• il y a 3 mois
Patrice Geoffron est professeur à Dauphine, directeur de l'équipe énergie-climat.
Regardez L'invité de RTL avec Stéphane Boudsocq du 16 août 2024.

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Transcription
00:00RTL Matin
00:041,66€, c'est le prix moyen d'un litre de gasoil à la pompe ces derniers jours.
00:08C'est 13 centimes de moins par rapport au printemps.
00:11Une baisse forcément bienvenue pour le budget de vos vacances.
00:14On rappelle que le diesel, c'est le carburant le plus utilisé encore par les automobilistes français.
00:19Alors question, est-ce que ça va durer ?
00:21Qu'est-ce qui pourrait de nouveau faire repartir ces prix à la hausse ?
00:25Pour répondre à tout cela, j'accueille notre invitée ce matin sur RTL.
00:28Bonjour Patrice Geoffron.
00:30Bonjour.
00:31Vous êtes professeur à l'université Paris-Dauphine, vous dirigez là-bas l'équipe Énergie Climat.
00:35D'abord, pour qu'on comprenne bien, pourquoi est-ce que les prix ont soudainement baissé
00:39dans des proportions quand même assez importantes ?
00:42Oui, ces proportions sont assez significatives.
00:45Si on regarde la situation il y a un an, à la fin août 2023,
00:51on était, pour ce qui est du diesel, et vous l'avez rappelé, c'est le carburant le plus important.
00:56Toujours, oui.
00:57On était à peu près à 30 centimes au-dessus de la situation actuelle.
01:02Il me semble que ce qui est important, en fait, c'est de se convaincre qu'on n'a pas du tout la main
01:06et qu'en fait il y a une espèce de roulette russe sans mauvais jeu de mots
01:09et que les prix varient, en tout cas sans que les Européens n'aient une quelconque influence.
01:14Donc les prix ont plutôt baissé et ça arrive à un moment important
01:17puisque c'est le retour des vacances.
01:19Mais il y a pas mal de facteurs qui pourraient les tirer vers le haut,
01:23notamment des facteurs de nature géopolitique.
01:25Il y a une partie très considérable désormais du pétrole qui arrive du Moyen-Orient vers l'Europe
01:30puisque nous sommes coupés de l'approvisionnement russe
01:33et on sait ce que sont les tensions au Moyen-Orient,
01:39à un niveau finalement qu'on n'a plus connu depuis le XXe siècle.
01:43Donc si on doit résumer, il y a ce qu'on appelle un effet d'aubaine,
01:47une situation qui arrive au bon moment pour les gens qui doivent entrer de vacances en particulier.
01:51Mais on pourrait se retrouver, ça pourrait n'être qu'une petite parenthèse,
01:55avec des risques en termes de tensions géopolitiques extrêmement élevés.
01:59Oui, c'est ce qu'on appelle le fameux effet papillon.
02:01J'ai appris en préparant cette interview, par exemple,
02:03que le fait que la croissance en Chine ralentisse
02:06ou que les Américains en vacances consomment moins d'essence,
02:09que tout ça aussi, ça pouvait faire chuter le prix du baril.
02:13Oui, on a finalement, si on regarde du côté de la demande,
02:17les facteurs qui sont importants sont d'un côté les facteurs saisonniers,
02:20vous les avez évoqués concernant les États-Unis, il y a ce qu'on appelle la driving season,
02:23c'est-à-dire la période de l'année qui commence au printemps
02:26et qui finit avec l'été durant laquelle les Américains se déplacent en voiture.
02:30Ils le font beaucoup plus que les Européens,
02:31notamment parce qu'il y a moins de transport ferroviaire.
02:34Donc ça, c'est un facteur qui est important.
02:36Et puis, par ailleurs, du côté de l'autre grande zone consommatrice qui est la Chine,
02:40il y a des facteurs qui, eux, sont moins saisonniers et qui procèdent,
02:44c'est assez confus, mais disons de menaces sur la croissance chinoise,
02:49liées notamment à l'immobilier et avec, là, au contraire,
02:53des risques de baisse significative de la demande.
