• il y a 3 mois
Dès sa plus tendre enfance, Clara est très exigeante envers elle-même. A l’école, elle travaille avec sérieux et régularité. C’est donc sans surprise que son opiniâtreté se retrouve dans sa pratique du sport. D’abord la natation. Après des prémices pour simplement apprendre à nager, Clara se lance dans les compétitions. Les entrainements se multiplient. Clara s’impose une importante pression mettant à l’épreuve sa santé physique puis morale. Plus tard, lassée par les longueurs dans la piscine, Clara se lancera avec toujours autant de qualité dans l’athlétisme, un sport où un kilogramme en plus ou en moins peut avoir une lourde influence sur ses performances. Petit à petit, la jeune Clara qui aime tant contrôler sa vie contrôle son alimentation et sombre petit à petit dans l’anorexie pour contrebalancer la puberté.
Aujourd’hui, Clara Lesoille va mieux. Grâce à ses proches, grâce à des professionnels attentifs, elle lâche prise et reprend goût à la vie, c’est ce qu’elle livre dans "Regarder devant", publié chez Michalon.

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Transcription
00:00– Et pour le Zoom, aujourd'hui, je reçois Clara Le Soil, bonjour mademoiselle.
00:10– Bonjour.
00:11– Merci beaucoup d'être avec nous, vous allez nous présenter votre livre,
00:13regardez devant, c'est aux éditions Michelon,
00:16c'est un témoignage sur votre vie de sportive de haut niveau,
00:20depuis très longtemps vous allez nous raconter tout ça,
00:22qui a connu des soucis d'anorexie, des soucis physiques également,
00:29déjà, comment vous mettiez le pied à l'étrier,
00:32j'allais dire, non pas parce que vous avez fait aussi un peu de poney,
00:34mais parce que, comment vous avez commencé à rentrer à fond dans la pratique sportive ?
00:40– Je pense que du coup, c'est mon père qui m'avait quand même
00:43beaucoup donné le goût du sport, lui il en avait fait beaucoup dans sa jeunesse,
00:48et du coup j'ai fait plein de choses, j'aimais trop courir partout,
00:51quand j'étais petite avec ma sœur, on faisait des parcours d'obstacles,
00:54ça on jouait beaucoup au cheval, et puis même avec les amis
00:57dans la cour de récré, on adorait faire tout ce qui est chat, épervits, etc.
01:02Et du coup, très tôt, mes parents nous ont mis toutes les deux à la natation,
01:06juste pour savoir nager, et puis en fait, comme on s'était brouillés bien,
01:10ça s'est vite enchaîné avec, on rajoutait des entraînements dans la semaine,
01:14trois fois, puis cinq, et puis les compétitions, etc.
01:18Et après, quand j'étais au lycée, j'ai progressivement changé
01:21vers la course à pied, parce que ça devenait trop d'efforts la natation
01:25pour pas assez de résultats, c'était vraiment frustrant d'autant se donner
01:30deux heures tous les jours, etc., et qu'au final, les performances,
01:35des fois ça fonctionnait, puis d'un coup, plus rien fonctionnait,
01:38et c'était difficile de trouver un sens à tout ça au bout d'un moment.
01:42– Vous dites que finalement, c'est assez frustrant,
01:44parce qu'il y a un côté déterminisme, c'est-à-dire que génétiquement parlant,
01:50soit on est fait pour faire de la natation et faire des temps incroyables,
01:53soit on ne l'est pas, et même si on fait beaucoup, beaucoup, beaucoup d'efforts
01:57et qu'on se donne à fond, parfois, il y a des seuils qu'on n'arrive pas à franchir.
02:01– Oui, et je pense qu'il y a un côté, pas forcément génétique,
02:03mais aussi, pour ma part en tout cas, un côté mental,
02:06où dès que je commençais à me stresser un peu, à me mettre trop de pression,
02:10ça ne fonctionnait plus, mon entraîneur me disait
02:12« Ah, mais t'es crispée dans l'eau, tu faisais mieux à l'entraînement,
02:15pourquoi tu ne détends pas ? »
02:17Je disais, super, mais je n'y arrive pas, pour moi, en compétition,
02:21je fais mon mieux et ça ne fonctionne pas comme je le voudrais,
02:24et en fait, c'est vrai que je pense qu'à trop vouloir bien faire,
02:28des fois, c'est contre-productif.
