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Dans son enquête entremêlée à son histoire personnelle, la journaliste, elle-même sœur de plainte, s'intéresse aux relations entre co-victimes dans les affaires de violences sexistes et sexuelles. Un lien particulier et unique qui peut "offrir un horizon de partage, de réparation et de beauté".
Transcription
00:00Avec le procès dit de Mazan et Gisèle Pellicot,
00:02finalement, si ce procès a lieu, c'est parce qu'une sœur de plainte
00:05a osé dénoncer Dominique Pellicot qui filmait sous sa jupe.
00:09Sœur de plainte est un livre d'enquête journalistique
00:12qui a été écrit à partir de multiples entretiens
00:15avec une soixantaine de sources, victimes, magistrats, avocats, etc.,
00:20qui est né d'un constat qui est que nulle part,
00:25ni dans la littérature, ni dans le cinéma, ni dans la musique,
00:29on abordait les questions de qu'est-ce qui se passe dans une relation
00:32entre deux personnes ou plus qui dénoncent un même agresseur.
00:36C'est une relation qui existe.
00:37On voit de multiples affaires dans les médias,
00:39PPDA, Depardieu, Norman, Benoît Jacot, Léo Grasset, etc.
00:44Et pourtant, on ne sait pas ce qui lie ou pas
00:48les personnes qui dénoncent un même agresseur
00:51et quelles peuvent être les manifestations et les conséquences de cette relation.
00:55On entend énormément de noms comme ça,
00:57d'hommes avec un nombre de témoignages.
01:00X femmes dénoncent, X femmes ont porté plainte.
01:03Mais on ne sait rien de ce qu'il y a derrière ces nombres,
01:06à part certains faits relayés dans la presse ou dans des plaintes.
01:10Et pourtant, c'est une relation qui existe et qui a ses propres enjeux,
01:13ses propres questions, et intimes et judiciaires.
01:15Et c'est ça que ce livre traite,
01:17puisqu'en fait, il n'y en avait aucun traitement, aucun indice,
01:21aucun travail qui le racontait nulle part ailleurs.
01:24On se rend compte que toutes les grandes affaires,
01:26même de viols dans l'histoire française,
01:28il y avait des sœurs de plainte impliquées.
01:30Par exemple, avec le procès dit de Mazan et Gisèle Pellicot.
01:33Si ce procès a lieu, c'est parce qu'une sœur de plainte
01:35a osé dénoncer Dominique Pellicot qui filmait sous sa jupe.
01:39C'est aussi une enquête journalistique qui est mêlée à mon récit personnel,
01:42puisque j'ai été confrontée à ces questions lorsqu'une femme m'a écrit
01:47et m'a annoncé qu'elle était ma co-victime.
01:50Et nous sommes devenues sœurs de plainte.
01:52Le moment où on découvre qu'on n'est pas la seule victime
01:54est toujours un moment assez fort,
01:56où se mêle un sentiment à la fois de soulagement,
01:59de se dire qu'on n'a pas rêvé, on n'a pas exagéré,
02:02il nous est vraiment arrivé ça,
02:03et puis peut-être qu'on va nous croire,
02:04maintenant qu'il y a plusieurs récits qui racontent la même chose.
02:07Et en même temps, un sentiment de souffrance horrible,
02:10parce qu'on sait que l'autre personne a vécu quelque chose de similaire à nous.
02:14Un certain nombre de mes sources m'ont aussi expliqué
02:16qu'on pouvait ressentir un énorme sentiment de culpabilité
02:18quand on apprend qu'on n'est pas seule,
02:20surtout quand on est le ou la première à avoir subi l'agression,
02:25puisqu'on se dit que si on avait parlé plus tôt,
02:27peut-être qu'on aurait évité ce qu'ont subi nos frères ou sœurs de plainte.
02:30La relation de co-victime, de sœur ou frère de plainte
02:34peut offrir vraiment un horizon de partage et de réparation et de beauté.
