41:34ou aggravation des disaccès...
00:41:37J'estime nécessaire pour monsieur Oblomov
00:41:41d'interrompre à titre provisoire son travail de bureau
00:41:45ainsi que d'une manière générale
00:41:48d'éviter tout effort intellectuel
00:41:53comme du reste d'éviter toute activité physique
00:41:59quelle qu'elle soit.
00:42:03Qu'en penses-tu ?
00:42:05C'était épatant.
00:42:07Un médecin n'aurait pas mieux écrit.
00:42:12Il a pourtant fallu que je finisse par donner ma démission.
00:42:16Après tout, j'aurais peut-être vraiment laissé ma santé.
00:42:20Monsieur m'a dit qu'il ne pouvait pas attendre plus longtemps
00:42:23et qu'il repasserait.
00:42:25Qui donc ?
00:42:26Monsieur Soulbinski.
00:42:28Ah oui !
00:42:33Il t'a dit quand ?
00:42:35Non, mais il m'a demandé quand cela vous arrangerait.
00:42:38Et qu'as-tu répondu ?
00:42:40Ce que monsieur aurait répondu.
00:42:43C'est-à-dire ?
00:42:44La semaine prochaine.
00:42:46Très bien.
00:42:49Maman !
00:42:51Maman !
00:42:52Oui, mon petit, oui, oui.
00:42:54Je suis là.
00:42:55Je suis là.
00:42:56Je suis là.
00:42:57Viens, viens, viens.
00:42:58Oui, oui, oui.
00:43:00Oui, j'ai très bien dormi.
00:43:02Je ne me suis pas réveillé.
00:43:04Fais pas peur.
00:43:05Non, je n'ai pas eu de fièvre.
00:43:07Ah !
00:43:08Ah !
00:43:09Ah !
00:43:10Ah !
00:43:11Ah !
00:43:12Ah !
00:43:13Ah !
00:43:14Ah !
00:43:15Ah !
00:43:16Ah !
00:43:17Je n'ai pas eu de fièvre.
00:43:20Il fait un temps splendide aujourd'hui.
00:43:22On pourrait aller à la rivière.
00:43:23Non, mon petit, il ne fait pas encore assez chaud.
00:43:25Ah !
00:43:28Pourquoi ?
00:43:29Parce que tu attraperais du mal.
00:43:30Allez, viens faire ta prière.
00:43:32Dépêche-toi !
00:43:33A la prière, hop, je t'écoute.
00:43:36Très bien
00:43:40Rosa, Rosa, Rosa.
00:43:43Rosa, Rosa, Rosa.
00:43:45...
00:43:46Rosarum, rosis, rosis.
00:43:49Rosis, rosis. Amen.
00:43:52Je peux aller jouer ?
00:43:54Non, tu dois d'abord aller faire ta toilette...
00:43:57Tu dois d'abord aller faire ta toilette et dire à Zakar
00:44:00de te préparer ton lait et tes tartines.
00:44:03Seulement à ce moment-là...
00:44:05...
00:44:09Amen.
00:44:10Ça m'a fait peur.
00:44:12Qu'est-ce que c'est ?
00:44:15...
00:44:20C'est plus un enfant, c'est une toupie.
00:44:23...
00:44:25Je l'ai eue !
00:44:26Je l'ai eue !
00:44:28Maman, nous aurons de quoi dîner ce soir.
00:44:31...
00:44:38Qu'est-ce que tu veux ?
00:44:40Tu sais ?
00:44:41Qu'est-ce que c'est ?
00:44:43Qu'est-ce que c'est ?
00:44:46Qu'est-ce que tu cherches ?
00:44:48Qu'est-ce que tu cherches ?
00:44:49Va là-bas, va jouer.
00:44:52Va jouer, va jouer.
00:44:53Mais ne joue pas...
00:44:55Nya-Nya !
00:44:56Fais attention, je le connais.
00:44:58Il va jouer en plein soleil.
00:45:00Qu'est-ce que je disais ? Le halombre !
00:45:02Il va devenir malade, il va attraper froid.
