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Antoni Gaudí est considéré comme l'un des architectes les plus visionnaires et influents de l'histoire, particulièrement connu pour son travail à Barcelone. Voici un aperçu de sa vie et de son œuvre :
Biographie

Né en 1852 en Catalogne, Espagne
Étudié à l'École provinciale d'architecture de Barcelone
Développé un style unique inspiré par la nature et les formes organiques

Style architectural

Mélange de techniques gothiques et d'éléments Art Nouveau
Utilisation innovante de formes, matériaux et techniques de construction
Inspiration tirée des formes organiques et des motifs naturels

Œuvres emblématiques
La Sagrada Família

Basilique monumentale, son œuvre la plus célèbre
Commencée en 1882, toujours en construction aujourd'hui
Caractérisée par ses tours élancées et sa façade sculptée

Casa Batlló

Bâtiment résidentiel à Barcelone
Façade ondulante et toit coloré
Exemple remarquable de l'approche artistique de Gaudí

Parc Güell

Jardin public rempli de sculptures et mosaïques
Offre une vue panoramique sur Barcelone
Comprend le célèbre banc en mosaïque en forme de serpent

Casa Milà (La Pedrera)

Bâtiment moderniste avec une façade ondulée en pierre sculptée
Toit-terrasse remarquable

Héritage

A laissé une empreinte durable sur l'architecture
Continue d'inspirer les architectes du monde entier
Ses œuvres à Barcelone attirent des millions de visiteurs chaque année