02:30– Alors, on le comprend, vous avez un profil hyperactif,
02:33dès toute petite, avec votre sœur Julie qui fait la pose face de ce livre,
02:37vous courez partout, vous faites des jeux qui dépensent de l'énergie en permanence,
02:41et vous avez aussi ce côté ultra-perfectionniste qui vaut aussi pour l'école.
02:46– Oui, tout à fait, en fait, je pense que ça s'est vraiment appliqué
02:49dans tous les domaines de ma vie, et sans que j'en ai trop conscience,
02:53je me rappelle sur mes bulletins, par exemple,
02:55le mot qui ressortait à chaque fois, c'était « élève très rigoureuse »,
02:59et à la fois, c'était ma plus grande force d'être aussi organisée,
03:03aussi, oui, assez exigeante avec moi-même, et toujours vouloir rendre du bon travail,
03:08pareil dans le sport, de m'appliquer autant et de toujours donner le meilleur,
03:12mais ça peut dériver rapidement, en fait, c'est ça, le perfectionniste,
03:16on ne sait pas trop si c'est un mot positif ou négatif finalement,
03:19est-ce que c'est bien de toujours chercher la perfection,
03:22mais quand c'est trop, finalement, ne jamais être content,
03:25savoir apprécier ce qu'on a fait, ce n'est pas si positif que ça.
03:30– C'est comme tout, c'est une question de mesure finalement.
03:32– Exactement.
03:33– Alors cette pratique de la natation, vous la continuez,
03:36c'est sidérant d'ailleurs de voir qu'à un jeune âge,
03:39vous pratiquez parfois une fois le matin, une fois le soir,
03:43c'est une vie entière quasiment consacrée à cette pratique.
03:46– Quand on était en stage, c'est ça, c'était du non-stop,
03:49et puis souvent les entraîneurs, ça dépend desquels,
03:52il ne faut pas faire de généralité non plus,
03:53mais ils aiment bien un peu en rajouter pour challenger aussi le mental
03:57et un peu voir qui va craquer, qui ne va pas craquer,
03:59et c'est vrai que moi j'ai quand même eu, au final, de la chance d'évoluer
04:02dans une sphère qui, avec du recul, était une sphère assez saine,
04:06je n'ai pas non plus eu de si mauvaises expériences que ça,
04:09mais en discutant avec des amis qui ont fait du haut niveau,
04:13par exemple en natation synchronisée,
04:15j'ai entendu des choses où je me suis dit,
04:16mais moi j'aurais coulé au fond du fond directement là,
04:21parce que c'est vrai qu'il y a certains milieux
04:23qui peuvent être vraiment très très très durs,
04:25à la fois physiquement et mentalement,
04:26pour faire une place parmi les meilleurs, ce n'est pas évident.
04:31– Alors c'est vrai que quand on reçoit votre livre
04:33et qu'on découvre un peu le thème et ce que vous allez nous raconter,
04:35on imagine qu'on va découvrir au fil du temps
04:39que vous avez rencontré des entraîneurs qui vous en demandent toujours plus,
04:42qui sont toujours plus durs, toujours plus exigeants,
04:45qui vous mettent une pression folle,
04:46et finalement vous rencontrez plutôt des personnes bienveillantes.
04:50– Oui, mais en fait je n'irai pas jusqu'à dire ça
04:52à des entraîneurs qui m'ont tant poussée que ça,
04:55je pense qu'en fait le principal problème, entre guillemets,
04:58ça a vraiment été toujours moi et le moindre mot qu'on pouvait me dire,
05:01c'était ma façon de l'interpréter, de, ah ben ce n'est pas assez bien,
05:03il faut que je fasse ça pour accéder à tel groupe, etc.
