• il y a 2 mois
Journaliste chez TV5Monde, Christian Eboulé vient de publier son premier roman Le testament de Charles (Editions Les Lettres mouchetées) dans lequel il rend hommage au capitaine N’tchoréré, tué par la Wehrmacht à Airaines dans le nord de la France en juin 1940. Il revient pour l’Opinion sur le sacrifice des tirailleurs africains durant la Seconde Guerre mondiale et plaide pour la poursuite du travail mémoriel en France.

Category

🗞
News
Transcription
00:00— Christian Eboulé, bonjour. — Bonjour, Pascal.
00:06— Vous êtes journaliste à TV5Monde. Vous venez de publier Le Testament de Charles aux éditions Les Lettres Mouchetées,
00:13un roman inspiré de la vie du capitaine Choréré, assassiné par les Allemands à Erren, en France, dans le nord de la France, le 7 juin 1940.
00:24— On continue à célébrer ce personnage. Pourquoi ? — Eh bien il y a d'abord la ville d'Erren et puis Libreville au Gabon qui continuent
00:33de célébrer la mémoire du capitaine Choréré, parce que malheureusement, il a été tué bien avant la défaite le 7 juin 1940.
00:42Et malheureusement pour lui, il n'a pas fait partie de ses compagnons de la Libération qui sont encore célébrés aujourd'hui et de façon absolument extraordinaire,
00:57notamment en France, mais qui auraient été célébrés par des îlots. Libreville, notamment, Saint-Louis au Sénégal, mais aussi Erren,
01:06la ville dans laquelle il a été tué, parce que c'est un personnage considérable. — Qui était ce personnage ? Alors c'est l'exemple
01:11du tirailleur sénégalais, patriote qui partage son amour de la France et d'un courage inouï quand on voit la fin et que vous décrivez très bien
01:21dans le début de son roman. C'est le capitaine avec une petite unité encerclée face à la mort. — Absolument. Le personnage de mon roman est évidemment
01:30inspiré de la vie du capitaine Choréré. Et comme lui, il a cette trajectoire absolument exceptionnelle que vous venez de résumer, Choréré,
01:38c'est un jeune homme qui va naître au Gabon en 1896 et qui... — Sous administration coloniale. — Sous administration coloniale et qui,
01:46durant la Grande Guerre, va s'engager avec ses copains volontairement. Ils ne sont pas majeurs. Ils vont faire la guerre au Gabon.
01:54Mais lui sera le seul de la bande à poursuivre une carrière militaire exceptionnelle. — Passant par le Mali, notamment, Kati,
02:01qui reste un centre de formation militaire encore aujourd'hui. — Encore aujourd'hui, absolument. Je dis juste au passage que Choréré aura un courage exceptionnel.
02:10Pourquoi ? Parce que c'est ce courage, lors de la guerre en Syrie dans le Djebel Drus, qui va lui permettre d'être naturalisé français en 1927.
02:19Ensuite, il deviendra capitaine. Le seul Noir africain à atteindre ce grade qui était le maximum qu'on accordait aux Noirs africains durant cette époque.
02:28Mais surtout, il va très rapidement être la voix des tirailleurs sénégalais durant l'entre-deux-guerres.
02:34— Ce qu'on remarque aussi à travers cette itinéraire, c'est cet engagement, ce parcours exceptionnel où on voit passer les Pères Blancs.
02:48Mais le personnage ne perd jamais sa culture, ses traditions africaines, ses rites, sa spiritualité. Et c'est ce qui va l'aider
02:57au moment où il sait qu'il va partir, à passer cette étape avec beaucoup de courage. — Absolument. Et ça, c'est fondamental.
03:04Parce que dans le roman, le personnage qui m'a inspiré le capitaine Charles Ntuoréré, mon personnage, donc, est tiraillé
03:15entre son enracinement, que représente en fait dans le roman le vieil Okili, son grand-père, qui, lui, est profondément attaché aux cultures,
03:24aux spiritualités africaines. Et puis lui qui, quelque part, tend vers la modernité. Et la plupart – et là, je reviens au capitaine Ntuoréré –
03:33la plupart des garçons de la génération du capitaine Ntuoréré, notamment durant l'entre-deux-guerres, ne rêvaient que d'une chose.
03:40C'est de permettre à l'Afrique de s'émanciper d'abord parce qu'ils sont des indigènes dans un environnement colonial.
03:48Mais en plus, ils rêvent d'amener l'Afrique vers la modernité. Et Charles Ntuoréré avait une aspiration profonde à la modernité.
03:58— Et un sentiment patriotique exceptionnel. — Oui, évidemment. Ce sont des jeunes gens qui sont conscients de leurs conditions à l'époque.