Gaudí est reconnu pour avoir créé un style architectural unique, combinant fonctionnalité et esthétique d'une manière révolutionnaire pour son époque.
Transcription
00:00Comme rarement, le nom d'un architecte et celui d'une grande ville d'Europe, Barcelone,
00:22la capitale de la Catalogne, sont indissolublement liés.
00:26La singularité esthétique de son œuvre a laissé une empreinte profonde sur l'identité de cette ville.
00:37Une dizaine de ses chefs-d'œuvre parsèment la cité.
00:40Un parc, une basilique devenue un aimant pour les visiteurs, et des immeubles privés,
00:46du palais aux maisons, dont certains joyaux comme la Casa Bacio.
00:56Cette maison avant-gardiste concentre les grands principes de l'artiste, alors au sommet de son art.
01:10Le nom de cet immense architecte-artiste est Gaudi, Antoni Gaudi.
01:16L'œuvre de Gaudi est une œuvre bouleversante, précisément parce qu'elle est vécue comme une tragédie.
01:24Son œuvre lumineuse a accompagné la profonde transformation d'une ville,
01:28souvent traversée par des épisodes de grande violence, avant d'en devenir l'expression la plus géniale.
01:54L'histoire d'Antoni Gaudi avec la ville de Barcelone commence vers 1870,
02:00quand il vient y mener des études supérieures.
02:05Il avait passé sa jeunesse à Reus, une petite ville à une centaine de kilomètres au sud de ce grand port méditerranéen,
02:11dans une famille d'artisans chaudronniers.
02:14Pendant ses premières années d'études, dans la toute nouvelle école d'architecture de Barcelone,
02:18il habite dans le vieux quartier populaire du port.
02:24Nul doute qu'il profite du spectacle des bateaux qui débarquent leur cargaison exotique,
02:29épices, coton, café, sucre, à leur retour dans la ville.
02:35Nul doute qu'il profite du spectacle des bateaux qui débarquent leur cargaison exotique,
02:40épices, coton, café, sucre, à leur retour dans la ville.
02:46ou d'Afrique.
03:00Le jeune Gaudi fait l'expérience des quartiers anciens de Barcelone,
03:04où les ruelles sont étroites, les logements insalubres,
03:07et où la mémoire de redoutables épidémies est encore vive.
03:12Mais avec la révolution industrielle,
03:15de nombreux travailleurs affluent dans la ville.
03:18Barcelone est à l'étroit dans son enceinte héritée du Moyen-Âge.
03:25C'est alors qu'un plan urbain de grande ampleur
03:28qui doit apporter la modernité à une ville en plein essor
03:31est mis en œuvre.
03:33Ce plan, dit Plan Cerda, du nom de son concepteur,
03:36fait tomber les fortifications médiévales.
03:41Barcelone, alors en pleine croissance,
03:44finit par s'étendre jusqu'aux communes voisines,
03:48comme Gracia, Poblano, Sants-Osta-France,
03:54ou encore Sarrià et l'Escorte.
04:00Le Plan Cerda va alors tenir compte
04:02de ses différentes zones complexes et hétérogènes assez nombreuses.
04:07Et en partant du cœur de la ville ancienne,
04:10il va générer un maillage homogène
04:13qui va venir s'imbriquer dans les autres éléments.
04:18Un nouvel espace urbain, appelé l'Extension,
04:21relie l'ancienne Barcelone aux communes voisines.
04:24Ce plan géométrique et méthodique va révolutionner la ville
04:28et quintupler sa surface.
04:31Le plan propose des îlots carrés d'environ 100 mètres par 100
04:35qui, tout en formant un damier,
04:37vont rejoindre progressivement les zones périphériques.
04:43Une ville moderne, plus saine, a avalé la campagne,
04:47repoussant les espaces naturels sur les hauteurs voisines.
04:51Ce nouveau quartier, où il est plus facile de circuler,
04:54est structuré par quelques axes principaux
04:56et notamment le Passage des Gracias.
05:01Cette large avenue, inspirée des Champs-Élysées de Paris,
05:04allait devenir le théâtre des créations architecturales de Gaudi.
05:12Le plan Cerda est un plan bien pensé et abouti.
05:15Il est hygiénique, fonctionnel, pratique,
05:18et l'histoire a donné raison à Cerda.
05:22Mais voilà, les modernistes voulaient une ville monumentale,
05:25comme Madrid ou Paris.
05:28En 1892, de nouvelles ordonnances introduisent des changements.
05:32Elles autorisent la création de balcons,
05:34de couronnements et d'ornements sur les façades.
05:37Et de manière générale, on peut ornementer.
05:44Ces nouvelles règles vont libérer la créativité des architectes barcelonais.
05:49Cela va se vérifier particulièrement au 35, 41 et 43 du Passage des Gracias.
05:55Les façades du Passage des Gracias sont présentées comme des tableaux.
06:01Elles doivent exprimer la richesse du propriétaire de la maison.
06:07Et cette richesse se mesure par l'originalité et l'excentricité de l'architecte.
06:15Sur une centaine de mètres à peine,
06:17les trois architectes barcelonais en vogue ouverte,
06:20donnent à voir le plus spectaculaire de leur production.
06:24Domènech y Montaner, à l'angle de Lilo avec la Casa Moreira.
06:28Au centre, Puig y Cadafalque avec la Casa Amatier et son pignon à redan.
06:33Et pour finir, au 43, Gaudi propose son chef-d'œuvre moderniste,
06:37la Casa Bacio.
06:42Les trois architectes, alors les plus fameux,
06:45sont aussi les plus excentriques.
06:49A la même période, entre 1900 et 1906,
06:55ils construisent sur le Passage des Gracias
06:58trois maisons qui se touchent quasiment.
07:16La Casa Bacio
07:19La Casa Bacio
07:42La façade de la Casa Bacio, du nom de son commanditaire,
07:46est à nul autre pareil.