05:06C'est vrai que même à mon niveau de natation,
05:09c'est-à-dire qu'il n'y était pas un niveau non plus international ni national 1,
05:14c'est vrai qu'ils essayaient déjà de voir un peu qui résisterait le mieux mentalement,
05:19mais ça ne s'est jamais allé trop loin, et même comme ça,
05:22ben en fait je crois que je ne suis pas la seule à faire ça,
05:26c'est-à-dire qu'on se met une pression nous-mêmes,
05:28démesurée par rapport à l'objectif,
05:30moi j'étais quand même en natation au niveau national 2,
05:32me mettre autant de stress et pleurer après les compétitions que je ratais,
05:37et que ça me déprime autant,
05:39c'était pas, entre guillemets, pas normal par rapport à l'enjeu,
05:44c'est-à-dire qui était normalement juste de me faire plaisir et de m'amuser dans mon sport,
05:47et en fait finalement, pour réaliser ça,
05:50ce n'est pas facile de se dire, mais tout ça je le fais pour me sentir bien,
05:54ce n'est pas normal que là, je rentre chez moi, je sois en train de pleurer,
05:57et que je me sente aussi épuisée,
05:58et que ça me demande autant de sacrifices,
06:01non, si jamais je n'aime pas ça, je peux arrêter,
06:03et en fait quand on est tellement lancé là-dedans,
06:06on ne se voit pas arrêter, parce qu'on a l'impression que c'est toute notre vie,
06:08et qu'on n'a rien à côté, et qu'on ne peut pas juste arrêter comme ça,
06:13et effectivement, c'est en changeant pour la course à pied,
06:16en rencontrant un nouvel entraîneur,
06:18qui m'a fait voir les choses différemment en fait.
06:20– Le fameux Titi, avec une rencontre un peu surprenante que vous nous racontez.
06:24– Oui, en fait, c'était au parc que je faisais un footing,
06:29avec le groupe de natation, et puis finalement, il insistait,
06:34moi je ne voulais pas changer de sport, je disais, la natation c'est mon truc,
06:38et puis il avait appelé mes parents, et il nous avait dit…
06:41– Tu as réussi à trouver votre numéro de téléphone, c'est improbable.
06:44– Oui, c'était assez improbable, et puis finalement, de fil en aiguille,
06:47ça s'est fait, et j'ai changé très progressivement,
06:50parce qu'au début je ne voulais vraiment pas lâcher les bassins,
06:52et puis de voir qu'en course, je pouvais m'entraîner une semaine sur deux,
06:56et puis qu'après ça a fonctionné, et en fait, surtout, c'était simple,
06:59je pense que c'est ça, on oublie toujours que le sport,
07:02ça doit rester simple pour nous, ça doit rester juste un moyen d'évacuer,
07:06de se faire plaisir, de rencontrer des gens,
07:08et il n'y avait aucune prise de tête quand j'ai commencé la course,
07:11il fallait juste courir, je me disais, de toute façon,
07:13tu n'es pas entraînée, tu t'en fiches, tu vas là-bas,
07:15tu n'as rien à prouver à personne, personne n'attend rien de toi,
07:17tu cours et tu t'amuses, et c'est tout,
07:19et c'était très libérateur de raisonner comme ça,
07:21et en fait, je pense que c'est aussi pour ça que ça a vite fonctionné,
07:24parce que quand on se fait plaisir, je pense que ça fonctionne toujours mieux.
07:28– Ce qui est en plus assez frappant dans votre livre,
07:30c'est que finalement, vous mettez une pression quand même très importante
07:33sur les résultats sportifs, mais en même temps, on ne lit pas,
07:37je voulais être championne olympique, tous les rêves un peu convenus des sportifs,
07:43on voit que vous travaillez très bien à l'école parce que vous continuez,
07:45vous voulez faire des études, etc.
07:48Donc, c'était vraiment un plaisir personnel de réussir dans chaque sport.
07:52– Je pense que déjà, je ne me suis jamais mise d'objectif
07:56comme les Jeux olympiques, par peur de me décevoir,
07:59je n'ai jamais voulu me mettre des objectifs inatteignables,
08:02juste comme ça, il n'y a rien de mal de se dire
08:04que j'aimerais bien aller au JO, et puis même s'il y a une chance infime
08:08que j'y aille, c'est un objectif, mais moi, je n'ai jamais raisonné comme ça,
08:11parce que dans ma tête, si jamais je me fixais un objectif non réalisé,
08:15c'était une déception, c'était un échec, j'avais une terrible peur de l'échec,
08:19et du coup, pour ne pas avoir peur d'être déçue,
08:22je préférais toujours me dire, par exemple, pour un contrôle à la fin,
08:25je disais, je pense que je n'ai pas super bien réussi,
08:28comme ça, si j'ai réussi, je suis contente, et si j'ai raté, je ne suis pas déçue.
08:33Et ça a fonctionné comme ça partout, quand on me demandait
08:36quel temps je souhaitais faire, etc., jamais je ne pouvais dire,
08:40je voudrais faire tel temps à quelqu'un, parce que sinon,
08:43j'avais peur que si je le rate, ce soit, plus que j'avais dit que je voulais le faire,
08:47c'était un échec, et en fait, avoir peur de rater, ça ne m'aide nulle part,
08:52en effet, pour apprendre, et parfois, échouer, se relever,
08:57et puis, continuer.
