LIBAN : Sabyl Ghoussoub, écrivain et journaliste franco-libanais, est l'invité de Amandine Bégot

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Le conflit avec le Hezbollah s'intensifie encore. Israël a mené des frappes aériennes sur le sud du Liban ce mercredi 25 septembre pour le troisième jour consécutif, tandis qu'un missile visant le QG du Mossad, près de Tel-Aviv, a été intercepté par la défense aérienne israélienne. La population redoute désormais une possible entrée de l'armée israélienne sur le territoire .
Sabyl Ghoussoub, écrivain et journaliste franco-libanais, auteur de « Beyrouth en Seine » paru chez Stock et Goncourt des Lycéens 2022, est l'invité de Amandine Bégot.
Regardez L'invité d'Amandine Bégot avec Amandine Bégot du 26 septembre 2024.

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Transcription
00:00RTL Matins, avec Amandine Bégaud et Thomas Soto.
00:05Il est 8h17, l'interview d'Amandine Bégaud.
00:07Amandine, comment ne pas être bouleversée par ce qu'il se passe en ce moment au Liban ?
00:11Alors pour en parler, vous avez choisi de recevoir un jeune homme, il s'appelle Sabil Goussoub.
00:15Il devrait incarner l'espoir du pays, mais aujourd'hui il emporte tous les malheurs.
00:19Bonjour et bienvenue à vous.
00:20Bonjour.
00:21Bonjour Sabil Goussoub, vous êtes écrivain.
00:23Prix Goncourt des lycéens 2022 pour Beyrouth-sur-Seine paru chez Stock.
00:27Vous avez grandi entre le Liban et la France, dirigez aussi le festival du film de Beyrouth entre 2012 et 2015.
00:33Quand vous voyez le chaos de ces derniers jours, ces frappes, ces morts, qu'est-ce que vous vous dites ?
00:39Que je suis impuissant et que je réfléchis à ce qu'on peut faire en étant loin du Liban,
00:43loin des proches, loin de la famille, loin des amis qui sont là-bas et qui vivent ces bombardements incessants.
00:49Tout à l'heure, j'ai entendu que le porte-parole de l'armée israélienne parlait de frappes ciblées.
00:53Je peux vous assurer que ce ne sont pas que des frappes ciblées.
00:56Plus de 50 enfants ont été morts et beaucoup de lieux qui n'accueillent pas de gens du Hezbollah
01:01ni de missiles du Hezbollah ont été visés.
01:04Vous avez des proches de la famille sur place, qu'est-ce qu'ils vous disent ?
01:06Vous êtes en lien avec eux, bien sûr.
01:08C'est la première fois qu'ils sont autant paniqués depuis très longtemps.
01:10Et je parle de gens qui ont vécu la guerre civile aussi pendant 15 ans.
01:13Tout le monde a très peur, mais depuis l'attaque des Bipers qu'il y a eu.
01:16Je prends l'exemple de ma petite cousine qui a 20 ans, qui n'est pas très concernée par la politique,
01:20qui, depuis le 7 octobre dernier même, n'avait pas trop peur et qui, pour la première fois, m'a écrit
01:23« En fait, ils visent tout le monde, on peut tous être touchés et j'ai peur de mourir. »
01:27Et dès le premier jour de la guerre, elle m'a réécrit un message où elle m'a dit
01:30« Si je meurs à cause de la guerre, c'est quand même triste. »
01:32Et elle partait vers le nord du Liban, donc, parce que normalement elle est étudiante à Beyrouth
01:36et donc elle a fui avec sa mère vers le nord.
01:3820 ans et elle vous dit « j'ai peur de mourir ».
01:41Vous deviez monter dans un avion, mardi soir, pour le Liban.
01:45Vous avez l'habitude d'y aller à chaque crise ?
01:47Oui, à chaque moment de crise, révolution, explosion du port.
01:51À chaque fois, je prends un billet et le lendemain, je suis au Liban.
01:54Et donc là, par réflexe, j'ai fait exactement la même chose.
01:56Je travaille aussi pour un journal libanais et je voulais tenir une chronique quotidienne dans le journal.
02:00Et pour la première fois de ma vie, j'ai fait demi-tour parce que, un, j'ai eu peur.
02:03Généralement, quand il y a une guerre au Liban, on sait où Israël va tirer.
02:06Et pour la première fois, on ne sait plus vraiment où ils vont tirer.
02:09Le lundi, il y a eu plus de 500 morts.
02:12Pour donner une petite comparaison, en juillet 2006, en 33 jours, il y a eu 1200 morts.
