• il y a 2 mois
Après l'audition de Julian Assange devant la commission de l'assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe mardi, l'avocat pénaliste Christophe Marchand, représentant de Julian Assange auprès de la Cour européenne des droits de l'homme, explique où en est précisément le parcours judiciaire du fondateur de WikiLeaks. Pourquoi son message est crucial pour la liberté d'informer dans le monde et comment la loi européenne doit changer pour défendre la liberté de la presse menacée aujourd'hui partout dans le monde.

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Transcription
00:00Christophe Marchand, bonjour, merci d'être sur le plateau de l'humanité, je rappelle que vous êtes avocat pénaliste, vous représentez Julien Assange à la Cour européenne des droits de l'homme, ici, juste à côté.
00:10Julien Assange vient ici pour la première fois, est venu ici il y a quelques minutes, il est parmi nous là, à la Cour européenne des droits de l'homme.
00:19C'est la première fois qu'il parle aussi longuement de ce qu'il a vécu et de la manière dont il analyse ce qu'il a vécu.
00:25Il l'a fait devant la commission des affaires juridiques, des questions juridiques et des droits de l'homme de l'Assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe, c'est un peu long à dire mais c'est comme ça,
00:34suite à un rapport d'enquête qui va être présenté d'ailleurs mercredi ici même, concernant les implications bien sûr de sa détention et les effets plus larges aussi sur,
00:44on en parlera tout à l'heure, sur la liberté de parler, sur la liberté d'appréhension. Pourquoi est-ce qu'il a, parce que je suppose que vous l'avez conseillé, vous en avez parlé,
00:53qu'est-ce qu'il a décidé à venir ici aujourd'hui ?
00:56D'abord c'est vraiment un long voyage pour lui parce que d'abord il est très loin, il est en Australie, donc c'est un très long voyage en avion.
01:03Et puis en Australie, il vit, je dirais, en dehors du monde, il est dans une période de convalescence parce qu'il a quand même fait 14 ans de détention,
01:10dans des conditions terribles, c'est dans l'ambassade, il n'y a pas de lumière du jour, il n'a jamais accès à la lumière du jour.
01:16Que ce soit à Belmarche, qui est une prison de haute sécurité, on allait le visiter régulièrement tous les quinze jours, mais on voyait vraiment son état péricliter en fait,
01:24que c'était vraiment quelqu'un qui a souffert mentalement et physiquement, il l'a dit d'ailleurs de cette détention.
01:29Mais il a quand même choisi de venir parce qu'il voulait venir au cœur, je dirais, de l'Europe des droits de l'homme, qui est représentée par Strasbourg et par le Conseil de l'Europe,
01:38avec sa cour, la cour européenne et son Parlement, le Parlement européen du Conseil de l'Europe, pour délivrer un message et pour supporter, donner son support à un rapport qui vient d'être rendu,
01:48donc c'est une commission, plutôt l'établissement de faits, une enquête qui a été réalisée pour démontrer les implications pour les droits humains en Europe, mais aussi en dehors,
01:57de sa détention et de sa condamnation, puisqu'il a été condamné.
02:01Justement, où est-ce qu'on en est exactement ? Je dis ça parce que c'est un petit peu compliqué depuis le début et même encore maintenant, c'est un petit peu compliqué.
02:09Où est-ce qu'il en est à l'heure actuelle dans son parcours judiciaire en réalité, après le plaidé coupable qui lui a permis de sortir de...
02:17On se souvient au niveau du timing 24 juin 2024, donc très récemment, il est libéré, il prend l'avion, il va jusque dans les îles Mariannes et là, il fait un deal avec la justice américaine.
02:28Un deal, ça veut dire quoi ? Ça veut dire qu'il plaide coupable, donc ça veut dire qu'il est jugé, condamné pour certains faits.
02:33Donc ça veut dire que toute l'enquête américaine qui le concernait, qui concernait les leaks de Wikileaks, Collateral Murder, la vidéo fameuse, les dossiers de Guantanamo,
02:43tout ça est clôturé et le gouvernement américain s'engage à ne pas le poursuivre pour d'autres faits qui auraient été commis avant cette date.
02:50C'est le 26 finalement qu'il est condamné, le 26 juin, à des faits qui ont été commis antérieurement.
02:54Donc il n'a plus aucun démêlé judiciaire avec la justice américaine, ça c'est la situation en ce qui le concerne.
03:00Mais parallèlement à ça, dans ce pli bargaining, dans ce pli des coupables, il y a aussi de sa part des engagements à ne faire aucune procédure.
