Un monde,un.regard-Tony Estanguet

  • il y a 2 mois
Le 21 janvier 2022, Tony Estanguet, triple champion olympique de canoë et président du comité d'organisation des Jeux Olympiques de Paris 2024, était l'invité de Rebecca Fitoussi dans l'émission "Un monde, un regard" diffusée sur Public Sénat. Durant cette interview, Estanguet a abordé divers sujets, notamment son rôle dans l'organisation des JO de Paris 2024 et ses perspectives pour l'avenir. Il a notamment précisé qu'il n'avait pas pour objectif de devenir ministre des Sports, se concentrant pleinement sur la réussite des prochains Jeux Olympiques en France.

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00:00Musique
00:22Notre invité a déjà eu deux vies, sa vie d'athlète de très haut niveau et une vie disons plus politique, plus médiatique.
00:29En fait, il est le visage des JO de Paris 2024, ça fait pas mal d'années maintenant qu'il met toute son énergie dans ce projet
00:36parce que président du comité d'organisation des Jeux, ce n'est pas une petite affaire.
00:41Les enjeux économiques, sociaux et même sociétaux sont absolument gigantesques.
00:46Interdit de se louper, les JO d'été à Paris c'est arrivé deux fois dans l'histoire, les derniers c'était il y a un siècle.
00:51Vous l'avez compris, la pression sur les épaules de notre invité est énorme.
00:56Mais pourquoi ? Pourquoi s'est-il lancé dans une aventure si périlleuse ?
01:00Avait-il besoin de retrouver l'adrénaline des finales olympiques de Kanoé ?
01:04Eh bien, on va lui poser toutes ces questions.
01:06Bienvenue dans un monde à regard, bienvenue Tony Estanguet.
01:08Merci d'avoir accepté notre invitation dans ce dôme tournant du Sénat.
01:12Pourquoi ? Pourquoi vous êtes-vous lancé là-dedans ?
01:14C'est vrai qu'on peut se poser la question.
01:15Vous aviez vraiment besoin de retrouver une autre forme d'adrénaline ?
01:19Oui, bonjour d'abord.
01:20Écoutez, c'est vrai qu'à la fin de ma carrière sportive, je me suis demandé ce que j'allais devenir.
01:23Comme beaucoup de sportifs de haut niveau, après avoir passé 20 ans à me spécialiser dans un sport,
01:28j'avais besoin d'un défi.
01:30Et c'est vrai que le sport a changé ma vie.
01:32J'ai aussi cette conviction que le sport pourrait apporter encore davantage à la société française.
01:37Et qu'il fallait un grand projet.
01:39Donc quand on m'a proposé de faire partie de cette équipe qui allait se lancer dans ce défi
01:44de faire gagner la France pour accueillir les Jeux en 2024,
01:47j'avais envie effectivement de ce nouveau défi.
01:49Je parlais d'enjeux colossaux, est-ce qu'il vous arrive d'avoir peur ?
01:52Et pour le dire même plus franchement, vous avez la trouille ?
01:54Oui, bien évidemment, je pense que c'est effectivement un projet complexe.
01:57C'est le plus grand projet que la France n'ait jamais organisé.
01:59On va accueillir le monde, 206 pays.
02:02Un peu moins de 15 millions de billets seront en vente.
02:06C'est colossal, 15 000 athlètes vont participer à ces Jeux.
02:09Mais vous, vous avez peur ou pas ?
02:11Oui, moi j'ai peur de tout ça, parce que les enjeux sont importants.
02:13Et donc il faut être au rendez-vous.
02:15La France ne peut pas se rater entre guillemets.
02:17On est un grand pays, les attentes sont très grandes.
02:19Quand je me déplace un peu partout sur la planète,
02:21les gens se disent « Waouh, les Jeux à Paris en France, ça fait rêver ! »
02:25C'est plus difficile parfois que la pression du sport de très haut niveau ?
02:28C'est très différent en tous les cas.
02:30Moi j'ai appris à me spécialiser, à maîtriser chacun des paramètres de ma performance.
02:34Le petit détail qui fait la différence, tout était sous contrôle.
02:37Mais quand même je ré-emploie, je réutilise ce que j'ai appris dans ma carrière d'athlète.
02:42C'est-à-dire la capacité à s'adapter en permanence.
02:45Quand vous êtes sportif de haut niveau, surtout dans mon sport,
02:47le canoë-cadavre, j'étais dans un milieu assez aléatoire,
02:50avec des vagues qui bougeaient, qui changeaient tous les jours.
02:53Donc je devais quand même m'adapter à un environnement assez mouvement.
02:56Donc ça a pu aider ?
02:57Aujourd'hui ça m'aide à faire face un peu à ce stress,
03:00de ne pas savoir toujours comment on va organiser les Jeux.
03:03Comment est-ce qu'on va trouver des solutions quand de nouvelles difficultés arrivent ?
03:07Parce qu'il y a des retards dans les travaux ?
03:08Parce que si, parce que ça, il peut y avoir des aléas.
03:11Quelque part, on a des solutions dans ce pays pour organiser des Jeux exceptionnels.
03:15Sauf que votre sport est plutôt individuel.
03:17Là, c'est, j'imagine, une aventure très collective.
03:20Est-ce que c'est mieux ? C'est moins bien ?
03:22A l'époque, vous ne pouviez compter que sur vous.
03:23Là, vous pouvez compter sur d'autres.
03:24Et c'est ça qui m'a plu dans ce nouveau défi, justement, à la fin de ma carrière.
03:27J'avais envie de tourner la page de ma carrière sportive
03:30pour justement retrouver de l'adrénaline, mais dans un projet très collectif.
