• il y a 2 mois
Gilles Kepel, professeur d'université, spécialiste du monde arabe et auteur du livre "Le bouleversement du monde: l'après 7 Octobre" aux éditions Plon, était l'invité de Benjamin Duhamel ce dimanche sur BFMTV, dans "C'est pas tous les jours dimanche".

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Transcription
00:00Bonsoir Gilles Kepel. Bonsoir.
00:01Merci d'être avec nous ce soir dans « C'est pas tous les jours dimanche ».
00:03Professeur des universités, spécialiste du monde arabe,
00:06vous publiez « Le bouleversement du monde » aux éditions Plon
00:09où vous décortiquez l'onde de choc suscitée par les massacres terroristes du 7 octobre.
00:14Je voudrais qu'on commence bien sûr par la situation au Liban,
00:1648 heures après l'assassinat d'Assad Nasrallah, le leader du Hezbollah,
00:20les frappes israéliennes continuent.
00:21On va essayer de prendre point par point les enjeux de ce conflit
00:25pour bien comprendre ce qui se joue.
00:26Mais d'abord une question plus large, Gilles Kepel.
00:29Est-ce qu'on est à la veille d'une guerre régionale,
00:32d'une guerre totale causée par l'élimination d'Assad Nasrallah ?
00:35Tout le monde retient son souffle parce qu'on voit bien que derrière l'élimination de Nasrallah
00:41est l'affaiblissement très significatif des capacités militaires du Hezbollah
00:46puisque son assassination est un peu l'aboutissement
00:52qui a suivi la liquidation d'un grand nombre de membres de l'état-major militaire.
00:58Oui, des gens qui étaient en face.
01:00Et avant ça, il y a eu les bipers qui ont visé les lieutenants, les capitaines
01:06qui n'ont pas pu aller au front quand la taxe est déclenchée.
01:10Donc il y a cette dimension-là.
01:11Mais bien sûr, la question, c'est de savoir qu'est-ce que l'Iran est capable ou veut faire désormais,
01:18puisque c'est de la situation intérieure et de la capacité de projection de l'Iran
01:24que va dépendre l'augmentation de la belligérance
01:27ou au contraire le début de la négociation.
01:30Pour ceux qui nous regardent, vous évoquez l'Iran parce que l'Iran finance le Hezbollah,
01:35que l'Iran au fond est le tuteur idéologique de la milice chiite.
01:40Si vous parlez du régime des Mollahs,
01:42c'est que se pose la question de la possibilité d'une entrée en guerre,
01:45en conflit direct avec Israël de l'Iran ?
01:47C'est leur problème.
01:48C'est-à-dire que ce n'est pas seulement qu'ils protégeaient le Hezbollah,
01:51c'est que le Hezbollah aussi protégeait l'Iran
01:54puisque le Hezbollah avait été créé, financé, armé par la République islamique
01:59pour être sa première ligne de défense.
02:02Pourquoi ?
02:02Si jamais les Américains avaient voulu attaquer les sites nucléaires iraniens à Natanz,
02:09le Hezbollah était destiné à tirer préventivement sur Israël.
02:14Avant les attaques, la radiapogromise du 7 octobre 2023,
02:21Israël, s'il y avait 10 morts, si vous voulez,
02:24c'était une catastrophe, il fallait réagir.
02:26Or, le basculement qui s'est produit avec la violence, le massacre,
02:31les 1 200 morts du 7 octobre, ça a changé la donne en Israël,
02:35ça a désinhibé, d'une certaine manière, Netanyahou.
02:38Et aujourd'hui, au fond, même les otages en grand nombre qu'avait pris Hamas,
02:45pensant ainsi avoir un levier sur Israël, ça n'a plus de signification.
02:49Netanyahou a décidé, d'une certaine manière, de mettre les otages en second plan
02:55pour se focaliser sur la victoire militaire.
02:57Et la destruction de l'appareil militaire et du chef du Hezbollah,
03:04un personnage extrêmement charismatique, qui va être très difficile à remplacer,
03:07il est là depuis 32 ans, ça fait que l'Iran est aujourd'hui en première ligne.
03:12Ajouter à ça que le régime syrien n'est pas...