00:45:05Il n'aura plus d'appétit.
00:45:07Que va faire Ignachka ?
00:45:08Ignachka va à l'office
00:45:12pour aiguiser ses couteaux.
00:45:13Que va faire Nya-Nya ? Elle descend à la cave.
00:45:16Nya-Nya ? La vieille ?
00:45:18Où vas-tu ?
00:45:19Elle va chercher du lait.
00:45:21Attention à ne pas le renverser.
00:45:24Mais qu'est-ce que t'as, gesticulé ?
00:45:26Reste près de moi.
00:45:27Et n'ai pas l'envie d'aller jouer près du raveu,
00:45:30encore moins avec les chevaux.
00:45:32S'il te plaît.
00:45:33...
00:45:35Qu'est-ce que c'est ?
00:45:38Ah !
00:45:43Qu'est-ce que tu fais, Nya-Nya ?
00:45:45Tu vois bien, je reprise ta chaussette.
00:45:49Tu m'apprendras un jour à repriser ma chaussette ?
00:45:53Si tu veux.
00:45:55Tu vas pas te fourrer n'importe où.
00:45:57Tu vas voir ce que va dire ta mère.
00:46:07Colonel ?
00:46:08Oui, général ?
00:46:10Où est votre régiment ?
00:46:11L'ennemi nous a fait subir de lourdes pertes.
00:46:14Deux bataillons sont en route. Ils seront là avant la nuit.
00:46:18Bien. J'ai besoin de renforts.
00:46:20Dites à vos hommes de se tenir prêts à l'assaut.
00:46:25Bien.
00:46:26Chargez !
00:46:29Nya !
00:46:31Hop !
00:46:33Capitaine !
00:46:34Nous sommes sauvés, regardez.
00:46:37Ce sont les rivages de l'Oblomovka.
00:46:39Nous sommes sauvés.
00:46:42Te voilà, toi.
00:46:43Alors, qu'est-ce que je vois ?
00:46:46Tu as les pieds nus, mais viens vite te coucher.
00:46:49Tu vas être malade comme un chien. Tu as vu l'heure qu'il est ?
00:46:53Dieu merci. Regarde-moi, ça m'en est cessé.
00:46:56Papa ?
00:46:57Dieu merci.
00:46:59Nous avons passé une bonne journée.
00:47:01Il n'y a pas eu de malheur.
00:47:03Tu t'es bien amusé ?
00:47:05Oui.
00:47:06Tant mieux, mon enfant chéri.
00:47:08Passe une bonne nuit, oui, et fais de beaux rêves, mon bébé.
00:47:26Zakar ?
00:47:28Monsieur ?
00:47:29J'ai dormi longtemps ?
00:47:31Un peu.
00:47:33Tu ne sais pas l'heure ?
00:47:35Non, monsieur.
00:47:39J'ai toujours de la peine à me réveiller.
00:47:44Au moins, pendant que je dors, je ne pense à rien.
00:47:48Je n'ai aucun souci.
00:47:51Mais peu à peu, les pensées reviennent.
00:47:53Et puis tout cela, toute cette vie,
00:47:56et avec elle, tout ce qui nous préoccupe du matin au soir et tous les jours.
00:48:00Tiens, je les entends dans ma tête.
00:48:03Toutes ces pensées qui reviennent et font ce bruit atroce.
00:48:06Par exemple, celle-ci.
00:48:09Il faut que j'écrive au propriétaire.
00:48:13Je vais le faire, Zakar.
00:48:15Ne t'inquiète pas.
00:48:16Je vais me lever
00:48:18et puis tâcher d'écrire cette lettre.
00:48:21Il le faut ?
00:48:22Oui.
00:48:24Oui, il le faut.
00:48:28Je ne sais pas quoi lui écrire, au juste.
00:48:30C'est toujours la même question.
00:48:33Est-ce qu'il faut avoir les idées claires
00:48:35et savoir ce que l'on veut écrire pour se mettre à écrire ?
00:48:38Ou bien est-ce en écrivant que les idées deviennent claires
00:48:41et que l'on sait enfin ce que l'on voulait écrire ?
