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Assemblée de Chants et Contes organisée par le Groupement Culturel Breton des Pays de Vilaine à Tréhorenteuc au Brocéliande Café, le 12 octobre 2024. Une sélection de Contes, Chants et Menteries pour participer à la Finale de la Bogue d'Or qui se déroulera à Redon du 22 au 27 Octobre 2024.

© Trigone Production - Octobre 2024 * Réal Christophe Hoyet

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Amusant
Transcription
00:00C'est maintenant que tu comprends, tu n'as pas compris qu'elle t'aimait, et t'as tout
00:10gâché.
00:11T'en es vraiment sûr ? Peut-être que tu peux y arriver, tu as fait cent trois pas.
00:19En Bretagne, comme en Laponie, comme partout dans le monde, il y a des créatures qu'on
00:24préférait ne jamais rencontrer.
00:27Aussi, à la nuit tombée, on évite les abords des étangs et des rivières parce qu'on le
00:35sait ici, c'est là que sévissent les lavandières.
00:38Elles précèdent toujours l'encou, le faucheur, le serviteur de la mort qui vient chercher
00:45ceux que les lavandières ont piégés.
00:47Il existe d'innombrables histoires autour des lavandières en Bretagne, et il en est
00:54que tout le monde connaît.
00:55Moi aussi, je la connaissais, jusqu'à ce que mes voisins m'en racontent une version
01:00différente.
01:01C'est ce que je vais vous raconter ce soir.
01:03C'est une histoire qui m'a été racontée à deux voix parce que ma voisine, elle parle
01:07quand même mieux le galop que le français.
01:08Un matin d'automne, autour d'un café, voilà ce qu'ils m'ont dit.
01:14Au milieu du XXe siècle, dans la maison que j'occupe actuellement, vivait un homme
01:19qu'on appelait Menoudi.
01:21Il avait mauvaise réputation, mais nous, il aimait boire, dormir et manger, boire surtout.
01:31Seulement, voilà, à force de vider les tonneaux et le garde-manger, il fallait bien les remplir.
01:36Alors, il avait une coutume.
01:37À l'automne, un paysan de très haut rang de toque l'embauchait pour ramasser les feuilles.
01:42Alors, un bon matin d'automne, Menoudi se lève pour faire sa journée de travail.
01:47En guise de petit-déjeuner, il boit une bolette.
01:50À ce moment de l'histoire, mon voisin file un coup de coude comme ça à ma voisine.
01:54Il me regarde et il me dit, ma fille, il faut que tu saches...
01:57Il m'appelle ma fille.
01:58Des fois, il m'appelle jeune-fille.
02:02Donc, il me dit, ma fille, il faut que tu saches quand même qu'ici, on ne boit pas une bolette.
02:06Ce serait ridicule, on est en Bretagne.
02:08Alors, on boit deux bolettes.
02:10Mais ici, on connaît les dictons et on les respecte.
02:13Jamais deux.
02:14Alors, on boit trois bolettes.
02:16Mais je chiffre trop, on n'aime pas trop, ça porte malheur.
02:20Alors, on boit quatre bolettes.
02:23Et il me dit, si dans ta bolette, tu as mis de la goutte et pas du cidre,
02:26crois-moi, au bout de quatre, ce n'est plus à combien tu en es.
02:28Et tu recommences comme ça, ça peut durer toute la journée.
02:31Tout le monde sait ce que c'est la goutte.
02:33Moi, j'appelle ça le dissolvant.
02:35Sinon, on boit, je ne peux plus.
02:39Alors, notre Menoudi se lève, il boit ses quatre bolettes en guise de petit-déjeuner
02:43et enfin, il va accomplir sa journée de travail.
02:46De chez moi, enfin de chez lui, à Tréhorentuc, il y a une dizaine de kilomètres,
02:50il faut traverser une très belle vallée qu'on appelle la vallée des Portes
02:53et une autre vallée tout aussi jolie que l'on appelle la vallée d'Hiroko,
02:57plus connue aujourd'hui sous le nom de Val Sans Retour.
