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Le Degré au-Dessus de Zéro interroge : où met-on le curseur et à partir de quand on dit stop face au côté systémique et culturel des violences faites aux femmes et aux enfants ?
Des témoignages de dizaines de femmes, d’âges et de conditions différentes, sont reliés par le corps et la voix d’une seule. En introduction, une présentatrice évoque des faits qui paraissent anecdotiques et d’une banalité quasiment quotidienne pour des dizaines de millions de femmes. Peu à peu les témoignages se font plus intimes, plus marqués et les récits glissent dans ce qui heurte davantage, qui choque. Là encore, on se dit qu’au fond "il n’y a pas mort d’homme". L’étau se resserre et ce qui débutait comme un divertissement devient l’espace du théâtre : la lumière se concentre, la présentatrice devient toutes ces femmes qui racontent - sans jamais se plaindre - ce qu’elles ont eu à subir comme spectre de violences.
Au-delà des faits et des chiffres, le public ne peut qu’être bousculé dans son positionnement au quotidien et chacun de se poser la question : et moi, à partir de quand je dis stop ?

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Transcription
00:00:30...
00:00:45Bonjour. Bienvenue.
00:00:50Je suis très heureuse de vous retrouver aujourd'hui
00:00:53pour vous parler d'un sujet qui me touche particulièrement
00:00:57et qui nous concerne tous.
00:00:59Mais pour commencer, est-ce que vous avez bien...
00:01:02Commencez cette journée, vous.
00:01:04Oui. Tout le monde a été gentil avec vous ?
00:01:08Oui, on vous a dit bonjour, merci, s'il vous plaît.
00:01:12On vous a respecté, que ça soit chez vous, à l'extérieur ?
00:01:15Oui.
00:01:16Très bien.
00:01:17Pas normal. Pas normal.
00:01:21100 %,
00:01:2394 000,
00:01:2480 %,
00:01:26560 000,
00:01:281 sur 5.
00:01:29Ça vous dit quelque chose ? Non ?
00:01:32Ce sont des données françaises,
00:01:34mais vous allez comprendre au cours de ce spectacle.
00:01:36On va commencer par la première donnée, 100 %.
00:01:40100 % des femmes, parce qu'elles sont femmes,
00:01:44sont victimes de violences de la part d'hommes.
00:01:47Que ce soit des violences sexistes, sexuelles,
00:01:51physiques ou psychiques.
00:01:53Alors, bien évidemment,
00:01:55100 % des hommes ne sont pas responsables de ces violences.
00:02:00D'autres ne s'en rendent même pas compte.
00:02:02Quand je donne cette information,
00:02:04certaines femmes me disent...
00:02:07Ben non, pas moi.
00:02:10Jamais insultées ou emmerdées dans la rue, mesdames ?
00:02:15Jamais ?
00:02:16Si ?
00:02:17Jamais vu d'exhibitionnistes ?
00:02:19Si.
00:02:21Jamais subi des réflexions sexistes au travail ou ailleurs ?
00:02:25Si.
00:02:26Oui.
00:02:28Mais ça, c'est rien.
00:02:29Où met-on le curseur ?
00:02:32À quel point a-t-on intégré
00:02:33que certaines violences sont acceptables pour les femmes,
00:02:37alors que la plupart des hommes n'en supporteraient pas la moitié ?
00:02:40Et ils ont raison.
00:02:43Moi, quand je rentre tard, le soir, seule, dans la rue,
00:02:47je ne suis pas tranquille.
00:02:48J'ai peur si je ne croise personne
00:02:52ou si je croise quelqu'un.
00:02:54Je fais comme beaucoup de femmes.
00:02:56Je prends mes clés et je les fais dépasser
00:02:58entre mes doigts, un peu à la Wolverine.
00:03:01J'hésite entre mettre des baskets pour pouvoir courir vite
00:03:04ou des talons hauts pour faire mal si on m'agresse.
00:03:07Et si je me mets en jupe, je ne peux pas m'empêcher de me dire
00:03:12que je prends plus de risques.
00:03:13Je le fais quand même car on peut s'habiller comme on veut.
00:03:16Mais si ça se passe mal,
00:03:18je sais que je le regretterai.