00:48:46Il faut vérifier que nous ayons du papier et de l'encre.
00:48:52Zakar ?
00:48:53Monsieur ?
00:48:55Avons-nous du papier ?
00:48:57Du papier... Je dois pouvoir vous trouver ça, oui.
00:49:01Et de l'encre ?
00:49:04Elle a dû sécher.
00:49:06Mais je peux trouver la diluée avec du kvass.
00:49:09Quand tu auras l'un et l'autre, dis-le-moi.
00:50:04Voilà, voilà, voilà.
00:50:06J'ai...
00:50:08J'ai trouvé cela.
00:50:13C'est tout ce que tu as trouvé ?
00:50:15C'est juste bon pour embrouiller.
00:50:17Tout est prêt.
00:50:21Bon.
00:50:29Honoré.
00:50:31Honoré.
00:50:32Mais qu'est-ce que c'est que cette encre ?
00:50:34Je vois à peine ce que j'écris.
00:50:40Bon.
00:50:42Honoré, monsieur.
00:50:44L'appartement qui est occupé par moi au deuxième étage
00:50:48et qui, dans vos projets, doit subir certaines transformations,
00:50:52convient parfaitement à ma façon de vivre
00:50:55et aux habitudes que j'y ai acquises par suite de mon très long
00:50:59oui, très long séjour ici.
00:51:02Informé par mon domestique, Zakar Trofimov,
00:51:06de l'intention qui est la vôtre de me faire savoir
00:51:09que cet appartement occupé par moi est...
00:51:14Mais ça ne veut rien dire.
00:51:16Informé par mon domestique, Zakar Trofimov,
00:51:20de l'intention qui est la vôtre...
00:51:22Bon, ça, ça va.
00:51:23Hein, Zakar ? On comprend.
00:51:25Oui, non, mais on comprend parfois.
00:51:28On comprend parfaitement, monsieur, seulement...
00:51:31Est-ce vraiment indispensable de citer mon nom ?
00:51:35Mais bien sûr.
00:51:36Après tout, cette histoire est venue par toi.
00:51:39Et c'est toi qui es en relation avec lui.
00:51:42Bon.
00:51:43Informé par mon domestique, Zakar Trofimov,
00:51:48de l'intention qui est la vôtre...
00:51:51...de me faire savoir que cet appart...
00:51:54De quoi parlons-nous ?
00:51:56De cet appartement occupé par moi est que...
00:51:59Non. Et pour lequel ?
00:52:01Pour lequel vous souhaitez... Tout à fait.
00:52:03Moi, je ne souhaite rien du tout.
00:52:05Pour lequel vous souhaitez...
00:52:07Vous souhaitez... Non.
00:52:09Pour lequel vous avez l'intention de... Non.
00:52:12Non, vous souhaitez, c'est plus clair.
00:52:15Pour lequel vous souhaitez...
00:52:17Vous souhaitez... Non.
00:52:19Pour lequel vous souhaitez m'informer... Non.
00:52:23Me communiquer... Non.
00:52:25Me faire savoir... Arrêtez.
00:52:28Ah, mais je l'ai déjà dit.
00:52:31Mais c'est quoi cette foutue phrase qui ne veut rien dire ?
00:52:35Rien de rien.
00:52:38Calaille au diable, cette lettre.
00:52:41Je déteste écrire la lettre.
00:52:44Je ne suis pas un homme d'affaires, moi.
00:52:47Je ne sais pas faire ces choses-là.
00:52:50Cela m'ennuie.
00:52:53Et j'ai honte de perdre mon temps à des bêtises pareilles.
00:52:58De toute façon, je ne peux pas partir d'ici.
00:53:01J'ai toutes mes habitudes ici.
00:53:03Et je n'ai pas l'argent pour déménager.
00:53:07Et à quoi bon quitter un endroit pour un autre ?
00:53:10Ce ne sont toujours que des tracas insensés,
00:53:13des jours et des jours à ne penser qu'à ça,
00:53:15des angoisses, des fatigues de toutes sortes.