03:00Mais nous, ainsi, parcours ces dix kilomètres, il arrive à Tréhorentuc,
03:04il est évidemment essoufflé et surtout assoiffé.
03:07Alors, avant d'aller travailler quand même, il s'arrête au bistrot
03:09et il va boire, vous avez compris, une, deux, trois, quatre bolettes.
03:13Et il va travailler.
03:15Bon, il a l'habitude, notre gars, parce qu'il travaille bien,
03:17il travaille même tellement bien que le paysan, à la fin de la journée,
03:19il est content et il invite au bistrot pour boire.
03:23Seulement, au bistrot, ils ne sont pas tous seuls, Yann est là,
03:25ils vont se lire, enfin, il y a des tas de gars que le menu,
03:27il n'a pas l'habitude de voir parce qu'il ne sort pas trop de chez lui.
03:29Il est content quand même de les voir.
03:31Alors, on enchaîne les bolets et les tournées et il en va des tournées.
03:35Comme des bolets, ça peut durer indéfiniment comme ça, ça ne s'arrête jamais.
03:40La nuit est tournée depuis longtemps,
03:42quand le menu, il se retrouve tout seul dans les rues de Tréhorentuck.
03:44Les autres gars, ils sont rentrés chez eux parce qu'ils sont d'ici,
03:46mais lui, il n'est pas d'ici.
03:48Il est de chez moi, il est de Beauvais.
03:50Et il doit rentrer par les chemins, par les chemins de la forêt,
03:52par la route, ce serait bien trop long.
03:55Alors, le voilà qui prend la direction de la vallée du Roco.
04:00Bon, il ne marche pas très droit.
04:02Il titube, il trébuche, il marche de travers, parfois même à l'envers.
04:05Et alors, le deuxième coup de coude de mon voisin à ma voisine,
04:09qui la coupe et qui me dit,
04:11est-ce que tu sais ma fille, pourquoi les chemins comme ça chez nous,
04:13ils sont si signeux ?
04:15Bah non.
04:17C'est parce que quand on sort du bistrot et qu'on est tout chaud de beurre,
04:19bourré,
04:21on ne marche pas bien droit.
04:23Si les chemins étaient tous droits comme ça, on finirait vite dans le fossé,
04:25alors ils sont tous tordus pour nous aider à rentrer chez nous.
04:29Alors le menu, comme ça, il prend le chemin du Val,
04:31il marche tant bien que mal, vous avez compris,
04:33tant bien que malin.
04:35Il arrive jusqu'au bout de cette belle vallée,
04:38et là, il y a un étang,
04:40et c'est à ce moment-là qu'il entend un étrange bruit
04:42qui déchire comme ça le silence de la nuit.
04:46Alors le menu s'arrête,
04:48il s'approche de l'étang
04:50et il distingue, là, à genouillé au bord de l'eau,
04:52trois silhouettes.
04:54Et je vous l'ai dit, il est ivre, le menu,
04:56alors il se dit, tiens, des lavandières,
04:58des jeunes filles.
05:00Ça lui fait plaisir de croiser des jeunes filles,
05:02et de savoir pourquoi.
05:04Alors, il se cache un peu comme ça,
05:06il a donc l'idée de les surprendre,
05:08et puis au moment où il allait les interpeller,
05:10l'énorme nuage qui cachait la lune
05:12se dissipe,
05:14maintenant toute la scène est éclairée par les rayons d'argent,
05:16elles ne sont pas du tout des jeunes filles,
05:18pas du tout, non,
05:20ce sont des spectres, oh, il les voit bien,
05:22elles ont la face livide,
05:24les yeux creux, la peau,
05:26le corps décharné,
05:28elles ont de longs doigts effilés en sanglotter,
05:30des lavandières de nuit,
05:32comme nous tous, il en avait entendu parler,
05:35il n'ose à peine y croire, le voilà tout tremblant,
05:37il sait qu'il doit fuir, elles ne doivent pas le voir,
05:39alors,
05:41il a quand même été saoulé de moitié,
05:43il recule,
05:45mais en reculant,
05:47il trébuche, en trébuchant,
05:49il tombe, le voilà étalé de tout son long,
05:51il ne s'est pas encore relevé que les trois lavandières
05:53sont là autour de lui, elles l'ont encerclée,
05:55elles ricanent en le voyant,
05:57elles se disent, oh,
05:59un homme étouffré avec ça,
06:01parce qu'elles ont de l'humour, les lavandières.