03:34Et c'est ce que je trouve magique aujourd'hui,
03:36d'être capable de réussir à fédérer le mouvement sportif,
03:40toutes ces fédérations qui sont au cœur du dispositif,
03:42avec les athlètes en première ligne.
03:44Mais aussi les acteurs économiques qui vont financer ces Jeux.
03:4897% du budget du comité de l'organisation est financé par les entreprises.
03:52Et puis, les acteurs publics qui ont un rôle très important à jouer aussi
03:55pour nous accompagner vers la réussite.
03:57Et donc, ça nécessite de coordonner des centaines d'entités
04:01qui doivent contribuer à la réussite
04:04et donner le meilleur visage, quelque part, de la France.
04:06Ces Jeux, ils seront réussis si quoi, pour vous ?
04:09S'il y a une émulation collective ?
04:11Si ça crée des emplois ?
04:13Au nombre de médailles ?
04:15Pour vous, à quelles conditions vous considérez que ces Jeux sont réussis ?
04:19Pour moi, ces Jeux doivent être, encore une fois,
04:21le reflet du meilleur de la France.
04:23Et donc, nous, nos Jeux, on les veut réussis
04:25à condition d'être spectaculaires.
04:27Parce que les Jeux, c'est des émotions.
04:29Et, quelque part, organiser des compétitions
04:31au pied de la Tour Eiffel,
04:33dans les jardins du Château de Versailles,
04:35au Grand Palais, aux Invalides,
04:37c'est, quelque part, mêler le meilleur de notre patrimoine
04:40avec les émotions des sportifs.
04:42Mais c'est aussi des Jeux plus exemplaires.
04:44Parce que les Jeux, aujourd'hui, doivent,
04:46quelque part, se connecter aux défis de notre société.
04:48Et donc, c'est réduire de moitié
04:50les émissions carbone, par exemple,
04:52en utilisant 95% des infrastructures
04:54qui sont déjà existantes.
04:56C'est des Jeux plus paritaires. Et donc, on va multiplier
04:58ces engagements, aussi, pour que
05:00on démontre que c'est possible d'organiser les Jeux
05:02différemment par rapport à tout ce qui s'est fait.
05:04Et vous diriez que c'est même un antidote
05:06à l'amorosité ambiante ?
05:08Oui, je crois qu'on en a besoin.
05:10On a besoin de se raccrocher à un horizon positif
05:12en sortie de crise sanitaire.
05:14Je crois, encore une fois, que le sport peut être
05:16un horizon très positif. Il démontre
05:18qu'il continue à être
05:20les meilleures audiences. C'est ces temps forts
05:22où les gens se retrouvent, partagent des émotions,
05:24vont dans la rue pour partager
05:26une grande victoire. Mais c'est aussi,
05:28au quotidien, un vecteur de bien-être.
05:30Toutes les études scientifiques démontrent
05:32que, pour vivre longtemps et en bonne santé,
05:34il faut pratiquer de manière régulière le sport.
05:36Les Jeux, ce sont aussi, souvent,
05:38des polémiques. Des polémiques
05:40sur des infrastructures
05:42vieillissantes qui, finalement, sont abandonnées
05:44après les Jeux. Comment vous appréhendez tout ça ?
05:46Justement, on a revu complètement
05:48le modèle. On s'est dit
05:50qu'on allait vraiment essayer de penser
05:52des Jeux différents. Un nouveau modèle d'organisation.
05:5495% d'infrastructures existantes.
05:56Parce qu'on a vu, dans le passé, que les
05:58dépassements budgétaires venaient sur les infrastructures.
06:00Toujours. Donc, quelque part,
06:02en réduisant complètement...
06:04On va construire 10 fois moins d'équipements par rapport aux
06:06dernières éditions, même par rapport à Londres.
06:08Donc, quelque part, on réduit
06:10les risques de dépassements budgétaires.
06:12Et ensuite, c'est mettre
06:14nos moyens, justement, sur
06:16comment est-ce qu'on apporte des solutions pour
06:18développer la place du sport dans la société.
06:20Ce programme de 30 minutes de sport à l'école
06:22primaire, par exemple, aujourd'hui,
06:24l'Organisation mondiale de la santé
06:26dit que 80% de nos adolescents
06:28ne font pas suffisamment de sport en France.
06:30On est classé 117ème pays sur 140
06:32en matière de sédentarité.
06:34Donc, on a un vrai défi collectif
06:36à relever. Et, quelque part,
06:38les Jeux, qui sont le plus grand événement sportif
06:40de la planète, doivent être aussi un moyen
06:42de développer la place
06:44du sport loisir.
06:46Certains disent que c'est aussi une compétition un peu surannée, qu'elle a fait son temps,
06:48qu'elle est un peu dépassée. Vous n'êtes pas d'accord avec cela ?
06:50Non, moi, je ne suis pas d'accord avec ça. Alors, après, je ne suis pas complètement objectif
06:52parce que j'ai fait les Jeux, j'ai vu ce que ça a apporté
06:54dans un pays. Je sais aussi, au-delà des
06:56émotions, aujourd'hui,
06:58si moi, je suis épanoui, si moi, je suis en bonne santé,
07:00c'est parce que j'ai pratiqué le sport,
07:02je continue à pratiquer le sport.
07:04Et, quelque part, si moi, j'ai commencé le sport
07:06quand j'étais tout gamin, c'est parce que des champions
07:08m'ont fait rêver.