08:59– Alors, cette pratique sportive, petit à petit, et cette pression que vous mettez,
09:04vous conduit à avoir des troubles alimentaires réguliers,
09:08vous devenez anorexique petit à petit,
09:10comment voyez-vous aujourd'hui le mécanisme qui vous conduit à devenir malade ?
09:15– Je pense que c'est très, très vicieux comme mécanisme,
09:18parce qu'en fait, il y a une phase de déni qui, en général,
09:23peut être vraiment très longue, où ça commence juste par faire un peu attention,
09:27et comme c'est très ancré dans la société de faire attention à ce qu'on mange,
09:30c'est quand même, de base, une bonne chose de juste vouloir
09:34prendre soin de soi et de son alimentation,
09:36et du coup, au début, ça paraît vraiment très anodin
09:39de juste ne pas prendre de desserts sucrés,
09:42et puis même, des fois, ça peut entraîner des compliments de personnes qui disent
09:45« Ah, mais c'est bien, moi, ça n'a pas trop été mon cas,
09:49on ne m'a pas trop complimenté sur le fait que j'avais maigri, en particulier,
09:52mais je sais que dans la société, souvent, on a tendance à dire
09:55« Ah, mais c'est bien, t'as perdu quelques kilos,
09:57ah, tu fais attention à ce que tu manges, enfin, c'est bien vu. »
10:00Et donc, au final, au début, pendant plusieurs années,
10:04c'était juste une histoire de faire attention,
10:06puis en fait, ça s'est vraiment transformé en régime éternel,
10:09et en fait, quand ça commençait à durer,
10:12c'est très, très compliqué de lâcher toutes ces habitudes,
10:14parce que le calcul des calories devient tellement automatique
10:17et tellement obsessionnel qu'on ne peut plus juste se refaire plaisir comme avant,
10:21et moi, j'avais une peur immense que si je lâchais la moindre restriction,
10:27que j'allais tout reprendre d'un coup,
10:29et en fait, cette peur de reprendre du poids et de « revenir comme avant »,
10:35ça me terrorisait tellement, et le regard des autres me terrorisait tellement
10:39que je voulais toujours prendre de la marge et être un petit peu plus légère,
10:45pour me dire comme ça, si je reprends un peu, ce n'est pas grave,
10:48j'ai un peu de marge, etc., et du coup,
10:51en fait, une fois qu'on réalise à quel point ça a dégénéré,
10:55on n'arrive pas à faire marche arrière.
10:57– Quand on commence, quand on rentre dans ce processus,
11:01est-ce qu'au début, les résultats sportifs suivent ?
11:04C'est-à-dire, est-ce que les résultats sont meilleurs quand on perd du poids,
11:07au départ, ce qui entraînerait un petit peu cette volonté de continuer ?
11:12– Alors, ce n'est pas pareil pour l'attention ou pour l'athlée, à mon avis,
11:15mais malheureusement, l'athlétisme, enfin malheureusement,
11:18c'est vrai qu'on ressent quand même vraiment une grande adrénaline
11:22à se sentir plus léger, je trouve, quand on court,
11:25et c'est vrai qu'en discutant avec beaucoup d'amis
11:28qui avaient expérimenté d'être un petit peu au-dessus de leur poids de forme,
11:31un peu en dessous, en général, les chronos sont meilleurs
11:35quand on est un peu en dessous, et c'est vrai que quand on a une perte de poids,
11:39on a tendance à courir plus vite, au moins au début.
11:42Le problème, c'est de savoir si on veut courir dans le temps
11:45ou faire des performances sur quelques années.
11:47– Oui, dans la durée.
11:49– Voilà, c'est ça, et en fait, là où j'ai cité dans mon livre,
11:52Ali Ostrander, qui explique ce mécanisme,
11:56en fait, il y a plein d'exemples de très grandes athlètes
12:00qui ont fait des performances énormes vers leur puberté,
12:03et après, plus rien, parce qu'enchaînement de fractures de fatigue,
12:06et d'autres exemples d'athlètes qui, effectivement, ont stagné
12:09pendant plusieurs années parce qu'elles faisaient leur puberté,
12:11il fallait trouver un nouvel équilibre avec son corps,
12:14et qui, par la suite, par contre, quand elles avaient passé les 21 ans,
12:19elles ont enchaîné les titres de championnes du monde, etc.,
12:23parce qu'elles avaient pris le temps pour leur corps, pour…
12:26– De finir leur croissance, tout simplement.