00:03:2280 % des femmes
00:03:26sont victimes de harcèlement sexuel dans la rue
00:03:30et 80 % des femmes de 18 à 25 ans
00:03:33ont peur de rentrer seule le soir chez elles.
00:03:38Et 25 % chaque année
00:03:42subiront une violence sexiste ou sexuelle
00:03:46dans les lieux publics.
00:03:49Certains hommes me disent
00:03:52qu'on ne peut plus draguer.
00:03:54Bien sûr que si, draguez-nous.
00:03:56Mais...
00:03:59toucher sans demander, ça n'est pas draguer.
00:04:01Insulter après un refus, ça n'est pas draguer.
00:04:04Et insister quand on vous a dit non,
00:04:08ça n'est plus draguer.
00:04:10Un exemple.
00:04:11Tu es dans la rue
00:04:13et un type te fait...
00:04:14Eh ! Mademoiselle,
00:04:17vous êtes tout à fait charmante.
00:04:19Je peux vous payer une limonade ?
00:04:21Non, merci, c'est gentil.
00:04:23Il m'attrape par le bras. Pourquoi tu veux pas ?
00:04:26Je suis pressée, j'ai pas envie. C'est très gentil, merci.
00:04:30Mais... Non, merci. Désolée.
00:04:32Il m'attrape par le manteau et me colle contre le mur.
00:04:36Mon souffle est coupé, mon coeur s'emballe,
00:04:39envie d'uriner.
00:04:40Des tas de gens passent, personne ne s'arrête.
00:04:43Ils m'insultent,
00:04:45ils me reposent
00:04:48et ils partent.
00:04:50C'est quand même fou qu'en tant que femme,
00:04:53on en arrive à remercier nos harceleurs,
00:04:56voire à s'excuser.
00:04:57Non, merci, c'est gentil. Désolée.
00:05:00Pourquoi je n'ai pas eu le cran de le remettre à sa place ?
00:05:04Si à chaque fois qu'un homme harcelait une femme,
00:05:07il s'en prenait une, il arrêterait vite.
00:05:09Mais dans la plupart des cas, il ne se passe rien.
00:05:12Les passants ne réagissent pas et nous ne nous défendons pas ou mal.
00:05:16Alors pourquoi ça s'arrêterait ?
00:05:20Un autre exemple.
00:05:22Tu es dans le métro, tu bouquines, tranquillement.
00:05:27Tu lèves les yeux de ton livre et là, tu te rends compte
00:05:30que le gars en face de toi est en train de se masturber
00:05:33en te regardant.
00:05:36Tu lui dis...
00:05:38Qu'est-ce que vous lui dites ?
00:05:41Rien ?
00:05:42Elle est un peu bloquée, hein ?
00:05:45Si vous êtes en colère, il n'y a pas de petite chose qui vous vient ?
00:05:49Non ?
00:05:50-"Gros dégueulasse".
00:05:51-"Gros dégueulasse".
00:05:53Oui, ça, on le pense, en tout cas.
00:05:55Si on n'ose pas le dire, on le dira.
00:05:57Je vais essayer de faire simple.
00:05:59Fermez votre braguette tout de suite.
00:06:01Il met un petit sac en plastique contre lui.
00:06:04Ah ben non !
00:06:05Je n'ai pas dit de juste la cacher, j'ai dit de fermer la braguette.
00:06:10Dans le wagon, certains rigolent, aucun n'intervient.
00:06:13Le gars commence à t'expliquer que c'est parce qu'il est malade
00:06:16et qu'avec toutes ces filles en mini-jupes...
00:06:19Alors, on est en plein hiver, tu portes un manteau long.
00:06:22Au temps des crinolines, il y avait déjà des exhibitionnistes.
00:06:26Si vous êtes malade, faites-vous soigner.
00:06:29Station suivante, il sort.
00:06:31Juste avant, il te regarde et te fait...
00:06:34Salope !
00:06:36Plus de 560 000 personnes
00:06:40déclarent avoir été victimes d'exhibitionnistes chaque année.
00:06:44Vous vous rendez compte ? Ca fait plus de 1 500 par jour.
00:06:48Mais comme on les dit, pas dangereux, c'est juste un pauvre type,
00:06:52c'est très peu porté à l'attention des autorités.
00:06:55Il t'a montré sa quéquette, on ne va pas en faire un drame.