07:10Et donc, il faut garder ces événements
07:12sportifs de très haut niveau, qui sont
07:14des moments où on idéalise,
07:16où on fait rêver. Il faut faire rêver
07:18la jeunesse, il faut leur donner envie
07:20de pratiquer des sports. On a, aujourd'hui,
07:22cette chance d'avoir 180 000 clubs
07:24partout dans ce pays, en France, avec
07:26plein de disciplines différentes. Il y a forcément un sport pour vous,
07:28quel que soit votre goût,
07:30quel que soit votre âge, allez dans un club
07:32et vous verrez que, pour votre santé,
07:34vous vous ferez bien, mais vous allez aussi vous faire plaisir,
07:36vous allez rencontrer du monde. Et c'est, aujourd'hui,
07:38un vecteur d'inclusion qui est assez incroyable.
07:40Il y a des choix de sport qui braquent aussi, qui fâchent.
07:42Le breakdance, par exemple ?
07:44C'est vrai que, quand on veut organiser
07:46cet événement d'une manière différente,
07:48de temps en temps, ça fâche un peu.
07:50On sait qu'il y a toujours une résistance au changement,
07:52une résistance, il y a un conservatisme.
07:54Mais, si on veut organiser les Jeux de la France,
07:56le meilleur de la France, à travers Paris
07:582024, il faut aussi faire des choix.
08:00Je parle du breakdance parce qu'il y a eu une polémique
08:02autour de votre choix
08:04d'inscrire le breakdance en compétition
08:06au détriment d'autres disciplines,
08:08comme le karaté, par exemple.
08:10Il y avait 19 sports qui ont candidaté, on pouvait en retenir
08:124 en sport additionnel.
08:14On a privilégié la complémentarité
08:16parce que la magie des Jeux,
08:18c'est cette diversité des sports. Pendant 2 semaines
08:20de compétition, on en prend
08:22plein les yeux. C'est un choix collectif,
08:24c'est un choix que vous assumez.
08:26Oui, parce qu'on a voulu
08:28agrémenter, compléter
08:30cette diversité sportive.
08:32Aujourd'hui, le breakdance que vous citez,
08:34c'est un sport de rue qui ne nécessite pas de moyens
08:36et qui a le vent en poupe.
08:38C'était important de leur donner
08:40leur chance de démontrer cet univers
08:42artistique et sportif.
08:44Je le disais en introduction, votre tâche est devenue très politique.
08:46Votre exercice quotidien, c'est aussi
08:48d'aller serrer des mains, de sourire,
08:50de convaincre, de plaire.
08:52J'imagine que ce n'est pas simple tous les jours.
08:54Ça a été compliqué de s'adapter à ça ou pas ?
08:56Oui, forcément, ça a été compliqué. Ce n'est pas mon univers
08:58et ce n'est pas forcément mon moteur aujourd'hui,
09:00mais c'est mon rôle, en tant que président
09:02de Paris 2004, c'est de fédérer, d'embarquer
09:04un peu tout le monde. Pour l'instant, jusqu'ici,
09:06jamais de déception, jamais de coup bas,
09:08jamais de trahison, quelque chose que vous pourriez dévoiler ici,
09:10par exemple ? Non, des difficultés forcément
09:12au quotidien, parce que, encore une fois, quand on doit
09:14aligner tout le monde, ce n'est pas toujours facile.
09:16Tout le monde n'est pas forcément tout le temps d'accord.
09:18Régulièrement, il y a quand même un super compromis,
09:20même au niveau politique, je vois bien où vous voulez m'emmener.
09:22Je travaille aujourd'hui régulièrement
09:24avec des acteurs
09:26qui sont dans le combat politique aussi,
09:28de temps en temps. Et dans l'intérêt politique,
09:30par définition. Exactement, mais sur la cause
09:32des jeux, se retrouvent. Et
09:34aujourd'hui, plusieurs d'entre eux sont candidats
09:36à une élection. Ça ne les empêche pas
09:38de venir participer aux réunions
09:40de Paris 2024 et,
09:42quelque part, de contribuer au meilleur de ce projet.
09:44Vous parlez d'Anne Hidalgo, là, par exemple. Je parle d'Anne Hidalgo,
09:46du président de la République, de Valérie Pécresse,
09:48qui sont tous embarqués en
09:50première ligne sur Paris 2024
09:52et qui mettent de côté
09:54leur rivalité politique pour faire
09:56en sorte que ce projet réussisse. Et aujourd'hui,
09:58on est dans les temps, on est toujours
10:00dans le budget, il n'y a aucun dépassement budgétaire
10:02et on a un projet d'exception.
10:04Donc la magie des jeux, c'est de les réunir et de les rassembler autour
10:06d'une même force, d'une même ferveur. C'est ça, et surtout
10:08de les réunir eux, mais aussi les athlètes
10:10et aussi les entreprises qui financent les jeux.
10:12Et donc, c'est ce défi-là
10:14qui nous anime au quotidien, c'est pour ça que
10:16c'est intense.
10:18Sacré défi sportif, justement,
10:20les JO. Alors, vous l'avez dit, c'est d'abord
10:22en tant qu'athlète que vous les avez connus. Votre
10:24première vie, c'était le sport de très haut niveau. Je vais quand même
10:26citer votre palmarès. Les médailles
10:28olympiques, vous les collectionnez. Vous êtes le seul Français à avoir
10:30gagné trois médailles d'or lors des Jeux Olympiques différents.
10:32L'or à Sydney, en 2000.
10:34L'or à Athènes, en 2004.
10:36Petit accident à Pékin, on va y revenir en 2008
10:38où vous êtes demi-finaliste, mais vous revenez sans médaille.
10:40Et l'or à Londres, en
10:422012. Est-ce que c'est parce que vous
10:44perdez à Pékin que vous gagnez à Londres ?
10:46C'est bien possible. En tous les cas, je peux
10:48vous dire que cette défaite
10:50à Pékin, elle a été très très
10:52riche d'enseignement pour moi.
