L'armée israélienne a annoncé tôt ce mardi 1er octobre avoir commencé des "raids terrestres localisés" dans des villages du sud du Liban, affirmant cibler le mouvement islamiste Hezbollah, malgré les appels internationaux à la désescalade.
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00:00Merci d'être là avec nous, professeur des universités, spécialiste du Moyen-Orient et de l'islam contemporain,
00:04auteur, je le précise, de ce livre, Le bouleversement du monde, ça vient de paraître chez Plon.
00:10Est-ce que l'on vit en direct ce matin, en tournant dans cette guerre ?
00:13Oui, bien sûr, puisqu'on se demandait si Israël allait passer la frontière, c'est-à-dire aller envoyer ses troupes au sud Liban.
00:22Ça a été fait. Ça a été fait dans un contexte qui est double.
00:27D'abord, pourquoi est-ce qu'Israël veut envoyer ses troupes au Liban ?
00:31C'est pour sécuriser le retour des 60 000 Israéliens qui ont dû être évacués de chez eux.
00:39Et pour Netanyahou, c'est un enjeu très important parce que le fait de renvoyer ces individus dans leur foyer,
00:46alors qu'ils ont été déplacés, c'est probablement pour lui l'espoir que dans des élections futures, ils vont voter pour lui.
00:54Et Netanyahou est en train d'essayer de capitaliser aujourd'hui sur la destruction du Hezbollah
00:59et d'autre part sur le retour à la normale, si j'ose dire, pour les Israéliens déplacés,
01:05le fait qu'il puisse sortir d'une certaine manière en vainqueur politique de l'opération militaire qu'il est en train de mener.
01:12Le problème, c'est qu'Israël a une expérience très amère de l'invasion du Liban.
01:19C'était 2006.
01:20En 2006, et où finalement, ils avaient perdu beaucoup de soldats.
01:25Et du reste, on appelait ça en arabe, ce qui veut dire victoire d'Allah,
01:31ce qui est un jeu de mots avec le nom du défunt patron du Hezbollah, Hassan Nasrallah.
01:37Et de ce fait, c'était extrêmement difficile à mener.
01:42Alors, il semble que la voie qui a été adoptée est une voie moyenne,
01:46c'est-à-dire qu'il ne s'agit pas d'occuper le terrain, parce qu'à partir du moment où on occupe le terrain,
01:52ça veut dire qu'il y a des opérations de harcèlement.
01:55Le Hezbollah, en ce qui l'en reste, connaît parfaitement le terrain mieux que les Israéliens, les caches, etc.
02:00C'est un peu comme, si vous voulez, l'opération héliportée qui a eu lieu dans le centre de la Syrie, à Masyaf,
02:06dans la zone israélienne, il y a deux semaines, je crois,
02:11où ils sont allés détruire des caches dans des lieux de fabrication de missiles et sont repartis.
02:18Donc là, on voit, d'après la manière dont les choses se produisent,
02:22que c'est plutôt des opérations qui sont ponctuelles et qui ont été, je le signale, approuvées par les États-Unis.
02:29Lloyd Austin, le ministre de la Défense américain, a dit,
02:34oui, d'accord, on comprend, il faut détruire les capacités offensives du Hezbollah
02:40qui empêcheraient les Israéliens de se réinstaller au nord.
02:43Donc voilà à peu près la logique militaire de cette opération et la logique politique ce matin.
02:49Ce que dit l'armée israélienne, elle parle de raids précis.
02:52La question, c'est incursion ou invasion.
02:55Ensuite, la question a été posée ce matin à l'ambassadeur d'Israël en France.
02:58C'était sur France Inter. Écoutez sa réponse.
03:01Nous n'avons pas du tout l'intention d'invahir le Liban,
03:05de refaire l'erreur qui avait été faite en 1982, ce qui s'est passé en 1982.
03:11L'idée, c'est vraiment de permettre, disons de forcer le Hezbollah de ne plus être au bord de la frontière.
03:19Notre but est que cela soit la fin d'une année qui a été très difficile pour notre population
03:25et qui puisse permettre le retour des suissants chez eux.