03:14En sachant, Gilles Kepel, que jusque-là, les commentateurs les plus avisés
03:18expliquaient qu'au fond, l'Iran n'avait aucun intérêt stratégique à rentrer dans ce conflit
03:23par crainte que sa volonté d'obtenir l'arme nucléaire soit empêchée.
03:29Là, vous, vous croyez à la possibilité d'une entrée directe dans le conflit du régime iranien ?
03:34Non, c'est-à-dire que le Hezbollah servait à ça, justement.
03:37De par avant.
03:37Servait de mandataire, si vous voulez, de proxy, comme on dit en mauvais français.
03:42Or, aujourd'hui, le Hezbollah est très abîmé.
03:46Ce qui fait que l'Iran est en première ligne.
03:49Il faut bien voir, vous savez, que maintenant, en rétrospective,
03:52le 7 octobre, autant qu'on le sache aujourd'hui,
03:56Sinoir a décidé tout seul.
03:58Mais il y a Sinoir, le chef du Hamas, dans la bande de Gaza.
04:01Voilà, un parti sunnite, issu de la branche palestinienne des frères musulmans au départ,
04:06qui, contrairement au Hezbollah chiite, qui prend ses ordres directement,
04:11qui ne bouge pas un doigt sans qu'il y ait un ordre de l'Iran,
04:15Sinoir a vu l'opportunité de profiter que Netanyahou croyait qu'il n'attaquerait jamais,
04:21avait envoyé les troupes opérationnelles en Cisjordanie pour foncer.
04:25Ça a créé, du reste, un massacre que, probablement, il n'avait pas envisagé,
04:30que Sinoir n'avait pas imaginé.
04:31Apparemment, il ne savait pas qu'il y avait le festival de danse, de Nova, de music trans.
04:36Et le nombre de morts a été tel que ça a créé quelque chose,
04:41un engrenage qui a entraîné le Hezbollah et l'Iran dans un processus qu'ils ne voulaient pas.
04:48Parce que eux, ce que vous disiez à l'instant, étaient dans une logique d'attaque graduée contre Israël.
04:54Pour être très concret sur cette question d'une éventuelle guerre totale ou régionale,
04:58les scénarios dans les jours et dans les semaines qui viennent, c'est quoi ?
05:01C'est que l'Iran décide de frapper Israël.
05:05Le vice-ministre des Affaires étrangères iranien dit que ce qui s'est passé à Beyrouth
05:11et l'assassinat d'Hassan Nasrallah va aboutir à la destruction de l'État d'Israël.
05:14Il faut s'attendre à des frappes iraniennes dans les jours ou dans les semaines qui viennent ?
05:17Ça fait depuis un moment, ils nous disent, attention, retenez-moi, sinon je fais un malheur.
05:24On a vu comment ils ont répliqué à la liquidation des patrons des passe-parents qui étaient en Syrie.
05:32Le 13 avril, il y a eu une frappe envoyée d'Iran sur Israël.
05:36Ils ont envoyé des missiles, toutes sortes de choses.
05:38Ça n'a pas fait grand-chose.
05:39Ils ont à peu près été tous interceptés par le dôme de fer ou des alliés d'Israël.
05:43Ça a fait un feu d'artifice qui n'a pas beaucoup impressionné.
05:45Après la mort de Haniyeh, qui est quelque chose de très bizarre,
05:49on en reparlera plus tard, qui était le président du bureau politique du Hamas.
05:54Ce qu'on appelle la branche politique du Hamas.
05:55Ce n'est pas vraiment ça, tout le monde était ensemble, mais c'était la figure,
05:59c'était celui qui était le négociateur en principe.
06:03C'était la figure visible qui a été tuée dans un endroit ultra sécurisé
06:09qui était en gros la maison d'hôte des passe-darons.
06:12On ne peut pas imaginer que c'est simplement une femme de ménage
06:15à qui on avait donné une pièce qui est allée mettre la boîte de chocolat qui a explosé.
06:19Tout ça fait qu'aujourd'hui, l'Iran se trouve dans une position assez complexe.
06:26Avec en plus l'ancien président qui est mort dans un accident d'hélicoptère suspect,
06:31on peut dire que le temps était maussade.
06:34C'est-à-dire que vous considérez, Gilles Kepel,
06:37que la mort d'Ebrahim Raisi dans un accident d'hélicoptère n'est pas un accident ?