10:54Ça a été une énorme claque, parce que
10:56clairement, j'allais à Pékin pour essayer de
10:58gagner et d'enchaîner ces trois
11:00victoires.
11:02Une petite touche à la porte
11:04de trois en demi-finale, effectivement, me sort de
11:06la finale. Donc, ça a été
11:08dur parce que ça a été une grosse remise en question.
11:10La question aussi, j'avais 30 ans à ce moment-là,
11:12la question d'arrêter ma carrière ou de continuer.
11:14Et je peux vous dire que les quatre
11:16années qui ont suivi la défaite de Pékin
11:18ont été super riches, parce que humainement,
11:20il a fallu se reconstruire,
11:22il a fallu imaginer
11:24et créer quelque part une nouvelle manière
11:26de me préparer, parce qu'on ne peut pas gagner les jeux
11:28à 34 ans comme je les avais gagnés
11:30à 22 ans à Sydney pour mes premiers jeux.
11:32Et donc, c'est cette adaptation qui a été
11:34vraiment nécessaire pour
11:36moi pendant ces quatre dernières années de ma carrière,
11:38qui a été très riche. Mon frère est devenu...
11:40Avec votre frère, c'est ce que j'allais vous dire, ça devient une aventure familiale aussi à ce moment-là.
11:42Exactement, parce que j'ai été adversaire
11:44avec mon frère pendant longtemps, sur mes premières Olympiades.
11:46Et puis, quand il a arrêté sa carrière,
11:48parce que c'est mon aîné,
11:50je lui ai proposé, effectivement, de devenir mon entraîneur.
11:52Et on a partagé cette
11:54dernière Olympiade ensemble, et on est allés chercher
11:56l'or à Londres en 2012.
11:58Est-ce que c'est l'échec, du coup, qui
12:00vous fait remporter cette médaille
12:02et qui, du coup, crée une ambition encore
12:04plus forte, qui vous donne
12:06encore plus fin de victoire ?
12:08En tous les cas, je trouve que
12:10c'était intéressant pour moi d'être capable
12:12de gérer un échec,
12:14de l'assumer, de l'accepter,
12:16de l'analyser, parce qu'il n'y a pas
12:18toujours tout à jeter dans un échec.
12:20Ça s'est joué à pas grand-chose.
12:22Et quelque part, c'est cette qualité-là
12:24aussi qui m'a permis d'aller
12:26chercher l'or à Londres. Et aujourd'hui,
12:28quand, encore une fois,
12:30on a des voies qui se ferment
12:32parce qu'elles sont impossibles, on essaie de
12:34les contourner, on essaie de trouver d'autres solutions, d'être créatif
12:36et d'imaginer un nouveau modèle
12:38d'organisation des Jeux, comme, à l'époque,
12:40j'ai imaginé une nouvelle manière de gagner les Jeux.
12:42Le 31 juillet 2012,
12:44lorsque vous remportez cette médaille
12:46historique, cette médaille d'or historique à Londres,
12:48vous dites que vous avez été en phase
12:50avec les éléments. C'est à la fois magnifique
12:52et terrifiant. Est-ce que ça veut dire que ça tient à rien,
12:54une victoire ? Oui, ça tient à rien.
12:56Franchement, ça tient à rien, même si je peux vous dire
12:58que chaque dixième de seconde de cette manche,
13:00je l'ai encore gravée en moi, je me souviens
13:02de chaque appui, chaque coup de pagaie,
13:04chaque gîte dans chaque vague,
13:06mais c'est vrai qu'il y a 2-3 fois dans la manche
13:08où je prends des risques, ça passe,
13:10mais je sais aussi que ça pourrait ne pas passer,
13:12parce qu'il y a 2-3 fois où je passe à moins de 2 cm
13:14d'une touche, et
13:16c'est ça qui est assez magique, parce que ça
13:18ne dure que 90 secondes, c'est 4 ans de travail
13:20quotidien qui sont jugés sur 90
13:22secondes d'effort, donc c'est une vraie prise
13:24de risque. Vous faites presque les gestes, là.
13:26Vous pouvez les refaire tous. Vous y êtes, là.
13:28Je me souviens exactement de toutes mes trajectoires,
13:30c'est gravé,
13:32encore une fois, dans mon ADN
13:34aujourd'hui, et c'était ma première vie,
13:36c'était très intense, mais c'est vrai que
13:38quand on est sportif de haut niveau, on pousse
13:40vraiment les limites de son corps,
13:42de son stress, pour aller
13:44chercher un peu l'exceptionnel, et c'est vrai que
13:46cette fois-là, pour peut-être la
13:48première fois de toute ma carrière sportive,
13:50j'ai senti que j'étais
13:52en phase avec les éléments, que
13:54je comprenais ce qui se passait, je sentais que
13:56la vague était en train de se former, donc j'avais toujours
13:58un petit temps d'avance, parce que j'avais
14:00la vision, j'avais ce qu'il fallait à ce moment-là,
14:02j'étais un peu dans un état surnaturel qu'on a du mal
14:04à expliquer. Mais des années d'efforts, de sacrifices
14:06qui se jouent en quelques secondes...
14:08Ouais, c'est ça qui est magique aussi, c'est
14:10d'accepter, de prendre des risques,
14:12on ne maîtrise pas tous les paramètres,
14:14c'est un sport assez aléatoire, mais...
14:16C'est cruel aussi, une compétition pas cruelle...
14:18En 2008, ça a été un peu cruel pour moi, et ça a été
14:20dur, mais c'était intéressant aussi de le vivre,
14:22parce que c'est une bonne dose d'humilité,
14:24et on en a besoin dans la vie aussi, de temps en temps,
14:26de prendre des petits coups d'humilité,
14:28et ça remet les idées en place, et puis ensuite, on repart au combat.
