28 septembre 2024
Poquelin Théâtre à Bordeaux
Le collectif de poésie Pour le moment crée son premier événement "Pour ainsi dire" et reçoit Mélanie Cessiecq-Duprat, des éditions Exopotamie, ainsi que Julie Nakache pour une lecture de fragments de son recueil "Le sang des filles".
La lecture de Julie Nakache est accompagnée au piano par Rémi Letourneur.
Le collectif remercie Jean-Claude Meymerit, directeur du Poquelin Théâtre et metteur en scène, pour son accueil chaleureux.
Poquelin Théâtre à Bordeaux
Le collectif de poésie Pour le moment crée son premier événement "Pour ainsi dire" et reçoit Mélanie Cessiecq-Duprat, des éditions Exopotamie, ainsi que Julie Nakache pour une lecture de fragments de son recueil "Le sang des filles".
La lecture de Julie Nakache est accompagnée au piano par Rémi Letourneur.
Le collectif remercie Jean-Claude Meymerit, directeur du Poquelin Théâtre et metteur en scène, pour son accueil chaleureux.
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Art et designTranscription
00:00Un jour d'octobre, un jour de pluie, une nuit noire et longue, elle coud, l'aiguille dans
00:28le tissu, est une cicatrice, le fil dans l'aiguille, le lien qui me relie à son histoire.
00:36Point avant, enfanter le vent, point arrière, s'offrir aux pierres, caresser l'ombre,
00:46dompter le fatal, point d'arrêt, point de croix, les chrysanthèmes s'ouvrent à la
00:52terre, entre ses doigts, les demeures s'en vont, moisir au delà des cimes et des mots,
01:08dans l'oubli de la mémoire, noircir le cœur, le sang, la peau, et entendre ce qui n'a
01:16pas été dit, les demeures s'en vont, une fille saigne sur le seuil, peut-être est-ce
01:26une mauvaise herbe, ça n'a pas d'importance, les demeures s'en vont, ne reconnaître ni
01:35la mort, ni la vie, entendre gémir les déserts, accueillir, femme, pierre, son flux de lune
01:44et flux de vie, son flux de sang, sève d'amour, chercher l'élan, le rythme, rejoindre l'âge
01:55atomique, trouver la respiration où le temps se retient, as time goes by, le bruit de la
02:02cuillère, le goût de la madeleine, les fleurs fanent et meurent, as time goes by, changer
02:09par le temps qui passe et obséder toujours par ce qui ne revient pas, dans l'écart,
02:17dans la perte, dans l'histoire, dans la mémoire, l'enfant englouti célèbre un monde abandonné,
02:26refuser, l'oublier, entre ouverts, les tiroirs du buffet rougeois, à côté de la table
02:39en formica, tout est écrit, ou pas encore, et on se demande où, après elle, retrouver
02:48les rires et le ciel, la couleur des carreaux de cuisine est passée, elle essuie les miettes
02:57sur la table avec une éponge, il y a des morceaux de verre enfoncés dans ses mains,
03:02le sang coule, le sang défile, quel lieu écrire pour chasser l'ombre, l'aube de la mémoire
03:13construit un monstre aux mâchoires acérées, en attendant, il y a toujours quelque chose
03:23à ravauder, défaire les ourlets des petits grandis trop vite, tisser, détisser les fils,
03:31ouvrir l'armoire du temps, contempler le linge plié, repassé, y enfouir ses larmes, ce
03:39qui reste de révolte et de sang traverse les nuits des femmes, quand nous construisons
03:44les jours, découdre les habits de la honte, en découdre avec son histoire, partir sans
03:54savoir qu'on ne reviendra pas, jouer à chapercher à portée de bras qu'on ne saisit pas, refuser
04:02la loi des pères, la loi des hommes, chanter au galop du sang, chevelure déployée au
04:06vent, résister, marcher dans les pas des enfants, au galop de la terre, réciter, les
04:13larmes, la sueur, la danse, les cœurs, libres, se sentir si vivantes qu'on pourrait mourir
04:22là, à bout de souffle, à bout de bras, sans chercher jamais ce qu'on ne trouve pas, en
04:28nous, dans l'autre, dans ce que révèle la joie et la peur, à jamais les mémoires tressées
04:36du sang et de l'amour des mères, rencontrer la terre, ses paysages, son histoire, on se
04:44penche, tente de saisir les fils qui nous relient, on murmure pour se réconforter, perdus
04:52dans nos guerres, reines, mères, guerrières, sorcières, sous les bombes et les bûchers,
04:57on cherche les chemins de traverse, les corps déchirent la page, empêchent la parole,
05:04le sang écrit ne souille pas le papier, des meutes de mots sur ta peau, des bêtes,
05:10nous sommes, soumises à la tendresse du chant.