07:48Colorée, lumineuse, ondulante,
07:51presque symétrique mais pas tout à fait,
07:54elle attise la curiosité de nombreux barcelonais.
07:59Quand on contemple la façade de la Casa Bacio,
08:03avec son ondulation,
08:05avec ses mosaïques,
08:07dont les couleurs brillent et changent au gré du soleil
08:10et du moment de la journée,
08:13on est très éloigné de l'idée des constructions massives
08:16des anciennes maisons.
08:19Je veux dire par là que ce n'est pas un édifice statique.
08:25A 52 ans, Gaudi est alors à l'apogée
08:28de sa maîtrise technique et artistique.
08:31Pour cette maison si singulière,
08:33il fait preuve de toutes les audaces
08:35et met en œuvre l'essentiel de sa pensée architecturale.
08:38S'immerger dans cette maison,
08:40c'est partir à la rencontre de son génie visionnaire
08:43qui s'y déploie tout entier.
08:47Quel choc pour les contemporains
08:49lorsqu'ils découvrent la façade
08:51qui expose aux yeux de tous
08:53la structure interne de l'édifice, son squelette,
08:56et où se reconnaissent des tibias en guise de colonne.
09:09Cette façade organique
09:11est vite devenue une attraction à Barcelone
09:14et la Casa Baccio a été rapidement surnommée
09:17« la maison des eaux ».
09:22Ces fins tibias
09:24et ces eaux agencées sans le moindre angle droit
09:27ont aussi comme fonction de laisser rentrer la lumière
09:30dans le somptueux appartement de l'étage noble
09:33et d'offrir à ses propriétaires
09:35une large vue sur la plus belle avenue de Barcelone.
10:05L'étage noble, le premier étage qu'on appelle « principal »,
10:09est toujours occupé par le propriétaire de l'édifice.
10:13De l'extérieur, il ne présentait aucune caractéristique particulière,
10:17mais à la fin du XIXe siècle,
10:20il commença à se distinguer des autres étages
10:22par sa tribune, un balcon à fenêtres.
10:26Le balcon vitré permet de voir et d'être vu.
10:30Les grands bourgeois sortent sur leur balcon vitré,
10:34ils ouvrent leurs fenêtres ou restent derrière
10:37et on peut les voir depuis la rue.
10:53L'excentricité du concepteur de ce chef-d'œuvre moderniste
10:56paraît totale.
10:58Paradoxalement, alors que cet édifice se trouve
11:01dans la zone récemment urbanisée de l'Extension,
11:04Gaudi n'est pas parti d'une feuille blanche.
11:11Concernant la Casa Baggio,
11:13il faut savoir qu'elle n'a pas été construite de zéro.
11:16Elle est née de la transformation d'une maison préexistante.
11:19Aussi étonnant que cela puisse paraître,
11:21cette œuvre architecturale audacieuse
11:23est le fruit de nombreuses contraintes.
11:27Gaudi commence à creuser dans cet immeuble,
11:30il y creuse l'intérieur,
11:32ouvre les hôles d'entrée et l'escalier
11:35qu'il conçoit comme le fond de la mer.
11:43Et d'après lui, il y a une nouvelle construction,
11:47et d'après le constructeur de la Casa Baggio,
11:50Josep Baio,
11:52dont le témoignage a été enregistré dans les années 50,
11:55Gaudi ne faisait pas seulement preuve d'audace esthétique.
12:17La plante basse, concrètement, qu'est-ce qu'il a fait ?
12:19Parce que c'est ce qui a peut-être changé le plus, non ?
12:22Si l'on vide l'édifice de tous ses éléments,
12:25il devient un château de cartes, pour ainsi dire.
12:28Qu'est-ce qu'il a fait ?
12:30C'est la fêtchade de la plante basse
12:32qu'on a tenu à Pontelada
12:34ces 4 jours.
12:36Quand on a tous les pieds à point,
12:38on ne l'a pas tenu à Pontelada
12:40pendant 3 jours.
12:42On l'a tenu pendant 4 jours.
12:44Si l'on vide l'édifice
12:46de tous ses éléments,
12:48il devient un château de cartes.
12:50Il a donc besoin
12:52d'une colonne vertébrale
12:54en son milieu.
12:56Ce n'est pas le grand puits bleu.
12:58C'est le seul mur
13:00qui va être construit
13:02dans le but d'obtenir
13:04une rigidité structurelle.
13:06Cela va permettre
13:08d'insérer un élément nouveau
13:10qui est l'escalier.
13:12L'escalier qui dessert
13:14les appartements
13:16est une structure métallique
13:18qui se déploie du haut
13:20vers le bas.
13:26...
13:36Pour apporter de la lumière
13:38jusqu'à l'étage noble,
13:40un élément majeur
13:42de la réforme de Gaudi
13:44a été dévider le centre du bâtiment.
13:46Il recouvre les parois du puits
13:48ainsi créés d'une céramique bleue
13:50dont les nuances sont de plus en plus claires
13:52à mesure qu'on s'éloigne
13:54de la lumière.
13:58Le grand puits bleu
14:00n'est pas qu'un simple impluvium romain
14:02permettant à la lumière
14:04d'entrer dans l'immeuble.
14:06C'est aussi un mécanisme
14:08qui permet à l'air d'être extrait.
14:10Et après qu'il soit entré
14:12par la façade,
14:14qu'il puisse sortir par le puits
14:16et se renouveler.
14:18De cette façon,
14:20l'air se régénère constamment.
14:22L'air circule en un endroit
14:24où soudain,
14:26tu sens un courant d'air
14:28mais tu ne comprends pas
14:30comment il est apparu là,
14:32au milieu de l'étage.
14:52Il faut de la circulation de l'air,
14:54il faut de la lumière
14:56dans les intérieurs et dans les appartements.
14:58Gage de meilleure santé
15:00pour les occupants.
15:08Gaudi n'est pas un pur esprit.
15:10Il est attentif aux questions fonctionnelles.
15:12C'est souligné dans un certain nombre
15:14de ses édifices.
15:16A Baggio, c'est la qualité de circulation de l'air
15:18telle qu'elle est conçue
15:20comme la qualité de circulation dans l'édifice.