14:30Le message d'humilité, vous le portez auprès des politiques
14:32que vous fréquentez, par exemple ? Tout le monde !
14:34Pas eux particulièrement !
14:36J'ai un document pour vous, alors je vais vous le donner en main propre,
14:38et puis je vais le décrire pour les gens qui nous écoutent.
14:40C'est un document transmis par les Archives Nationales,
14:42qui sont nos partenaires sur cette émission,
14:44et je vous le dis parce que c'est écrit tout petit, c'est un rapport
14:46d'activité de la Fédération Française de Canoë,
14:48qui date de 1946.
14:50Je vous lis ce qui est écrit, en 1946.
14:52Le canoë n'est pas un sport spectaculaire,
14:54et les recettes qui sont faites à l'occasion
14:56de matchs ou rencontres sont pratiquement insignifiantes.
14:58Nous avons donc l'honneur,
15:00pour ces deux organisations, de solliciter
15:02l'obtention d'une subvention spéciale.
15:04Ça vous inspire quoi ?
15:06Ça vous rappelle des choses ?
15:08Peut-être, ça nous dit que le canoë
15:10a quand même souvent, dans l'histoire, été
15:12un sport malmené ?
15:14Oui, je pense que ça fait partie de ces sports
15:16un peu méconnus,
15:18entre guillemets, et qui vivent effectivement
15:20grâce au soutien d'acteurs publics.
15:22Mais c'est aussi le modèle français,
15:24quelque part, du sport en général.
15:26On a cette chance, entre guillemets,
15:28d'avoir des acteurs publics, les communes,
15:30aux premiers chefs, qui,
15:32partout dans le territoire, accompagnent
15:34avec des subventions, des petits clubs,
15:36entre guillemets, de sport,
15:38mais qui permettent
15:40à des millions de Français de faire du sport,
15:42des millions de rencontres, tous les week-ends,
15:44dans toutes les villes.
15:46Il y a des petits matchs de football, de sport collectif,
15:48de sport individuel, et ça crée du lien.
15:50Ce n'est pas le cas dans tous les pays ?
15:52Non, ce n'est pas le cas dans tous les pays.
15:54Il y a quelques pays où c'est très privé,
15:56où il y a moins d'accompagnement public, et je pense
15:58qu'on doit être fier de ce modèle-là, parce que
16:00c'est grâce à ce modèle que des sports comme le mien,
16:02que des sports dits mineurs,
16:04pas assez spectaculaires, comme c'est écrit en 46,
16:06c'est terrible de lire ça.
16:08Peut-être qu'aujourd'hui, si on faisait la même étude,
16:10certains diraient que c'est un sport qui est plus
16:12spectaculaire que d'autres, mais en tous les cas,
16:14ça permet de garder
16:16cette richesse sportive.
16:18Moi, personnellement, j'ai grandi dans un univers sportif
16:20où je me suis essayé
16:22à des sports très différents, des sports collectifs,
16:24des sports d'intérieur, des sports d'extérieur,
16:26et je trouve ça assez magique dans notre
16:28pays, encore une fois, de pouvoir aller en montagne,
16:30de pouvoir aller sur le littoral,
16:32de pouvoir aller dans des sports d'intérieur,
16:34et quelque part,
16:36de prendre du plaisir. Et c'est cette
16:38diversité sportive qu'il faut absolument conserver
16:40et, entre guillemets, préserver.
16:42Mais vous regrettez que parfois on dise
16:44qu'un sport n'est pas assez spectaculaire et qu'on en change les règles
16:46pour qu'il soit plus spectaculaire, justement ?
16:48Oui, non, pas forcément. Je pense que
16:50le monde du sport doit aussi se remettre en question
16:52et, de temps en temps, il faut faire évoluer
16:54l'offre sportive
16:56parce que, quelque part, on doit répondre
16:58à une attente des consommateurs et des
17:00Français qui ont envie d'un plaisir
17:02plus rapide, d'avoir un apprentissage
17:04plus facile, parce que des fois,
17:06c'est dur. Moi, je me souviens de mon enseignement du canon et
17:08cadaque, dans les
17:10eaux du Gave des Pyrénées,
17:12il faisait froid, l'eau était froide,
17:14c'était dur, on n'avait pas du super matériel.
17:16Aujourd'hui, les jeunes,
17:18ils ont du matériel qui est de meilleure qualité,
17:20on a moins froid, on a des bateaux qui sont
17:22plus faciles à manier et tant mieux,
17:24quelque part, qu'on soit capable de faire évoluer
17:26ces sports-là. Mais vous vous dites parfois qu'il n'y en a quand même un peu
17:28que pour le foot et un peu pour le rugby en France ?
17:30Oui, il y a toujours
17:32cette petite jalousie,
17:34effectivement. Oui, il y a cette
17:36jalousie des autres athlètes, des autres sportifs ?
17:38Oui, il y a de la frustration parce que c'est vrai
17:40que nous, quand on vient d'un sport,
17:42on trouve que c'est le plus beau sport parce qu'on y prend du plaisir
17:44au quotidien. Mais quand même,
17:46globalement, je trouve qu'on a beaucoup de chance,
17:48encore une fois, en France, d'avoir ce modèle
17:50qui garantit à une centaine,
17:52il y a 107 fédérations
17:54sportives dans notre pays,
17:56contrairement à d'autres pays qui ont fait des choix
17:58de vouloir, entre guillemets,
18:00ne choisir que des sports qui
18:02offrent des médailles, par exemple.
18:04Moi, je ne suis pas forcément apte à ça parce que le sport,
18:06c'est d'abord du sport loisir, c'est d'abord
18:08du plaisir. Ensuite, on peut faire du haut niveau
18:10pour certains, si on s'y retrouve.
