Comment les cyclistes abusent de la science ?

  • il y a 2 mois
Deux minutes et trente secondes : c'est le temps qu'un coureur peut gagner sur une étape de 200 km en plaçant une bouteille sur son torse. En 100 ans, la vitesse moyenne des gagnants du Tour de France a augmenté de 65%. Et si les performances des cyclistes ne cessent d'augmenter, c'est notamment grâce aux progrès de la recherche en sciences mécaniques. Dans cette vidéo, on vous raconte comment ces athlètes sont devenus de véritables physiciens sur roues, capables de tirer profit des phénomènes les plus anodins pour l'emporter.

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Sport
Transcription
00:00Le vélo, c'est de la voile.
00:09Ça, c'est un truc que tous les cyclistes pros ou amateurs ont déjà entendu.
00:13Parce que pour être le premier à passer la ligne d'arrivée du Tour de France,
00:16il y a un concurrent à battre, le plus constant, le plus impitoyable, l'air.
00:21Lancé à des pointes à 80 km heure, chaque frottement compte.
00:24Et pour pouvoir prétendre au maillot jaune, rouler ne suffit plus.
00:28Des bouteilles placées sous le maillot, des vélos de rechange sur une voiture suiveuse,
00:31des positions surprenantes.
00:33Vous allez voir que rien n'est laissé au hasard.
00:35Et si on a beaucoup parlé de chimie dans les années 2000, l'essentiel vient de la physique.
00:40Un vélo, comme tout objet sur cette terre, s'est soumis à des forces.
00:43Quand un cycliste pédale, il crée une force vers l'avant,
00:46une force musculaire qui joue contre toutes les autres,
00:49le poids mais aussi le frottement des roues sur le sol et bien sûr, la résistance de l'air.
00:53Plus un cycliste va vite et plus sa surface de contact est large,
00:56plus sa résistance à l'air sera grande.
00:58Et pour maintenir sa vitesse face au frottement de l'air,
01:00il faudra appliquer plus de force musculaire, c'est-à-dire pédaler plus fort,
01:04et donc s'épuiser plus vite.
01:06On estime que dans une course, près de 90% de l'effort provient de la traînée,
01:10la résistance à l'air.
01:11Et c'est là qu'intervient le peloton.
01:13Ce gros zamad cycliste est en fait une machine bien huilée.
01:16Car si tout devant on prend l'air de plein fouet,
01:18être positionné bien au centre du peloton est une place de choix.
01:21Typiquement on a un peloton qui a une pointe,
01:24et après il y a le corps du peloton qui est très important.
01:27Se positionner au centre à la fin de la pointe est la position idéale.
01:31Thierry Marshall est directeur d'industrie chez ANSYS.
01:33En 2018, avec le professeur Bert Blocken,
01:36il s'est lancé dans une expérience grandeur nature
01:38pour comprendre la science du peloton.
01:40Pour quantifier les différences de traînée,
01:42l'équipe de chercheurs a placé 121 mannequins dans une soufflerie
01:45reproduisant les conditions d'une vitesse de 54 kmh,
01:48typique des pelotons du Tour de France.
01:50Résultat, les coureurs placés ici subissent à peine 5% de la traînée
01:54que subirait un cycliste seul.
01:56Et c'est ça qu'on appelle l'aspiration.
01:58Et c'est vraiment pas une petite différence ?
01:59Bien calfeutrés à cet endroit, on peut filer à 54 kmh
02:02en déployant autant de puissance que ce qu'il faudrait
02:04pour rouler tout seul à 15 kmh.
02:06Finalement ça veut dire que vous et moi,
02:08on pourrait suivre le Tour de France.
02:10On force quasiment pas.
02:11L'air il fait comme une bulle et il revient sur nous pour pousser.
02:14Mais c'est compliqué à s'en rendre compte quand on sait pas.
02:16Pour bénéficier des meilleures conditions,
02:18les coureurs se bagarrent dans la masse.
02:19Mais comme il n'y a pas de place pour tout le monde,
02:21ça peut finir par terre.
02:37Mais alors pourquoi certains coureurs s'épuisent en tête de peloton ?
02:39Ça, c'est une question de stratégie.
02:41Être devant, c'est pouvoir imposer son rythme.
02:43Et si on va suffisamment vite, on peut casser la course,
02:46c'est-à-dire séparer le peloton en deux parties
02:48l'air revient s'engouffrer entre les deux groupes.
02:51Et là, c'est tchao.
02:52Il y a le feu.
02:53Oui, il y a le feu dans le peloton.
02:55Ça se casse.
02:56Et ça explose.
02:57D'où l'importance de jouer collectif.
02:59Le Tour de France, c'est avant tout une course en équipe.
03:01Des formations de 8 coureurs,
03:03composées d'un leader et de 7 équipiers.
