• il y a 3 mois
Marie Dosé, avocate au barreau de Paris, est notre invitée de 7h50, pour rendre notamment hommage à Maître Henri Leclerc, l'homme qui lui a donné envie de devenir avocate. Plus d'info : https://www.radiofrance.fr/franceinter/podcasts/l-invite-de-7h50-du-week-end/l-invite-de-7h50-du-we-du-dimanche-01-septembre-2024-1855513

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00:00Et notre invitée ce matin est avocate au Barreau de Paris, elle a accepté de venir
00:04dans notre studio malgré sa grande émotion au lendemain de la mort d'Henri Leclerc,
00:09immense avocat, défenseur des libertés publiques, mais aussi de Robert Badinter, face au négationniste
00:14Faurisson, dégauchiste de 68, des Gilets jaunes, de DSK, il avait aussi sauvé de la
00:18peine de mort le meurtrier Lucien Léger, bonjour Marie-Dosé, grand merci d'avoir
00:24accepté de venir nous voir ce matin pour rendre hommage à Henri Leclerc, quel est
00:28votre sentiment aujourd'hui ? Je suis orpheline, mais nous sommes tous orphelins aujourd'hui,
00:34on a perdu le plus grand, Henri a eu une carrière inégalée, en fait on ne peut pas imaginer
00:44ce qu'Henri représente pour tous les avocats de la défense, et c'est assez difficile
00:49d'en parler aujourd'hui mais je tenais à le faire.
00:51Il faut dire que vous avez un lien très fort vous avec lui, c'est même lui qui vous
00:54avait donné envie de devenir avocate ? Oui, c'est lui qui m'a donné envie de devenir
00:59avocate, je l'avais rencontré au hasard d'une audience à Nancy et j'avais vu ce
01:05petit bonhomme, mais fasciné, fasciné, l'auditoire, vraiment, je voyais l'auditoire suspendu
01:12à ses lèvres, se pencher d'un côté, de l'autre, lui faire tomber ses affaires,
01:16et moi qui quittais la musique à ce moment-là avec beaucoup de tristesse, je me disais mais
01:21c'est un concerto, c'est un chef d'orchestre, c'est lui qui m'a donné l'envie de devenir avocat.
01:28Mais qu'est-ce qu'il avait de si fascinant ? C'était un porteur de fraternité, c'était
01:34un humaniste, c'était un droit de l'homiste revendiqué, et je crois qu'il avait cela
01:41profondément ancré en lui, et on le sentait dès son premier regard, dès ses premiers
01:47gestes, dès ses premiers mots, c'était vraiment, d'ailleurs pour lui l'avocat c'était ça,
01:51c'était un porteur de fraternité, c'était ça l'avocat.
01:54Un porteur de fraternité, il y a une forme d'unanimité, c'est assez exceptionnel,
01:59on parle de lui comme d'une légende, qu'est-ce qui a fait la légende ? Ce n'est pas seulement
02:03son éloquence, ce n'est pas seulement sa capacité à emporter par un auditoire, à
02:09convaincre un jury ? Je pense qu'il a fait l'unanimité d'abord
02:14parce qu'il a toujours été très courageux, qu'il n'a jamais rien concédé, que ce
02:19soit au temps, que ce soit à l'instant politique, que ce soit à la mode, encore
02:24à votre micro, il y a encore quelques semaines ou quelques mois je l'entendais s'insurger
02:29contre certaines lois.
02:30Il avait en lui une conviction inébranlable, qu'il mettait à l'épreuve, attention
02:35c'était un immense travailleur, immense travailleur, mais il mettait ses convictions
02:39à l'épreuve à chaque fois de ses valeurs, et ses valeurs c'était ça, c'était
02:44l'humanisme, la fraternité et il ne dérogeait en rien la règle et c'est ça qui fascinait
02:49en fait, c'est cette intégrité-là.
02:51C'était un ami de Robert Ballinter et c'est quelqu'un qui a toujours défendu
02:54les principes et les libertés, les droits fondamentaux, même contre l'opinion.
02:58On va l'écouter Maître Henri Leclerc, c'était en 1980 sur France 2.
03:04Lequel d'entre nous n'a pas subi des injures ? Lequel d'entre nous n'a pas été agressé
03:11soit par téléphone, soit dans la rue, par des gens qui lui reprochaient de défendre
03:14tel ou tel ? Parce que, à un certain niveau, les gens n'acceptent pas la défense, et
03:22ce refus de la défense, c'est en fait un refus de la justice.
03:25Celui qui est jugé est un homme, c'est un homme identique à tous les autres, quel
03:29que soit le crime qu'il a commis, il y a entre lui une identité avec tous les autres.
03:33Ça c'était quelque chose de très compliqué à entendre et qui résonne avec l'actualité
03:38la plus récente Marie Dosé.