18:12Et puis, peut-être que parfois, les millions qui sont sur la table
18:14viennent dénaturer le sport, si vous vous dites ça,
18:16notamment, évidemment.
18:18Moi, je suis contre ce débat
18:20de vouloir opposer le sport pro et le sport loisir.
18:22Je pense que le sport loisir vit grâce au sport professionnel.
18:24L'argent récolté,
18:26généré par le football, quelque part,
18:28il bénéficie aussi à tout l'écosystème
18:30sportif, au sens large.
18:32Et donc, je pense qu'il faut garder
18:34des grands matchs
18:36professionnels,
18:38des grands moments de sport professionnel,
18:40parce que, quelque part, ça fait le lien avec
18:42le sport loisir et on est tous
18:44aussi contents de voir une équipe de France qui gagne
18:46la Coupe du Monde. Ça donne envie
18:48à beaucoup de gens de faire du sport.
18:49Et le sport à l'école, vous le trouvez suffisamment
18:51valorisé, l'EPS, ce qu'on appelle
18:53l'éducation physique et sportive ?
18:55Pour moi, il y a une marge de progression, clairement. J'ai envie
18:57qu'on valorise davantage. Je sais que les
18:59professeurs d'éducation physique et sportive d'EPS,
19:01ils font du bon boulot. Moi, j'ai deux frères qui le sont.
19:03Il manque souvent de moyens, d'espace.
19:05C'est pas toujours très bien valorisé.
19:07C'est pas une matière qui est très bien valorisée.
19:09Dans les conseils de classe, quand on a 5 en sport, en général,
19:11ça pose pas de problème. C'est pas très grave.
19:13C'est dommage parce qu'on voit aussi, malheureusement,
19:15que le niveau sportif des élèves,
19:17aujourd'hui, il réduit, il chute.
19:19Les élèves d'aujourd'hui
19:21sont en moins bonne santé,
19:23en moins bon niveau sportif qu'à 40 ans.
19:25Et ça, c'est un peu alertant parce que
19:27normalement, ça ne devrait pas être le cas.
19:29Aujourd'hui, on est plutôt dans une société
19:31qui est plus moderne, qui a un meilleur
19:33accès à la pratique du sport.
19:35Et malheureusement, on voit que les jeunes
19:37sont de plus en plus sédentaires. Ils passent de plus en plus
19:39de temps devant leurs écrans.
19:41Encore une fois, 80% des adolescents
19:43ne font pas 30 minutes de sport par jour.
19:45Mais j'imagine que le Covid a dû faire beaucoup de mal aussi.
19:47Ça a dû sédentariser encore davantage
19:49ces jeunes, vous le constatez, vous l'observez ?
19:51Ça a gravé la situation. Malheureusement,
19:53il y avait déjà une tendance
19:55à la sédentarité.
19:57Mais le Covid est passé par-dessus et aujourd'hui,
19:59malheureusement, il y a encore moins de
20:01jeunes actifs. Et donc là, on a un vrai
20:03défi collectif en sortie de crise d'accompagner
20:05justement parce qu'encore une fois, le meilleur moyen
20:07de ne pas tomber malade, c'est d'être en bonne santé.
20:09Et pour être en bonne santé,
20:11c'est non négociable. Il faut
20:13pratiquer au moins 30 minutes
20:15d'activité sportive par jour. Il s'agit de marcher,
20:17de faire du vélo, de monter
20:19les escaliers. On ne vous demande pas d'être
20:21un sportif assidu avec
20:23beaucoup d'intensité, mais à minima
20:25d'organiser votre journée pour
20:27aller à un rendez-vous à pied, pour descendre
20:29d'une station de métro un peu plus tôt, pour
20:31trouver une volonté
20:33de bouger un petit peu plus, parce que
20:35c'est comme ça qu'on va réussir à ce que
20:37la population française soit en meilleure santé.
20:39Et dans le sport de haut niveau, vous craignez même un problème de vivier ?
20:41Est-ce que vous craignez qu'à un moment donné, on n'ait pas assez
20:43d'athlètes de haut niveau dans certains sports ?
20:45C'est proportionnel.
20:47C'est une pyramide, le sport de haut niveau.
20:49Moins on a de monde à la base de la
20:51pyramide qui pratique le sport, et moins
20:53on a de chances d'avoir du nombre
20:55en haut de la pyramide.
20:57Donc c'est vrai qu'il y a un défi
20:59pour alimenter effectivement la filière du sport
21:01de haut niveau, aussi d'avoir plus de pratiques
21:03en loisirs. Mais encore une fois, pour moi
21:05le vrai défi, c'est d'abord que
21:07ces jeunes aient envie de s'éclater, ont envie
21:09de faire du sport, de s'accrocher,
21:11parce que c'est vrai que les premières séances de sport, c'est toujours
21:13un peu difficile, on n'est pas très à l'aise,
21:15mais dès qu'on franchit ce cap-là,
21:17on prend du plaisir, et là,
21:19on vit des choses assez uniques.
21:21Mais vous devez en parler, de cela, quand
21:23vous allez dans les couloirs
21:25soit de l'Elysée, soit du ministère
21:27des Sports, j'imagine que vous portez ce message.
21:29Qu'est-ce qu'on vous répond ? On vous dit oui, ça y est, on y va,
21:31on va mettre l'argent qu'il faut ? Ou maintenant,
21:33c'est compliqué, il y a plein d'arbitrages, on doit mettre de l'argent
21:35partout ? Qu'est-ce qu'on vous répond ?
21:37Il y a une écoute. Franchement, il y a quand même une écoute.