05:25Décollée et photographie, noir sur blanc, cœur acidulé et langue mouillée,
05:33qui nous regarde lorsqu'on trébuche et tombe, qui nous regarde lorsqu'on trébuche et tombe ?
05:44Les mains ouvertes au sable, aux déchirures de la terre, aux déchirures des femmes et des mères,
05:50appeler, appeler la fillette, la cheville cassée, la poupée sur l'herbe, la fiancée, l'enfant,
05:56les larmes de la louve, la révolte, les os, la peau, appeler, la chair à vif et à feu,
06:03appeler, appeler, appeler, les draps sont rouges désormais.
06:10Tout, tout, tout à rapetisser, buffet, canapé, tricot, panier, les visages, les chansons,
06:36les mots des absents, les chiens, les enfants, tout, tout à rapetisser, sauf l'amour donné,
06:47tisser le rap des années, rapetisser.
06:54Enfanter les feux de l'enfance, dont les regards des fillettes tous s'embrasent et brûlent,
07:00et là, où jamais personne ne passe, il y a soudain du monde.
07:07Vêtues de leur chemise de nuit, elles ressemblent à des mariées, souries de toutes leurs rides
07:13lorsque l'homme dit de préparer le bois pour l'hiver.
07:17Elles portent en elles le soleil, les forêts, et dans la chaleur de leur tablier, on se réchauffe.
07:24Courir vers la forêt, dans le souffle du vent, avec le chant des arbres, vivre dans l'écho,
07:36faire l'histoire avec leurs noms, se conjuguer à l'enfance, ouvrir les yeux, tendre les bras,
07:44la terre, tout sourit, revenir au rire, refuser la distance, tisser.
07:55Est-ce ainsi que l'enfance insiste ? Est-ce ainsi que l'enfance résiste ?
08:04La poussière du ciel, émaillée de souvenirs, retrace le langage perdu à l'horizon d'un rêve.
08:13Épousser les cris d'enfants et ranger son chiffon, qu'est-ce qui croit en elle quand le monde fâne ?
08:24Les chants, les forêts des récits, la bourre, les lèvres moissonnent les mémoires,
08:34les mots venus d'ailleurs traversent nos histoires, un homme sans visage, sans nom,
08:42l'enfant, la violence, l'amour, séchouent sur ses pages, traces de vie, emmenées aux confins des matins.
08:51Elle a vécu une guerre, les pleurs, les cris, les larmes, elle a vécu la guerre,
08:58bruit des corps qui tombent, apprivoiser leur chute, ne pas mourir.
09:09Il y a des poèmes qui tiennent sur une seule note et toujours se tenir debout sur le sol.
09:21Elles dansent, les hommes faméliques, les camps, les cris, les chants de bataille,
09:27elles dansent au milieu des herbes et des chiens, quand tout brûle, s'enflamme, s'embrase, embrasse la mort,
09:34elles dansent, aiment, là où se tenait l'enfance, il n'y a plus personne.
09:42Quand les fous marchent sur l'Europe, volent, tuent, violent, volent, tuent, violent,
09:52quand les poètes traînent leurs mots sans les trahir, quand la terre souffre, quand les forêts saignent,
09:57quand les bêtes meuglent les prix, la courbe de leurs yeux fait le tour de leur corps,
10:01les rues vides plongées dans le mutisme ne savent plus où mettre leurs blessés,
10:05les camions, les jeeps, les tirs sporadiques dans le quartier,
10:08les chevaux tremblent, les bêtes hurlent, les maisons pliées empestent la peur,
10:12elles avancent, fuient les chagrins, elles tiennent un enfant par la main,
10:16c'est celui de l'américain, et sur les cadavres elle fait pousser des fleurs.
10:26D'instant en instant, les hurlements des absents,
10:32elle ne peut rien faire, avancer seulement,
10:36soulever son manteau, raviver son visage,
10:41village dévasté par les mains des barbares.
10:44D'instant en instant, les spectres des aimés,
10:48elle ne peut rien faire, avancer seulement,
10:51échapper au bombardement, essuyer la buée des yeux,
10:54femme fatiguée, affamée, avancer seulement,
10:58les chiens resteront derrière elle, l'enfant aussi,
11:02les avions traversent le ciel, avancer seulement,
11:06jusqu'à la levée des éclairs et attendre l'eau.
11:19Elle couche avec la nuit, sa poitrine cogne à réveiller les endormis,
11:24elle couche avec la nuit, elle couche avec la nuit,
11:27l'amour plus fort que la mort, la faim, le froid, la peur, les soldats,
11:30les hommes en première ligne relèvent l'horizon,
11:33les enfants meurent, la terre rend les corps des meurtris,
11:36elle désire son ombre et s'y assoie, le monde ne se ressemble plus,
11:40elle couche avec la nuit, elle couche avec la nuit, elle couche avec la nuit,
11:44mais garde les yeux ouverts.