06:42En tout cas, je n'ai pas vu le smoking gun, comme on dit en mauvais français,
06:47mais en tout cas, ça venait au bon moment.
06:51Comme si en Iran aujourd'hui, une partie de l'establishment des services secrets
06:58voulait préparer une transition.
07:01Parce que Raisi, qui était un sanguinaire, un juge extrémiste responsable,
07:06qui avait exécuté des centaines de personnes
07:09et qui était le principal responsable de la répression très violente des femmes
07:14après l'assassinat dans un commissariat de Marsa Amini, mal voilé,
07:19si vous voulez, poussait l'Iran vers une voie de plus en plus extrémiste,
07:24vers de plus en plus d'isolement.
07:26Si vous avez un certain nombre de gens en Iran aujourd'hui,
07:28un peu comme en Russie, en Union soviétique, avant la fin de l'URSS,
07:33qui se disent, attention, si on continue comme ça, tout va s'effondrer
07:37et peut-être vaut-il mieux faire attention et préparer la suite.
07:41C'est pourquoi je ne suis pas convaincu à ce jour qu'il va y avoir des frappes iraniennes,
07:46parce que je ne suis pas sûr qu'ils en aient la force
07:49et surtout qu'il y ait un consensus au sommet du pouvoir pour le faire.
07:53C'est l'analyse que je fais des trois morts consécutives,
07:57Raisi, Haniyeh et désormais Nasrallah, qui pose aussi énormément de questions.
08:02Et c'est intéressant, Gilles Keppel, pour rester sur ce qui s'est passé
08:05et cette onde de choc, l'élimination d'Assad Nasrallah, le patron du Hezbollah,
08:09je voudrais vous soumettre cette réflexion de Gérard Haro,
08:11ancien ambassadeur en Israël, aux États-Unis, aux Nations Unies,
08:13qui disait sur son compte X, les relations internationales,
08:16ce n'est pas la cour de récréation, éliminer le méchant n'est pas toujours une bonne idée,
08:20en tout cas, ça mérite analyse et réflexion sur les conséquences.
08:24Au fond, la question que pose Gérard Haro, c'est que l'armée israélienne dit
08:28que le monde est plus sûr après la mort de Nasrallah.
08:30Il n'y a pas de doute sur le profil terroriste, sanguinaire d'Assad Nasrallah.
08:35Est-ce que pour autant, le monde est plus sûr après l'élimination d'Assad Nasrallah ?
08:39Il ne faut pas le réduire à un terroriste sanguinaire, on peut le juger comme ça,
08:42mais c'est tellement quelqu'un qui a un charisme extraordinaire.
08:46Par exemple, certains de ses adeptes dans les quartiers pauvres de Beyrouth,
08:51de Beyrouth Sud, n'ont pas voulu croire qu'il était mort.
08:54Et dans une logique de religiosité chiite, ils ont cru qu'il était simplement occulté,
09:00qu'il était d'une certaine manière comme le Messie, le Mehdi, comme on dit en arabe,
09:04qui allait revenir pour remplir le monde de liberté et de justice.
09:08Et ça, c'est quelque chose qui a une force.
09:11Alors, ce que veut dire Gérard Haro, je suppose, si je puis interpréter sa pensée,
09:15c'est que de même que la police préfère toujours que la criminalité soit organisée
09:21et que si on détruit les réseaux, par exemple, dans les quartiers où on vend de la drogue,
09:28si la police détruit tout le monde, du coup, d'autres arrivent et ça fait une violence incontrôlée.
09:33Alors, je ne sais pas, bien sûr, c'est un élément important,
09:38mais cette déstabilisation était déjà là et c'est si noir d'une certaine manière.
09:43C'est Hamas qui, avec le 7 octobre, a déstabilisé le système
09:48et, à mon sens, a créé une dynamique qui a fait que le Hezbollah, l'Iran ont été obligés de suivre.
09:56Rappelez-vous le 3 novembre quand Nasrallah a pris la parole,
10:00donc trois semaines après le 7 octobre 2023.
10:03Vos collègues, parce qu'il n'y a plus beaucoup d'Arabisans en France
10:06vu l'état d'élabrement des études arabes, autre sujet dans notre pays.