02:57Et tout ça, évidemment, a une influence sur les prix,
03:00avec à nouveau, comme observation, le fait que nous, Européens,
03:03on regarde tout ça, évidemment, avec beaucoup d'intérêt, un peu d'angoisse,
03:07mais sans avoir aucune prise sur ces variations.
03:09La France importe 99% de son pétrole, donc on produit très peu, évidemment.
03:15Donc tout ça, dans l'arrière-plan, évidemment, c'est un facteur
03:17qui doit nous conduire à réduire nos consommations,
03:19notamment via la mobilité électrique.
03:22Alors, quand les prix ont tendance à baisser, comme en ce moment,
03:25on entend, on lit, c'était le cas d'ailleurs, hier,
03:28de nos confrères du Parisien, aujourd'hui, en France,
03:30il y a des appels sur le thème, c'est le moment d'aller faire le plein,
03:33remplissez votre cuve de fioul.
03:35Suive ce conseil, Patrice Geoffron,
03:37est-ce que ce n'est pas le risque aussi de créer, évidemment, une forte demande,
03:41donc une pénurie et peut-être une remontée des tarifs ?
03:45Oui, avec une influence qui est relativement marginale.
03:49En tout cas, pour le plein, on en fait tous l'expérience.
03:52Tout ça laisse une autonomie qui est assez réduite.
03:54La question qui est importante, vous l'avez citée,
03:56c'est celle des cuves à fioul, et on a eu la même lecture dans le Parisien.
03:59Donc il y a à peu près 3 millions de cuves à fioul à l'heure actuelle.
04:04Il y a probablement un intérêt à les remplir dans les semaines à venir,
04:09étant entendu que, même dans les conditions les plus favorables,
04:12il y a peu de raisons d'imaginer que le prix du baril puisse être sensiblement plus bas,
04:16alors, et on l'a dit, qu'il y a au contraire des craintes de le voir remonter.
04:20Donc là, il y a une fenêtre d'opportunité pour remplir des cuves à fioul qui est importante,
04:25étant entendu qu'évidemment, l'enjeu, c'est de ne pas revenir à traverser l'hiver ensuite.
04:30Est-ce que ça peut remonter très vite ?
04:31C'est-à-dire, vous parliez tout à l'heure des événements du contexte international.
04:36Par exemple, évidemment, on ne le souhaite pas, si ça s'embrase de nouveau entre Israël et l'Iran.
04:41Par exemple, est-ce que l'effet, il est immédiat,
04:44ou est-ce qu'il faut attendre quelque temps pour en avoir les conséquences à la pompe en France ?
04:49Alors, l'effet, il est immédiat sur le prix du baril.
04:52Évidemment, ça peut intervenir du jour au lendemain.
04:55On l'a vu dans différentes circonstances, notamment en 2001, au moment des attentats.
05:00Donc, l'effet, il est immédiat.
05:01Et il faut quelques semaines, d'après les travaux dont on dispose,
05:05notamment ceux de la Banque de France,
05:06il faut environ trois semaines entre le moment où le prix du baril augmente ou baisse, à l'inverse,
05:13et le moment où ça se traduit à la pompe.
05:15D'après ce que vous savez, évidemment, quel est l'état des réserves en France ?
05:21C'est-à-dire, en cas de crise internationale grave, est-ce qu'on peut aussi tenir ?
05:28Alors, comme tous les pays de l'OCDE, nous en faisons partie,
05:31nous avons une règle commune qui est d'avoir au minimum trois mois de réserve.
05:37Voilà, trois mois.
05:38Donc, ça donne quand même une petite idée de la menace.
05:41Donc, il y a une possibilité, évidemment, d'amortir un choc pendant une période assez réduite.
05:45Mais si on devait se retrouver avec une rupture de l'approvisionnement,
05:49et encore une fois, on peut tout à fait l'imaginer,
05:52dans le détroit d'Ormuz, entre l'Iran et l'Arabie Saoudite,
05:55dans la mer Rouge, on sait que les outils sont présents et menacent les navires pétroliers,
06:02eh bien, on a des réserves qui sont des réserves assez limitées.