03:08Donc il a renoncé à des legal claims, comme on dit, c'est-à-dire il a renoncé à des procédures judiciaires qu'il aurait en cours, dont notamment la procédure à la Cour auprénée des droits de l'homme,
03:17contre les Etats-Unis, contre le Royaume-Uni, contre n'importe quel Etat, n'importe où dans le monde.
03:22Donc c'est très très vaste, c'est une clause d'immunité, on va dire, à l'égard des Etats-Unis pour ce qu'il a subi.
03:27Ce qui veut dire qu'il a tout de même, on ne peut pas dire une épée de Damoclès sur la tête, mais il a quand même une possibilité limitée de s'exprimer par voie judiciaire, j'allais dire.
03:38Par exemple ici, pendant la Cour des droits de l'homme, puisqu'il ne peut pas y être.
03:41Ici c'est le Parlement, donc c'est une instance politique, ce n'est pas une instance judiciaire.
03:46Donc ici il a la liberté de parole, d'ailleurs il a parlé très librement tout à l'heure, vous l'avez entendu, il a dit vraiment tout ce qu'il pensait, avec des choses très fortes.
03:53C'est un message d'espoir, mais aussi de réalité de ce qu'il a subi, de ce que ce précédent, parce que c'est un précédent en fait, cette condamnation est un précédent.
04:01C'est quand on analyse un petit peu, c'est le plus découpable, et qu'on voit la qualification juridique qui a été utilisée pour le condamner, c'est news gathering,
04:09c'est-à-dire recueil d'informations par des documents qu'il a demandé à des sources, ou bien par des conversations avec des sources,
04:15ou bien en installant ce système de Dropbox où la personne pouvait déposer sur Internet, dans une adresse email secrète et protéger des informations.
04:22Ça c'est les trois moyens qui ont été considérés comme étant la participation à une entreprise criminelle de faire de l'espionnage,
04:29et qui donc comptait condamner finalement le temps qu'il a servi, comme on dit, c'est-à-dire le temps qu'il a passé en prison, c'est-à-dire à peu près 5 ans de prison.
04:36Alors vous en avez parlé il y a quelques instants, lui-même en a parlé tout à l'heure, Julian Assange, de l'importance de la Cour Européenne des Droits de l'Homme,
04:44et en tous les cas de l'Assemblée parlementaire, ici au Conseil de l'Europe.
04:49Qu'est-ce qu'on peut en attendre, en dehors du fait qu'on condamne ce qui s'est passé ?
04:55Alors juridiquement, je pense que ce qui est très important de se rappeler, c'est où est-on et qu'est-ce qui se passe ici ?
05:00C'est l'Assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe, c'est elle qui nomme les juges à la Cour Européenne des Droits de l'Homme.
05:04Tout ça a été convenu dans cette Convention Européenne des Droits de l'Homme de 1950, où les États européens ont décidé d'être les champions des droits humains dans le monde, on va dire.
05:12Et dans ce processus-là, le Parlement a un rôle très important, parce que c'est lui qui instille des réformes, qui instille des réflexions,
05:19qui fait des enquêtes comme elle l'a fait sur l'affaire de Julian Assange, et qui a la liberté, je dirais, de pouvoir dire les choses comme elles sont.
05:25C'est quand même pas du tout anodin, en tout cas en tant que juriste, d'avoir ce rapport, qui est un rapport qui après va être utilisé que ce soit dans la jurisprudence de la Cour Européenne des Droits de l'Homme,
05:33mais aussi pour instiguer des réformes du droit, parce que ça c'est l'autre message, je pense, que Julian Assange a délivré aujourd'hui,
05:39c'est qu'il a été meurtri dans sa famille, dans sa chaire, dans ses convictions, parce que le système n'a pas fonctionné, n'a pas protégé en tant que journaliste,
05:47et donc il faut penser aux réformes qui sont nécessaires, et ce rapport va dans cette direction.
05:51Encore une question juridique qui le concerne, la grâce présidentielle américaine peut-elle fonctionner pour laver complètement la question de présidence ?
06:00Oui ça pourrait, c'est une question qui est étudiée par les avocats américains, sur laquelle je ne me prononce pas, parce que c'est leur ressort,
06:06mais en effet c'est une voie qui est pour l'instant étudiée, c'est le pardon comme on dit, c'est-à-dire la grâce par le président des Etats-Unis.
06:12Qui pourrait avoir lieu éventuellement à l'occasion de la passation de pouvoir, puisqu'on est en période électorale, on n'en sait rien.