10:09Mais vous êtes Arabisans.
10:10Donc, on m'a demandé de traduire pour savoir s'il allait faire la troisième guerre mondiale.
10:14Comme il ne l'a pas annoncé, on m'a rendu ma liberté.
10:17Et ils étaient très embêtés parce qu'ils ont dit, ce n'est pas nous.
10:22Ce n'est pas nous qui avons fait le 7 octobre.
10:24Et ils ont délégué les Houthis pour faire le travail,
10:26pour tirer sur des bateaux qui allaient en principe en Israël.
10:29Résultat, ils ont perturbé le commerce chinois.
10:32Les Chinois furieux, qui étaient l'un des principaux soutiens des Iraniens,
10:37se sont lâchés.
10:38Ce qui fait que l'Iran aujourd'hui se trouve dans une position d'assez grand isolement.
10:41Et ce n'est pas la Russie qui peut beaucoup leur donner le choix.
10:44Ils se sont occupés en Ukraine.
10:46Et ce sont même les Iraniens qui vendaient les missiles aux Russes pour tirer sur les Ukrainiens.
10:51Gilles Keppel, un mot sur la déstabilisation très grande du Hezbollah.
10:55On va voir apparaître à l'écran l'organigramme
10:58et tous ces responsables de la milice chiite libanaise
11:02qui ont été éliminés les uns après les autres par des frappes israéliennes,
11:07par l'opération des beepers.
11:10On voit effectivement tous ceux-là qui ont été tués,
11:13à quelques exceptions près, en l'espèce al-Hirida,
11:15sur la personne qui pourrait remplacer Hassan Nasrallah à la tête du Hezbollah.
11:19On sait que les mouvements sunnites islamistes, Al-Qaïda, l'État islamique,
11:22dès qu'un de leurs leaders est éliminé,
11:25il y a tout de suite quelqu'un d'autre qui émerge pour le remplacer.
11:27Là, on parle de plusieurs profils.
11:29M. Safieddine, Naïm Kassem,
11:32qu'est-ce qui se joue dans le remplacement d'Hassan Nasrallah à la tête du Hezbollah ?
11:36Safieddine, c'est un proche par la réseau familiaux, je ne le connais pas.
11:40C'est un cousin.
11:41Naïm Kassem, je l'ai déjà rencontré dans un de ces lieux,
11:45un peu comme au-dessous, ce qu'on voit.
11:47On m'avait pris dans une voiture.
11:50Heureusement, je connaissais la géographie.
11:51Vous avez rencontré Naïm Kassem.
11:53Sous terre, dans ces endroits où on descendait tout d'un coup dans un parking au 7e sous-sol,
11:58parce qu'il avait écrit un livre sur le Hezbollah.
12:02On le voit sur cette image de Naïm Kassem.
12:06Un personnage qui n'a pas beaucoup de présence physique,
12:10et qui n'a pas la dimension charismatique qu'avait Nasrallah, je pense.
12:18Maintenant, ça fait un certain temps que je l'ai vu,
12:21il a peut-être appris beaucoup de choses depuis.
12:24Je ne suis pas sûr que la machine soit capable de remettre en place un personnage
12:31qui avait une capacité d'entraînement pareille.
12:33Ça va aussi changer énormément de choses au Liban,
12:36puisqu'on parle des bombardements sur le sud du Liban, sur Beyrouth,
12:42où les gens ont dû fuir leur domicile, ce nouvel exode,
12:45qui se réfugient en Syrie, ce qui est tout à fait étonnant,
12:48y compris des gens qui avaient fui la Syrie.
12:51En Syrie, par ailleurs, il y a un certain nombre de gens qui font la fête,
12:54parce que la fragilité du Hezbollah, ça veut dire que le régime de Bachar Al-Assad,
13:01qui ne tient plus qu'avec des ficelles, tremble sur ses bases.
13:05Et puis au Liban aussi, comment est-ce que le Liban va se recomposer
13:09si l'Iran n'a plus la capacité de disposer de son mandataire sur place,
13:15qui était surpayé, surarmé, etc.
13:18Ça ouvre beaucoup de choses qui peuvent être pour le meilleur,
13:21ce que les gens espéraient lors des printemps arabes,
13:23malheureusement on a vu que c'était devenu le pire,
13:25ou le pire.
