Anne Ouloto, ministre d’Etat de la Fonction publique et de la modernisation de l’Etat en Côte d’Ivoire, est présente à Paris pour participer aux Rencontres de la communauté laïque romaine Sant’Egidio. L’occasion de faire un point, face à Pascal Airault, sur les aspirations de la Côte d’Ivoire et, plus largement, du continent africain.
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00:00Anne Lotto, bonjour.
00:05Bonjour.
00:06Vous êtes ministre d'État de la fonction publique et de la modernisation de l'État
00:10en Côte d'Ivoire.
00:11Vous êtes venue à Paris pour participer aux rencontres de la communauté laïque romaine
00:16Sant'Egidio qui a beaucoup œuvré dans la pacification des conflits, notamment en Afrique.
00:22Le thème cette année était « Imaginez la paix ».
00:24La Côte d'Ivoire a connu une longue crise politique, entamée à la mort d'Oufouette
00:31Bouani en fin 1993, qui s'est prolongée jusqu'à les années 2000, avec cette crise
00:37postélectorale en 2010, 3 000 victimes.
00:41Où en est-on 14 ans après ? Est-ce qu'il y a un chemin de pacification en Côte d'Ivoire
00:47qui peut servir d'exemple à un certain nombre d'autres pays d'Afrique ?
00:50Absolument, je voudrais vous remercier pour l'intérêt et dire surtout que la Côte
00:56d'Ivoire n'aurait pas pu se permettre d'être absente à cette rencontre internationale
01:02organisée par la communauté Sant'Egidio, qui est une communauté qui est bien implantée
01:08en Côte d'Ivoire, bien connue de toutes les autorités ivoiriennes, notamment du président
01:13de la République, M. Alassane Ouattara.
01:15La communauté Sant'Egidio a contribué à ce retour de la paix dans notre pays.
01:2214 ans plus tard, la Côte d'Ivoire se porte beaucoup mieux.
01:25D'ailleurs, je voudrais vous rappeler qu'elle a organisé la meilleure canne en janvier
01:30dernier.
01:31Oui, la Coupe d'Afrique.
01:32La Coupe d'Afrique des Nations, c'était une très belle expérience parce que le pays
01:36est en paix.
01:37Il n'y a plus de prisonniers politiques en prison, comment a-t-on favorisé le vivre
01:45ensemble, la réconciliation entre les acteurs politiques ?
01:47Vivre ensemble est le projet de société du RHDP et du président Alassane Ouattara.
01:54Vous le savez bien, depuis 2011, dès sa prise de fonction à la tête de l'État, le président
02:03Ouattara a développé son programme vivre ensemble à travers la cellule spéciale qu'il
02:12avait mise en place, Dialogue, Vérité, Réconciliation, pour justement faire en
02:16sorte que, par le pardon, par la métendue, les Ivoiriens réapprennent tout simplement
02:24à vivre ensemble.
02:25Nous avons passé des moments assez particuliers, ça a été douloureux, mais le résultat
02:30est là.
02:31Les Ivoiriens se sont pardonnés.
02:33Tous ceux qui étaient en exil sont rentrés en Côte d'Ivoire, aujourd'hui, ils n'ont
02:38rien été créés.
02:39Sauf Guillaume Soro.
02:40Guillaume Soro n'était pas en exil en 2012, Guillaume Soro s'est retrouvé hors du pays
02:48pour d'autres raisons qui n'ont rien à voir avec la crise post-électorale et les
02:53nombreuses crises que la Côte d'Ivoire a connues.
02:55Et Guillaume Soro peut revenir dans son pays quand il le souhaite.
02:58Alors, concernant la crise post-électorale, la guerre que nous avons connue, tous ceux
03:05qui étaient en exil sont rentrés en Côte d'Ivoire et tous pourront témoigner des
03:10initiatives qui ont été prises par le gouvernement, des programmes pour leur réinsertion, pour
03:18la reprise totale de leurs activités sociales, économiques et même politiques.
03:22La majorité de tous ceux qui vivent en exil sont aujourd'hui, parmi les politiques, sont
03:27aujourd'hui les députés de l'Assemblée nationale.
03:29Les camps de réfugiés ont fermé.
03:31Totalement.
03:32La mission des Nations unies qui était sur le terrain a aussi fermé ses portes.
03:38Elle n'a plus d'objet cette mission.
03:40L'année prochaine, c'est le bureau de la Cour pénale internationale qui va aussi quitter
03:46la Côte d'Ivoire.
03:47Est-ce que pour les victimes, ça ne va pas un peu trop vite ? J'entends parfois des
03:52voix qui disent « bon, la justice n'est peut-être pas allée au bout de son travail
03:57».