04:07Ce sont des indigènes. Et ils ont, comme c'était le cas pour beaucoup à cette époque-là, le sentiment que la France, véritablement,
04:16dans ce qu'elle s'est donné comme mission, à savoir une mission civilisatrice, ce que nous regardons aujourd'hui avec un œil critique important,
04:24pour eux, à l'époque, c'était une réalité qu'ils avaient en quelque sorte digérée. Et ils considéraient que la France était la mère patrie.
04:33C'est ce qu'on leur enseignait à l'école. Dans le cas de Ntuoréré, les pères de Saint-Gabriel leur avaient enseigné la culture française.
04:40Et cette culture, pour eux, c'était quand même d'abord celle de la mère patrie.
04:46— On a souvent parlé du sort des tirailleurs sénégalais, du fait qu'ils soient pas forcément souvent reconnus à la juste valeur de ce qu'ils ont accompli pour la France.
05:00— Est-ce que vous pensez que, depuis 2017, l'arrivée d'Emmanuel Macron au pouvoir avec volonté de mettre en place une politique mémorielle importante,
05:11on est en train de réparer une forme d'injustice mémorielle ? — Je crois que les politiques, à partir de Macron, ça se matérialise.
05:22Les politiques prennent le train en marche, un train que les militaires dans ce pays ont poussé pendant des décennies.
05:30En 2010, quand je commence à travailler sur ce projet, parce que c'est une aventure longue qui a duré 14 ans, eh bien je me retrouve dans un convoi,
05:40en l'occurrence plutôt un avion, qui va m'amener de Paris à Brazzaville. Pourquoi ? Ce sont les cinquantenaires des indépendances à l'époque.
05:48Et la colonne Leclerc va être fêtée par un voyage Paris-N'Djaména, N'Djaména-Yaoundé, Yaoundé-Brazzaville.
05:56On fête le cinquantenaire. Mais les militaires se souviennent... C'est la fondation Charles de Gauche qui avait organisé ça.
06:02Ils se souviennent de tous leurs frères d'armes africains. — Il y a chez les militaires français plus de reconnaissance que chez les politiques.
06:13C'est ce que vous ne vous êtes pas en train de dire. — Très clairement. Mais c'est normal. Ce sont des frères d'armes.
06:19Et les militaires sont plus que n'importe qui, les civils ou les politiques, conscients de ce qu'ils ont partagé dans les tranchées en 14-18
06:29et durant la Seconde Guerre mondiale. Mais je rajouterai une chose. C'est que la mémoire militaire en France se transmet depuis des siècles.
06:38Et les militaires ont cette mémoire malgré la réalité sous la colonisation qui était très dure, c'est-à-dire qui avait une hiérarchie très claire.
06:47À l'époque, le racisme... Les questions que nous nous posons aujourd'hui ne se posaient pas dans l'entre-deux-guerres.
06:52Donc par exemple, le fait qu'un Noir ne puisse pas commander un Blanc dans les troupes coloniales françaises était un usage presque normal.
07:01— L'accès aux messes des officiers aussi, dont on a souvent parlé. — Bien entendu. Il y avait des problèmes, mais des problèmes importants.
07:07C'est-à-dire qu'un simple troufion était en mesure de manquer de respect au capitaine Charles Ntuoriris simplement parce qu'il était Blanc.
07:16— Christian, vous avez travaillé avec des historiens, des écrivains français, africains pour cet ouvrage.
07:26C'est aussi une volonté du président de la République actuellement qu'a initié un certain nombre de travaux mémoriels.
07:34Certains confient à Benjamin Stora sur l'Algérie, un autre sur le Rwanda, qui a permis une réconciliation. — Tout à fait.
07:43— Et prochainement, cette commission mixte d'historiens sur le Cameroun. Selon vous, cela va dans le bon sens ou c'est des compromis historiques
07:56à des fins politiques qu'on essaye de trouver entre les États ? — C'est les deux. Et ce sera toujours le cas.
08:02Pourquoi ? Parce que, comme on le dit de manière un peu triviale, les États n'ont que des intérêts. Et en l'occurrence, que ce soit au Cameroun ou en France,
08:12pour les questions mémorielles, il y a beaucoup de choses qui restent taboues et qui le resteront encore longtemps, surtout au Cameroun.
08:19Mais je trouve que les choses vont dans le bon sens, parce que quoi qu'on dise, quoi qu'on dise, la mise sur pied d'une commission
08:28comme celle-là, franco-camerounaise, permet de mettre en lumière la problématique, et puis surtout à certains historiens qui font des travaux
08:38qui parfois dorment dans les casiers des universités, eh bien d'avoir une lumière qui est mise sur les problématiques sur lesquelles ils travaillent.