00:53:20Et de la tristesse aussi, oui.
00:53:22On ne quitte pas l'endroit où l'on est sans tristesse.
00:53:25Et puis les gens qui y sont,
00:53:27qu'on voit dans la cour, dans l'escalier,
00:53:29dans la rue, en face...
00:53:31Oui, on ne quitte pas tous ces gens sans tristesse.
00:53:36Et pour aller où ?
00:53:39Pour aller où ?
00:53:41Dis-moi ! Pour aller où ?
00:53:44Écoutez, monsieur, je...
00:53:47Je sais bien qu'on ne fait pas ça de gaieté de cœur, mais...
00:53:51Mais les...
00:53:53Les autres !
00:53:57Les autres le font bien, eux !
00:54:00Alors !
00:54:03Pardon ?
00:54:05Qu'est-ce que tu viens de dire ?
00:54:07Répète ce que tu viens de dire.
00:54:09Les autres ! Tu as bien dit les autres !
00:54:11C'est ce que tu as dit !
00:54:13Ainsi pour toi, je suis comme les autres !
00:54:15C'est ce que tu penses ? Tu réalises ce que tu viens de dire ?
00:54:18Que tu m'insultes ?
00:54:20Veux-tu que je te dise ce que c'est qu'un autre ?
00:54:22Ce que sont tous les autres ?
00:54:24Ce sont de misérables insectes !
00:54:26Voilà ce qu'ils sont, les autres !
00:54:28Ce sont tous ces gens qui partout se démènent,
00:54:30qui courent, qui s'agitent, qui travaillent,
00:54:32qui volent dans tous les sens comme des mouches !
00:54:34Comme s'ils fuyaient quelque chose !
00:54:36Comme s'ils voulaient attraper quelque chose !
00:54:38Mais quoi ?
00:54:39Ils usent leur vie dans cette frénésie absurde !
00:54:43Ou bien ce sont des poux,
00:54:45de ces poux répugnants,
00:54:47qui grouillent sur la perspective Nievski,
00:54:49affichant leur mine fière,
00:54:51leur regard méprisant,
00:54:52leur fausse dignité qui les met selon eux au-dessus de la foule !
00:54:55Mais voyez-les le soir,
00:54:57dans les salons où ils se saoulent et se battent comme des sauvages,
00:55:00pour un as de trèfle en roi de cœur !
00:55:02Ah le beau monde, comme on l'appelle !
00:55:05Mais il n'a rien de beau, crois-moi !
00:55:07Et il est même très laid !
00:55:09Et je le connais bien !
00:55:11Je l'ai fréquenté longtemps !
00:55:12Il faut aller dans ses dîners et voir, comme je les ai vus,
00:55:14tous ses visages arrogants,
00:55:16ses simulacres d'amitié, ses sourires faux,
00:55:19intéressés,
00:55:20et écouter ce bruit affreux que font leurs bouches
00:55:22lorsqu'elles se mettent à déchiqueter les absents !
00:55:25Celui-ci, quel imbécile !
00:55:27Celui-là, quel faible !
00:55:28Quel paresseux !
00:55:31Ah, je sais bien ce qu'ils ont dit sur moi lorsque je fuis ce monde !
00:55:34Et de quelle ironie cruelle j'ai fait les frais !
00:55:36Mais je m'en moque !
00:55:38Moi, je sais quel mépris j'ai pour tout ce beau monde
00:55:41avec qui je n'ai rien de commun !
00:55:44Quel ennui que ce monde-là !
00:55:46Et je suis bien content de ne pas être comme ceux-là,
00:55:48comme tous ces autres-là,
00:55:50et de faire à ma façon !
00:55:53Le monde entier peut me dire qu'il a raison d'être ce qu'il est,
00:55:56et moi, je dis qu'il a tort,
00:55:57et que je continuerai de faire à ma façon !
00:56:00Tant pis si l'on ne me comprend pas,
00:56:02si je dois en payer le prix,
00:56:04si je dois ainsi rester seul !
00:56:10...