03:05Le leader, on essaie de le protéger le plus longtemps possible
03:08et qu'il ait le plus d'essence possible pour les fins d'étape.
03:11Lorsqu'un coureur attaque, il devient vulnérable à l'air.
03:14Attaquer trop tôt, c'est donc prendre le risque de se cramer avant l'arrivée.
03:17Et quand une échappée n'est pas suivie,
03:19les coureurs n'ont d'autre choix que de ralentir pour attendre le peloton.
03:22Cette année, on a même vu des coureurs s'arrêter sur le bas-côté,
03:25laissant les commentateurs perplexes.
03:27Et voilà, il s'arrête.
03:28Très grévant.
03:29Je trouve que pour faire ça, il valait mieux rester dans le peloton.
03:32C'est un peu une grosse blague.
03:34Et c'est précisément pour éviter ça que les échappées se font par petits groupes.
03:37Le numéro 1 va permettre aux autres de bénéficier de l'aspiration.
03:40A puissance constante, le numéro 2 va donc aller plus vite que le premier,
03:44qu'il va donc dépasser avant que le numéro 3 ne prenne sa place.
03:47Et ainsi de suite.
03:48Et quand il y a du vent, l'orientation de ce petit peloton va varier.
03:51Les cyclistes vont se placer en éventail,
03:53ce qui va aussi avoir pour conséquence d'empêcher les concurrents de rejoindre le groupe.
03:57On va donc avoir plusieurs petits pelotons qui vont se constituer en diagonale.
04:01Mais alors, s'il y a bien un moment où l'aérodynamisme est essentiel,
04:04logiquement, c'est en descente.
04:06Alors là, j'ai rarement vu ça.
04:08Un coureur couché sur le vélo, oui, en recherche de vitesse aérodynamique,
04:13mais qui pédale.
04:15J'ai rarement vu ça quand même.
04:18En 2016, Christopher Froome, quadruple vainqueur du Tour,
04:21remporte la huitième étape grâce à une position inédite.
04:24Assis sur le tube de son vélo, le torse sur le guidon,
04:27le Britannique atteint une vitesse de 90,9 km heure.
04:31C'est la naissance de la position Froome.
04:34Tous les commentateurs disaient, oui, fantastique, il a trouvé la position idéale.
04:38C'est un expert en aérodynamique, je me suis dit, je ne suis pas vraiment convaincu de ceci.
04:42L'équipe du professeur Blokken n'est pas sûre-sûre,
04:44donc elle décide de passer la position Froome à l'épreuve de la soufflerie.
04:47Les chercheurs vont modéliser d'autres positions connues,
04:50notamment celle de Peter Sagan, celle de Vincenzo Nibali,
04:53ou encore celle de Marco Pantani.
04:55Résultat, en plus d'être particulièrement dangereuse,
04:58la position Froome est loin d'être la plus aérodynamique.
05:01D'après les calculs de l'équipe, les positions de Pantani et de Sagan sont bien plus rapides.
05:05Par rapport à une position classique de descente, celle de Froome n'est que 9% plus rapide,
05:10contre 14% pour Pantani et 17% pour Sagan.
05:13Ça nous a même valu un mot de reconnaissance de Peter Sagan sur Facebook.
05:17Mais la position la plus efficace, c'est celle-là.
05:26Les études numériques ont montré que l'aérodynamique de ce Superman était meilleure.
05:30D'après les chercheurs, la position Superman serait 24% plus rapide qu'une position classique de descente.
05:36Oui, ça c'est sûr que ça va beaucoup plus vite.
05:38Mais après, ça c'est juste hyper dangereux et perso je sais le faire,
05:41mais c'est clairement de t'éviter par terre.
05:50Pour des raisons de sécurité, un certain nombre de ces positions de descente
05:53ont été interdites en compétition officielle par l'Union Cycliste Internationale, l'UCI.
05:58Le Superman, pour des raisons plutôt évidentes.
06:00Mais aussi la position Froome et Pantani, jugées trop dangereuses
06:03pour prendre le risque qu'elles soient imitées par des cyclistes amateurs.
06:06Mais cette quête de la position idéale, ça reste le graal des cyclistes professionnels.
06:10J'avais rencontré Walt Van Aert dans une pièce en soufflerie.
06:13Je lui ai dit oui, mais on peut calculer quelle est la position idéale,
06:16mais il faut également une position de confort parce que vous faites une course qui a duré 4 à 5 heures.
06:20Il m'a dit non, non, non, donnez-moi la position mathématiquement optimale,
06:23moi ce qui m'intéresse c'est d'arriver devant.
06:26Bref, les conclusions des scientifiques sont des informations inestimables pour les coureurs,
06:30mais aussi pour les instances du cyclisme mondial qui veillent à ce que l'esprit du sport reste intact.
06:35Parce que sur une course, il n'y a pas que des vélos.