03:58Écoutez, la justice continue son travail.
04:01La justice internationale à travers la CPI, ça c'est la CPI, c'est la justice internationale.
04:06Mais la justice ivoirienne n'a pas mis la clé sur le paillasson, elle est toujours
04:12présente.
04:13Et je crois que les procès, les auditions se font au cas par cas en fonction des enquêtes
04:21et des différentes requêtes qui sont déposées par les victimes.
04:26Mais en tout état de cause, ce qu'il faut retenir, c'est que la réconciliation est
04:33un processus.
04:34Le vivre ensemble commande qu'il y ait justice, il commande qu'il y ait pardon, il commande
04:43qu'à un moment donné, on tourne la page.
04:45Et donc, qu'on soit les victimes ou acteurs majeurs de cette crise, ce qui compte aujourd'hui,
04:53c'est que de façon globale, nous pouvons faire ce constat que les Ivoiriens ont tourné
04:59la page.
05:00Ils veulent désormais vivre en paix.
05:02Et c'est aussi un axe diplomatique, non ? Je crois que vous avez rappelé les mots de
05:08« Feu le Président au fouet de Boigny » sur la paix.
05:11Absolument.
05:12« Feu le Président au fouet de Boigny » nous a fait grandir avec ce slogan-là.
05:17La paix, ce n'est pas un vain mot, c'est un comportement.
05:22Et donc, l'Ivoirien sait que chaque jour, c'est à travers des petits gestes, des
05:26actes concrets, qu'on réaffirme son engagement pour la paix.
05:32Et ça, je crois que cette culture de la paix a impacté également la fin de la crise en
05:38Côte d'Ivoire, positivement.
05:40La Côte d'Ivoire a donc exprimé sa résilience.
05:46On a connu notre crise d'adolescence, appelez-la comme vous voulez, mais nous nous sommes vite
05:51ressaisis.
05:52Et à partir de 2011, progressivement, aujourd'hui, la norme est revenue.
05:58La Côte d'Ivoire n'est plus ce pays divisé en deux, c'est un pays totalement réunifié
06:05qui continue sa marche en avant.
06:07Je sais que vous n'aimez pas parler de vous-même, mais parlez-nous un peu de votre expérience
06:11personnelle.
06:12Vous avez fait partie des familles qui ont été fracturées par cette crise ivoirienne.
06:18Et votre engagement politique a même coûté un peu à la carrière de votre papa qui était
06:23dans l'armée à l'époque, non ?
06:25Absolument.
06:26Ce sont des souvenirs difficiles, mais c'est bon d'en parler.
06:31Parce qu'on s'engage aujourd'hui pour la paix, pour le vivre ensemble, et pour dire
06:37plus jamais ça.
06:38Plus jamais des Ivoiriens victimes de leur prise de position politique.
06:45J'ai été très vite donc militante du RDR à l'époque, très vite donc dans l'équipe
06:55du RDR et qui a soutenu le candidat Ouattara.
07:00Et donc très vite également, je me suis retrouvée dans l'opposition par rapport
07:04au PDCI RDA qui était au pouvoir.
07:08Mon père est colonel de l'armée qui était à l'époque en poste dans l'administration
07:12territoriale et qui malheureusement a payé, a payé, qui a vu sa carrière s'arrêter
07:17tout net.
07:18Parce que tout simplement, il avait été sommé que sa fille arrête du fait de la
07:23politique.
07:24Mais moi j'ai cru en un homme, j'ai cru au président Alassane Ouattara, je me battais
07:27pour une cause, celle de mon pays.
07:30Et mon père aujourd'hui, dans ses vieux jours à la retraite, est tout fier de sa
07:34fille.
07:35Il est fier de sa fille et il est heureux de savoir que j'avais mené le bon combat.
07:40C'est vrai, ça m'a coûté cher.
07:43Vous avez même votre couple, ça vous a coûté aussi cher.
07:46Oui, ça arrive.
07:47Un couple, c'est le partage d'une vision, d'une communauté de vie, c'est le partage
07:56de projections, de rêves aussi, de projets de famille.
08:00Et quand à un moment donné, on ne peut plus parler d'une même voie dans le couple, chacun
08:07naturellement respecte la position de l'autre et c'est ce que j'ai fait.
08:11Et je suis très heureuse, croyez-moi, d'avoir été avec le président Ouattara jusqu'à
08:16la date d'aujourd'hui.
08:17Et je vois qu'il tient bien la Côte d'Ivoire.