00:56:33Un seul être sait vraiment qui je suis,
00:56:36l'a compris et m'a aimé comme je suis,
00:56:38ou bien malgré ce que je suis.
00:56:40Peu importe !
00:56:42Elle m'a aimé !
00:56:49Elle a lu et découvert en moi tout ce qui s'y cachait,
00:56:52bien avant que je le lui confie !
00:56:55Vous voulez parler...
00:57:00... d'Olga Sergeyevitch ?
00:57:04Oui !
00:57:06As-tu remarqué qu'elle avait un sourcil, le gauche,
00:57:08légèrement plus haut que l'autre ?
00:57:10Non !
00:57:11C'est cette légère dissymétrie
00:57:14qui lui donne à la fois cette aire de curiosité,
00:57:17de timidité, mais aussi
00:57:20une sorte de malice !
00:57:22Il y a tant de choses dans ce visage !
00:57:25Décris-le-moi, s'il te plaît !
00:57:32C'est...
00:57:36C'est une bien belle femme !
00:57:39Continue !
00:57:40Eh bien, je dirais que
00:57:42sa beauté, que certes elle doit à l'harmonie de ses traits,
00:57:46tient aussi au...
00:57:49au charme que l'on rencontre d'ordinaire à l'enfance.
00:57:55Certaine...
00:57:57rondeur qui donne à la grâce cette...
00:58:01vitalité juvénile,
00:58:04si émouvante.
00:58:06C'est...
00:58:08C'est l'encheveu
00:58:11dont les boucles ruissellent
00:58:13sur ses épaules et dans son dos,
00:58:17comme une eau jaillissant continuellement de son être.
00:58:22Et puis...
00:58:24sa façon de se mouvoir aussi, de parler, de se retourner,
00:58:27de...
00:58:29de rire
00:58:32en pressant ses mains
00:58:34qui lui donne cet air de petite fille toujours gai
00:58:39et sans peur.
00:58:42Continue !
00:58:46Elle a...
00:58:47Elle a, elle a de beaux yeux noirs
00:58:51qui contrastent avec sa chevelure,
00:58:53tantôt blonde ou dorée,
00:58:56selon les heures ou les saisons.
00:59:00Ses deux perles noires donnent à son visage
00:59:04cette teinte grave, impénétrable
00:59:10et profonde à la fois.
00:59:13Je ne sais comment
00:59:15le monde
00:59:18et les êtres qu'elles croisent
00:59:21se reflètent au fond de cet abîme.
00:59:26Et sur ses lèvres,
00:59:28fines et muettes,
00:59:31cette même pensée vagabonde,
00:59:35cette même insolente jeunesse,
00:59:39quand une telle beauté illumine un visage
00:59:44et ajoute de la beauté à la beauté même...
00:59:53Comment résister ?
00:59:56Comment en effet ne pas s'empêcher de penser que
01:00:01votre Olga Sergeyevitch
01:00:06est une bien belle femme ?
01:00:11Et sa voix ?
01:00:14Tu n'as pas parlé de sa voix.
01:00:16Tu n'as pas dit comme elle chantait si divinement Castadiva.
01:00:18Castadiva, en effet.
01:00:20Castadiva
01:00:27On ne pourrait l'aimer que pour sa voix.
01:00:30Il se serait déjà temps l'aimer.
01:00:34C'est en découvrant sa voix que j'ai su que je l'aimais toute entière.
01:00:38C'est une voix si aiguë
01:00:40et si douce à la fois.
01:00:43Quel enchantement !
01:00:47Elle est là, si présente.
01:00:49Je l'entends.
01:00:53Elle se tourne vers moi et me dit
01:00:56« Mon Dieu, vous pleurez,
01:00:58comme la musique produit sur vous une impression profonde. »
01:01:03Mais ce n'est pas la musique.
01:01:05C'est sa voix. C'est elle.
01:01:08C'est l'amour qui me pénètre et m'envahit.