00:06:58Non, mais on peut avoir envie de se promener dans la rue
00:07:03sans avoir à se retrouver avec le zizi d'un inconnu sous les yeux.
00:07:07Et enfin, on est encore moins bien outillés pour se défendre.
00:07:11Moi, j'avais 13 ans, je prenais le métro depuis peu toute seule.
00:07:16Je me suis faite courser par une bande de 7 ou 8 gars d'une vingtaine d'années.
00:07:20J'étais en jupe et collant,
00:07:22et ils m'ont courue après dans les couloirs.
00:07:25Arrivé vers les escaliers, vers la sortie,
00:07:28un a réussi à me rattraper et il a mis sa main au niveau de ma culotte.
00:07:32J'ai été saisie, j'ai eu très peur.
00:07:35Est-ce que vous imaginez juste une seconde,
00:07:38une bande de filles d'une vingtaine d'années
00:07:41courir après un gamin de 13 ans pour lui mettre la main aux fesses ?
00:07:45Non ? Ben non, parce que ça n'existe pas.
00:07:49Nous, toutes petites, on nous fait comprendre
00:07:52que nous sommes des proies potentielles, fragiles, sans défense,
00:07:56que c'est dans l'ordre naturel de se faire emmerder par les hommes.
00:08:00Il se fait tard, fais attention quand même.
00:08:02Elle est pas un peu courte, ta jupe ?
00:08:04Les garçons y cherchent, c'est normal.
00:08:07Si on apprenait à nos filles à se défendre,
00:08:10si on apprenait à nos enfants
00:08:12qu'une femme peut ne pas être une proie potentielle,
00:08:16peut-être que ce serait différent.
00:08:20Mais bon, ça, c'est dans la rue, mais au travail.
00:08:24Moi, quand j'ai commencé, j'étais étudiante,
00:08:27mon premier travail, ça a été hôtesse.
00:08:30Alors, quand tu es hôtesse,
00:08:32non seulement tu es une femme, mais tu es forcément une idiote.
00:08:36Tu es mise dans une position de potiche qui ne sert à rien.
00:08:40Je pouvais être postée pendant des heures,
00:08:43en plein courant d'air, sans bouger,
00:08:46à juste sourire et à dire bonjour et au revoir aux gens.
00:08:51Les gars te prennent en photo, sans te demander, comme une plante.
00:08:55Ils prennent en photo les voitures et les filles.
00:08:58Et j'ai notamment fait le salon du deux-roues.
00:09:02Alors, c'est le salon de la voiture en pieds.
00:09:07On m'avait habillée avec un mini-short
00:09:11mis sur un tabouret haut.
00:09:13Et au-dessus de moi, il était écrit F, lubrifiant.
00:09:19Pendant dix jours.
00:09:21Alors, ça lubrifie bien, F.
00:09:25Et moi, je restais là, comme une gourde,
00:09:28à distribuer mes petits fascicules en souriant.
00:09:31A la fin du salon, j'ai dit à l'agence
00:09:34que je veux une prime humiliation.
00:09:37Eh bien, ils ont bien rigolé.
00:09:4280 % des femmes sont régulièrement confrontées
00:09:46à des comportements sexuistes dans leur lieu de travail.
00:09:5132 % des femmes seront victimes de violences sexuelles
00:09:56ou sexistes au cours de leur carrière.
00:09:595 % seulement des cas seront portés devant la justice.
00:10:04Et 95 % des femmes perdraient leur emploi
00:10:09après avoir dénoncé les faits.
00:10:14Je suis représentante du personnel.
00:10:17Je ne m'attarderai pas sur les inégalités salariales,
00:10:21sur les plafonds de verre, les métiers sous-payés,
00:10:24où les femmes sont surreprésentées
00:10:26avec des horaires fractionnés, des temps partiels.
00:10:29Mais prenons en compte
00:10:31que c'est aussi une forme de violence sociétale
00:10:34envers les femmes.
00:10:37Dans mon entreprise, il y a 80 % d'hommes.
00:10:40Je vous passe les blagues, les réflexions déplacées.
00:10:44Ah, tu réponds pas à mes avances ?
00:10:46Attention à ta carrière ?
00:10:48Non, je rigole.
00:10:50Ou pas.
00:10:52Dans le cadre de mes fonctions, j'ai aidé une salariée.