15:32Il y a trois Casabatio.
15:34Il y a celle de l'étage noble,
15:36c'est-à-dire la zone noble
15:38de l'étage noble avec sa propre logique,
15:42celle des appartements en location
15:44avec une autre logique
15:46et la troisième avec encore une autre logique,
15:48celle du rez-de-chaussée, du local technique
15:50et des sous-sols.
15:54Gaudi a organisé
15:56trois espaces distincts dans cet immeuble,
15:58chacun ayant un accès
16:00qui lui est propre.
16:08L'étage noble est réservé
16:10au propriétaire, la famille Baggio.
16:12Ces riches bourgeois
16:14barcelonais ont fait fortune dans l'industrie
16:16textile et ils ont commandé
16:18à Gaudi la rénovation de cette maison.
16:26Aux grands dames de l'architecte,
16:28ils ont meublé leur salon
16:30avec un mobilier bourgeois conventionnel.
16:32Une certaine lourdeur
16:34qui contraste avec les impressions de mouvement,
16:36de dynamique que les décors
16:38curvilignes cherchaient à ménager.
16:40Luxe suprême,
16:42Gaudi a imaginé une terrasse
16:44à l'arrière du bâtiment.
16:56C'est une terrasse
16:58que les époux Baggio
17:00utilisent pour se détendre
17:02et profiter de l'extérieur,
17:04comme le font les familles aisées.
17:06Mais cette terrasse
17:08donne sur la rue Arago
17:10où passe alors la ligne de train
17:12Barcelone-Madrid
17:14par une voie ferrée
17:16semi-enterrée.
17:18Seulement voilà,
17:20c'est un train à vapeur.
17:24Gaudi devait trouver une parade
17:26aux nuisances causées par les trains à vapeur
17:28crachant leur fumée depuis la voie ferrée.
17:32Mais il devait également composer
17:34avec la présence très envahissante
17:36de la première station-service
17:38de Barcelone.
17:40Elle occasionnait une telle agitation
17:42qu'elle a été caricaturée
17:44dans la presse.
17:46Comment allait-il résoudre
17:48cette équation ?
17:50Ici, on a une photo
17:52d'époque de la station-service.
17:54Là,
17:56on voit bien la façade arrière
17:58de la Casa Baggio
18:00avec l'accès à la station.
18:02Et cet espace-là,
18:04c'est la grande terrasse
18:06et ici, on distingue un élément végétal
18:08qui recouvrait entièrement
18:10cet espace central
18:12et qui permettait
18:14à la famille Baggio
18:16de prendre l'air.
18:32Gaudi propose
18:34une véritable cathédrale végétale
18:36qui filtre à la fois la lumière
18:38et les bruits de la ville.
18:40Ce qui m'émeut plus que tout,
18:42c'est la simplicité
18:44de la solution.
18:46Comment, avec si peu,
18:48il a obtenu un tel résultat ?
19:02L'expérience de la nature
19:04que Gaudi a faite
19:06pendant son enfance
19:08dans la campagne catalane
19:10a laissé une empreinte
19:12sur le futur architecte.
19:14Il ne cesse
19:16d'y puiser des inspirations,
19:18comme pour fabriquer
19:20un temple végétal
19:22au milieu du chaos urbain
19:24ou pour traverser
19:26l'espace de la ville.
19:28L'expérience de la nature
19:30n'est pas seulement
19:32pour fabriquer
19:34un temple végétal
19:36au milieu du chaos urbain
19:38ou pour tracer
19:40des circulations
19:42dans la casa Baggio
19:44qui évoque
19:46un sentier dans une forêt.
19:48On peut voir
19:50comment le mur tourne
19:52et nous conduit
19:54en un autre lieu
19:56dans un mouvement constant.
19:58Seuls les chemins des hommes
20:00sont rectilignes dans la nature.
20:02Mais en dehors de ces chemins,
20:04dans la forêt,
20:06on marche constamment en zigzag.
20:28L'étage trace justement
20:30un parcours emprunt de cette volonté.
20:32Car ce que recherche Gaudi,
20:34c'est reproduire les sensations
20:36qu'on éprouve au milieu de la nature.
20:38Et les lignes que Gaudi trace
20:40en s'inspirant de la nature
20:42ne sont pas droites.
20:46Une inspiration essentielle
20:48pour le mouvement artistique
20:50qui domine la transition 19e-20e siècle,
20:52connu internationalement
20:54comme l'art nouveau,
20:56sera le modernisme.
21:12Le modernisme
21:14est une convention
21:16de la culture catalane
21:18que nous définissons
21:20comme une période allant
21:22de 1890 à 1910 environ.
21:24On peut dire que Gaudi
21:26a vraiment été moderniste.
21:30Cette fleur ici,
21:32elle est art nouveau.
21:36Cette fleur était à la mode
21:38à cette époque.
21:40Elle a été reproduite à l'infini.
21:42C'est une fleur stylisée
21:44qui est très très jolie.
21:48Elle est totalement moderniste.
21:54...
22:06Ici en Catalogne,
22:08on utilisait déjà la nature
22:10comme source d'inspiration.
22:12Mais avec l'avènement
22:14de l'art nouveau,
22:16elle va se faire encore plus présente.
22:18En ce qui concerne Gaudi,
22:20c'est un cas à part.
22:22La nature est intrinsèque
22:24chez lui.
22:26Autrement dit,
22:28Gaudi ne copie pas
22:30les formes de la nature.
22:32Il les crée.
22:34Je répète cette phrase essentielle.
22:36Il ne copie ni n'intègre
22:38les formes de la nature.
22:40Il fait la nature.
22:42Cela signifie que la nature
22:44l'entoure,
22:46mais qu'il en fait
22:48un langage très très original.
22:52...
23:16Les lignes modernistes
23:18abondent dans la Casa Baccio.
23:20Mais Gaudi impose
23:22un autre thème décoratif
23:24très particulier.
23:26Le thème principal
23:28de l'intérieur de la Casa Baccio,
23:30c'est le tourbillon.
23:32Il y a des tourbillons au sol,
23:34sur les toits,
23:36sur les portes.
23:38Il y en a partout.
23:40...
23:42À la Casa Baccio,
23:44les éléments décoratifs
23:46sont tous inspirés
23:48...