02:16Donc là, en l'espace d'un jour, il y a eu près de la moitié.
02:19Donc on ne sait pas où ils vont tirer.
02:21J'ai pris peur et surtout tous mes proches qui, généralement, sont très ravis que je vienne m'ont dit
02:27« Non, cette fois-ci, tu ne viens pas ».
02:28Tout le monde a essayé de vous dissuader.
02:30C'est quoi aujourd'hui le quotidien ?
02:32Vous nous parliez de votre cousine.
02:34C'est quoi leur quotidien aujourd'hui ?
02:36Le quotidien au Liban, c'est au jour le jour.
02:38Je pense qu'on s'endort.
02:40Si on arrive à s'endormir, on espère que le matin, on se réveille et qu'il n'y ait pas eu de nouveaux bombardements partout,
02:45un nombre de morts pas possible.
02:46Là, c'est vraiment au jour le jour.
02:47Les gens font comme ils peuvent.
02:48Les gens fuient le sud.
02:50Les gens ont commencé à fuir le sud après le 7 octobre parce qu'il y a eu quand même eu de nombreux bombardements depuis.
02:55Et là, il y a une exode de masse et les gens font comme ils peuvent.
02:59Il faut dire que le Liban est un pays où il y a des problèmes d'électricité, il y a des problèmes d'eau.
03:03Il y a énormément de problèmes.
03:04Les gens ont perdu leur argent.
03:05Dans une situation, effectivement, économique qui est dramatique.
03:08Cette crise économique que traverse le pays, ça rajoute forcément une dimension à cette crise.
03:17Vu d'ici, on a le sentiment qu'il n'y a pas d'autre issue que la guerre ?
03:22Il y a plein d'autres issues que la guerre.
03:24Quand on voit, et je vous pose cette question parce que quand on entend les Israéliens parler hier,
03:30l'idée d'une incursion terrestre, elle n'est pas du tout exclue.
03:33Au contraire, on a vu des généraux parler à leurs troupes en leur disant oui, on s'y prépare.
03:39On a l'impression qu'on fout ce sous-droit vers ça.
03:41Mais ça n'a jamais marché.
03:41Je ne sais pas ce qu'ils essaient de faire.
03:43Ils étaient au Liban en 82 jusqu'en 2000.
03:45Ils ont refait la guerre en disant que le Hezbollah était très faible en 2006.
03:48Regardez où on est le Hezbollah aujourd'hui.
03:50Ils vont revenir au Liban.
03:51Ils vont rebombarder le Liban.
03:52Et qu'est-ce qui va se passer ?
03:53La même chose.
03:54Ils ont essayé de faire la même chose avec le Hamas.
03:55Regardez ce qui s'est passé le 7 octobre.
03:57La politique sécuritaire, la peur qui peut être comprise des Israéliens.
04:02Mais leur réaction face à ça n'est pas la bonne.
04:04Ils ont essayé de se protéger.
04:05Ils ont mis des murs.
04:05Ils ont mis des checkpoints.
04:06Il y a des zones.
04:07Qu'est-ce qu'ils n'ont pas fait ?
04:08Et pourtant, ils ont vécu leur pire attaque le 7 octobre 2024.
04:11C'est qu'il y a bien quelque chose qui ne marche pas dans leur système.
04:13Il y a quelque chose à changer maintenant.
04:14Et c'est entre leurs mains.
04:16Et croyez-nous, nous au Liban, on combat le Hezbollah.
04:18Mon éditrice, son frère, a été tué très probablement par le Hezbollah il y a quelques années.
04:22Le journal pour lequel je travaille combat le Hezbollah.
04:25J'ai été dans la rue en 2019 contre le Hezbollah,
04:27mais aussi contre la mafia politique libanaise qui gouverne ce pays.
04:29On sait ce que c'est le Hezbollah bien plus que les Israéliens.
04:32Et pourtant, on ne peut pas se réjouir de ce qu'ils sont en train de faire.
04:35Ce n'est pas comme ça qu'on trouvera la solution.
04:36Il n'y a pas une partie de la population qui soutient le Hezbollah aujourd'hui ?
04:39Qui soutient le Hezbollah ?
04:41Si, forcément, mais ce n'est même pas soutenir.
04:43Ils sont en train de se faire agresser.
04:44Donc de toute façon, même si on ne soutient pas le Hezbollah,
04:46les Hezbollah, les gens sont des Libanais.
04:48Donc forcément, on est solidaires des Libanais, on est solidaires.
04:52Et ils ne visent pas que le Hezbollah.
