La suite du conflit entre Israël et le Hamas. Que se passe-t-il en Israël depuis dimanche alors que des manifestations se multiplient pour réclamer le retour des otages et contester la politique du Premier ministre, Benyamin Netanyahou. Hier matin, un appel général à la grève a été suivi dans plusieurs grandes villes du pays. Cette série d’événements fait suite à la découverte de corps des 6 otages, tués par le Hamas dans la Bande de Gaza. Vincent Lemire, historien et professeur à l’université Paris Est Gustave Eiffel, revient sur la situation.
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00:00Alexandre Lemire, bonjour, merci beaucoup d'être sur le plateau avec nous aujourd'hui.
00:03Vous êtes historien et professeur à l'Université Paris-Est Gustave Eiffel.
00:09D'abord, quelle est la situation ce matin en Israël ?
00:14Écoutez, je crois que d'abord on doit s'interroger sur l'émotion qui nous réunit ce matin
00:18parce qu'on avait l'impression qu'une certaine lassitude avait gagné cet été.
00:22On avait du mal à parler de ce conflit.
00:24Et ce matin, ici en France, en Europe, aux États-Unis, en Israël, bien sûr,
00:28on se remet à en parler.
00:30On s'approche du très triste anniversaire du 7 octobre, à Gaza comme en Israël,
00:35et on a l'impression qu'on s'enfonce toujours plus profondément dans l'horreur et dans la tragédie.
00:42J'ai envie de dire, avec les morts palestiniens de Gaza et avec les otages israéliens
00:46qui ont été inhumés, enterrés hier devant des foules de dizaines de milliers d'Israéliens,
00:52ils étaient en grève, mais ils étaient aussi aux obsèques, en particulier de Hersh,
00:57ce jeune otage israélo-américain.
01:01Alors pourquoi est-ce qu'on est ici ? Pourquoi est-ce qu'on en parle ?
01:04C'est parce qu'à Gaza, les morts, c'est des chiffres.
01:0740 000 morts, sans doute plus, dont 30 000 femmes et enfants.
01:10Alors que du côté israélien, les otages, ce sont des visages, des histoires, des images.
01:18En Israël, il y a des images et vous avez raison, en tant que journaliste,
01:20de rappeler qu'à Gaza, il n'y en a pas.
01:22Donc voilà ce qui s'est passé, une émotion indescriptible en Israël
01:28qui a réveillé le traumatisme psychologique du 7 octobre.
01:33Pour autant, il y a toujours eu des manifestations depuis le 7 octobre,
01:36mais sans doute pas de cette ampleur.
01:38Qu'est-ce qui a changé ?
01:39Quel est le point de bascule qui est en train, semble-t-il, de s'opérer dans l'opinion israélienne ?
01:43Alors, 500 000 personnes dimanche soir.
01:47Le dimanche soir, ce n'est pas les manifestations habituelles.
01:49La manifestation d'habitude, c'est le samedi soir.
01:51Là, on a une manifestation spontanée qui réunit 500 000 personnes.
01:54À l'échelle de la France, pour les gens qui nous regardent,
01:56c'est comme si un dimanche soir ou un lundi soir,
01:58il y avait 5 millions de personnes qui descendaient dans la rue spontanément.
02:01Donc vous avez raison, on n'a jamais eu autant de monde.
02:05Pourquoi ?
02:06Parce que les Israéliens ont le sentiment que Netanyahou a déchiré le contrat moral
02:11entre l'État et ses citoyens.
02:13Ce n'est même pas politique, là.
02:14Ce contrat moral, c'est le devoir de protection.
02:17Et ce devoir de protection, de sécurité,
02:19ce n'est pas un élément accessoire du mandat que les citoyens confient à l'État israélien.
02:25C'est le mandat fondateur de l'histoire de l'État.
02:27Cet État a été créé pour mettre en sécurité les Juifs de diaspora menacés par l'antisémitisme.
02:33C'est la raison d'être même de l'État.
02:35C'est le socle, si vous voulez.
02:37C'est le consensus minimum, droite, gauche, centre, religieux, laïcs, etc.
02:42Et d'ailleurs, on a vu beaucoup de religieux dans les manifestations aussi.
02:45Donc, on a véritablement un choc psychologique.
02:48Déception profonde.
02:51Oui, quelque chose qui est franchement qu'on n'avait pas vu depuis le 7 octobre,
02:55qui s'est exprimé, d'où la mobilisation également du syndicat.
03:00Toutefois, la grève générale n'a été suivie qu'en partie dans le pays.
03:05C'est inégal, en effet.
03:06Est-ce que c'est le signe d'une société israélienne
03:08qui reste fracturée sur cette question de la politique de Benjamin Netanyahou vis-à-vis des otages ?
03:14Oui, la société est fracturée.
03:16Vous avez raison, Netanyahou est toujours soutenu par un gros tiers de sa population.
03:20Mais la mobilisation du syndicat Issa Drout, c'est très important.
03:24En Israël, il y a des institutions très fortes qui précèdent l'État et qui ont créé l'État.
03:29Ce n'est pas du tout la même chose qu'en France.