12:27– Voilà, exactement.
12:28– Vous racontez aussi, finalement, que c'est un peu la grande injustice,
12:31c'est qu'au moment de la puberté, les garçons, eux,
12:34ils prennent du muscle avec de la testostérone,
12:35donc souvent, leur performance s'améliore.
12:38Pour les filles, c'est plus difficile parce qu'elles gagnent en masse graisseuse.
12:41– C'est ça.
12:42En fait, c'est un passage qui est vraiment compliqué pour les filles
12:46quand on est sportive et qu'on est habitué à ce corps de petite fille
12:50dans lequel on se sent bien et dans lequel on se sentait performante,
12:53et de voir qu'on prend des formes, etc.,
12:55je pense que c'est quelque chose qu'on n'en parle pas beaucoup.
12:59Même, je n'ai pas eu de coach féminine,
13:03mais je ne suis pas sûre qu'on en parle tellement plus,
13:06même avec une coach féminine, et du coup, avec les entraîneurs,
13:10il n'y avait pas trop de différence entre filles et garçons,
13:14ce qui, à la fois, peut être pas si mal,
13:16je veux dire, on ne se sentait pas en mode,
13:18ah, les filles, vous êtes moins fortes, je ne sais pas quoi,
13:21mais d'un côté, c'est vrai qu'il y avait très peu de discussion autour de,
13:24bon, est-ce que là, ça va ?
13:27Est-ce que vous êtes bien réglées ?
13:30Comment vous vous sentez par rapport à votre corps, tout simplement ?
13:32Et peu de discussion autour de,
13:35c'est important que vous laissiez votre corps évoluer pendant cette période
13:39et qu'ensuite, ça reviendra comme avant, les sensations, etc.,
13:45ou peut-être pas comme avant, mais vous trouverez un nouvel équilibre.
13:47– Ça évoluera et on travaillera en accord avec son corps.
13:50– Exactement, et pas contre, et de ne pas essayer de forcer la nature à changer,
13:54parce qu'au final, ça a des conséquences par la suite,
13:58et c'est vrai que c'est un peu dommage, je pense,
14:02qu'il n'y ait pas plus de dialogue autour de ça,
14:04parce que c'est presque un sujet tabou, alors que ça ne devrait pas l'être,
14:07le fait d'avoir ses règles, qu'on prend des formes, etc.,
14:12on ferme un peu les yeux dessus en se disant,
14:14on les entraîne comme des garçons et puis voilà.
14:17– Et puis on verra celles qui survivent.
14:19– Oui, voilà.
14:20– Alors justement, cette maladie, cette anorexie,
14:23vous provoque des troubles physiques par la suite,
14:27vous l'avez dit, l'absence de règles, l'aménorée,
14:30comme on dit, une forme de blocage de puberté quelque part,
14:33mais après des problèmes aussi plus lourds, physiques,
14:36qui vous entraînent des fractures de fatigue,
14:38des désagréments qu'on voit plus, j'allais dire,
14:40et qui sont d'ordre mécanique.
14:43– En fait, je me suis cassée les ligaments croissants
14:46des deux genoux d'un coup, c'est quand même assez rare,
14:48parce qu'en général…
14:50– En faisant du ski cette fois en plus.
14:51– Oui, en faisant du ski, mais au final, ce n'était pas un hasard
14:54par rapport à où j'en étais avec les troubles du comportement alimentaire,
14:58parce que j'étais à un stade où j'allais tellement mal,
15:01où pour moi, il n'y avait plus rien qui avait de sens,
15:04parce que je ne contrôlais plus rien alimentairement parlant,
15:06il y a tout mon corps qui se rebellait,
15:08je n'arrivais plus à juste prendre un repas et le garder,
15:11je m'empiffrais, et après j'allais vomir,
15:14et là, c'était un moment où je n'avais pas réussi à vomir,
15:17c'était sur les pistes, et c'était horrible,
15:19je voyais flou, je ne pensais qu'à ça, c'était tellement obsessionnel,
15:23et que du coup, je n'ai pas fait attention,
15:25alors que d'habitude, j'avais toujours été prudente,
15:27je fais du ski quand même depuis très longtemps,
15:29et je n'avais jamais eu d'accident,
15:31et là, faire aussi fort les deux genoux d'un coup,
15:34tout le monde m'a dit que ce n'était pas possible de se casser.