13:26Et c'est pourquoi aujourd'hui, la diplomatie,
13:28certainement peut-être pas au jour d'aujourd'hui,
13:30mais a un rôle, le problème étant que dans le cadre,
13:33si je peux me citer, de bouleversements du monde que nous connaissons,
13:37comme vous l'avez remarqué, il n'y a plus personne à la Maison-Blanche.
13:40Justement sur cette question de la diplomatie, Gilles Kepel,
13:43on a vu un certain nombre de forces occidentales,
13:46les Etats-Unis, la France, appeler à un cessez-le-feu.
13:48Dans le même moment, le Premier ministre Benjamin Netanyahou
13:51a expliqué qu'il n'y en aurait pas,
13:53et a assumé de continuer à pilonner le Hezbollah jusqu'à sa destruction.
13:57Benjamin Netanyahou est totalement, comment dire,
14:02libre et désinhibé, il n'écoute en aucun cas les appels au cessez-le-feu.
14:06Oui, puisque vous n'avez plus personne à la Maison-Blanche,
14:08réellement, Biden ne compte plus, il a jeté l'éponge,
14:10et les deux candidats, au millimètre près,
14:14mesurent comment ils vont être capables de ne pas aliéner
14:18telle ou telle part de l'électorat avec le système des primaires,
14:21dépendant des grands électeurs américains.
14:23Donc vous avez une espèce de vacuité dont profite Netanyahou,
14:28qui connaît bien l'Amérique, il est quasiment américain d'une certaine manière,
14:31qui lui a permis de raconter des histoires à Biden
14:36en faisant semblant de négocier pour gagner du temps,
14:39et en même temps de considérer qu'il n'y aurait qu'une victoire militaire.
14:43Ce qu'il est en train, à ce jour, d'obtenir,
14:46c'est un succès militaire tactique très important.
14:49Ça n'est pas rien de liquider Hassan Nasrallah,
14:54qui était l'un des hommes les plus protégés du monde.
14:57Et là, moi, ça me pose une vraie question,
14:59j'attends de savoir si les Israéliens ont fait ça tout seuls,
15:02ou s'il y a une partie de l'establishment iranien qui a lâché Nasrallah aussi.
15:08C'est-à-dire qu'au fond, vous considérez que l'élimination d'Hassan Nasrallah,
15:13qui, pour ceux qui nous regardent, était un leader reclus dans des bunkers,
15:18qui ne prenait la parole que par des vidéos en s'adressant à ses fidèles...
15:23Oui, et puis en différé.
15:24En différé, absolument.
15:25Vous considérez qu'il n'a pu être éliminé que grâce à une taupe iranienne
15:30qui aurait donné des informations ?
15:32Pas forcément une taupe, grâce à je ne sais quoi,
15:34avec des accords à un autre niveau,
15:36mais j'ai beaucoup de mal à comprendre ce qu'il faisait dans la banlieue sud,
15:41à un endroit où les Israéliens avaient déjà éliminé tous les gens qui étaient au-delà.
15:45C'était après les obsèques d'un des responsables du US dollar.
15:48Voilà, tout ça demande en tout cas, pour l'instant, on n'a pas les éléments,
15:52mais en tout cas, il y a des choses qu'il faut vérifier pour ça.
15:57Mais Netanyahou, lui, considère qu'il lui faut cette victoire tactique,
16:02parce que ça lui permet à la fois de faire quelque chose à l'intérieur de son propre pays.
16:08C'est lui le responsable du 7 octobre.
16:10C'est lui qui n'avait pas pris Sinois au sérieux après l'avoir libéré.
16:13Ce qui s'est passé là, ça efface le fiasco sécuritaire du 7 octobre ?
16:18Bien sûr, dans l'esprit de Netanyahou, oui, c'est bon, j'ai foiré, si j'ose dire, le 7 octobre.
16:24Il y a eu tous ces morts, etc., cette situation épouvantable.
16:28Mais désormais, regardez, je suis le roi d'Israël, je suis le Josué d'aujourd'hui,
16:34celui qui a liquidé les cananéens après la chute de Géricault, etc.,
16:38et j'ai débarrassé Israël de tous ses ennemis.