23:50Quel phénomène physique
23:52plus puissant que le tourbillon
23:54qui n'est qu'une courbe
23:56s'enroulant sur elle-même
23:58dans un mouvement infini
24:00pour évoquer radicalement
24:02le mouvement ?
24:04Gaudi, avec une sorte
24:06d'ésotérisme qui lui est propre,
24:08inscrit cette référence
24:10dans des détails inattendus.
24:12...
24:14Ainsi,
24:16contrairement à l'usage,
24:18à la Casa Baccio,
24:20les appartements ne sont plus
24:22indiqués par un numéro sur les portes
24:24mais par des lettres.
24:26...
24:28...
24:30C'est peut-être
24:32le seul édifice de Barcelone
24:34où les portes des appartements
24:36sont signalées par des lettres.
24:38A, B, C, D, E, F, G.
24:40Il se trouve aussi
24:42que les rampes d'escalier
24:44ne sont pas indiquées exactement
24:46en dessinant un trèfle.
24:48...
24:50Hormis celle qui se trouve
24:52face à la lettre G
24:54qui se termine en spirale
24:56et reprend la forme de la lettre G.
24:58La spirale souligne
25:00le dessin en forme de tourbillon
25:02de la lettre G.
25:04Il ne se contente pas
25:06d'inscrire son nom,
25:08il lui attache cette valeur
25:10symbolique puissante.
25:12Il a 54 ans
25:14et il est au summum de sa notoriété.
25:16...
25:18Si on lit les commentaires
25:20de ceux qui l'ont connu
25:22ou bien les poèmes
25:24qui ont été écrits sur lui
25:26ou si on jette un oeil
25:28aux caricatures,
25:30on se rend très vite compte
25:32que ses contemporains
25:34ne le percevaient pas
25:36comme une personne modeste
25:38alors qu'il voulait apparaître
25:40comme un homme
25:42qui était constamment présent
25:44parmi la bonne société
25:46barcelonaise.
25:48...
25:50Il est évident que Gaudi
25:52a voulu mettre en avant
25:54la lettre G à cet endroit
25:56car c'est l'initial de son nom
25:58mais aussi l'initial du mot
26:00Genèse.
26:02...
26:04Or, la question de la Genèse,
26:06jusque-là réservée
26:08est totalement mise à mal
26:10après la découverte par les scientifiques
26:12au début du XIXe siècle
26:14que les grands fossiles marins
26:16sont en fait des espèces disparues.
26:18Une chose tout à fait impossible
26:20au regard de la Bible.
26:22Au long de la seconde moitié du XIXe siècle,
26:24on comprend, petit à petit,
26:26notamment par les théories de l'évolution,
26:28que le monde n'est pas figé,
26:30que les choses évoluent,
26:32que les choses changent.
26:34C'est une conquête mentale
26:36qui montre qu'il y a eu des espèces qui n'existent plus.
26:38Et évidemment, ça ouvre
26:40un abîme, puisque si
26:42certaines espèces peuvent disparaître,
26:44peut-être que l'homme n'est qu'une espèce parmi les autres
26:46et qu'elle pourrait disparaître.
26:48En réfutant la vision
26:50des origines de la Bible,
26:52les scientifiques ont ouvert une quête sans fin
26:54pour comprendre quelles étaient
26:56les origines du monde.
26:58...
27:00C'est dans le sillage de cette révolution intellectuelle
27:02que le romancier Jules Verne
27:04a écrit des récits vulgarisant
27:06les travaux scientifiques.
27:08...
27:10Il y a fort à parier que Gaudí s'est largement
27:12inspiré d'une œuvre qui a connu
27:14un immense succès international
27:16dès sa publication.
27:18...
27:2020 000 lieues sous les mers
27:22précèdent la Casa Pacho
27:24de 35 ans.
27:26...
27:28Quand on jette un œil sur les gravures
27:30qui illustrent ce merveilleux livre
27:32qui est 20 000 lieues sous les mers
27:34de Jules Verne,
27:36on s'aperçoit que l'esthétique
27:38du Nautilus est exactement
27:40la même que celle de la Casa Pacho.
27:42...
27:44...
27:46...
27:48...
27:50...
27:52Dans le vestibule
27:54de l'appartement noble,
27:56il y a continuité parfaite entre les murs
27:58et le plafond, ce qui crée
28:00l'impression d'un volume organique.
28:02Il y a aussi des lucarnes
28:04en forme de carapace de tortue.
28:06On pourrait se croire dans une grotte marine
28:08ou dans le salon du Nautilus
28:10du capitaine Nemo.
28:12...
28:14...
28:16...
28:18Gaudí ne pouvait mieux faire part de sa fascination
28:20pour la question des origines
28:22qu'en insérant l'épine dorsale d'un grand reptile marin
28:24disparu il y a plus de 100 millions d'années
28:26comme élément structurant
28:28du grand escalier.
28:30...
28:32...
28:34À la fin du XIXe siècle,
28:36le retour aux origines,
28:38c'est le progrès ultime
28:40parce que l'esthétique que Gaudí
28:42élabore autour des formes inspirées
28:44des courants marins,
28:46des spirales
28:48et des tourbillons de l'océan
28:50puisent ses fondements
28:52dans les théories scientifiques
28:54les plus avancées de l'époque.
28:56...
28:58...
29:00...
29:02Avec ces magnifiques illustrations,
29:04le roman de Jules Verne
29:06anticipe les grandes expéditions
29:08océanographiques
29:10qui partent à la découverte
29:12de ces immensités aquatiques
29:14réputées avoir vu apparaître la vie.
29:16...
29:18...
29:20Ces explorations révèlent
29:22de nouvelles espèces
29:24inattendues.
29:26...
29:28Les univers sous-marins
29:30peuplés d'animaux baroques
29:32deviennent à la mode.
29:34Un inventeur de premiers plans
29:36comme Étienne-Jules Marais,
29:38un des précurseurs du cinéma
29:40qui a mis au point
29:42le chronophotographe,
29:44s'ingénie à capturer
29:46le mouvement des hippocampes
29:48et des méduses.
29:50...
29:52La moitié du XIXe siècle,
29:54c'est quand même le moment