04:53Encore une fois, les Israéliens sont en train de viser tout le monde, tout le Liban.
04:55Cette nuit, le Conseil de sécurité de l'ONU s'est réuni en urgence.
04:59La France et les Etats-Unis ont proposé un cessez-le-feu de 21 jours.
05:03Il ne peut pas, il ne doit pas y avoir de guerre au Liban,
05:05a dit Emmanuel Macron à la tribune des Nations Unies à New York hier.
05:09C'est possible, ce cessez-le-feu ?
05:12Ça peut suffire ?
05:13C'est déjà, si c'est ce qu'on peut avoir là maintenant pendant 21 jours, c'est très bien.
05:18Et qu'ils poursuivent à essayer d'obtenir ce cessez-le-feu.
05:22Il faut, de toute façon, je pense que la France seule ne pourrait pas le faire.
05:26Malheureusement, un pays de taille moyenne ne peut pas le faire.
05:27Mais je pense que si l'ONU, si tout le monde se rassemble,
05:30si les Américains décident de parler à Netanyahou et essayent de l'empêcher,
05:32même si j'ai l'impression que Netanyahou n'écoute pas grand monde depuis une bonne année,
05:36peut-être c'est possible.
05:37En tout cas, il faut poursuivre ça, c'est le seul moyen d'y arriver.
05:40La France est à la hauteur, d'après vous ?
05:44J'aimerais que la France soit encore plus présente pour arrêter la guerre au Liban,
05:47mais aussi à Gaza et ce qui se passe aussi en Cisjordanie.
05:50À qui vous en voulez le plus ce matin, Sabine Goussoub ?
05:54Au Hezbollah, à Israël, à la communauté internationale ?
05:57Vous savez, au début, après le 7 octobre, je m'en voulais d'abord à moi et à nos amis
06:00en se disant qu'on n'a pas fait assez pour y arriver.
06:02J'en veux à tout le monde, j'en veux au Hezbollah, j'en veux à Israël,
06:05j'en veux aussi à moi, j'en veux aussi à mes proches, j'en veux à tout le monde.
06:07On est tous rentrés dans le mur, mais on est tous otages.
06:11C'est vrai qu'aujourd'hui, on est tous otages.
06:13On est otages du Hezbollah et d'Israël quand on est libanais.
06:16On ne peut rien faire contre le Hezbollah, c'est eux qui décident de l'avenir du pays,
06:19et on ne peut rien faire contre la politique israélienne guerrière.
06:23Donc je leur en veux, et en même temps, c'est aussi à nous de trouver les armes,
06:28de venir s'exprimer, de trouver des moyens d'arrêter ça,
06:30parce que personne ne nous aide malheureusement.
06:31La solution pour beaucoup, c'est de fuir, et on a vu ces 90 000 déplacés
06:35depuis le début de ces frappes.
06:36J'imagine qu'il y a beaucoup de gens qui voudraient quitter le pays aussi.
06:39Encore faut-il le pouvoir ?
06:41Ah oui, quand on n'a qu'un passeport libanais, ce n'est pas possible.
06:43Je sais qu'en France, on connaît, moi compris, je suis franco-libanais,
06:45j'ai un passeport français, et on connaît ici généralement
06:48beaucoup de personnes qui sont franco-libanais,
06:49ou en tout cas qui ont une deuxième nationalité.
06:51Pour eux, il est possible de partir, tant que les avions continuent à décoller.
06:54Mais pour, par exemple, un grand nombre de ma famille,
06:56ou la cousine dont je vous parlais tout à l'heure,
06:58il n'y a pas de moyen de partir.
06:59Elle n'est que libanaise.
07:00Condamnée à rester ?
07:01Elle est condamnée à rester, à vivre sous les bombes.
07:03Ça fait 50 ans que le Liban vit au rythme des guerres, des tensions.
07:07Est-ce que vous pensez qu'un jour, une paix durable est possible ?
07:10Bien sûr que vous le souhaitez, mais est-ce que vous le pensez ?
07:15Je suis du genre très peu optimiste, donc je dirais non.
07:18Après, il y a une amie de mon père qui m'a rappelé une phrase
07:20que mon père a dit qui est très triste,
07:21mais je n'aimerais pas finir sur cette note,
07:22mais je vais quand même la dire.
07:23Il a dit que le Liban est un pays mort-né.
07:25J'ai peur qu'il n'ait pas raison.
07:27Je pense qu'il a raison.
07:28Le Liban est un pays mort-né.
07:31On a bien sûr une pensée ce matin pour tous ces Libanais,
07:34pour vos proches dont vous parlez.

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