16:41C'est un peu sa logique, c'est pour sauver sa peau politique également.
16:45Alors qu'on s'apprête à commémorer les 1 ans du 7 octobre, et cela joue sur le plan intérieur ?
16:49Voilà, c'est un enjeu très important.
16:51Et en plus, j'attire votre attention sur le fait que c'est le moment aujourd'hui,
16:56en ce moment, des fêtes juives de Kippour avec Rosh Hashanah,
16:59le nouvel an juif ou hébreu qui arrive mardi, je crois.
17:03Et dans l'imaginaire du Moyen-Orient, Kippour, c'est quelque chose qui n'a pas des connotations très positives,
17:11puisque 73, la guerre de Kippour, c'était le moment où Israël avait été surpris,
17:16même s'il avait ensuite rétabli l'affaire.
17:19Et là maintenant, on voit que Netanyahou veut apparaître comme l'homme qui est le vainqueur de Kippour, si vous voulez.
17:26Gilles Kepel, sur la question de la diplomatie, dans les minutes, dans les heures qui viennent,
17:30Jean-Noël Barraud, le nouveau ministre des Affaires étrangères, doit arriver sur place à Beyrouth, au Liban.
17:35Ce qui est assez singulier, c'est que la réaction de la diplomatie française, suite à ce qui s'est passé,
17:39a été de dire qu'il considérait qu'Israël ne devait plus frapper au Liban,
17:45ne devait plus frapper Beyrouth, alors que la réaction du président américain Joe Biden
17:51a été de considérer que l'assassinat de Nasrallah était, je cite, une mesure de justice.
17:56Quand on sait la façon dont le Hezbollah, ces dernières années, s'en est pris aux intérêts français,
18:01il y a du sang français qui a coulé, l'attentat du Drakkar, 58 parachutistes,
18:06des attentats dans les années 90 où le Hezbollah a été lié d'une manière ou d'une autre.
18:10Est-ce que vous êtes interpellé par cette réaction de la diplomatie française, suite à l'élimination d'Assad Nasrallah ?
18:15La France a maintenu des rapports avec le Hezbollah comme parti politique représenté au Parlement,
18:23comme force politique, de même que la France a une ambassade qui est ouverte en Iran, contrairement aux États-Unis.
18:30Par ailleurs, le Liban représente pour la France un enjeu de présence historique.
18:38Le Liban, dans sa configuration, est une création du mandat français sur ce pays.
18:44Donc il y a une sensibilité particulière française qui s'efforce de ménager les susceptibilités libanaises les unes par rapport aux autres
18:54et d'oeuvrer, si vous voulez, à la viabilité de l'État libanais et éviter d'y perdre toute présence et tout lien.
19:03Et en ce sens, c'est une vision qui est assez différente de celle des États-Unis.
19:08Oui, mais au risque de ne pas utiliser les mots, on sait aussi que, en forme de débat sur le fait qu'Emmanuel Macron, le président de l'impublique,
19:16avait fait une vidéo à la suite de l'offensive et de l'explosion des Bipers et des Tolkiwolkis,
19:21où il affichait son soutien au peuple libanais sans citer le Hezbollah.
19:28Cette singularité française que vous évoquez là, est-ce que ça ne pousse pas à une erreur de diagnostic ?
19:33On peut voir ça comme ça. On peut aussi penser que c'est une occasion pour la France d'apparaître comme un facteur du coup d'après,
19:44c'est-à-dire de la réconciliation intra-libanaise.
19:47Pour l'instant, Netanyahou est dans la guerre tactique, mais il va falloir ensuite qu'il y ait une stratégie,
19:54il va bien falloir qu'il y ait une réconciliation, surtout si le rôle iranien est moins présent.
20:01Il va falloir trouver quelque chose, il va falloir qu'Israël arrive à faire la paix avec ses voisins,
20:06et tout ça, ça va poser un énorme nombre de questions.
20:10Il n'est pas sûr que même Churchill, si vous voulez, après la Seconde Guerre mondiale, s'est effacé.
20:17Il n'est pas sûr que l'avenir d'Israël dans la région passe par le maintien de Benyamin Netanyahou.
20:22Il va falloir trouver une reconstruction, une reconstruction avec l'Arabie saoudite.
