• il y a 2 mois
Alexandre Léauté, paracycliste médaille d'or de la poursuite C2, médaille de bronze du contre la montre C1-3, revient sur ses performances lors des Jeux paralympiques de Paris 2024.

Retrouvez les entretiens de 7h50 sur https://www.radiofrance.fr/franceinter/podcasts/l-invite-de-7h50

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Transcription
00:00Bonjour Alexandre Léauté, alors pour le public qui n'a pas en tête cette séquence,
00:06ce moment où vous allez remporter la médaille d'or dans le Vélodrome de Saint-Quentin-en-Yvelines,
00:11est-ce que vous pouvez décrire l'ambiance du Vélodrome ?
00:15C'était grandiose, je pense que c'était fou, c'était une masterclass comme j'aime le dire.
00:21C'était vraiment incroyable, je n'ai jamais vécu ça et je pense que je ne suis pas prêt de le revivre.
00:24Donc j'ai vraiment pris tout ce que j'avais à prendre.
00:27Avec quand même le public de Saint-Karadec, de votre village,
00:31avec le club cycliste des Côtes-d'Armor qui vous a vu grandir, qui avait affrété des bus,
00:37il y a quand même la presse a écrit qu'il y avait des marées de bretons dans les principaux virages.
00:42Bien sûr, on sait que la Bretagne c'est vraiment surreprésenté, dès qu'on va quelque part il y a un drapeau breton.
00:46On sait qu'il y a beaucoup de bretons un peu partout,
00:49mais le public français en général, sans parler que de la Bretagne, était fou.
00:53Dès qu'il y avait un athlète français qui montait sur la piste, on ne s'entendait même plus.
00:56Première fois de ma vie que je n'entends pas mon entraîneur sur le bord de la piste,
00:59ce qui me donnait les temps, normalement je les entends toujours parfaitement.
01:02Et là, je n'ai rien entendu.
01:04Est-ce que justement quand on est un athlète paralympique et qu'on n'est pas habitué à être très suivi par le public,
01:10à avoir cette foule très intense, est-ce que ça peut perturber ?
01:13Est-ce que ça peut intimider ? Est-ce que ça peut entraver l'athlète ?
01:16Moi je sais que ça m'a beaucoup perturbé.
01:18Je me suis mis aussi la pression tout seul à annoncer partout que je voulais faire une médaille d'or.
01:23Première fois de ma vie, j'ai ressenti ça, de la pression.
01:26Et c'est vrai que ça prend vraiment au trip et je n'avais pas l'habitude.
01:30Il ne fallait pas l'annoncer partout que vous auriez l'or ?
01:33Il ne fallait pas l'annoncer, je pense que ça a été un peu une erreur de ma part
01:36parce que je me suis mis vraiment la pression tout seul.
01:38Mais je suis très content d'avoir découvert ce que c'était d'avoir la pression.
01:41Et je serai l'appréhendé parce que j'ai quand même fait le record du monde.
01:44Alors le record du monde, parlons-en.
01:46Parce que le record du monde sur 3000 mètres, 3 minutes 24 secondes, 298 millièmes, c'est ça ?
01:54Oui, je crois que c'est ça.
01:56Et puis là vous faites au lieu de 3 minutes 25 secondes, 888 millièmes.
02:01Donc la seconde différence, elle vient d'où ? Elle vient des jambes ou elle vient de la tête ?
02:06Elle vient du travail aussi, beaucoup en amont.
02:08J'ai une équipe formidable qui me soutient et c'est un peu ça.
02:11J'aurais pu aller plus vite mais j'ai rattrapé mon concurrent.
02:15Ce qui fait que j'ai fait des tours à ce qu'on appelle plus haut que lui.
02:18Donc j'ai perdu au moins deux secondes, j'aurais pu faire 3 minutes 22 secondes.
02:21Mais je suis content quand même que ce soit 3 minutes 24 secondes
02:23parce que ça veut dire qu'il est encore battable et ça c'est intéressant.
02:26Alors il va falloir faire de la pédagogie Alexandre Léauté.
02:29Parce que je l'ai dit, il y a des auditeurs qui n'ont pas vu les images de votre course, de cette épreuve.
02:34Et puis il y en a d'autres qui les ont vues et qui ne les ont pas forcément comprises.
02:38Vous avez deux jambes, vous êtes là face à moi.
02:41Mais vous concourez avec des cyclistes qui n'ont qu'une jambe.
02:45Parce que vous êtes hémiplégique du côté droit.
02:48Ça signifie que votre jambe gauche, si je simplifie.
02:51Jambe droite.
