Héro du dernier film de Boris Lojkine, le comédien Abou Sangaré se bat lui aussi pour obtenir des papiers. Arrivé en France à l'âge de 16 ans, il se dit très ému par la réception de "L’histoire de Souleymane" à Cannes.
Retrouvez les entretiens de 7h50 sur https://www.radiofrance.fr/franceinter/podcasts/l-invite-de-7h50
Retrouvez les entretiens de 7h50 sur https://www.radiofrance.fr/franceinter/podcasts/l-invite-de-7h50
Category
🗞
NewsTranscription
00:00Il est 7h50, Sonia Devillers, votre invitée a reçu le prix du meilleur acteur dans la
00:06sélection « Un certain regard » à Cannes.
00:09Pour son interprétation, Nicolas, dans l'histoire de Souleymane, très beau film, qui suit au
00:14plus près un livreur de repas à vélo, un jeune Guinéen clandestin qui pédale sans
00:18relâche dans les rues de Paris et qui, tenaillé par l'angoisse, rabâche les mensonges préparés
00:23pour son entretien.
00:24Crucial de demande d'asile.
00:27Bonjour Sangaré, votre premier rôle au cinéma, c'est celui-là, vous avez 23 ans, comme
00:33le personnage, vous êtes Guinéen, vous aussi, vous vous battez dans la vie pour avoir des
00:38papiers.
00:39J'ai donc face à moi un garçon qui est à la fois primé au festival de Cannes et menacé
00:44d'expulsion.
00:45C'est pas banal, combien de fois elle vous a été refusée la régularisation ?
00:50Trois fois et je vais déposer une quatrième fois là, le 10 octobre, à la préfecture.
00:56Et ça peut être long derrière ?
00:58Ça peut être long.
00:59Le dernier qui vient de couler, on a attendu au moins neuf mois pour avoir la réponse.
01:05Alors, on va raconter votre histoire, Sangaré, parce que vous n'êtes pas acteur, vous êtes
01:10mécanicien.
01:11A quel âge vous avez commencé la mécanique ?
01:15Bonjour à tous, s'il faut bien dire, moi j'ai commencé la mécanique depuis l'âge
01:20de 5 à 7 ans.
01:24Je l'ai commencé en fabriquant les petites bouteilles de canettes.
01:28Vous n'alliez pas à l'école ?
01:29Non, je n'ai jamais été à l'école en Guinée.
01:32J'ai commencé à l'école à Amiens à l'âge de 16 ans, au lycée.
01:36Vous avez appris à lire et à écrire ?
01:39J'ai appris à lire et à écrire ici.
01:41D'abord, j'ai imprimé avec les associations, ensuite, les associations m'ont inscrite
01:47en seconde, Bac pro maintenance véhicules transports routiers, j'ai passé mon Bac
01:53dans ce domaine.
01:54Ensuite, je me suis inscrit en BTS, au lieu de camion poids lourd, mais cette fois-ci
02:01en voiture.
02:02Parce que pour faire un BTS en poids lourd, il faut être en apprentissage.
02:10Comme je suis en situation irrégulière, je ne peux pas travailler, je me suis inscrite
02:15en BTS maintenance.
02:18Donc, j'ai face à moi quelqu'un de diplômé, qui est de main d'oeuvre qualifiée et qui
02:23n'arrive pas à obtenir sa régularisation en France.
02:26Vous aviez quel âge quand vous avez quitté la Guinée ?
02:29Je suis arrivé en 2017 en France, j'avais 16 ans.
02:32Pourquoi vous êtes parti ?
02:34Je suis parti pour une raison de ma mère qui était gravement malade.
02:39Il n'y avait personne pour s'occuper d'elle.
02:42On est deux, moi et ma sœur, dès qu'elle s'est mariée, c'est moi qui ai pris toutes
02:48les responsabilités de ma mère.
02:51À un moment donné, c'était très compliqué de surmonter, de financer ses besoins médicaux.
03:02À un moment donné, j'ai décidé de quitter la Guinée et de venir en Algérie, juste
03:06pour travailler, retourner, aller faire des cours à financer et les problèmes de ma mère.
03:11C'est ça, donc vous avez quitté la Guinée, vous êtes monté jusqu'au Mali, vous avez
03:15traversé le désert, avec des passeurs.
03:18Avec des passeurs.
03:19Je suis arrivé en Algérie, je suis parti en Libye, j'ai pris des oeufs d'yak pour
03:26résoudre l'Italie.
03:28Vous avez essayé combien de fois de traverser la Méditerranée ?
03:33J'ai essayé dans un premier temps, une fois ça n'a pas marché, j'avais plus d'argent,
03:37ils m'ont emprisonné à Libye, parce qu'il fallait payer un deuxième voyage et moi j'avais
03:42plus rien à donner.
03:43Les autres avaient la possibilité d'appeler leurs parents, moi j'avais personne à appeler.
03:48Parce qu'au fur et à mesure de ce très bon voyage, on vous a demandé de l'argent ?
03:54On vous demande tout le temps de payer, chaque voyage qu'on se prépare, il faut payer.
03:59Ça veut dire que si tu perds, tu dois repayer un autre voyage pour pouvoir traverser.
04:07Moi, alors je n'avais pas quoi payer, mais la personne à qui j'ai donné l'argent,
04:14il a été gentil, il m'a libéré dans un premier temps en prison, et après il m'a
04:20demandé à ma famille de me ramener de l'argent, sauf qu'ils n'avaient plus personne qui
04:26pouvait m'amener de l'argent.