03:40Oui, c'est encore plus compliqué aujourd'hui et je crois que là encore, je puisais beaucoup
03:45dans sa force.
03:46Dans sa force, lorsqu'il dit mais il n'y a pas de justice sans défense.
03:49Lorsqu'il parle de l'accusation comme il en parle, comme il la vit, c'est vrai
03:55qu'on s'en inspirait tous.
03:56Il savait tempêter comme personne.
03:59C'est intéressant parce que c'est quelqu'un qui tempétait et puis qui était en même
04:03temps d'une grande sensibilité.
04:04Moi par exemple, Henri Leclerc, je crois qu'il connaissait par cœur la lettre de Misak Manouchian
04:10« Ma chère Mélinée, ma petite orpheline bien-aimée » mais qui était incapable de
04:14la dire jusqu'au bout.
04:15Parce que tout de suite, il était pris d'une émotion telle qu'il s'arrêtait.
04:20Et en plaidoirie, ça arrivait souvent d'ailleurs.
04:22Mais c'est incroyable, il parle des monstres, il parle de ceux qui ont commis des crimes
04:26monstrueux et il insiste, il a toujours insisté pour qu'ils soient considérés comme des
04:32hommes et des hommes comme des autres Marie Dosé.
04:35L'avocat est le gardien de la fraternité, c'est ce qu'il répétait.
04:40C'est ce qu'il nous répétait, l'avocat est le gardien de la fraternité et à partir
04:44de là, le rôle de l'avocat, c'était aussi de réinsérer la personne dans la communauté
04:50des hommes, vraiment de le ramener à la communauté des hommes, c'était ça.
04:53Il a plaidé de nombreuses affaires, très très différentes.
04:57Cohn-Bendit en 68, on le disait bas d'un terre face au négationniste Faurisson, il
05:02y a eu Florence Ray, l'associé de Mérine, il y a eu le meurtrier Lucien Léger, il y
05:06a eu même Dominique Strauss-Kahn, laquelle est la plus marquante d'après vous ?
05:10Pour moi, je ne veux pas parler pour les autres, mais pour moi, c'est l'affaire Romand.
05:16Pourquoi ? Parce qu'Henri a été à ce moment-là confronté à la foule, mais pas dans sa robe,
05:23il a été confronté à la foule dans sa chair.
05:25Accusé en fait d'avoir assassiné ?
05:28Non, pas accusé, il a été confronté à la foule dans sa chair parce qu'il a été
05:31vilipendé, il a été agressé physiquement.
05:35On lui a jeté des projectiles en pleine tête et Muriel Bourguet-Canal, qui était
05:40à l'époque à son cabinet, l'a protégé.
05:42Et il a rencontré la foule, et il y avait cette dignité, je vis au corps, il a été
05:48jusqu'au bout de cette défense, il a acquitté cet homme, et c'était ça Henri Leclerc.
05:53La foule ne le faisait pas de terre, et il savait que cet homme était innocent, il irait
05:59jusqu'au bout.
06:00Et moi, c'était une image qui m'avait comblée, parce que là, à ce moment-là,
06:04l'avocat était seul contre tous, et qu'est-ce qu'il était beau !
06:06Oui, l'opinion avait décidé justement que Jean-Claude Romand était coupable, que
06:10c'était un criminel qui l'avait tué, son épouse, ainsi que ses enfants, avant
06:15d'aller assassiner ses parents.
06:17Non, c'est une autre affaire, il s'appelle également comme ça, mais non, il était
06:21accusé du meurtre d'une petite fille, en même temps qu'une autre personne gentille.
06:25C'est Gentil qui a été condamné, et lui a été acquitté.
06:29Mais c'était vraiment, pour la première fois, il y avait une reconstitution dans un
06:31village, et à partir de là, les gens étaient venus pour le malmener, physiquement.
06:36Et il a été confronté à cette foule, et il a dû être protégé d'ailleurs par
06:40les gendarmes.
06:41Mais cet homme-là, cet avocat seul contre tous, a été jusqu'au bout de sa mission,
06:46et c'est vrai que moi, c'est ce qui m'a le plus marquée en lui, c'est cette indéfectible
06:51intégrité.
06:52Vous l'avez rencontré à un moment très particulier, c'est vous qui lui avez passé
06:56un coup de fil alors que vous vous occupiez d'un dossier extrêmement sensible ?
06:59Oui, alors moi j'ai été stagiaire, j'ai fait mes premiers pas avec lui, j'ai été
07:03élève avocate dans son cabinet, mais c'est vrai qu'un jour, vous savez, je suis saisie
07:08depuis des années, cinq ans maintenant, de la situation des enfants prisonniers dans
07:12des camps en zone de guerre au nord-est syrien, et je n'y arrivais pas, je n'arrivais pas
07:17à faire entendre quelque chose.