08:20Vous avez évoqué ce chiffre, 486 coups d'État réussis ou ratés depuis 1950 en Afrique.
08:31Dans le monde.
08:32Oui, dans le monde, dont près de 40% ou plus de 40%, 214, dont 106 qui ont abouti en Afrique.
08:40Pourquoi ? Comment on remédie à ça ? Pourquoi ce continent n'est pas épargné par tous
08:46ces...
08:47Je continue de m'interroger.
08:48Pourquoi les coups d'État en Afrique ?
08:51Nous avons pris l'option de la démocratie, nous avons pris l'option de respecter la volonté
09:00du peuple, mais nous ne respectons pas les textes fondamentaux de nos différents pays.
09:09C'est malheureux de constater que la sérénité de la vie des populations est fortement contrariée
09:16par les coups d'État.
09:18La Côte d'Ivoire en a fait les frais, malheureusement.
09:21Un coup d'État en 1999, une tentative de coup d'État en 2002 qui a conduit à la partition
09:32du pays en deux grands blocs, qui a contribué fortement à la fracture sociale malheureusement
09:39et à toutes les crises sociales et politiques que nous avons connues jusqu'à la guerre
09:44post-électorale de 2010.
09:47Non, plus jamais sans Côte d'Ivoire.
09:48Et les coups d'État de la région actuellement, en Mali, Burkina Faso, au Niger, ont un impact
09:53sur la Côte d'Ivoire aujourd'hui ?
09:54Vous devez...
09:55Combien de réfugiés accueillez-vous et que faites-vous pour essayer aussi d'enrayer ?
10:01Parce que les gens fuient peut-être des situations autocratiques, mais aussi des groupes djihadistes
10:07qui sont très présents, notamment à la frontière ivoirienne.
10:12C'est un moment difficile que l'Afrique de l'Ouest vit et le rêve de la Côte d'Ivoire,
10:20l'ambition du président de la République, du gouvernement et de tous les Ivoiriens,
10:24c'est de faire en sorte que nous retrouvions cette stabilité, cette paix que nous avions
10:29avec nos frères du Burkina Faso, du Mali, du Niger.
10:32Nous sommes des pays dont les frontières sont très poreuses.
10:37Nous avons une communauté de vie et une communauté de destin.
10:41Et les binationaux ou les gens du feu qui sont...
10:43Absolument, qui vont et qui viennent dans l'espace CEDEAO, c'est la libre circulation des personnes et des biais.
10:48Cela ne saurait être contrarié.
10:50C'est pour cela que le président de la République Ouattara, vous le voyez bien, est très engagé
10:56dans ce processus de paix et de normalisation des relations diplomatiques et fraternelles
11:03avec le Burkina Faso, avec le Mali, avec le Niger.
11:06Il faut le souhaiter. Il faut souhaiter que très rapidement, on se retrouve sur la table de dialogue de la CEDEAO.
11:14Moi, je fais confiance au président Ouattara.
11:16On va y arriver. Ce sont des moments difficiles.
11:18On va y arriver. Et donc, le plus urgent pour nous, c'est de faire ce qu'on peut,
11:23de faire ce qu'on peut pour alléger les souffrances des populations
11:26qui, malheureusement, vivent également ces contraintes de déplacement,
11:30qui fuient de façon légitime les zones de conflit, etc., des zones de tensions.
11:38Il faut très rapidement que la CEDEAO en sorte.
11:42Un dernier mot. L'Assemblée générale des Nations unies annuelle est en cours actuellement.
11:50Il y a la question, beaucoup de débats autour des deux postes permanents,
11:57avec non droit de veto, mais qui pourrait être accordé à l'Afrique.
12:01Je suppose que c'est une initiative que soutient la diplomatie ivoirienne.
12:05Et est-ce que la diplomatie ivoirienne pourrait être candidate ?
12:09La Côte d'Ivoire reste toujours solidaire de la démarche africaine, toujours.
12:13Et donc, ce qui compte, c'est que nous puissions arriver jusqu'au bout de cette ambition
12:22de participer à la vie du monde aux Nations unies,
12:26de contribuer à la vie, à la paix, à la stabilité dans tous les pays du monde.
12:33Ça, c'est le rêve de la Côte d'Ivoire, c'est le rêve des États africains.
12:36Et je n'en dirai pas plus, dans la mesure où, je dis, à chaque jour suffit sa peine.
12:41Les Ivoiriens sont solidaires de cette démarche africaine.
12:46Ce qui compte, c'est que l'Afrique ait la possibilité de porter sa voix
12:52à celle de toutes les grandes nations du monde.
12:55Anou Loto, merci.
12:56Je vous remercie.