11:48A la cime d'une vie, soulevez les fesses flétries,
11:53écoutez tomber les gouttes d'urine,
11:56pluies de honte et de misère.
12:00A la cime d'une vie, relevez la chemise de flanel sur la poitrine osseuse.
12:07A la cime d'une vie, couvrir le corps aimé de les dredons
12:11et laisser les plumes s'envoler, se poser sur les pauvres chaussons.
12:15A la cime d'une vie, au sommet de l'amour.
12:26Elle n'est plus là.
12:28Les comptines de l'enfance hurlent sans bruit.
12:31Feu de bois, bois de chêne, chêne en or, or de portée, le cœur n'y est plus.
12:37Elle n'est plus là.
12:39En or dur, dur à cuire, les phrases disent visions et sourires.
12:44Cuire assez, c'est assez.
12:47Elle n'est plus là.
13:09Elle n'est plus là.
13:39Elle n'est plus là.
14:09Une flaque de lumière, l'eau de colonne sur la commode.
14:34Son ombre irradie la chambre, le lit, les photographies, le mariage, les enfants, les petits.
14:42Un crucifix, un miroir sur les murs.
14:45Son ombre, la chambre, le duvet, l'oreiller, le matelas qu'elle retourne une fois par mois.
14:52Les fleurs séchées derrière la fenêtre, le verger, ses pommiers.
14:58Elle irradie, sève de vieillesse, Ève, Arbre, Éden.
15:12Son pied blanc sort de la couverture, son front est froid, ses mains violettes.
15:20Pensez aux iris au bord du chemin, elle à son américain.
15:25Elle a soif, on lui donne à boire, l'eau la soulage.
15:30Jusqu'à la fin, pensez aux iris au bord du chemin, elle à son américain.
15:36Cessée de marcher, arrêtée, dissoute dans la fumée d'un quai de gare.
15:44On ralentit les images, elle ne prendra plus jamais de train, ni d'avion, ni de bateau.
15:52Blue train, l'océan qu'elle ne traversera pas.
15:57Son amour, couleur de sang, saigne, chavire, déchire les lettres.
16:01L'homme ne voit ni le regard éperdu, ni le geste de la main.
16:06Dans le ciel, la distance, l'étendue bleue des silences.
16:11Dodo pour déranger un jour de rien.
16:15Les fleurs perdent leur éclat, elle s'en va.
16:20La chair meurtrie, le regard fauve et à la fenêtre, l'envol d'une mésange.
16:25Elle s'en va, flotte dans son chandail, sourit, les yeux ouverts car dormir, se dit-elle, c'est mourir.
16:33Elle s'en va.
16:36L'infirmier ne me rendra ni les sourires, ni la mésange.
16:40Mais dans un sac plastique, l'odeur aigre et le chandail trop grand.
16:45Les paupières mis clos, elle sourit.
16:49Ce matin, elle a eu si mal, soudain, mal à la vie, mal à son américain.
16:54Elle s'effrit d'heure en heure, subit la douleur du corps, la honte de la mise à nu, l'attente de l'inconnu.
17:02Voir venir la mort et se demander, dans le dénouement du son, ce qui achève nos mémoires.
17:11Un arbre solitaire veille.
17:14Le silence prend aux portes de la nuit.
17:17Elle se laisse aller, l'étrange sommeil la déplie, la brise, femme foudroyée, à perte de cœur, à perte de corps, femme décimée.
17:27Pourquoi faut-il que les mères meurent ?
17:32Mères et mères liées, rejoindre leurs histoires, leurs humeurs, leurs suées, leurs sangs.
17:37Se mêler aux larmes salées, aux premiers chagrins au bout du monde.
17:41Se laisser remporter sans naviguer, car la vie est peut-être aussi cet après-midi sur une plage où l'on se noie dans l'infini d'un bleu.
17:50Fixer l'horizon, à perte d'eau, démesurément, comme on avorte de l'enfant.
17:58Mères et mères liées, rejoindre leur manque, le vide, la peine, le passé, et inscrire son nom en bas de la page.
18:13Le médecin la déclare perdue.
18:21Elle saigne, le sang coule, rouge, encore, encore, le sang des femmes, le sang des mères, le sang des filles.
18:31Ses mains, froides, sur les draps, aussi immobiles que les photographies de l'homme dans le cadre,
18:37ont tissé la laine, les mots, le fil de l'amour d'un enfant l'autre, le temps d'une romance, d'une chanson à la radio.
18:51Ses mains, comme des lilas, aussi bleues qu'un ciel, disent adieu.