15:38– Parce qu'il faut que les deux genoux ne partent pas dans le même sens.
15:40– Oui, mais du coup, j'ai fait d'abord un côté,
15:42puis j'ai rebondi, puis l'autre,
15:45vraiment, je pense que j'étais dans un état un peu second,
15:50quand j'y repense, ça me fait vraiment peur de me dire
15:52que c'est moi-même, que je n'étais pas sous drogue ou quoi,
15:55et pourtant, c'était tout comme,
15:57et en fait, c'est ça qui est compliqué aussi
16:00avec les troubles du comportement alimentaire,
16:02c'est que quand la boulimie arrive, ce qui n'est pas toujours le cas,
16:06mais souvent le cas après l'anorexie, ou même sans anorexie d'ailleurs,
16:11on ne se sent plus soi-même, on a vraiment honte de tout ça en fait,
16:17on ne s'assume plus, on se dit, mais qui fait ça ?
16:19Comment je peux faire ça ? Comment je peux perdre à ce moment-là le contrôle ?
16:22Et surtout, si on était habitué à tout contrôler avant,
16:25c'est encore pire, et j'avais tellement honte,
16:28et ça m'a pris beaucoup de temps de réussir à en parler à autre que mes parents,
16:33et même à eux, enfin on l'a avoué, ce n'est pas facile,
16:36alors qu'en fait, c'est quand même assez répandu, la boulimie est hyper fagile,
16:40et il n'y a pas à avoir honte de ça,
16:41parce qu'en général, c'est le résultat justement de trop de pression,
16:45trop de restrictions, et en fait, de vouloir trop en faire,
16:48ça aboutit à des résultats où c'est complètement l'opposé
16:52de ce qu'on voulait initialement,
16:55et c'est ça, on se distancie tellement par rapport à soi-même
16:58qu'on en vient à se détester,
17:01et garder ça pour soi, c'est horrible.
17:06– Alors dans le livre, vous parlez souvent de votre sœur qui fait la post-fage,
17:09je l'ai dit, Julie, de vos parents, de vos grands-parents,
17:12on voit que vous avez été très soutenue dans toutes ces épreuves,
17:16et en même temps, on se dit, ça n'a pas suffi à vous empêcher
17:21d'être tentée par l'anorexie, d'être tentée par la boulimie,
17:26c'est vraiment un combat contre soi-même en fait.
17:28– Oui, mais en fait, je pense que des fois,
17:32on est tellement chanceux d'un point de vue factuel,
17:34je veux dire, moi, j'ai toujours eu beaucoup de chance dans ma vie,
17:37je n'ai jamais manqué de rien,
17:39mes parents m'ont fait essayer les sports que je voulais essayer,
17:42j'ai pu faire de l'équitation par exemple,
17:43ce n'est pas du tout donné, mes parents m'ont fait faire de l'équitation,
17:47j'ai pu faire des compétitions, à chaque fois, ils venaient m'encourager,
17:50et oui, je ne sais pas, j'avais des bons amis,
17:54je n'ai pas eu d'événement marquant où c'était,
17:58ben voilà, on se dit, là, c'est dur, etc.
18:01et j'ai un peu l'impression que du coup,
18:05on prend trop facilement pour acquis tout ce qu'on a
18:07et on ne prend plus le temps de le savourer,
18:09un peu comme quand on était confiné, tout le monde s'est dit,
18:12ah mais qu'est-ce que c'était bien la vie d'avant,
18:15on pouvait marcher, on pouvait boire dans la nuit,
18:16on pouvait aller dehors, c'était génial,
18:18et en fait, ça, quand on l'avait,
18:20on ne prenait pas le temps le matin de se dire,
18:21ah mais c'est super, aujourd'hui, je vais au lycée,
18:23je vais voir mes amis, c'est trop chouette.
18:25Et du coup, je pense que quelque part, ces blessures,
18:30ça m'a permis de prendre du recul et de me dire,
18:33mais en fait, tout ce que j'avais et que je considérais comme acquis,
18:35c'était incroyable, cette chance de pouvoir courir,
18:38pour moi, c'était logique, j'en abusais tout le temps,
18:40je me disais, bon, là, ça ne va pas du tout,
18:42allez, hop, on va courir.
18:43Et en fait, je ne prenais pas le temps de me dire,
18:46mais c'est une chance de faire ça et tu devrais respecter plus ton corps,
18:49de te permettre de le faire et pas toujours te minimiser de la sorte.