20:27Est-ce que l'Iran, qui évoluerait dans un sens, disons, moins hostile, peut se rapprocher des sunnites, etc.?
20:35Aujourd'hui, on est vraiment dans la mise à plat de tout.
20:39Et l'élimination de Nasrallah, si on reprend un peu l'argument de Gérard Haro, si vous voulez,
20:45ça fait sauter quelque chose qui bloquait le processus.
20:50Et aujourd'hui, les cartes sont très largement rebattues.
20:53Et c'est ça qu'on va observer jour après jour, surtout avec l'anniversaire du 7 octobre la semaine prochaine.
20:59Un dernier sujet avec vous, Gilles Kepel.
21:01Par ailleurs, la diplomatie française se dit opposée à une offensive terrestre.
21:04Et pourtant, dans le même temps, on voit des chars de Tzahal arriver en haut de Galilée.
21:10On les voit sur ces images, à la frontière entre Israël et le Liban.
21:14Est-ce que vous croyez à l'hypothèse d'une offensive terrestre dans les heures, dans les jours qui viennent,
21:19qui au fond aurait vocation à créer une sorte de zone tampon au nord d'Israël et au sud du Liban
21:25pour permettre aux 60 000 déplacés de revenir au nord d'Israël ?
21:29Entre la frontière et le fleuve Litani, d'une certaine manière.
21:3230, 40 kilomètres ?
21:33Voilà. C'était la résolution 1701 de l'ONU.
21:36Ils voulaient que cette zone soit démilitarisée.
21:38Le Hezbollah s'est assis dessus et y est allé.
21:40Alors, il y a deux options.
21:41Soit, effectivement, Netanyahou, pour faire revenir les 60 000 personnes
21:46et avoir, d'une certaine manière, leur soutien électoral,
21:49estime qu'il faut envoyer l'armée au Liban.
21:52Mais, ça c'est une option.
21:55Mais en même temps, les souvenirs qu'a Israël de l'occupation du Liban
21:59sont des souvenirs particulièrement douloureux.
22:01Notamment 2006.
22:02Exactement.
22:03La dernière invasion terrestre.
22:05Ils ont dû repartir.
22:06C'est terminé par un bourbier.
22:07Enfin, un bourbier.
22:08Et c'est très mauvais, non seulement pour leur image,
22:11mais même pour leur morale interne.
22:13Donc, à ce stade, bien sûr, ils peuvent dire, on arrive.
22:16Parce qu'ils sont en position de force.
22:18Est-ce qu'ils ont besoin d'aller, de traverser la frontière ?
22:22Il y a un calcul de coûts et d'opportunités, là,
22:26qui est en train de se jouer.
22:28Mais, si vous voulez, ce que j'ai essayé de vous dire tout à l'heure,
22:30c'est qu'on ne peut pas, dans cette affaire,
22:32voir simplement un élément et l'autre.
22:34Ils sont tous liés à autre chose.
22:36Que va-t-il se passer dans l'équilibre politique libanais ?
22:39Est-ce que l'armée libanaise va avoir la capacité de revenir dans cette région ?
22:43Où en est l'Iran ?
22:44Est-ce qu'ils vont pousser dans un sens ou dans l'autre ?
22:46Vous voyez ?
22:47Donc, c'est quelque chose qu'il faut suivre en ce moment.
22:50C'est donc, précisément, pardonnez-moi de me citer encore,
22:53c'est un bouleversement du monde.
22:54Parce qu'il n'y a plus, regardez, à l'ONU,
22:56ce qui s'est passé à l'Assemblée générale, c'est une mascarade.
22:58Rien n'est revenu.
23:00Le système mondial n'est plus capable de réguler les choses.
23:04Et donc, dans un contexte où c'est le vide sidéral aux États-Unis,
23:09jusqu'au 20 janvier, que ce soit Trump ou que ce soit Mme Harris.
23:12Merci beaucoup, Gilles Kepel, d'avoir été l'invité de C'est pas tous les jours dimanche.
23:15Et je rappelle donc votre livre, Le bouleversement du monde,
23:18l'après-7 octobre aux éditions Plon.
23:21C'est passionnant et très instructif, en particulier dans la période.
23:24Merci beaucoup, Gilles Kepel, d'avoir été avec nous.
23:26Merci.

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