21:39Depuis deux ans, je trouve que les choses sont en train
21:41d'évoluer positivement. Le ministère
21:43éducation nationale a décidé de mettre ses 30 minutes
21:45de sport par jour dans les écoles
21:47primaires. On a fait une expérimentation
21:49avec Paris 2024, il y a deux ans,
21:51dans une centaine d'écoles.
21:53Là, on a dépassé le millier d'écoles maintenant
21:55qui mettent en place, tous les jours,
21:57dans les écoles primaires, ces 30 minutes
21:59de sport par jour, parce que les études démontrent
22:01qu'un élève qui bouge un petit peu plus,
22:03quand il revient en classe, il est plus concentré,
22:05il mange mieux à la cantine, il dort mieux
22:07le soir, et donc, quelque part, il est plus
22:09épanoui. C'est le cercle vertueux.
22:11C'est important pour nous d'enclencher
22:13une nouvelle dynamique pour donner
22:15envie aux jeunes de faire du sport. C'est pas le ministre
22:17de l'éducation nationale que je vais vous montrer, c'est une autre
22:19ministre, c'est Roxana Maracine Hanou,
22:21elle-même ancienne sportive de haut niveau, évidemment,
22:23devenue ministre des Sports, championne du monde
22:25de natation en 98, médaille
22:27d'argent aux JO de Sydney.
22:29Et vous, après les Jeux, ministre
22:31des Sports ? Ah non,
22:33je sais pas du tout, là, je peux vous dire
22:35que je suis... Ah c'est je sais pas ou c'est non, c'est un
22:37enfer ou c'est un je sais pas ? Ah non, non, aujourd'hui,
22:39je mets toute mon énergie sur 2024, je n'ai
22:41aucune idée, je pense que je vais prendre un peu de vacances
22:43après 2024,
22:45mais... Non mais sérieusement,
22:47est-ce que c'est le type de défi qui pourrait vous...
22:49En tous les cas, c'est pas un objectif. Vous aimez les challenges,
22:51vous aimez les défis ? Oui, j'aime les challenges. Vous avez une
22:53vision de l'avenir pour le sport en France ?
22:55Exactement. Ça fait partie des qualités qu'on demande
22:57à un ministre des Sports ? Ouais, mais je sais aussi que pour
22:59réussir, moi j'ai besoin de mettre toute mon énergie dans
23:01mon projet. Quand j'étais sportif de haut niveau,
23:03j'avais du mal à me dire qu'est-ce que je vais
23:05faire après, je savais pas trop. Là,
23:07je suis dans Paris 2024 et je sais que
23:09quelque part, mon avenir professionnel
23:11après Paris 2024, il dépend de la réussite
23:13de ce projet. Si ça réussit,
23:15j'aurai des opportunités, si ça ne se réussit pas,
23:17ça sera plus difficile. Là, je suis à fond
23:19là-dedans, j'ai aucune idée de ce que je
23:21ferai après Paris 2024 et
23:23j'ai pas d'objectif aujourd'hui. Vous avez un peu peur du vide
23:25ou pas ? Vous avez un peu peur du vertige,
23:27du vide, puisque vous avez enchaîné entre
23:29athlètes de haut niveau puis cette aventure des JO.
23:31Après, il y en aura forcément d'autres
23:33évidemment qui vous seront proposés, mais est-ce que parfois ça donne
23:35le vertige de dire qu'est-ce que je vais faire après, qu'est-ce qui va être
23:37à ce niveau-là d'adrénaline
23:39et de challenge ? Oui, forcément.
23:41J'ai peur du vide, j'ai peur
23:43de quelque part de
23:45régresser. J'ai toujours été
23:47mobilisé par cette envie de
23:49progresser, d'avancer, de
23:51me fixer des objectifs plus haut.
23:53Là, c'est vrai que pour un premier projet
23:55professionnel après ma carrière sportive...
23:57C'est difficile de ne pas régresser après.
23:59Ça va être très difficile, donc il va falloir changer le logiciel
24:01aussi, je pense, pour moi et
24:03accepter de faire des choses très différentes
24:05probablement, parce que je n'arriverai
24:07pas à retrouver dans le monde du sport
24:09un projet avec autant de
24:11« défis ». Au ministre, si !
24:13On verra. On verra
24:15à ce moment-là, mais pour l'instant, vraiment,
24:17je veux réussir ces jeux. On poursuit
24:19cette séquence photo qui est un rituel
24:21dans notre émission. Cette fois, je vous montre
24:23le Jamaïcain Usain Bolt
24:25à Pékin en 2008, lorsqu'il bat
24:27le record du monde du 100 mètres. Alors, j'ai choisi
24:29cette photo parce que vous m'avez dit un jour
24:31en interview, c'est en voyant
24:33Usain Bolt s'amuser dans l'effort que
24:35j'ai décidé de m'amuser, de me
24:37détendre pendant mes épreuves. Est-ce que
24:39parfois, c'est un peu trop sérieux, le sport ?
24:41Oui. En tous les
24:43cas, ça a été vraiment
24:45un des moments très forts de ma carrière
24:47sportive. Je trouve qu'Usain Bolt
24:49a apporté quelque chose
24:51de très fort dans le monde du sport de haut niveau.
24:53De la légèreté ? De la légèreté,
24:55du plaisir,
24:57du spectacle, de l'envie
24:59de partager, en fait.
25:01Et le sport, c'est ça. C'est du partage
25:03avec des fans, avec des supporters,
25:05même avec ses adversaires. Il avait
25:07cette capacité dans un sport
25:09qui est quand même très difficile, très exigeant.
25:11Ça se joue là vraiment sur des dixièmes
25:13ou des centièmes de secondes.
25:15D'être capable, d'être très
25:17ouvert, très alerte, très à l'aise.