18:56Et en fait, une fois qu'on ouvre les yeux sur tout ce qu'on a
19:02et sur la chance qu'on a de pouvoir pratiquer le sport qu'on aime
19:06ou juste d'être avec nos amis, avec notre famille, etc.,
19:10je pense qu'on voit les choses assez différemment.
19:15– Vous parlez plusieurs fois du confinement,
19:17justement des deux confinements,
19:18comment vous les avez vécues en tant que jeune fille qui fait ses études,
19:22qui est privée de ses camarades de classe,
19:23qui est privée d'interaction sociale,
19:25qui est privée même de camarades d'entraînement ?
19:29– En fait, le premier, ça s'est assez bien passé
19:32parce que du coup, je pouvais courir,
19:34j'allais courir tous les jours dans la zone autorisée, etc.
19:39Et avant, je ne courais pas autant,
19:41enfin, c'était vraiment l'occasion pour moi
19:42d'avoir beaucoup plus de temps pour le sport, au final.
19:44Et si j'avais la chance d'avoir un jardin,
19:47mes parents avaient installé la petite piscine de jardin
19:50pour qu'on puisse nager,
19:51on s'attachait autour de la taille à la poteau de balançoire derrière
19:55et on avait même acheté un tapis de course.
19:58En fait, au final, c'est passé assez vite.
20:00Avec ma sœur, on avait fait des projets sympas,
20:03toutes les deux, on avait construit une écurie,
20:05une écurie miniature pour ses pneus mobiles.
20:07Enfin, on s'était bien occupé.
20:09Et après, je pense que du coup, le fait qu'il y ait tout qui réouvre, etc.,
20:14ça avait été justement une prise de conscience
20:16que c'est quand même chouette, la vie normale.
20:18Je pense que les compétitions m'ont un peu manqué,
20:20mais je me disais que c'était qu'une histoire de temps,
20:22que ça reviendrait.
20:24Par contre, ce qui a été beaucoup plus dur, c'était le deuxième,
20:27où je venais d'arriver, enfin, j'étais à Lyon depuis deux mois,
20:29j'avais fait ma rentrée presque normale.
20:31Enfin, il y avait encore des mesures sanitaires,
20:33mais c'était ça, c'était le retour à la vie, le retour à la normale.
20:37Et que là, d'un coup, je dois retourner chez mes parents,
20:40être toute seule devant mon écran.
20:41Et puis que les amis que je m'étais fait là-bas,
20:44ce n'étaient pas encore des amis assez proches pour appeler et dire
20:46« Là, ça ne va pas, j'ai besoin de discuter, etc. »
20:49Et là, ça avait été beaucoup plus difficile.
20:51Et puis comme en plus, alimentairement parlant, ça n'allait pas du tout,
20:55c'était vraiment, vraiment compliqué.
20:56Parce que j'essayais de me cacher quand je commençais à faire des crises, etc.
21:00Je ne voulais pas le montrer à mes parents, je ne voulais pas qu'ils s'inquiètent.
21:03Et du coup, se cacher, il n'y a rien de pire,
21:05parce qu'on se sent comme une menteuse, quoi.
21:09Et on se dit « Mais comment j'en suis arrivée là ? »
21:11C'est quand même grave de se créer des problèmes toute seule comme ça, quoi.
21:16Et aujourd'hui, Clara, comment ça va ?
21:18Aujourd'hui, ça va.
21:21Comme je dis souvent, je touche du bois parce que je sais qu'on n'est pas à l'abri.
21:27C'est comme quand on arrête de fumer, ça peut revenir.
21:29Exactement.
21:30D'un point de vue blessure, je sais que ça met beaucoup de temps
21:33à revenir à une densité osseuse normale,
21:35parce que j'ai beaucoup perdu en densité osseuse avec mes restrictions.
21:40Et que même une fois qu'on a un peu ce truc de « Là, je vais prendre soin de moi »,
21:44ça met beaucoup de temps à ce que le mental suive et aussi le corps.
21:48Les os, ils les récupèrent en plusieurs années.
21:51C'est pour ça aussi que je voulais vraiment porter le message de la prévention.
21:56C'est mieux qu'attendre que le corps reste au bout de ses réserves.
22:00Et puis après, d'un point de vue écoute de soi, je continue de cheminer.
22:05J'aime bien dire ça comme ça.
22:07Il y a des fois où ça va super bien pendant des mois et des mois.