02:52Jambe droite, elle pédale toute seule.
02:54Non, la jambe droite est handicapée.
02:55Exactement.
02:56Et la jambe gauche pédale toute seule.
02:58Alors justement, est-ce que vous pouvez nous décrire cette jambe handicapée
03:02quand justement vous êtes sur le vélo ?
03:04Oui, je n'ai pas de sensibilité non plus dedans et pas de force.
03:07Donc dans le vélo c'est plus un poids mort qu'autre chose.
03:10Même mon bras, c'est un peu la même chose.
03:12C'est beaucoup plus petit.
03:13Le bras droit.
03:14Pas de force non plus.
03:15Donc pour un départ, c'est hyper compliqué alors que mes adversaires ont les deux bras.
03:18Après, pour en revenir à la jambe, du coup ça fait aussi médicalement,
03:22il y a du flux sanguin qui rentre dedans alors que ça ne me sert à rien.
03:25Tandis que les autres, ils ont tous sur le même côté.
03:27Donc c'est vrai que visuellement, même le premier, si je ne connaissais pas l'handisport,
03:31je leur ai dit mais qu'est-ce qu'il fait ce gars-là ?
03:33C'est n'importe quoi.
03:34Au milieu des universistes.
03:35Mais après, quand on explique, généralement les gens comprennent.
03:39Après, c'est de la pédagogie aussi.
03:41C'est aux gens de se renseigner mais ils le font très bien
03:43et j'ai d'excellents retours après explications.
03:46Et ça a été facile pour vous de vous faire accepter parmi les unijambistes ?
03:50Ah oui, les unijambistes, il n'y a pas de problème pour eux.
03:52Mais c'est plus les gens autour.
03:54C'est surtout après Tokyo, j'ai mal vécu.
03:56J'ai eu beaucoup de messages de haine en disant que j'avais rien à faire ici
03:59et que j'avais volé mes médailles.
04:00Donc c'était un peu difficile.
04:01Mais une fois qu'on explique aux gens comment ça se passe,
04:03après tout se déroule bien.
04:05D'accord.
04:06C'est ça.
04:08C'est comme si pour vous, dans votre vie de jeune handicapé,
04:13il fallait affronter d'un côté le regard des valides
04:17et de l'autre côté le regard des handicapés.
04:19C'est comme si vous étiez pris entre les deux feux.
04:21Non, parce qu'entre handicapés, je sais que les unijambistes et tout,
04:24ils savent très bien ce que j'ai.
04:26Je ne suis pas le seul.
04:27On est même plus de gens avec mon handicap dans cette catégorie
04:30que d'unijambistes.
04:31Et puis la preuve, le deuxième sur le podium, il est unijambiste.
04:34En final, le quatrième est unijambiste.
04:35Le cinquième est unijambiste.
04:37Là, sur la route, je risque de me retrouver
04:39avec des unijambistes sur le podium ou contre la montre
04:41si je fais un podium.
04:43Donc non, ils sont aussi forts que nous, voire même plus forts.
04:47Alors, à votre seule jambe valide, donc l'autre jambe,
04:51vous demandez un effort d'une violence inouïe en réalité.
04:56Oui, mais vu que j'ai toujours fait comme ça,
04:58je pense que c'est toujours habitué.
05:00C'est dans l'apprentissage finalement.
05:02Alors, comment vous gérez cet effort et notamment sur 3000 mètres ?
05:06Comment vous gérez cet effort et comment vous gérez la douleur ?
05:09La douleur, elle est intense et vive.
05:11On se met dans des états…
05:13Vraiment, on va très, très loin dans la douleur.
05:15On en perd même connaissance des fois.
05:17Donc, c'est des choses qu'il faut savoir accepter.
05:19Et on s'entraîne pour ça.
05:21Donc, on est préparé aussi psychologiquement pour ce genre d'effort.
05:25Vous avez vu hier les images de votre collègue Marie Patouillet,
05:29qui est la première femme dans le paracyclisme à obtenir une médaille d'or.
05:34Donc, hier aussi, c'était un moment historique.
05:37Et puis, il y avait une deuxième Française sur la deuxième marche, l'argent.
05:41Vous avez vu Marie Patouillet perdre connaissance quasiment au moment où on lui remet sa médaille.
05:46Elle est blafarde, elle n'a plus de force du tout.
05:49Oui, c'était une sensation très étrange sur cette finale
05:52parce que Marie était opposée à Haïti.
05:54Donc, la France contre la France.
05:56Donc, c'est très difficile parce qu'on a quelqu'un qui gagne, quelqu'un qui fait deuxième.