02:40Vraiment, j'ai voulu raconter ça aussi dans le livre,
02:42des scènes magnifiques, des scènes qu'on n'imagine pas pouvoir vivre
02:48quand on a été victime et qu'on a subi un traumatisme,
02:52que cette relation rend possible.
02:53Et en même temps, c'est aussi une relation qui peut offrir des perspectives judiciaires,
03:00un espoir que les choses se concrétisent,
03:02mais malheureusement, ce n'est pas toujours si simple.
03:03C'est une relation qui est teintée de paradoxes sur le plan judiciaire,
03:07parce qu'à la fois, le fait de ne pas être la seule victime crédibilise notre parole,
03:11et en même temps, ça expose à une ligne de défense
03:15de la part des avocats et avocates des mises en cause,
03:19qui est celle du complot,
03:21complot de victime qui se serait unie pour dénoncer quelqu'un
03:26dans le but par vengeance ou dans un but d'y gagner quelque chose,
03:31ce qui ne se vérifie pas du tout.
03:32Ça peut se retourner contre les co-victimes,
03:36et ça, c'est quelque chose de très violent.
03:38La relation de sœur de plainte, c'est vraiment un nouveau type de relation.
03:41Ce n'est pas que de l'amitié, ce n'est pas que de la collaboration judiciaire,
03:44ce n'est pas un lien familial,
03:46en fait, il n'y a pas de case à laquelle ça correspond.
03:50J'ai découvert, en sondant toutes les histoires que je raconte dans mon livre,
03:54que cette case-là a vraiment quelque chose de particulier
03:57dans l'intensité positive ou négative qu'elle suscite.
04:00Ça me fait penser, par exemple, au moment de la plainte,
04:02quand une des sœurs de plainte décide de déposer plainte,
04:05d'aller livrer son témoignage aux autorités.
04:08Il y a plusieurs de mes sources qui racontent qu'en sortant de ce moment,
04:12qui est un moment très important, qui peut être déstabilisant,
04:14et très difficile, devant la police, etc.,
04:18la seule personne à qui elles pouvaient parler, c'est leur sœur de plainte,
04:21même si elles ne se connaissent pas bien.
04:22Il ne faut pas croire que la relation de sœur de plainte,
04:25c'est quelque chose de béni-oui-oui, de tout rose, tout beau.
04:28Il ne faut pas occulter les difficultés qu'il peut y avoir,
04:32qui sont dues éventuellement aux difficultés de la machine judiciaire,
04:37qui a du mal à prendre en compte ces récits-là, même ceux de co-victimes.
04:40Elles n'ont pas forcément le même tempo judiciaire,
04:43quand il y en a une qui dépose plainte,
04:45peut-être que ce n'est pas le moment pour l'autre,
04:47alors que ça pourrait solidifier le dossier pour tout le monde.
04:49Ça, c'est des choses qu'il faut respecter, mais qui peuvent être vécues comme des trahisons.
04:53Et c'est ce qui fait vraiment le caractère inédit,
04:56singulier de la relation entre sœurs de plainte.
04:58Dans le livre, je prends une image qui est vraiment toute bête,
05:00qui est celle de l'odeur de la fleur d'oranger.
05:03C'est une odeur que je trouve merveilleuse, miraculeuse,
05:07et que je ne supportais plus,
05:09parce qu'elle évoquait le gel douche de l'homme
05:12contre lequel j'ai déposé plainte.
05:14J'ai observé que, depuis tout ce parcours avec ma sœur de plainte,
05:18depuis nos échanges, le fait d'avoir avancé, etc.,
05:23fait que ce genre de petit trauma qui, en fait, dit tout, a disparu.
05:27Et aujourd'hui, je peux réapprécier cette odeur qui signifiait beaucoup pour moi.
05:33Je trouve que c'est un détail merveilleux.

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