22:10Et puis après, des fois, il y a des petites rechutes et c'est comme ça.
22:13Donc, je continue toujours avec mon psychologue.
22:15Je pense que si on a la chance de pouvoir voir un psychologue,
22:18c'est vraiment, vraiment important.
22:21En tout cas, pour moi, c'est une très bonne chose
22:23parce que ça permet d'être un peu au clair avec soi-même, de faire le point.
22:27Et puis même, c'est agréable quand tout va bien.
22:29T'en raconter à quelqu'un, ben voilà, c'était génial.
22:32Exceptionnellement, tout va bien.
22:34Et du coup, je continue de le voir une semaine sur deux.
22:36Et ça me convient vraiment bien comme ça.
22:38Et je suis très contente d'avoir parcouru ce chemin avec lui.
22:43Après, je sais que des fois, il y a la barrière de l'argent
22:48parce que c'est quelque chose dans lequel il faut investir.
22:50Mais je crois qu'il y a quand même de plus en plus d'aides qui se mettent en place
22:53pour qu'on puisse parler et pour une soi de sa santé mentale comme sa santé physique.
22:57Et puis, c'est ça, j'essaie vraiment d'apprendre à être bienveillante avec moi-même
23:02et de ne pas me mettre de pression.
23:05Il me répète souvent ça, des fois, quand on discute.
23:07C'est fou, vous vous mettez encore à la pression pour ça.
23:09Et je me dis, c'est vrai que ça va beaucoup mieux,
23:12mais qu'en fait, c'est toujours là et qu'il ne faut pas laisser
23:16certaines anciennes habitudes revenir et se dire que là, on a réussi ça.
23:22Et du coup, maintenant, on peut se chercher.
23:23Et puis des fois, juste prendre le temps de se poser et de se dire,
23:26ben là, j'ai mérité du repos et c'est bien aussi.
23:30Et si Clara, de 2024, rencontrait Clara qui commence à basculer dans des troubles,
23:36qu'est-ce qu'elle lui dirait pour lui faire gagner beaucoup de temps ?
23:41Ce n'est pas une question facile parce que...
23:44En fait, j'aime bien me dire que je ne regrette pas mon parcours finalement
23:48parce qu'il m'a appris tellement de choses sur moi-même
23:51et que sans les épreuves que j'ai traversées,
23:55je ne serais pas celle que je suis aujourd'hui.
23:58Et que du coup, finalement, je...
24:02Vous signez pour recommencer ?
24:03Je n'ai pas trop envie de...
24:05Parce qu'on connaît la fin heureuse.
24:07Pas trop envie de tout recommencer,
24:09mais je pense que les étapes qu'on traverse dans nos vies,
24:11elles nous forgent et qu'au final, on en apprend chaque jour sur nous.
24:16Et puis, comme je disais, au final, j'ai quand même vraiment...
24:21Je me suis mise toute seule des obstacles sur la route.
24:23Finalement, c'est moi qui ai voulu trop en faire
24:26et qui finalement, après, j'allais très mal.
24:28Et je sais qu'il ne faut pas négliger l'importance de...
24:31Quand on est en dépression, on a beau avoir tout ce qu'il nous faut
24:35d'un point de vue matériel, on peut être très malheureux.
24:38Et minimiser ça en disant,
24:39ah, mais elle a à manger, elle a un toit,
24:42il y a des gens qui sont en train de mourir de faim...
24:43– Tu as tout ce qu'il faut pour être heureux, ça ne suffit pas.
24:45– Oui, c'est ça, mais c'est vrai que c'est triste
24:47parce qu'on se dit, on a un confort matériel incroyable
24:49et on a tout et il y a des gens qui n'ont pas ça.
24:53Et pourquoi nous, on n'arrive pas à en profiter ?
24:55Et en fait, se culpabiliser comme ça, ce n'est pas une solution non plus.
25:01Et c'est pour ça que des fois, je pense que la vie nous met des bâtons
25:04dans les roues pour qu'on ouvre les yeux et qu'on se dise,
25:06ah, mais là, ça va trop loin, il faut que je fasse quelque chose
25:10et il faut que je fasse la paix avec moi-même, en fait.
25:13– Et regardez, devant, c'est le titre de ce témoignage
25:16que vous pouvez retrouver, évidemment, sur le site de TVL, sur tvl.fr.
25:21Merci beaucoup, Clara.
25:22– Merci à vous.
25:25– Sous-titrage ST' 501

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