29:56où on plonge sous la surface
29:58et où l'océanographie
30:00se développe de manière importante
30:02puisqu'auparavant,
30:04on était quand même très limité
30:06dans l'appréhension des fonds
30:08sous-marins, sous-aquatiques,
30:10mais en particulier sous-marins
30:12car c'était l'apnée.
30:14...
30:16A la même période,
30:18une autre oeuvre,
30:20les formes de vie marine, celles du zoologue allemand Ernst Haeckel.
30:26L'influence de ces dessins de siphonophores, méduses, éponges ou radiolaires sur l'art nouveau est considérable.
30:32L'une de ces planches, qui représente un animal unicellulaire d'un tiers de millimètre,
30:54inspirera même la monumentale porte de 45 mètres de haut qui accueillait les visiteurs de l'exposition universelle de Paris de 1900.
31:1240 nations proposent autant de pavillons spectaculaires regorgeants de richesses.
31:18Des dizaines de millions de visiteurs se précipitent pour étancher leur soif d'ailleurs,
31:23pour vivre des expériences inédites comme traverser la Sibérie,
31:27et satisfaire leur immense curiosité à l'aube d'un siècle qui promet d'être celui de l'électricité, de la vitesse et du progrès.
31:34Toute cette imagerie populaire qui s'est développée au cours du XIXe siècle a culminé lors de l'exposition de 1900.
31:55Près de la Seine, à la hauteur du Grand Palais, le premier aquarium d'eau de mer jamais construit ouvre pour l'exposition universelle.
32:05La mise en scène est ambitieuse.
32:07Les visiteurs sont comme immergés dans des grottes sous-marines et circulent au milieu d'étranges animaux de l'océan qui passent au-dessus de leur tête.
32:15Ils aperçoivent aussi des ruines et des épaves de navires ayant sombré.
32:22On peut facilement imaginer que Gaudi puise dans cette fascination pour le monde de la mer,
32:27dans sa biodiversité qui s'enrichit continuellement, de quoi développer un répertoire graphique très varié.
32:34Il fait de la Casa Bacio une maison d'inspiration véritablement marine.
32:43Avec le thème du tourbillon, l'élément hydraulique est central dans la maison.
32:51Mais Gaudi n'oublie jamais d'affirmer son identité catalane.
32:57C'est au toit de la maison qu'il a confié la mission d'afficher cette identité sous la forme d'un curieux dragon.
33:05Le toit de la Casa Bacio ressemble à un dos de dragon couvert d'écailles multicolores en céramique,
33:11avec une colonne vertébrale marquée par des pièces sphériques.
33:17Cet ensemble spectaculaire évoque un animal mythique du bestiaire régional.
33:24Au sommet de la maison, l'architecte nous propose un récit mythologique de l'identité catalane
33:29où est évoqué le combat contre le monstre que tous les enfants du pays connaissent.
33:35La Casa Bacio a souvent été comparée à un dragon.
33:39Le dragon, c'est le célèbre mythe de Sant Jordi, le patron de la Catalogne qui tue le dragon.
33:46On a l'habitude de dire que le toit de la Casa Bacio est couvert d'écailles de dragon.
33:50Tandis que la tour de l'escalier, elle, serait l'épée de Sant Jordi.
33:55Le terrible dragon, capable d'infecter l'air d'un seul de ses souffles
34:00et dévorant chaque jour un habitant tiré au sort, s'apprêtait à tuer la princesse.
34:06Mais bravant la peur, le chevalier Sant Jordi, Saint Georges, leva son épée
34:12et la tue la princesse.
34:14Mais bravant la peur, le chevalier Sant Jordi, Saint Georges, leva son épée, transperça la bête,
34:21sauva la princesse et mit fin à la terreur que le dragon faisait régner sur la population.
34:29Sant Jordi est ainsi devenu le protecteur de la Catalogne.
34:34Surplombant la Casa Bacio, la croix à quatre branches qui symbolise son arme
34:39semble désormais éternellement plantée dans la peau de l'animal.
34:45Cette seule pièce condense plusieurs dimensions de l'artiste Gaudi.
34:50Le pommeau a pris une forme naturelle, celle d'une gousse d'ail.
34:59La croix à quatre branches est ouvertement un symbole chrétien
35:03qui se retrouve dans plusieurs autres œuvres de Gaudi, comme au Parc Güell, par exemple.
35:07Enfin, la pièce en céramique fabriquée à Mallorque est malheureusement parvenue brisée à Barcelone.
35:15Gaudi, plutôt que d'en commander une autre, décida de recoller les morceaux
35:20parce qu'il trouvait que cela lui conférait une valeur esthétique.
35:27Le Gaudi c'est aussi un grand intuitif.
35:30C'est-à-dire qu'il s'occupe de l'artiste Gaudi.
35:32C'est un mystique, un intuitif et aussi un mathématicien.
35:38Il improvise continuellement comme un artiste.
35:42C'est un architecte qui travaille comme un artiste, qui fait et défait.
36:03Les cheminées
36:23De nombreuses surfaces extérieures de la Casa Baccio sont couvertes d'éléments fragmentaires et souvent colorés.
36:29C'est le cas des cheminées et de la façade dapissée de morceaux de verre et de céramique brisés.
36:41Ces artefacts, qui dialoguent avec la lumière, forment une immense mosaïque multicolore.
36:47C'est Gaudi lui-même qui a élevé cette technique vernaculaire dite de trencadis,
36:52littéralement picassiette en français, au rang de geste architectural de première importance.
37:00L'architecte-artiste avait déjà abondamment eu recours à ce procédé technique lors de la réalisation du Parc Güell.
37:07Un autre de ses projets majeurs, commencé vers 1900 et terminé en 1914.
37:13C'était une zone excentrée qu'on appelait la Montagne Pelée.