06:05Et il y en a une qui lui tend un drap,
06:07elle lui dit, viens, viens amener-nous,
06:09tordre les draps avec nous,
06:11et il sait bien qu'il ne doit pas accepter,
06:13d'ailleurs, il aimerait bien décliner l'invitation,
06:15mais enfin, il a l'air un peu coincé, quand même,
06:17le pauvre, il tremble tellement, qu'il sent ses os
06:19à l'intérieur de lui, qu'il s'entrechoque,
06:21péniblement, il se relève,
06:23et dans la tête,
06:25il a les paroles de sa grand-mère, il n'y a même pas pensé,
06:27elles sont revenues comme ça, toutes seules,
06:29c'est vrai que, gamin,
06:31il n'écoutait pas grand monde, le Menou,
06:33il l'écoutait parce qu'elle racontait de chouettes histoires,
06:35et tout d'un coup, ça lui revient,
06:37Mémé, elle disait, si un jour, tu croises des lavandières,
06:39et qu'elles te tendent un drap,
06:41surtout, ne le saisis pas,
06:43le voilà debout,
06:45et puis, il regarde ses mains, il ne sait pas comment ça s'est produit,
06:47c'est à faire, mais dans les mains, il voit bien qu'il tient un drap,
06:49et il y a les paroles de sa grand-mère,
06:51qui continuent comme ça,
06:53et elle disait, de toute manière, le drap, tu n'auras pas le choix,
06:55tu le saisiras malgré toi, parce qu'elles t'auront envoûté,
06:59et elle avait dit aussi,
07:02quand tu l'auras dans tes mains, surtout ce drap,
07:04ne les sors pas, pas une seule fois,
07:06tu ne dois tomber à terre,
07:08parce que ce drap, si tu les sors, il deviendra ton linceul de mort,
07:10il se collera comme ça, à tes mains, à tes bras,
07:12à ton corps tout entier, et tu finiras
07:14broyé, noyé,
07:18il se révèle de sale, Ménou,
07:20je vais faire une petite parenthèse importante, quand même,
07:22parce que si jamais vous tombez sur une lavandière,
07:24en Bretagne, il faut d'abord que vous sachiez où vous êtes,
07:26parce que dans certaines paroisses,
07:28il ne faut pas les saurer,
07:31si vous êtes chez nous, il ne faut pas les saurer,
07:33si vous êtes ailleurs, il ne faut pas tordre vers la gauche,
07:35c'est important,
07:39alors le Ménou, il voit bien que la lavandière,
07:41elle commence à tordre, alors il suit tous ses mouvements,
07:43il ne faut pas les saurer, pas une seule goutte
07:45ne doit tomber à terre, il suit tous ses mouvements,
07:47et elle tord, et de droite, et de gauche, elle essaye de le perdre,
07:49évidemment, il ne va jamais y arriver,
07:51il ne va pas s'en sortir,
07:53et pourtant,
07:55il s'acharne, il tord,
07:57il garde l'attention, d'un sens,
07:59de l'autre, pas une goutte n'est tombée à terre jusqu'à présent,
08:01alors il continue le Ménou,
08:03et il est en train de se dire comme ça que finalement,
08:05il tient plus à la vie qu'il semblait lui-même le croire,
08:07alors, il continue à tordre,
08:09et d'un sens, et de l'autre,
08:11et d'un sens, et de l'autre,
08:13et même quand ses doigts sont engourdis,
08:15même quand son corps est tout transi,
08:17il continue à tordre,
08:19et il va se passer quelque chose d'extraordinaire,
08:21cette nuit-là, parce que cet homme
08:23dont tout le monde s'accorde à dire
08:25que c'est un bon à rien,
08:27cet homme dont la seule volonté
08:29c'est de boire, dormir et manger,
08:31cet homme-là dont les mains n'ont pas
08:33l'habitude de travailler,
08:35il va tordre, il va tordre