06:18On n'en sait rien, on imagine mal Donald Trump dans sa vindicte en contre les droits humains qu'il puisse annuler et faire ça,
06:24mais voilà, c'est en tout cas quelque chose qui se discute. Ce qui est important je pense, en ce qui nous concerne du point de vue européen,
06:32c'est qu'Astrasbourg, dans le cœur du centre de création des droits humains qu'il voit dans tout le conseil de l'Europe,
06:39il est venu parce que pour lui c'est ici que ça se passe, c'est ici que l'Europe doit donner un signal au monde entier en fait,
06:45et qu'il aurait pu choisir d'aller en Inde, n'importe où, en Japon, il a choisi de venir à Astrasbourg ici,
06:51parce qu'il considère qu'ici il y a vraiment une possibilité d'action juridique.
06:55Alors au-delà de son propre cas, on l'a remarqué, on est un certain nombre, et vous aussi je pense à l'avoir remarqué,
07:00il a parlé d'une manière vraiment universelle ce matin, c'est-à-dire qu'il a parlé de la situation du journalisme,
07:06de la question de la liberté de parole tout simplement, dans notre monde, spécialement dans le monde occidental d'ailleurs,
07:12puisque bon, les dictatures qui ont pignon sur rue, on va dire, on est habitué, il a quand même énormément parlé de l'Europe,
07:19il a énormément parlé aussi des Etats-Unis, avec une analyse extrêmement précise qui fait que,
07:25quand on sait ce qui se passe par ailleurs dans d'autres endroits du monde, dans d'autres pays du monde,
07:29les dictatures, etc., on se dit que la situation de ceux qui doivent parler, dire la vérité, les journalistes,
07:35la liberté d'expression générale, est quand même extrêmement menacée dans le monde aujourd'hui.
07:40Il ne le dit pas exactement comme ça, mais c'est ce qui découle quand même de ce qu'il nous dit ce matin.
07:43Oui voilà, il a utilisé l'expression, on est dans un carrefour sombre de la liberté d'expression et de la liberté de la presse.
07:48Soit on prend une voie ou l'autre, et lui est là pour dire, ce choix doit être fait maintenant,
07:53parce que ce que j'ai subi moi, c'est évidemment une voie vers la voie sombre, c'est-à-dire le baillonnement du journalisme,
07:59parce que c'est ça qui est arrivé. Il l'explique très simplement en disant, voilà, si moi je suis journaliste en France,
08:04que je critique les Etats-Unis dans leur politique internationale et qu'une source me donne des secrets d'Etat,
08:10et que je les révèle dans un article, dans n'importe quel média, je peux faire l'objet d'une demande d'extradition
08:15où je risquerais des centaines d'années de prison. Donc c'est vraiment un baillonnement qui a été mis en place par les Etats-Unis,
08:21je dirais après le 11 septembre, c'est comme ça qu'il analyse dans cette suite-là des événements du 11 septembre,
08:26et sur lesquels il lance l'alerte, qui mieux que lui pourrait le faire. Il lance l'alerte en disant, on est à un croisement,
08:32et il faut maintenant que l'Europe réagisse, sinon ce baillonnement va se perpétuer.
08:36C'est ça l'important, que l'Europe réagisse, j'allais dire, on le dit par rapport à ce qui peut se passer au niveau d'une institution
08:42comme l'Assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe. Vous, en tant que juriste, par ailleurs, il semble qu'il y ait quand même
08:48un gros, gros travail sur la planche, là, devant nous, parce que, est-ce que le cas de Julian Assange est quelque chose qui a fait avancer
08:56votre travail dans la lutte qu'on peut mener, ou le combat que vous pouvez mener, dont on parle, la liberté d'expression,
09:03la liberté de la presse, la liberté des journalistes, est-ce que pour vous c'est un point central ?
09:08Je pense que oui, parce qu'il a réussi finalement à fédérer autour de lui énormément de personnes très, très différentes.
09:15Il y a un mouvement populaire très important qui le soutient, parce que les gens se rendent compte que, finalement, c'est injuste,
09:19il y a quelque chose d'injuste, on ne comprend pas pourquoi il était en prison, parce qu'il a simplement dit la vérité.
09:24Et puis, petit à petit, c'est un peu le travail que nous, on s'est rendu compte de quelque chose d'assez simple, en fait,
09:29c'est qu'il y a eu tellement de mauvaise presse à son égard que c'était très difficile de parler de l'affaire Julian Assange
09:35au niveau politique, ou même au niveau des ONG, de défense des droits humains habituels, mais qu'il suffisait de se mettre à table,
09:41d'avoir le dossier en main et de partager pendant deux heures une conversation de fond, parce que c'est du fond qu'il faut parler,
09:46on arrivait toujours à convaincre les gens qu'en effet, il y avait un problème grave, et donc tous ces gens, maintenant,
09:51se sont mobilisés pour se dire, en effet, le fait que les États-Unis ont poursuivi Assange, ils peuvent poursuivre n'importe quelle personne d'autre maintenant,
09:58et c'est ça que, pour l'instant, je pense, les forces se coalisent pour empêcher qu'un autre précédent se produise.