37:18On n'y trouvait pas un seul arbre.
37:21Ce projet est commandité par Eusebi Güell, le personnage alors le plus fortuné d'Espagne.
37:26Grand bourgeois éclairé et tout autant catalaniste que Gaudi,
37:31il jouera longtemps le rôle de mécène auprès de l'architecte-artiste moderniste.
37:37Vingt ans plus tôt, il lui avait déjà donné une pièce majeure, le Palais Güell,
37:43un chef-d'œuvre néo-médiéval d'un luxe inouï, digne des grands princes.
37:57Dans la conception de ce parc de 19 hectares,
38:01Gaudi va manifester pour la nature existante un respect assez avant-gardiste.
38:08Sur les vieilles photos du Parc Güell, on voit bien comment il fait des viaducs
38:14et il construit des murs en pierre et des colonnes
38:19pour permettre à la végétation de s'épanouir et de se nourrir.
38:24Gaudi place des maisons sur la pente en remaniant le moins possible sa topographie.
38:29Pour les relier, il préfère construire des chemins extérieurs avec une architecture organique.
38:35Gaudi place des maisons sur la pente en remaniant le moins possible sa topographie.
38:41Pour les relier, il préfère construire des chemins extérieurs avec une architecture organique.
39:04Je me demande si Gaudi n'agit pas en paysagiste au Parc Güell,
39:09car il intervient dans le paysage comme un urbaniste paysagiste au sens moderne.
39:16Pour Gaudi, le jardin doit être complètement fidèle à la nature préexistante.
39:35Il crée néanmoins de grands escaliers, plusieurs fontaines
39:40ou un banc tout en ondulations couvert de trincadis qu'il peuple de nombreux symboles.
39:49Il se sert de ce qu'il a sous la main.
39:53En pleine révolution industrielle, il y a beaucoup de déchets, beaucoup de rebuts.
39:58Il ne fait qu'à les réutiliser.
40:00Une partie du banc du Parc Güell provient de la fabrique Pujol i Bausis.
40:06Il utilise donc les rebuts quand il en a besoin et il recycle énormément.
40:12Les tuiles cassées de la Casa Batlló, il va les réutiliser pour le Parc Güell.
40:19Un jour, un chargement entier de céramique est arrivé cassé.
40:23Et M. Güell s'est pris la tête entre les mains.
40:26Gaudi a dit, non, non, ne vous inquiétez pas, ce n'est pas perdu, on en fera du trincadis.
40:31Le génial Gaudi, qui faisait très souvent preuve de son intransigeance créatrice,
40:37délègue pourtant à ses assistants et aux artisans la responsabilité de confectionner le trincadis.
40:47Le chef de chantier a rapporté les directives qui étaient données pour la pose du trincadis.
40:53Ici du vert, là du rouge et ici du bleu.
40:56Les instructions ne disaient pas comment positionner chaque pièce.
41:01Si la perfection n'existe pas dans la nature, alors elle n'a pas lieu d'être dans un monde qu'on construit.
41:08C'est une marge de liberté qui est laissée à l'artisan, qui n'en est pas moins un être humain.
41:18On peut aussi voir dans cet art du trincadis, qui réutilise les rebuts de l'industrie, un geste avant-gardiste de recyclage.
41:26Il voyait probablement en chaque objet, en chaque pierre, en chaque plante, une valeur et une beauté.
41:37Et ce respect de chaque chose a déterminé sa façon de travailler.
41:42De toute évidence, il était écologiste avant l'heure.
41:48Cette attention à la nature, à l'existant, se révèle ailleurs dans le parc Güell.
41:55Il a par exemple apporté un soin particulier à la récupération de l'eau, pour assurer l'arrosage des jardins et alimenter les fontaines.
42:04La voûte de la salle hypostyle a été dessinée pour qu'elle puisse collecter l'eau de pluie,
42:09et il a installé de fausses colonnes de stiles doriques, en réalité creuses, qui permettent la circulation et le stockage de l'eau.
42:16Le projet immobilier de parc urbain n'a pas connu le succès escompté.
42:21Seulement quatre villas ayant été construites, dont une habitée par Gaudi, son père et sa nièce, et une autre par Eusebi Güell lui-même.
42:32Si bien que ce parc, pour privilégier, est devenu peu à peu un lieu ouvert à tous.
42:38Un parc qui accueillait des fêtes catalanes où se pressait la foule,
42:42un parc qui a grandement contribué à la popularité de l'architecte moderniste,
42:49et un parc qui est aujourd'hui devenu un des emblèmes de la capitale catalane.
42:56Mais Eusebi Güell a aussi largement financé le projet le plus démesuré de son histoire.
43:01Bâtir un grand édifice religieux.
43:16En apportant la lumière dans l'obscurité, en faisant souffler l'air,
43:21tourbillonner la lumière dans l'obscurité,
43:24en favorisant le développement des formes les plus extravagantes,
43:28Gaudi ne s'octroie-t-il pas des pouvoirs analogues à ceux du créateur ?
43:44Gaudi voit la matière comme une chose débordante.
43:48Comme une lave originelle.
43:52Et tout l'effort de l'artiste consiste à donner forme à cette lave.
44:02La façade de la Casa Bacio, mais plus encore celle de la Pedrera,
44:07témoignent de ce désir de puissance chez Gaudi,
44:10de sa volonté de parvenir à figer l'église,
44:13témoignent de ce désir de puissance chez Gaudi,
44:16de sa volonté de parvenir à figer la force tellurique, la lave en fusion.
44:26Mais comment donne-t-il forme à cette matière ?
44:29L'artiste-architecte le fait avec ses mains.
44:33De la même façon que Dieu a créé Adam à l'aide d'argile,
44:37lui a donné forme avec ses mains et lui a insufflé la vie,
44:41l'artiste-architecte utilise lui aussi cette matière informe.