08:49Donc forcément, c'est une bonne chose à la fois sur le plan de l'histoire de la mémoire, mais aussi sur le plan politique.
08:56– Même si on a peut-être tendance à éliminer ces commissions, les historiens considéraient, peut-être entre guillemets,
09:03comme les plus radicaux sur certaines thèses post-coloniales. – Bien entendu, bien entendu.
09:08J'aurais moins préféré que ces commissions fussent indépendantes. En l'occurrence, ce n'est pas le cas. Pourquoi ?
09:16Parce que l'eau politique veut quand même avoir une emprise sur la manière dont les travaux sont conduits par ces commissions.
09:25– Christian, un mot sur les restitutions. On voit que c'est aussi un enjeu de politique étrangère pour la France.
09:33Il va y avoir des mises en scène qui vont durer pendant plusieurs années, même peut-être plusieurs décennies,
09:38avec un certain nombre de pays, avec des demandes, des requêtes. Est-ce que du côté africain, selon vous,
09:45il y a un travail assez suffisant qui est fait pour accueillir de nouveau ces patrimoines ?
09:53– Alors, j'ai une réponse qui sera double. Je dirais qu'au niveau des États, le travail effectué sur place n'est pas suffisant.
10:03Pourquoi ? Parce que les budgets alloués à la culture ne sont pas suffisants. Ils sont très nettement insuffisants.
10:09En revanche, au Cameroun, par exemple, il y a ce qu'on appelle le peuple bamoune,
10:15et une manière presque communautaire de prendre en charge les questions d'histoire et de mémoire liées à cette population
10:27qui prouvent que sur le terrain, les choses se font, et parfois bien malgré les pesanteurs, les lourdeurs des États.
10:36– Une dernière question vraiment de politique intérieure et de politique éducative française.
10:44Ce travail mémoriel, selon vous, est-il suffisamment vulgarisé, diffusé dans les programmes scolaires ?
10:54On sait très bien qu'en France, on a une grande partie de nos étudiants, de nos élèves, notamment dans les banlieues,
11:02qui peuvent avoir des origines africaines par leurs parents ou par leurs grands-parents.
11:08Et est-ce de nature, ça commence à se faire un petit peu pour ces jeunes, à mieux appréhender leur histoire personnelle
11:17et à mieux vivre avec cette double culture ?
11:20– Alors, je précise qu'une initiative comme la mienne à travers ce roman contribue à répondre à la question que vous m'avez posée.
11:27– Vous allez aller dans les écoles ?
11:29– Justement, ce roman qui est disponible pour le moment chez mon éditeur,
11:35et attention à ceux qui vont sur les grandes plateformes,
11:38vous ne le trouverez pas pour l'instant parce que le distributeur de mon éditeur a quelques soucis,
11:42mais sur le site des Lettres Mouchetées, le livre est disponible.
11:45Et pourquoi je précise ça ?
11:46C'est parce que c'est important pour les jeunes gens.
11:49À Éreine, par exemple, où j'étais avant la visite le 2 juin dernier du président gabonais,
11:55Brice Clotaire, au Ligue Ingémin, je suis allé dans les lycées, dans les écoles primaires.
11:59Les jeunes gens, qu'ils soient blancs ou noirs, nés en France, ne connaissent pas cette histoire, encore aujourd'hui.
12:07Et ce qui est plus extraordinaire, c'est qu'à Éreine, il y a des élèves, du primaire comme du secondaire,
12:14qui ne connaissent pas l'existence du capitaine Charles Choréré, libérateur de la ville en 1940.
12:19C'était hier 1940.
12:20– Une histoire de France aussi ?
12:22– Une histoire de France, évidemment.
12:24Éreine prend en charge cette histoire depuis des années,
12:27puisqu'en 1965, ils ont érigé un mémoriel,
12:30ce sont des habitants qui sont à l'initiative de ce mémoriel pour le capitaine Choréré.
12:36Et dans les écoles, où moi je vais et où je vais aller,
12:39je prépare un voyage à Éreine pour justement aller à la rencontre des enfants, leur présenter ce livre.
12:45Il ne s'agit pas seulement de leur présenter le livre,
12:47il s'agit aussi d'essayer de sensibiliser pas seulement les enfants, pas seulement les enseignants,
12:53mais aussi les autorités à la nécessité de faire en sorte que ces histoires,
12:58qui sont des histoires locales, appartiennent également au récit national.
13:04Je ne sais pas à quel auteur, mais qu'elles appartiennent au récit national.
13:07Éreine, par exemple, fait partie d'une région où on a des poussées importantes de l'extrême droite.
13:13Or, Choréré a été tué par les nazis en 1940, voilà.
13:18– Christian Égoulé, merci beaucoup.
13:21– Merci Pascal.

Recommandations