01:01:12Qu'il est bon de ne plus s'appartenir,
01:01:15de ne plus avoir de pensées,
01:01:17de s'abandonner à cette ivresse et d'aimer, aimer, aimer,
01:01:23de se livrer entièrement au mouvement de son cœur,
01:01:26comme on se laisse mener sur un fleuve par le courant,
01:01:29et de se laisser ainsi transporter,
01:01:32dépossédé de soi et de la pesanteur des hommes et de la vie,
01:01:35et en somme de nos plus-êtres,
01:01:38et de n'être plus que ce fleuve, cet amour,
01:01:42ce visage et cette voix aimée,
01:01:45comme dans un rêve.
01:01:48Ce rêve, je l'ai vécu, n'est-ce pas ?
01:01:49Oui, monsieur.
01:01:58D'ailleurs, la preuve est là que je l'ai vécu.
01:02:02Elle n'est jamais venue la reprendre ?
01:02:04Si, monsieur.
01:02:06Ah bon ?
01:02:07Elle est passée un jour et me l'a demandé.
01:02:09Et qu'est-ce que tu lui as dit ?
01:02:12Que nous ne l'avions pas.
01:02:15Tu as bien fait.
01:02:45...
01:03:10A présent que vous êtes là, je suis heureux.
01:03:13C'est une chose si simple d'être heureux.
01:03:16Pour moi, cela ne tient qu'à vous.
01:03:19Il suffit que vous soyez là.
01:03:21Vous êtes entré dans ma vie, et soudain tout s'est illuminé.
01:03:25Et c'est comme si dans cet endroit obscur où j'étais,
01:03:28quelqu'un pensant allumer une lampe, d'un coup avait allumé le soleil même.
01:03:32Et voilà qu'il n'y a plus ni matin ni soir, et que nous sommes en plein midi.
01:03:36Comment est-ce possible ?
01:03:38Comment est-ce possible que je l'aime, et qu'elle m'aime ?
01:03:43C'est une chose si rare, que deux êtres s'accordent à la fois.
01:03:50Olga, vous êtes folle.
01:03:55Pourquoi est-ce que vous m'aimez ?
01:03:58Malgré tout, malgré ce que je suis,
01:04:03pourquoi est-ce qu'une femme parfaite comme vous,
01:04:06peut se donner ainsi corps et âme, à un homme imparfait,
01:04:10qui ne vous mérite pas ?
01:04:14Répondez-moi.
01:04:17Que voulez-vous savoir, Ilya Illich ?
01:04:22Je veux savoir, ce qui me vaut votre attention.
01:04:27Votre amour.
01:04:29C'est...
01:04:32parce que vous n'êtes pas comme les autres.
01:04:36Certes.
01:04:38Mais...
01:04:40en quoi suis-je aimable ?
01:04:44Vous êtes un enfant, Ilya Illich.
01:04:49Avant que vous soyez un homme,
01:04:52et que je vous aime comme un homme,
01:04:56je vous aime...
01:04:58comme un enfant.
01:05:00Vous avez la pureté d'un enfant,
01:05:03qui refuse le monde, qui crie de toutes ses forces,
01:05:07qui n'en veut pas, qui n'en accepte pas.
01:05:10Cela est touchant.
01:05:14Personne n'a jamais osé, jusqu'ici,
01:05:18dire à quel point il voulait rester libre.
01:05:29Pensez-vous qu'un jour, je deviendrai un homme ?
01:05:33Je ne sais pas.
01:05:34Pensez-vous qu'un jour, je deviendrai un homme ?
01:05:38Je ferai tout pour que cela soit.
01:05:42Mais alors, aimez-vous pour ce que je suis,
01:05:46ou pour ce que vous voulez que je sois ?
01:05:49Les deux.
01:05:51Chaque chose en son temps.
01:05:54Quel noble cœur vous avez.
01:05:57Ainsi, vous voulez que je sois votre créature,
01:06:00et faire de moi le meilleur des hommes ?
01:06:02C'est bien cela que vous voulez, n'est-ce pas ?
01:06:05Je veux vous ramener dans le monde et à la vie.
01:06:09Pourquoi vous rendre la tâche si difficile ?
01:06:12Pourquoi vous attachez à moi ?