25:19Et moi, c'est vrai que
25:21à Pékin, j'étais arrivé avec un modèle
25:23de performance où
25:25chaque chose était maîtrisée, contrôlée.
25:27Je ne voulais pas du tout sortir de ma bulle.
25:29J'avais créé une bulle complètement hermétique.
25:31En ce moment, les bulles, ça nous parle,
25:33mais à l'époque, c'était complètement déconnecté.
25:35Et du coup,
25:37je me suis dit, mais je rêverais
25:39d'être capable de travailler ça
25:41et de gagner en étant
25:43beaucoup plus ouvert. Et donc, c'est ce que j'ai
25:45essayé de travailler dans les quatre années qui ont suivi Pékin
25:47pour aller chercher un nouveau modèle
25:49de performance à Londres
25:51en étant beaucoup plus capable,
25:53quelque part, d'être dans l'adaptation et dans l'instant.
25:55Une troisième photo, Tony Estanguet.
25:57Je le dis pour les gens qui nous
25:59regardent et nous écoutent. Il s'agit de
26:01Michel Martikan, champion de Kanoé
26:03Slovaque, votre meilleur ennemi,
26:05on dit que vous avez formé tous les deux
26:07l'un des plus beaux duels du sport moderne.
26:09Un adversaire pour lequel j'imagine
26:11que vous avez du respect.
26:13Et justement, c'est aussi ma question,
26:15est-ce que c'est un message que vous avez envie de diffuser
26:17auprès des jeunes ? C'est-à-dire que l'adversaire,
26:19en sport, on le respecte. On ne l'insulte pas.
26:21On ne lui envoie rien à la figure.
26:23Est-ce que ça fait aussi partie des choses
26:25que vous voulez diffuser ?
26:27Oui, bien sûr. C'est-à-dire que
26:29grâce à Martikan, moi, quelque part, j'ai vécu
26:31ma carrière sportive. Il n'y aurait pas eu Martikan, je pense que je n'aurais
26:33pas gagné tous ces titres-là.
26:35Il m'a imposé,
26:37entre guillemets, le fait d'être le meilleur
26:39possible au quotidien, tous les jours.
26:41C'était une vraie référence.
26:43Et c'est vrai qu'il y avait ce respect mutuel. Je peux vous dire
26:45qu'on ne se faisait pas de cadeaux.
26:47Et ça a été un duel acharné pendant
26:4920 ans où, chaque année, sur les championnats
26:51du monde, on se battait. Et puis,
26:53il a gagné les Jeux d'Atlanta, j'ai gagné
26:55ceux de Sydney, j'ai gagné ceux d'Athènes, il a gagné
26:57ceux de Pékin. Et puis, de nouveau, moi, j'ai gagné
26:59à Londres. Donc, ça a été un mano-a-mano
27:01pendant 20 ans. C'était incroyable.
27:03Mais, quelque part, on ne peut pas
27:05réussir seul. Et, de temps en temps,
27:07il nous faut des adversaires. Et donc, il faut
27:09les respecter. Parce que, grâce à des bons adversaires,
27:11on est obligé de se surpasser,
27:13on est obligé d'apprendre. Et ce respect,
27:15il est fondamental, entre guillemets.
27:17Ce sont les valeurs du sport.
27:19Et même si on ne parlait pas la même langue,
27:21au début, je peux vous dire que ce n'était pas facile de le communiquer.
27:23On a appris à se connaître.
27:25Et depuis l'âge de 15 ans jusqu'à
27:2735 ans, on a vécu
27:29une vingtaine d'années absolument incroyables.
27:31J'ai une dernière question.
27:33Tony Stonguet, qui est en lien avec le lieu dans lequel nous sommes
27:35aujourd'hui. Nous sommes entourés de 4 statuts
27:37qui représentent, si vous regardez bien chacune,
27:39une vertu. Vous avez derrière vous la
27:41sagesse. Nous avons ici la prudence,
27:43la justice et l'éloquence.
27:45Alors, vous avez deviné un peu ma question.
27:47À laquelle de ces vertus
27:49vous vous identifiez le plus ?
27:51Laquelle vous ressemble le plus ?
27:53Pas facile.
27:55La sagesse, je pense que si je disais ça,
27:57ma mère appellerait tout de suite le standard.
27:59Je vais pas dire la sagesse. La prudence, je pense que...
28:01Pas trop non plus quand on est sportif de haut niveau.
28:03J'ai besoin de m'engager, j'ai besoin d'action.
28:05L'éloquence, non plus.
28:07Je pense que je suis éloquent comme un ours des Pyrénées.
28:09C'est pas trop mon truc.
28:11Pourtant, il en faut l'éloquence.
28:13C'est pas mon naturel.
28:15Donc voilà.
28:17Il ne reste que la justice.
28:19La justice, quelque part,
28:21c'est aussi une exigence.
28:23C'est un cadre qui permet de vivre.
28:25Moi, je me retrouve bien là-dedans.
28:27Toute ma vie, j'ai essayé de
28:29rentrer dans un cadre,
28:31mais par contre, de trouver mon chemin,
28:33d'inventer, d'avoir de l'audace
28:35aussi, pour sortir un peu des sentiers battus,
28:37mais quand même avec
28:39une exigence et une rigueur
28:41du quotidien, parce que sinon, on peut pas réussir.
28:43Peut-être que la justice, ça incarne
28:45un petit peu ça, mais...
28:47Un peu par défaut, alors.
28:49Il aurait fallu qu'il y ait l'audace.
28:51L'audace, c'est vrai que ça me porte un peu plus.
28:53Merci beaucoup.
28:55On se retrouve très vite sur Public Sénat.
28:57Merci.

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