03:29Je ne sais pas si c'est une question d'heure ou de jour, mais certainement pas une question de mois.
03:33La question, c'est est-ce qu'Israël pourra se priver,
03:36puisque son but, c'est notamment de neutraliser le Hezbollah dans cette bande-là à la frontière.
03:41Est-ce qu'elle pourra se priver d'une présence de longue durée ?
03:45Oui, parce que je crois que c'est trop coûteux politiquement et militairement.
03:50Et également, il va falloir qu'Israël gère son image internationale.
03:55Les images que vous avez montrées tout à l'heure dans la cuisine de l'ONG World Kitchen indiquent qu'on a une catastrophe humanitaire.
04:07C'est-à-dire qu'aujourd'hui, tout le monde est parti du sud de Liban.
04:11Donc, d'une certaine manière, l'opération militaire est aisée relativement, parce qu'il y a peu de civils.
04:18Ceux qui restent ne seraient que les combattants du Hezbollah.
04:21Mais le million et demi, d'après ce que disait cette dame, de réfugiés qui sont aujourd'hui à Beyrouth,
04:29qui se sont installés dans des lieux qui sont traditionnellement habités par d'autres communautés que les chiites,
04:37évidemment vont faire monter les tensions intercommunautaires libanaises.
04:42Et quand est-ce que ces chiites pourront revenir dans le sud ?
04:47Il y a aussi quelques chrétiens dans le sud, du reste.
04:49Ça, ça n'est pas clair.
04:50Or, là, c'est d'une certaine manière une responsabilité d'Israël qui est engagée dans la déstabilisation du système libanais,
04:58qui n'avait pas besoin de ça.
05:00Je reviens à ces combats en cours, combats entre l'armée israélienne et le Hezbollah.
05:04J'insiste, ce n'est pas l'armée libanaise qu'il y a en face de l'armée israélienne, c'est bien le Hezbollah.
05:09Le Hezbollah qui a été déstabilisé, qui a été attaqué ces dernières semaines avec les Bippers, les Tokiwokis qui ont explosé,
05:14avec la mort de Nasrallah.
05:16Qu'est-ce qu'il reste aujourd'hui du Hezbollah ?
05:19À quel point est-ce qu'il y a une capacité militaire forte en face de l'armée israélienne ce matin ?
05:25Alors, c'est très difficile de le savoir, sauf si on est dans le commandement du Hezbollah.
05:30Il a été quand même extrêmement impacté.
05:33Ça, c'est indéniable, non seulement avec la liquidation d'une grande partie de l'état-major, de son chef charismatique,
05:40qui est un coup au moral, puisque Nasrallah était là depuis 32 ans,
05:45c'était à la fois le responsable de l'organisation, le chef suprême,
05:49et également une figure d'identification,
05:52quelqu'un qui dans l'islam chiite avait quasiment une dimension messianique.
05:57Et du reste, il y a un certain nombre de ses disciples ou de ses adeptes qui ont refusé de croire en sa mort,
06:04qui ont considéré que, comme c'est le cas dans la doctrine chiite,
06:07il s'était occulté, comme le Messie le mardi,
06:10et qu'il allait revenir pour remplir le monde de justice et de lumière,
06:15après que les ténèbres et le malheur se sont abattus sur la communauté.
06:20Donc ça, c'est quelque chose qui est très fort,
06:23qui soudait la croyance, qui avait transformé les chiites du Liban,
06:28qui était la communauté la plus pauvre, la plus méprisée,
06:31et du coup qui avait eu beaucoup d'enfants aussi,
06:33ce qui explique qu'elle est devenue démocratiquement si forte,
06:36grâce au financement iranien, à l'armement iranien,
06:39au fond, en la communauté dominante.
06:43Or, aujourd'hui, ces coups très terribles qui ont été assénés
06:48sont en train de casser le moral, si vous voulez, et de transformer les choses.
06:53Simplement, il va falloir que les chiites libanais retrouvent leur place dans le système.
07:01Est-ce que ce sera toujours le Hezbollah qui va les contrôler ?