04:28Alors on a resté comme ça, il avait besoin d'au moins 25 personnes pour compléter son
04:33convoi, et il y a eu 23, 22.
04:37Ensuite le monsieur m'a demandé de partir dans le convoi, arriver ici en Europe, si
04:42tu travailles, si tu penses à moi, alors tu payes mon argent, jusqu'à aujourd'hui.
04:47Sauf que je peux vous dire que j'ai payé le monsieur, parce que quand je travaillais
04:51sur ce projet, l'argent que j'ai eu là-bas, dans un premier temps, sur ce projet de film
04:57de l'histoire de Souleymane, tout ce que j'avais comme dette, je les ai tous remboursés.
05:02Ça m'a permis de payer mon voyage, d'arriver ici, en France.
05:08Combien c'était ?
05:10En tout, normalement, je devais payer 3000 dinars, et là, normalement, ça ne vaut
05:17pas 300 euros, mais j'ai transféré 300 euros au monsieur, juste pour le récompenser.
05:24L'équipe du film de Boris Lojkin cherchait un jeune Guinéen pour incarner le rôle
05:30de l'histoire de Souleymane.
05:32Ils ont vu 200 personnes, vous n'êtes pas le seul acteur non professionnel du film.
05:37Ils vous ont vu, ils vous ont choisi tout de suite.
05:42Le dernier refus de régularisation, il est tombé juste avant le festival de Cannes.
05:47Ce qu'il faut savoir, c'est que quand le film a été projeté à Cannes, standing
05:51ovation, ça veut dire tout le monde debout, en applaudissant, en hurlant.
05:56Environ 15 minutes.
05:58Pour moi, c'était quelque chose de très grand, très fort.
06:02Je n'avais jamais eu de larmes.
06:04Ce qu'il faut dire, hors du prix même, c'est que le public à Cannes nous a récompensé
06:13une forme d'accueil que je n'avais jamais assistée auparavant.
06:17Quand j'ai vu les gens se mettre debout, les mamans, les papas se mettre debout, plaquer
06:22les mains pendant 15 minutes, moi, sincèrement, ça m'a ému.
06:28Et vous avez levé le poids ?
06:30J'ai levé le poids juste pour montrer que j'ai travaillé sur un projet dont je ne
06:35pensais même pas y arriver.
06:37En même temps, j'ai travaillé avec des équipes qui se sont engagées à surmonter
06:43ce projet.
06:44Pour moi, c'était une récompense que le public nous a donnée, qui m'a beaucoup,
06:50très, très touchée.
06:52Et puis, Boris Lojkin, il a intégré de votre histoire dans l'histoire de Suleyman.
06:56C'est-à-dire que dans cette scène absolument extraordinaire où vous êtes face à la
07:02représentante de l'OFPRA, où vous allez plaider votre demande de droit d'asile, vous
07:07racontez un peu de votre histoire.
07:09Oui.
07:10Sauf que…
07:11Dur.
07:12Oui.
07:13C'est compliqué.
07:14C'est très dur, c'est un moment très dur.
07:15Sauf que vous n'avez plus votre maman.
07:18Oui, tout à fait.
07:19Maman est décédée en 2019.
07:21Alors, en ce qui concerne mon histoire dans l'histoire de Suleyman, c'est quelque
07:25chose qu'on en a beaucoup parlé bien avant le projet.
07:28Boris m'a demandé de lui parler de mon parcours sincèrement.
07:32Et c'est ce que moi j'ai fait.
07:34À mon arrivée ici en France, les autres, peut-être ils cherchent à expliquer d'autres
07:39choses pour obtenir des papiers.
07:41Moi, j'ai l'habitude d'expliquer des choses qui ne existaient pas dans ma vie.
07:45J'ai expliqué ce qui s'est passé entre moi et ma mère.
07:47Vous avez été sincère.
07:48Raison qui m'a poussé à quitter mon pays.
07:50C'était le problème de ma mère.
07:52Quand je suis arrivé en France, j'ai posé le même sujet.
07:56Je n'ai rien changé.
07:57Apparemment, ces sujets ne me permettaient pas d'obtenir le titre ici en France.
08:04Mais vous avez raconté votre histoire.
08:06J'ai raconté mon histoire.
08:08Pour moi, c'était une manière de montrer aux gens que je suis quelqu'un qui est arrivé en France.
08:19Quand vous les aurez, ces papiers, j'espère, vous recommencerez le cinéma ?
08:28Le cinéma, pour être tout à fait honnête avec vous, moi le cinéma, ce n'est pas parce que...
08:33Aujourd'hui, j'aime le cinéma.
08:35Puisque ça m'a permis d'être avec vous sur ce plateau.
08:39Mais moi, mon rêve aujourd'hui, quand j'aurai mes papiers, la première des choses que j'ai
08:45envie de faire, que je vais faire surtout, c'est d'aller au garage.
08:48Parce que, ce qu'il faut bien dire, depuis trois ans, il y a un garage qui me cherche.
08:54Donc, je vais bosser pour ce garage-là.
08:57Voilà.
08:58L'histoire de Souleymane sort au cinéma mercredi.
09:01C'est un film de Boris Lojkin.
09:02C'est un film France Inter et c'est un très très beau film.
09:05Merci Sangaré.
09:06Merci à vous également.
09:07Et merci Sonia.
09:087h50.