07:18Et il y a cinq ans, je lui ai écrit un vendredi, il était dans la nuit du vendredi à samedi,
07:23il était une heure du matin, et je lui ai écrit un mail en lui disant « Henri, j'y
07:26ai besoin de toi, j'ai besoin de toi parce que mon message ne passe pas, parce qu'il
07:30y a des familles qui n'en peuvent plus, parce qu'il y a des enfants ». Et le samedi
07:34à 6h du matin, j'ai reçu une réponse « Marie, je suis là, à quand ? ». Et le dimanche
07:40suivant, il était sur un plateau de télévision pour défendre ses enfants, et il les a défendus
07:45pendant cinq ans.
07:46C'est une cause qui lui tenait vraiment à cœur, et là encore, il avait beaucoup
07:49de mal à en parler sans émotion.
07:50C'était ça Henri Leclerc, on pouvait vraiment compter sur lui, et peu importe ce que l'opinion
07:55publique pensait.
07:56Mais vraiment, peu importe.
07:58Et c'est ça qu'on voit, c'est qu'il y a à la fois le grand avocat et le grand défenseur
08:03des droits de l'homme, des libertés publiques, il a présidé pendant un moment la ligue
08:07des droits de l'homme, il en était toujours le président d'honneur, il nous avait confié
08:11au mois de mai, vous en parliez, des craintes sur France Inter, on l'avait reçu dans
08:15la matinale.
08:16La société démocratique, chaque fois qu'elle se replie sur elle-même, dérape.
08:20Je suis inquiet pour deux raisons, la première c'est le comportement actuel, ce qui s'est
08:24passé au niveau des retraites, la loi c'est la volonté générale.
08:28On ne peut pas dire qu'au moment des retraites, ça a été la volonté générale.
08:32Ce qui se passe sur le chômage, ce qui se passe sur le logement, bon tout cela, c'est
08:37un peu inquiétant.
08:38Mais il y a pire, il y a les menaces, et les menaces effectivement d'un dérapage autoritaire,
08:45d'un dérapage vers des partis et des idées, qui sont des idées qui me paraissent contraires
08:51justement à la démocratie.
08:52Alors là Marie-Dosé, on entend Henri Leclerc qui est presque politique, c'est la place
08:57d'un avocat ça ?
08:58Mais c'est un militant, c'est un avocat militant, il a incarné la figure de l'avocat
09:01militant, quand il ouvre son cabinet à Ornano et qu'il fabrique entre guillemets la boutique
09:07du droit, où les gens venaient consulter pour le prix d'une consultation médicale
09:12parce que c'était la défense du pauvre.
09:15Mais voilà, qui a fait ça ? Personne n'a fait ça, c'est le seul avocat à avoir fait ça.
09:19On se trompe si on dit qu'il était de gauche ?
09:21Non, c'était un homme de gauche, oui, évidemment, je pense vraiment, là-dessus, je ne peux pas
09:27imaginer qu'on puisse considérer Henri Leclerc comme un homme de droite, non, c'était un
09:31homme de gauche, mais c'était un humaniste avant tout.
09:33Un humaniste, vous vouliez nous lire quelques lignes, Marie-Dosé ?
09:37Oui, parce que je voudrais que ce soit sa voix qui termine cette intervention.
09:41« C'est dans une affaire et peu importe.
09:44Votre consoeur Pascal Robertia écrit ceci dans Le Monde.
09:47Combien de fois a-t-il entendu ces mots-là prononcés dans un silence de plomb par un
09:50président de cour d'assise ? Maître Leclerc, vous avez la parole.
09:53Et là, il prend la parole.
09:55« Je suis dans une situation que je hais.
09:58La salle est pleine.
09:59On veut voir le ténor, on attend la vedette.
10:01Je me moque de tout ça.
10:02À cet instant, il n'y a que vous, Mesdames et Messieurs les jurés, Monsieur le Président,
10:07Mesdames, Messieurs de la Cour, vous qui êtes juges et tous à égalité.
10:11Je suis libre ici.
10:12L'avocat, il dit sa conviction.
10:15La seule chose qu'il n'a pas le droit de faire, c'est de mentir.
10:18Car s'il vous le trompe, il n'est plus qu'un guignol, un ténor qui pousse son arrière. »
10:23C'était ça Henri en fait.
10:26La sincérité.
10:27Il parlait vrai comme personne.
10:28L'héritage d'Henri Leclerc, si vous deviez le définir en un mot ?
10:32La fraternité.
10:33La fraternité.
10:34Qu'il avait fait d'ailleurs inscrire.
10:36Il avait participé à l'inscription de la fraternité avec la liberté et l'égalité
10:40dans la Constitution.
10:41Oui.
10:42C'était un de ses combats.
10:43Et encore un de ses combats gagnés.
10:45L'avocate Marie Dozet, merci, grand merci à vous d'être venu nous répondre sur Inter,
10:50de rendre hommage à votre confrère Henri Leclerc qui nous a quittés hier, il avait 90 ans.

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