07:03Parce qu'on présente le Hezbollah comme quelque chose qui faisait l'unanimité.
07:09Non, à l'intérieur du chiisme, son règne a été bâti
07:13sur la liquidation d'un certain nombre d'adversaires.
07:16Les chiites libanais étaient très présents,
07:18par exemple les organisations communistes ou d'extrême-gauche libanaises.
07:22Tous ces gens ont été liquidés.
07:24Donc, aujourd'hui, il y a une redistribution des cartes qui va se mettre en place.
07:29Il est trop tôt pour tirer des plans sur la comète,
07:32mais en tout cas, la nécessité, c'est qu'une partie de la population
07:37qui est montée dans le nord doit pouvoir revenir dans ses territoires.
07:44Sinon, ça va créer une situation dramatique.
07:47Il y a eu les bombardements de ces dernières semaines.
07:49Il y a eu les assassins à cibler, notamment contre Nasrallah.
07:52Il y a maintenant, depuis ce matin, cette incursion israélienne et ses combats.
07:56Et l'Iran, pendant ce temps-là ?
07:58L'Iran, dont tout le monde attend une éventuelle réplique, qu'est-ce qu'elle peut faire ?
08:04Est-ce que l'Iran est encore capable de réagir face à ce qui est en train de se passer ?
08:07Moi, je ne le crois pas.
08:09L'analyse que je fais, c'est qu'attaquer le Hezbollah,
08:13c'est également, et peut-être même surtout, pour Israël, attaquer l'Iran
08:18et annihiler sa capacité offensive.
08:21Parce que, contrairement au Hamas, qui est un parti sunnite d'origine frère musulman,
08:28ancien, qui n'a pas été créé par l'Iran,
08:31mais qui a fait un accord avec l'Iran pour accroître ses capacités offensives contre Israël.
08:39Contrairement au Hamas, qui est un parti endogène, si j'ose dire,
08:44le Hezbollah est une création iranienne, fabriquée par les services iraniens, financée, etc.
08:51Et c'est un parti qui obéit à Téhéran, qui a été structuré comme tel pour protéger Téhéran.
08:58Pourquoi ? Parce que si les Américains veulent attaquer, par exemple,
09:02les sites nucléaires à Natanz ou ailleurs en Iran,
09:05l'idée était que le Hezbollah puisse, avec son arsenal, tirer sur Israël.
09:10Et avant la radia pogromiste du 7 octobre de l'année dernière,
09:15quand il y avait 10 morts en Israël, c'était une catastrophe nationale.
09:19Or, l'attaque du Hamas a changé complètement la donne, changé le paradigme.
09:24Il y a eu plus de 1 200 morts, il y a eu des otages en quantité.
09:28Et du coup, maintenant, d'une certaine manière,
09:32l'armée israélienne, la stratégie israélienne est une stratégie de désinhibition.
09:37Et en attaquant le Hezbollah, ça expose l'Iran en première ligne,
09:43car le Hezbollah n'est plus là, si vous voulez,
09:46à la fois comme lance, fer de lance et comme bouclier.
09:49Or, le régime iranien, aujourd'hui, me semble extrêmement fragilisé.
09:55Si vous regardez la succession de morts au très haut niveau,
09:59vous avez eu le président Raisi, qui est mort dans un accident d'hélicoptère.
10:04Je pense que ce qu'on peut dire pour le moment, c'est en tout cas que le temps était maussade.
10:10Avec le jeu de mots délibéré à ce moment-là,
10:14puisque...
10:16Maussade, c'est-à-dire les services de renseignement israélien.
10:18Oui, voilà, peut-être.
10:19Le temps était maussade.
10:20Voilà, voilà, disons ça comme ça.
10:22Merci d'alourdir mon jeu de mots.
10:25Oui, j'appuie un peu sur le jeu de mots.
10:26C'est clair, vous êtes très pédagogue, bien, très bien.
10:29Et l'hélicoptère venait d'Azerbaïdjan, un pays voisin,
10:33où les services israéliens sont extrêmement implantés et très présents.