10:04Précisément, est-ce que vous diriez que la presse mondiale, la presse dans le monde occidental, dans le monde libre, est toujours sensible à la question de Julian Assange
10:13et à cette question centrale dont on voit bien qu'elle est bafouée ? Il l'a dit, Julian Assange, tout à l'heure, elle est bafouée partout,
10:18y compris dans les pays occidentaux à l'heure actuelle.
10:21Oui, oui, non, c'est clair qu'il est devenu le symbole de quelque chose qu'on a tous senti. Je pense qu'on peut le simplifier en une phrase,
10:28c'est la liberté de pensée, d'expression et de presse sur Internet. C'est un peu ça qui est un thème fondamental pour le XXIe siècle,
10:34et que, dans ce cadre-là, lui a représenté une personne poursuivie, touchée dans sa chair, dans son mental, par une répression abusive,
10:42et que cette répression abusive, maintenant, elle doit mettre un terme.
10:46Et il va plus loin dans son message, puisqu'il donne un message d'espoir, en disant qu'il faut faire la réforme du droit.
10:52Law reform, c'est toujours ça qu'il dit, à partir du moment où on se rend compte qu'on est face à une situation où le système n'a pas fonctionné,
10:58où des gens ont été brisés, il parle de lui, et bien il faut pousser pour une réforme du droit, et il précise que c'est au Conseil de l'Europe de prendre ça en charge.
11:07Alors, bien évidemment, trop tôt pour le dire, lui-même l'a dit tout à l'heure, mais est-ce qu'il a, selon vous, encore un rôle très important à jouer dans ce combat que vous êtes en train de nous décrire, là ?
11:18Je ne sais pas. Pour l'instant, il est en convalescence. Les dernières conversations qu'on avait eues avec lui, moi, je lui avais dit,
11:26écoutez, M. Assange, il faut que votre vie cesse d'être un agenda judiciaire, maintenant, vous avez une famille, donc j'espère que vous n'entendrez plus parler de moi.
11:33Mais il a quand même souhaité venir ici, parce que c'est quelque chose qui le tient vraiment à cœur, et qu'il sent qu'il y a quelque chose ici qui peut se produire.
11:39Il a toujours ces intuitions qui sont très, très fortes. Il sent qu'il y a quelque chose qui peut se produire, et que ce rapport qui sort maintenant,
11:45eh bien, il doit prospérer vers des réformes du droit. Ça, c'est au Parlement du Conseil de l'Europe et au Conseil d'Europe à le prendre en charge.
11:51Mais je sais que, par exemple, il y a un projet de traité de protection des journalistes, une nouvelle convention internationale qui a été préparée par l'Association internationale des journalistes.
11:59C'est un élément qui peut venir également dans cette discussion plus générale de comment est-ce qu'on va faire maintenant pour vraiment protéger les journalistes ?
12:05Parce que ça fait des années qu'on en parle, et ça reste un problème qui n'est pas encore résolu.
12:09C'est la question que j'allais vous poser. Il y a d'autres cas. Vous en connaissez d'autres, bien sûr.
12:13Oui, bien sûr. Il y a plein de gens qui sont... Bien sûr, il y a les journalistes, mais on peut dire qu'il y a le défenseur des droits humains de manière générale.
12:20Parce que ce qui est stigmatisé, c'est cette persécution transnationale. C'est-à-dire qu'un État va arriver, alors que quelqu'un n'est pas sur son territoire,
12:30et a foui peut-être ce territoire parce qu'il était persécuté, a quand même le persécuté par des moyens juridiques déviés.
12:35Une demande d'extradition, une demande de coopération judiciaire. Donc, ce mécanisme de persécution transnationale est, je pense, au cœur du débat.
12:42Il l'a mentionné plusieurs fois. Ça fait l'objet de discussions et de travaux ici, au sein du Conseil de l'Europe, qui, je pense, vont prospérer pour arriver à essayer de trouver une solution.
12:50C'est comme ça que le Conseil de l'Europe fonctionne. Il voit un problème et puis il essaie de trouver une solution, à la fois pour que le problème ne se reproduise plus,
12:57mais aussi pour qu'il y ait une réparation pour les victimes.
12:59Merci beaucoup, Maître.
13:00Je vous en prie. Merci à vous.

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