06:37Le public, les scooters de presse ou les voitures suiveuses
06:40sont autant d'éléments qui peuvent influer sur les poussées d'air.
06:43Et ça aussi, l'équipe du professeur Blocken a voulu le tester.
06:46On avait fait des premières études avec une voiture qui suivait un cycliste,
06:50un à deux mètres derrière le cycliste, ce qui était interdit, mais beaucoup le faisaient.
06:54On a vu que la voiture poussait de l'air et cet air qui était poussé venait pousser le cycliste.
06:58Tout le monde nous avait dit oui, c'est vraiment très marginal, ça n'a pas beaucoup d'impact.
07:02Sur un contrôle à montre de 50 kilomètres, simplement l'air poussé par la voiture faisait gagner 1 minute 40 secondes au cycliste.
07:09C'est suffisant que pour gagner le Tour de France.
07:12Et à la suite de cette étude, on a commencé à constater un truc marrant.
07:15Lors des étapes de contrôle à montre, les voitures suiveuses se sont mises à transporter 10, 15 vélos de secours sur le toit pour pousser davantage d'air.
07:22Et c'est ce qui a conduit l'UCI à changer la règle en 2023,
07:25en imposant aux voitures suiveuses de se placer au minimum à 25 mètres du coureur,
07:29citant au passage les travaux du professeur Blocken.
07:32Les motos de presse ont-elles aussi un impact sur la course ?
07:35Même à 30 mètres devant un cycliste, une moto peut réduire la pression de l'air et faire gagner jusqu'à 1 seconde par kilomètre.
07:42Et puis, il y a eux.
07:43Je crois qu'ils vont l'arrêter, je crois qu'ils vont l'arrêter, regardez !
07:46Le public est lui aussi exploité par les grands champions,
07:48qui profitent de la foule pour s'abriter du vent et avancer plus facilement.
07:52Depuis peu, on s'aperçoit que même des pratiques en apparence anodines peuvent avoir un effet considérable.
07:57Comme cette bosse là, au niveau du torse des cyclistes.
07:59C'est ce qu'on appelle le chestfairing, littéralement carénage de torse.
08:03Ça consiste à venir caler une bouteille d'eau ou n'importe quel autre objet sous son maillot.
08:07Vous allez me dire, bon, quel est l'impact ?
08:09Ça change complètement la direction du vent.
08:11Quand il est bien exécuté, le chestfairing peut permettre de réduire les frottements de 4%,
08:15soit un gain de plus de 2 minutes 30 sur une étape de 200 kilomètres.
08:19Bref, à des vitesses pareilles, le moindre petit élément peut devenir suspect.
08:22Une bouteille bien placée, un casque hyper fuselé.
08:25On pourrait aussi parler des lunettes aérodynamiques de Dylan Gronewegen,
08:28vainqueur de la sixième étape du Tour 2024.
08:31Ces lunettes avec le nez aérodynamique qui sont vraiment pas jolis,
08:34mais ils gagnent de 2 ou 3 centimètres.
08:36Peut-être que les 2 ou 3 centimètres, s'il n'avait pas eu ces lunettes-là,
08:39sur 2 ou 300 mètres de sprint, ça y joue.
08:41Il y a quelques années, on ne comprenait même pas qu'il y avait une marque,
08:44ils allaient beaucoup plus vite que nous alors qu'ils ne pédalaient pas dans les descentes, les mecs.
08:47Et là-dedans, difficile de dire ce qui relève de la technologie, de l'innovation ou du jeu des loyales.
08:52En 2022, dans le Milan-San Remo, Matej Morić avait fait sensation
08:56en remportant la course sur une selle télescopique,
08:58ajustable en pleine course via une petite poignée installée sur le guidon.
09:02Et même si cette efficacité reste à prouver,
09:04le Slovène déclarait avoir détruit le cyclisme avec cette innovation,
09:08validée par les instances mondiales.
09:10Aujourd'hui, les coureurs sont plus que jamais à l'affût de la science
09:12qui leur permettra de battre le vent.
09:14La compétition technologique n'a jamais été aussi en force.
09:17Un vélo d'il y a 10 ans, tu perds trop.
09:19Même d'il y a 5-6 ans.
09:21Tous les ans, ça évolue.
09:22Les casques, les lunettes, les chaussures.
09:24Par exemple, toutes les équipes achètent des combinaisons des autres équipes
09:27pour voir un peu la différence.
09:29Tout le matériel est étudié.
09:30Cette course à la technologie pose quand même une question.
09:33À quoi ressemblera le cyclisme dans 10 ans ?
09:35120 ans après la première édition du Tour de France,
09:38les chercheurs ont propulsé les coureurs dans une nouvelle ère,
09:41celle du cyclisme scientifique.
09:43Et dans cette ère qui est encore à ses débuts,
09:45la prépa physique n'aura jamais aussi bien porté son nom.
09:48...
10:17...

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