08:37comme ça, jusqu'à,
08:39jusqu'au moment où il sent que ses forces
08:41sont en train de l'abandonner,
08:43et là, juste là, il voit l'horizon
08:45pointer le premier rayon du soleil,
08:47il a gagné,
08:49l'encoût ne viendra pas le chercher, il a réussi,
08:51il a gagné,
08:53il pousse un cri de joie,
08:55un cri de grandir, un cri de dépit,
08:57le soleil s'est levé sur la forêt,
08:59elles ont perdu,
09:01elle et ses trois compagnes
09:03s'évanouissent dans les derniers fragments de la nuit,
09:05et Menou,
09:07il s'évanouit lui aussi,
09:09il tombe,
09:11et c'est là surtout où la version diffère,
09:13dans la version que tout le monde connaît,
09:15le Menou,
09:17il est emporté par l'encoût,
09:19mais mes voisins, ils m'ont dit, c'est pas du tout ça qui s'est passé,
09:21Menou, il a été récupéré
09:23par deux bûcherons, qui l'ont ramené chez lui,
09:25parce qu'il était connu comme le mou blanc ici, évidemment,
09:27ils l'ont ramené,
09:29et pendant un mois, il est resté alité,
09:31et les voisins se sont relayés
09:33pour le nourrir, l'abreuver, enfin s'occuper
09:35de lui, et je leur ai dit,
09:37on m'avait dit au début de l'histoire que
09:39vous l'aimiez pas bien parce qu'il était pas très serviable,
09:41pas très aimable,
09:43ils m'ont dit, bah ouais,
09:45mais le Menou, il a été retrouvé au bord de l'étang,
09:47il était entortillé
09:49dans un drap, ses cheveux, ils avaient blanchi,
09:51ça faisait aucun doute, il avait été au prison
09:53avec la lavandière, et il s'en était sorti,
09:55et ça s'était jamais arrivé,
09:57non, jamais,
09:59alors il avait acquis
10:01un statut, comme qui dirait, de héros,
10:03bon d'accord,
10:05alors ils se sont occupés de lui,
10:07et puis au bout d'un mois, le Menou, il s'est relevé comme ça,
10:09droit comme un inuit, il avait
10:11changé, c'était plus le même homme,
10:13déjà, à partir de ce jour-là, il a plus bu
10:15une seule goutte de goutte,
10:17et puis
10:19il était devenu
10:21plus aimable, plus serviable,
10:23il était là, quoi, il était présent
10:25avec les gens du hameau,
10:27je vis dans un tout petit hameau, il y a 5 maisons,
10:29il était là,
10:31puis un beau jour, longtemps après,
10:33Menou, il a pris un
10:35bâton, au bout du bâton, il a mis un baluchon,
10:37et il a annoncé à tout le monde
10:39qu'il partait faire le tour de la forêt,
10:41et puis quand il aurait fini de faire le tour de la forêt,
10:43il était le tour de la Bretagne,
10:45et pourquoi il a-t-on dit ?
10:47Ben, pour raconter,
10:49pour prévenir, pour dire,
10:51avertir,
10:53dire à tous les hommes
10:55à quel point il est dangereux
10:57d'aller picoler au bistrot,
10:59et de rentrer par les chemins
11:01tout chaud de beurre, tout bourré,
11:03à la nuit tombée.
11:07Quand ils ont terminé cette histoire,
11:09alors j'ai gardé en mémoire que cet homme-là
11:11il vivait dans la maison où j'habite, bien sûr,
11:15je ne l'aurais pas demandé,
11:17je ne l'aurais pas demandé si cette histoire, elle, était vraie,
11:19il la tenait de leur mère et de leur grand-mère.
11:21Je ne l'aurais pas demandé,
11:23vous savez pourquoi ?
11:25Parce que je pars du principe que
11:27toutes les histoires sont vraies
11:29tant qu'elles sont racontées.
11:31Merci.

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