03:30En France, c'est l'État qui a tout créé.
03:32Le chef de l'État peut tout se permettre.
03:33La Issa Drout, elle date des années 1920.
03:36Elle précède de 30 ans l'État d'Israël.
03:38C'est elle qui a créé l'État d'Israël, comme l'armée d'ailleurs.
03:41Donc, c'est la première fois que le syndicat se mobilise.
03:45La grève générale a été levée par une décision de justice.
03:48On a considéré que c'était une grève politique.
03:50De fait, ça l'était.
03:52Mais effectivement, ça permet à d'autres personnes de se mobiliser.
03:55Une grève générale, ça veut dire que tout le monde peut se mobiliser juste en restant chez lui.
03:59Est-ce que ça peut fonctionner ?
04:00Est-ce que ça peut avoir une incidence ?
04:02Est-ce que ça peut mettre une pression telle sur Benjamin Netanyahou
04:05qu'il arrive à signer un accord de paix ou un cessez-le-feu,
04:09en tout cas pour permettre le retour des otages ?
04:11Écoutez, on a annoncé, et moi le premier,
04:14dix fois la fin politique de Netanyahou depuis le 7 octobre.
04:17Il est toujours là.
04:18Il est toujours là.
04:19Et Netanyahou, c'est comme Trump, si vous voulez, c'est le roi des contrefeux.
04:22Et quand il est dans un corner, c'est là qu'il faut s'inquiéter le plus.
04:25Parce qu'il peut déclencher des frappes sur le Liban,
04:28comme on l'a vu, des frappes sur l'Iran,
04:29une volonté d'embrasement régional qui lui permettrait
04:32de récupérer à nouveau le soutien des États-Unis et de son opinion publique.
04:36Donc, je ne sais pas.
04:38On peut seulement dire qu'effectivement, la pression de l'opinion publique,
04:41j'allais dire la pression émotionnelle, affective,
04:43n'a jamais été aussi forte que depuis avant-hier.
04:46Est-ce que le premier ministre australien s'aborde de toutes possibilités d'accord,
04:52comme le pensent les familles des otages ?
04:54Oui, et pas seulement cette fois-ci.
04:58En fait, depuis six mois, à chaque fois qu'un accord s'approchait,
05:01on avait une frappe particulièrement meurtrière à Gaza
05:06ou une élimination ciblée d'un responsable du Hamas au Liban ou en Iran,
05:11qui faisait que par définition, les négociations s'arrêtaient.
05:15Le prétexte actuel de Netanyahou, pour l'instant,
05:18c'est ce qu'on appelle le couloir de Philadelphie.
05:20C'est un peu technique.
05:21C'est quoi le couloir de Philadelphie ?
05:22C'est la frontière entre Gaza et l'Égypte, 14 kilomètres.
05:26Aucun responsable sécuritaire dit que la sécurité d'Israël
05:29ne dépend du contrôle du couloir de Philadelphie.
05:32En fait, le deal, il est là, il est sur la table.
05:35Il est prêt techniquement et sur le plan logistique depuis le mois de mai.
05:39Et les Américains poussent ?
05:40Ils poussent, évidemment.
05:41Mais ce qui manque, c'est le courage politique.
05:43Ce qui manque, c'est que Netanyahou choisisse de protéger sa population
05:47plutôt que sa coalition.
05:48Si on dézoome un peu, ce n'est pas facile sur ce sujet-là.
05:51On n'a pas beaucoup de temps en plus.
05:53C'est vrai.
05:54Au sein de la société israélienne, encore un camp de la paix.
05:57Quel est le poids de ceux qui défendent une solution à deux États aujourd'hui en Israël ?
06:02Alors d'abord, il faut dire, c'est dur à entendre,
06:04mais que même parmi les familles des otages, il n'y a pas de consensus.
06:08Il y a le forum TIKVA qui a demandé dimanche très officiellement
06:12que les négociations soient rompues pour le cesser le feu et la libération des otages.
06:16Donc, il y a des familles, vous imaginez, qui sont prêtes pratiquement à sacrifier
06:19leurs enfants pour des motifs politiques,
06:22considérant qu'il ne faut pas négocier avec le Hamas suite à l'exécution des six otages.
06:26Ça, c'est la première chose.
06:27Et puis, la deuxième chose, c'est que les manifestations massives dimanche soir,
06:31ce n'étaient pas des manifestations pour la paix,
06:33ni des manifestations pour les 40 000 morts à Gaza, dont 30 000 femmes et enfants.
06:38C'était des négociations pour le retour des otages.
06:41Donc, on ne peut pas dire qu'il y a un basculement à gauche de la société israélienne.
06:45Il y a une pression politique de plus en plus forte sur Netanyahou.
06:48On peut espérer qu'elle sera assez forte.
06:51Merci beaucoup, Vincent.
06:52Malheureusement, on n'a plus de temps, mais on se permet de rappeler votre BD incroyable,
06:58qui est plein d'anecdotes et riche en histoire,
07:01Histoire de Jérusalem, aux éditions AREN.
07:05Merci beaucoup d'avoir été avec nous ce matin.
07:07Merci à vous.