01:06:15Et espérez que je devienne un autre ?
01:06:20Alors qu'il y en a tant d'autres qui n'attendent qu'un signe de vous
01:06:24pour se mettre à vos pieds.
01:06:26Mais c'est vous que j'aime, et pas un autre.
01:06:29On ne peut pas aimer un homme tel qu'il est et tel qu'il devrait être.
01:06:33Ce n'est pas vrai.
01:06:35Je crois que vous pouvez changer.
01:06:41Et qu'est-ce qui vous le fait croire ?
01:06:44Votre amour.
01:06:46Et puis, vous n'êtes pas heureux ainsi tel que vous êtes.
01:06:51Sans doute.
01:06:53Mais je suis habitué.
01:06:54C'est...
01:06:57C'est mon orgueil de femme.
01:07:00Quel orgueil ?
01:07:01De penser que vous pouvez changer.
01:07:03Ainsi, votre amour serait de l'orgueil ?
01:07:05Cet orgueil que l'on voit partout et qui mène le monde ?
01:07:07Il y a...
01:07:08Taisez-vous !
01:07:10J'ai compris que vous jouez.
01:07:12Vous êtes comme les autres.
01:07:14Toutes les autres.
01:07:19Et moi, j'ai cru à votre amour.
01:07:22Et moi, j'ai cru à votre amour.
01:07:25Parce que je vous aimais, j'y ai cru.
01:07:28Parce qu'il y a cette folie quand on aime,
01:07:31qui est de croire parce que l'on aime qu'on mérite à son tour d'être aimé.
01:07:36Mais c'est une folie.
01:07:38Et j'ai été assez fou pour croire qu'une femme pouvait aimer un noble meuf.
01:07:42Mais je vous aime comme vous...
01:07:44C'est faux, vous mentez !
01:07:47On ne peut pas aimer un homme comme moi.
01:07:50Je sais ce que vous pensez.
01:07:53Ce que tout le monde pense.
01:07:55Que je suis une anomalie de la nature.
01:07:59Et vous croyez que vous pourrez changer ça ?
01:08:02Vous vous croyez plus forte que Dieu qui m'a fait ainsi ?
01:08:06Quel orgueil, oui.
01:08:09Et avez-vous pensé
01:08:11à ce que vous feriez si je ne changeais pas comme vous l'espériez ?
01:08:15Moi, je le sais.
01:08:17Vous vous lasserez.
01:08:19Et vous m'abandonnerez.
01:08:23De toute façon, je ne supporterai pas de vous décevoir.
01:08:26Et de vous rendre malheureuse.
01:08:28On ne s'a jamais.
01:08:30Jamais.
01:08:33Laisse-moi maintenant.
01:08:35Oublie-moi.
01:08:36Pars.
01:08:50C'est qu'il fait froid d'un coup.
01:08:53Me voilà tout tremblant.
01:08:57Il faut que je me repose.
01:09:20Zakar ?
01:09:22Monsieur ?
01:09:24J'ai très froid.
01:09:27Et je suis fatigué.
01:09:31Peux-tu me servir un verre de kvasse ?
01:09:49Assieds-toi, s'il te plaît.
01:10:20Pourquoi restes-tu avec moi ?
01:10:28Voulez-vous que j'aille ?
01:10:32Je ne sais pas.
01:10:34Peut-être as-tu des propositions ?
01:10:38Même si j'en avais.
01:10:42Qu'est-ce que cela change ?
01:10:45Je ne sais pas.
01:10:47Qu'est-ce que cela change ?
01:10:53Je suis parfois dur avec toi.
01:10:58Et je le regrette.
01:11:07Je ne me sens pas très bien.
01:11:11Je dois avoir de la fièvre.
01:11:17J'ai besoin de dormir.
01:11:21De dormir longtemps.
01:11:30Zakar ?
01:11:34Je suis là.
01:11:38Merci.
01:11:46Merci.
01:12:16Merci.
01:12:46Merci.
01:13:16Merci.
01:13:46Merci.
01:14:16Merci.
01:14:46Merci.