06:05Et à nouveau, dans la perspective de la transition énergétique,
06:08c'est-à-dire de la nécessité de réduire nos consommations pétrolières,
06:12il n'y a pas uniquement un enjeu environnemental,
06:14il y a également un enjeu vraiment clé de sécurité collective.
06:19Gardons cette dimension à l'esprit.
06:21Au bout de trois mois, finalement, nous sommes à sec.
06:23Alors justement, Patrice Geoffron, vous êtes un spécialiste de l'énergie et du climat,
06:27donc un mot de cette fameuse transition écologique.
06:29On parle ce matin avec vous des prix des carburants pétroliers,
06:33mais est-ce que la part des moteurs électriques continue de progresser en France,
06:38ou est-ce qu'il y a eu un effet mode qui tenterait à se calmer ?
06:42Alors elle continue à progresser,
06:44et un rythme qui est insuffisant au regard des menaces que je viens d'évoquer,
06:47et puis par ailleurs des objectifs de politique publique.
06:51L'objectif est de parvenir à réduire nos consommations de pétrole d'environ 30% à l'horizon 2030,
07:00c'est demain,
07:01et ça passe essentiellement par une réduction des usages dans la mobilité.
07:06Donc on est à un moment clé dans lequel les petits véhicules plus accessibles
07:11ne sont pas encore assez largement sur le marché.
07:13On a plutôt des véhicules de moyenne gamme,
07:16et a fortiori évidemment de haute gamme,
07:18qui ne répondent pas à l'intégralité de la demande.
07:20Donc ça reste à s'écouter évidemment,
07:22et puis par ailleurs il reste encore,
07:24et il faut parvenir à trouver des solutions,
07:27des craintes plus ou moins légitimes sur les conditions dans lesquelles on peut recharger son véhicule,
07:34notamment par exemple en période estivale.
07:37Donc il y a une période d'entre deux là qui est plutôt préoccupante encore une fois,
07:42non pas seulement pour des raisons environnementales,
07:44mais parce que cette dépendance dans une situation géopolitique aussi tendue,
07:50c'est une vraie menace en termes socio-économiques.
07:53Dernière chose, c'est peut-être d'ailleurs l'effet négatif,
07:55le seul, de cette baisse du prix des carburants en ce moment.
07:58Quand les prix sont bas, on observe forcément une consommation plus importante d'essence par les Français,
08:04et donc les émissions de CO2 ont tendance, eux, à grimper en flèche.
08:08Oui, c'est mécanique.
08:10Après il me semble que ce qu'il faut parvenir à faire,
08:12et ça peut se faire en trois clics sur internet,
08:16c'est essayer de regarder le cours du pétrole sur dix ans,
08:19et de voir à nouveau, je parlais de roulettes russes au tout début,
08:22c'est vraiment le terme me semble-t-il,
08:24donc le prix du pétrole a varié de 20 dollars en 2020 au cœur de la crise,
08:29à 120 dollars au moment de l'autre crise.
08:33Donc la première c'était la crise sanitaire,
08:35la deuxième c'est la crise énergétique liée à la guerre,
08:38et donc on est passé de 20 à 120,
08:40et ça peut rebaisser, ça va remonter,
08:43et donc pour un pays qui est massivement importateur,
08:46c'est un stress économique, on l'a vu,
08:48notamment on l'a vu au moment de la crise dite des gilets jaunes.
08:51Donc à nouveau, les raisons de sortir de cette dépendance sont multiples,
08:56à la fois en termes environnementaux,
08:58mais également en termes de sécurité collective pour la France,
09:00et pour ses voisins.
09:01La plupart de nos voisins, à l'exception de la Grande-Bretagne peut-être,
09:04et évidemment de la Norvège,
09:05sont dans la même situation que nous en Europe.
09:07C'était très clair, passionnant.
09:09Merci Patrice Geoffrond d'avoir été notre invité ce matin sur RTL.
09:12Je rappelle que vous êtes professeur à l'université Paris-Dauphine,
09:15très belle journée à vous !

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