10:37Mais néanmoins, tous les responsables ont été mis dans un seul hélicoptère,
10:41un vieil hélicoptère bel-américain qui datait d'il y a une cinquantaine d'années.
10:45Un pays qui dit être une grande puissance nucléaire,
10:49si vous voulez, qui met tout son establishment politique dans un vieil hélico.
10:53Non.
10:54Ce qui induit peut-être qu'on a fait disparaître Raisi,
10:58y compris qu'à l'intérieur du pouvoir iranien,
11:01un certain nombre de gens se sont dit,
11:03ce fou sanguinaire qui va remplacer Khamenei,
11:06l'actuel guide qui est octogénaire, qui a le cancer et qui est en très mauvaise santé,
11:10si on continue comme ça, on va dans le mur.
11:13Deuxième mort très suspecte, celle d'Ismail Haniye,
11:18le jour de l'intronisation...
11:20Le numéro un du Hamas qui était présent à Téhéran.
11:22Exactement.
11:23Présent à Téhéran pour l'intronisation du nouveau président, du successeur de Raisi,
11:27M. Pézéchkian, qui a été mis là, qui est un médecin,
11:31pour dire qu'on veut se réconcilier avec l'Occident.
11:33Alors, il faut prendre ça avec mesure, mais néanmoins, l'autre ne disait pas ça.
11:38Raisi disait, il faut tuer tout le monde.
11:40Donc, il y a ce problème.
11:42Il est mort dans le bunker des gardiens de la Révolution.
11:47Il est dans sa chambre avec un explosif qui avait été mis sur sa table de nuit,
11:52ou je ne sais où, dans sa chambre.
11:53Et ça, c'est quand même très préoccupant aussi pour la sécurité du régime,
11:58parce que ça peut difficilement être simplement quelqu'un qui a été manipulé,
12:02qui a fait ça.
12:03Ça veut dire qu'une partie des gens qui étaient en charge de la sécurité,
12:06du côté iranien, ont fermé les yeux ou ont laissé faire.
12:10Et troisième élément, la mort de Nasrallah.
12:13Alors, il y a toutes sortes de théories qui circulent là-dessus.
12:17Je suis incapable de faire le partage.
12:19La dernière étant qu'il avait vu, quelque temps avant,
12:22quelqu'un venu d'Iran qui lui avait serré la main,
12:24qui lui avait mis une espèce de crème qui permettait…
12:27– D'être européen.
12:28– Je suis incapable de vous dire si c'est vrai ou pas.
12:30La crème, je n'y connais rien.
12:32Mais qu'il ait vu un Iranien qui avait des intentions
12:36qui n'étaient pas du tout celles qu'il croyait,
12:38ça rentrerait assez bien dans ce schéma
12:41où vous avez aujourd'hui une partie de l'establishment iranien
12:45qui a fait son deuil de la République islamique.
12:48Un peu comme à la fin de l'URSS,
12:50vous aviez les gens qui entouraient Gorbatchev,
12:52qui ont fait le bilan suivant,
12:54après la défaite de l'armée rouge en Afghanistan
12:58qui a fui Kaboul le 15 février 1989,
13:00il faut changer, sinon tout est foutu.
13:02Et ça a été la chute du mur de Berlin.
13:04Et donc ça, je crois que ce sont des enjeux
13:07qui sont sous-pesés aujourd'hui à Téhéran.
13:10Je ne suis pas capable de vous dire aujourd'hui,
13:12évidemment, qui va l'emporter, qui va le gêner,
13:15mais on voit bien…
13:16– Il y a de la fragilité.
13:17– Les échos qu'on a de l'Iran aujourd'hui,
13:19c'est que le régime est faible.
13:21Et la population qui fuit Téhéran,
13:23enfin tous les immigrés qui sont ici et qui ont de la famille là-bas,
13:27nous en donne un écho extrêmement visible.
13:30– Merci Gilles Kepel.
13:31Je rappelle le titre de votre livre,
13:33Le bouleversement du monde, c'est chez Plon.
13:35Merci d'avoir été avec nous ce matin
13:37pour décrypter ce qui est en train de se passer,
13:39ces combats en cours dans le sud du Liban.