06:01C'était un sentiment très partagé.
06:03Mais oui, c'est vrai que Marie nous a fait une petite frayeur sur le podium.
06:06Je pense qu'elle ne s'est pas assez alimentée après la course.
06:09Elle n'a pas pris assez de sucre.
06:10Mais bon, pas de problème pour elle.
06:12Elle sera recompétitive sur la route.
06:14Alors, hier, vous avez vécu aussi l'épreuve de vitesse par équipe.
06:18Trois coureurs réunis pour un 750 mètres de sprint pur et dur.
06:23Alors, l'un des meilleurs coureurs français, qui s'appelle Dorian Foulon,
06:27a décidé de ne pas participer à cette course en équipe.
06:33Vous vous êtes senti un peu lâché ?
06:35Vous vous êtes senti un peu abandonné ?
06:37Oui, c'est difficile, surtout quand on porte le maillot France.
06:40On n'a pas le droit de le faire, je pense.
06:42Après, ça, c'est mon avis.
06:43Il a ses opinions, j'ai les miens.
06:45Mais c'est vrai que ça a été très difficile de l'apprendre, surtout il y a un mois maintenant.
06:48Donc, on a eu la chance que Gassien se mette parmi nous.
06:51Oui, Gassien Lerousseau.
06:52Exactement.
06:53Et on est très content de l'avoir mis dans l'équipe.
06:55Mais c'est sûr que si on regarde les temps et les temps qu'on faisait avec Dorian,
06:59on pouvait faire une médaille d'argent.
07:01Donc, c'est vrai que pour la nation française, là, on fait quatrième, malheureusement.
07:05Et avoir une médaille d'argent, en plus, au tableau des médailles, ça aurait pu changer beaucoup de choses.
07:09Donc, voilà.
07:10Moi, je me suis demandé si c'est précisément pour ce genre de raison que vous aviez choisi un sport individuel.
07:15C'est-à-dire, c'est mon vélo, c'est ma performance, c'est mon corps.
07:18Et je ne dépends pas des autres.
07:20On s'entend tous bien en équipe de France.
07:21Franchement, c'est trop bien.
07:22Bon, après, il y a eu ce petit couac avec Dorian.
07:24Mais bon, je n'ai pas spécialement envie d'en parler.
07:26J'ai tellement été déçu.
07:27Et mon collègue Kevin Lequin, pareil.
07:29On s'est tellement dit…
07:30Mais quand vous étiez petit, vous faisiez du foot ?
07:32Oui.
07:33Vous faisiez un sport collectif ?
07:34Oui, c'est vrai.
07:35Et ce n'était pas fait pour moi, le sport collectif.
07:36Pourquoi ?
07:37Parce que moi, je pense que les gens me décrivent comme quelqu'un de très travailleur.
07:42Et je fais beaucoup de sacrifices pour arriver où j'en suis.
07:46Donc, quand je fais des résultats, c'est pour moi.
07:49Si je me loupe, c'est pour moi.
07:50Si je faisais beaucoup de sacrifices et que mon collègue à côté n'en faisait pas
07:54et qu'on ne ferait pas de médaille, ça me rendrait un peu triste.
07:56Donc, au moins, je fais mes efforts.
07:58C'est mes résultats.
07:59Et voilà.
08:00Alors, j'ai une dernière question à vous poser.
08:02Vous avez seulement 23 ans.
08:04Mais quand on vient des Côtes d'Armor, est-ce que quand on a choisi le vélo,
08:09de consacrer sa vie au vélo,
08:11est-ce qu'on a grandi dans le mythe de Bernard Hinault,
08:14qui est le plus grand coureur cycliste français,
08:17qui vient des Côtes d'Armor, comme vous,
08:18qui a gagné cinq fois le Tour de France ?
08:20Ou est-ce que ce n'est pas du tout votre génération ?
08:22Alors, quand j'ai commencé le vélo, je connaissais juste deux noms.
08:26Bernard Hinault ?
08:27Oui, je connaissais bien évidemment.
08:28C'est une légende dans le vélo, en France et en Bretagne particulièrement,
08:32parce qu'il vient des Côtes d'Armor.
08:33Mais oui, c'est toujours une source d'aspiration.
08:36Après, ce n'est pas trop de ma génération.
08:38C'était celle de votre papa ?
08:40Oui, c'était plus celle de mon papa que la mienne.
08:42Et c'est votre père qui vous a donné envie de faire du vélo ?
08:44Exactement.
08:45Vous êtes bien renseigné.
08:46Merci beaucoup, Alexandre Léauté.
08:48Merci.

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