44:47Gaudi travaillait beaucoup avec le plâtre et l'argile,
44:50c'est-à-dire des matières auxquelles il donnait forme.
45:03L'œuvre de Gaudi est une œuvre bouleversante,
45:07précisément parce qu'elle est vécue comme une tragédie,
45:12celle qui tente de contrôler le magma et de lui donner une forme.
45:19Il voulait être Dieu, un démurge.
45:23Il voulait imiter la création divine.
45:26Et ça devait être difficile pour la personne religieuse qu'il était.
45:30Il savait que son œuvre était importante, c'est certain qu'il le savait.
45:33Et pareil pour la Sagrada Familia.
45:36Il savait qu'il était en train de réaliser quelque chose que jamais personne n'avait réalisé.
45:42On ne fera jamais plus de Sagrada Familia.
45:47Jamais plus, car c'est un temple qui est comme une prière.
45:53Elle a la valeur symbolique d'une prière.
45:56Et en dernière instance, bien sûr, d'un péché d'orgueil.
46:04Doit-on le projet démesuré de la Sagrada Familia au catholicisme de Gaudi
46:10ou à sa propension à se prendre pour le Créateur ?
46:15À mesure que sa foi se renforce au cours des années,
46:18il se consacre de plus en plus exclusivement à sa construction, digne du temps des cathédrales.
46:27Mais entreprendre une œuvre aussi spectaculaire qui se veut être un temple expiatoire,
46:31c'est-à-dire destiné à réparer les péchés dans une des villes d'Europe les plus révolutionnaires,
46:36n'est-ce pas entrer en contradiction avec les valeurs de son temps ?
46:44Barcelone n'était pas une ville pacifique
46:47où les bourgeois qui commandaient des maisons à Gaudi,
46:51avec des balcons pour admirer le passage des Gracias,
46:54vivaient dans la plus grande tranquillité.
46:57Non, c'était une ville révolutionnaire.
47:00Où la lutte des classes s'exprimait avec une violence extrême.
47:05Une ville qui, à de nombreuses reprises, avait été un exemple de ville aux barricades.
47:16Peu de temps auparavant,
47:18à la faveur d'une grève générale provoquée par un ordre de réquisition de la jeunesse catalane
47:22pour aller faire la guerre au Maroc,
47:24la ville s'est embrasée.
47:26Une vingtaine d'églises et cinquante couvents ont été détruits ou incendiés.
47:31La Sagrada Familia naissante a été épargnée.
47:41En juillet 1909, il y a eu une insurrection populaire
47:46qui a débouché sur une semaine d'intenses violences dans la ville.
47:50Les Barcelonais ont pu voir depuis la colline de Montjuic
47:53les colonnes de fumée noircir le ciel de leur ville.
48:00Il ne faut jamais perdre de vue que l'œuvre de Gaudi
48:04ne se construit pas en dehors de cette Barcelone violente,
48:08mais au cœur de cette Barcelone violente.
48:20Gaudi souhaite-t-il expier les péchés de ses compatriotes révolutionnaires
48:25et obtenir la rédemption de la ville en bâtissant sans relâche ce grand temple ?
48:34Lorsque son ami et mécène Eusebi Güell s'éteint en 1918,
48:39il déclare
48:41« Je n'ai plus ni ami, ni famille, ni peuple.
48:44Je peux désormais me consacrer au temple. »
48:49On peut se demander si Gaudi était une personne de son temps ou non.
48:54C'était aussi un homme plein de contradictions,
48:58parce qu'il était moderne sans l'être.
49:02Par exemple, d'un point de vue moral, il était très conservateur.
49:06Après le décès de sa nièce, qui partageait sa maison du parc Güell,
49:10puis celui de son bras droit, l'architecte Berenguer,
49:14Gaudi abandonne cette résidence pour s'installer dans la Sagrada Familia.
49:18Désormais, il y travaille et il y vit.
49:22À plus de 60 ans, l'audacieux aventurier du modernisme
49:26est snobé par les nouvelles élites.
49:29C'était à partir de l'âge de 16 ans que Gaudi
49:32s'est mis à vivre seul, guidé par un profond sentiment religieux,
49:36tourmenté, totalement dévoué à son oeuvre.
49:40C'est pourquoi, même si les historiens modernes disent
49:44qu'il n'y a pas de grands artistes, il y en a.
49:48Comme Michel-Ange, comme Picasso,
49:52dont l'oeuvre les dépasse.
49:56C'est pour ça que Gaudi,
49:58comme Michel-Ange, comme Picasso,
50:02dont l'oeuvre les dépasse.
50:06Certains artistes finissent par être dévorés,
50:10engloutis par leur oeuvre,
50:14et Gaudi est de cela.
50:18Ce chef-d'oeuvre est constellé d'innovations techniques
50:22qui montrent combien Gaudi, même au soir de sa vie,
50:25a fait de l'oeuvre totale.
50:34Le lundi 7 juin 1926, en sortant de la Sagrada Familia,
50:38Gaudi est percuté par un tramway et tombe inanimé.
50:51Gaudi savait déjà qu'il ne terminerait pas
50:55l'oeuvre de la Sagrada Familia.
50:59Parce qu'en 10 ans, entre 1883 et 1914,
51:03il n'avait achevé qu'une façade.
51:07C'était évident qu'il ne verrait pas l'oeuvre achevée.
51:11Même si c'était absurde d'entreprendre une oeuvre
51:15comme la Sagrada Familia, il l'a tout de même fait.
51:19Le cercueil de l'architecte, devenu ermite au soir de sa vie,
51:22est indélébile.
51:26Une foule, digne d'un héros national,
51:30l'accompagne jusqu'à sa dernière demeure,
51:34en cours de construction.
51:38La crypte de la Sagrada Familia devient son tombeau.
51:45La Sagrada Familia, c'est très beau dans ce sens
51:48C'est toujours infini, comme toute oeuvre de Gaudi.
51:55Presque un siècle après sa disparition,
51:59la Sagrada Familia, malgré l'apport de nombreuses collaborations,
52:03n'est pas encore achevée.

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