00:10:55Son supérieur hiérarchique lui mettait régulièrement
00:10:58les mains aux fesses.
00:11:00Ses collègues de service en étaient témoins.
00:11:02Quand elle leur a demandé des témoignages écrits,
00:11:06aucun n'a accepté.
00:11:08Femmes comprises.
00:11:12J'ai également accompagné une jeune femme
00:11:16qui a été victime durant des mois
00:11:20de harcèlement sexuel de la part d'un collègue.
00:11:24Nous avons réuni toutes les preuves,
00:11:27toutes les procédures.
00:11:29Nous avons suivi toutes les procédures.
00:11:32Les SMS, les mails que le collègue lui avait envoyés jour et nuit,
00:11:36le sextoy qu'il a déposé le jour de son anniversaire
00:11:40sur son bureau.
00:11:42Nous avons tout transmis à l'administration.
00:11:45Nous avons même déposé une main courante.
00:11:48J'avais une connaissance qui m'avait dit
00:11:50que tel commissariat, c'est le commissariat
00:11:53où ils ont été formés pour recevoir la parole
00:11:56des femmes victimes de violences.
00:11:58Nous nous y sommes donc rendus.
00:12:00Nous avons passé une heure là-bas.
00:12:02Le fonctionnaire de police a pris la main courante
00:12:05directement à l'accueil,
00:12:07aux vues essues de tous,
00:12:09sans intimité.
00:12:11La jeune femme a raconté l'épisode du sextoy.
00:12:16Elle a montré le mail du collègue
00:12:18qui lui proposait de lui apprendre comment ça marchait.
00:12:21Le policier lui a dit...
00:12:23Vous jugerez par vous-même si c'était pour détendre l'atmosphère.
00:12:27Je cite.
00:12:28"...de quoi vous vous plaignez.
00:12:30Vous avez quand même un collègue drôlement gentil
00:12:33qui veut bien vous expliquer ce genre de choses.
00:12:36Fallait lui dire qu'il vous montre et qu'il se le fasse à lui-même.
00:12:40Remarque, ce genre de pervers est capable de prendre du plaisir
00:12:44Voilà.
00:12:45Ca s'est arrêté là pour le commissariat.
00:12:51Notre entreprise, quant à elle, a dit à cet salarié
00:12:56que si elle ne portait pas plainte,
00:12:59ce serait réglé directement en interne et rapidement.
00:13:03Faute de quoi, elle risquait de compromettre sa carrière
00:13:07et de ne pas retrouver de poste.
00:13:09Nous avons donc négocié pour un long arrêt maladie
00:13:14et pour que cette jeune femme puisse reprendre dans un premier temps
00:13:18à 100 % en télétravail.
00:13:20Depuis ?
00:13:22Eh bien, depuis, rien n'a changé.
00:13:24L'auteur du harcèlement est toujours en place
00:13:27et charge à la victime de trouver un autre poste
00:13:31si elle veut partir.
00:13:35Le rapport de domination de certains hommes sur les femmes
00:13:39est culturel et sociétal.
00:13:42Il leur permet d'objetiser le corps de l'autre.
00:13:46Elles deviennent une chose.
00:13:48Est-ce que ce n'est pas sur ce terreau-là
00:13:51qu'insidieusement s'installent des violences plus graves ?
00:14:04J'ai été violée.
00:14:08Le soir de mes 21 ans.
00:14:12Pendant des années, c'est quelque chose qui n'a pas existé.
00:14:16Mon cerveau l'a effacé.
00:14:18Et c'est ressorti dix ans plus tard en thérapie.
00:14:25J'ai des flashes très précis.
00:14:27Je revois la scène comme si j'étais un mètre au-dessus.
00:14:33Quand j'en parle, j'ai l'impression de raconter une scène de théâtre.
00:14:39C'était un moment un peu galère de ma vie,
00:14:43le jour de mon anniversaire.
00:14:47J'étais isolée parce qu'après mon bac,
00:14:50j'avais continué mes études dans une autre ville
00:14:53et j'avais perdu le contact avec mes anciens amis.
00:14:56J'avais qu'une copine.
00:14:58Elle m'a proposé d'aller à une soirée chez un copain à elle.
00:15:02C'était tard chez lui.
00:15:04Et à la fin de la soirée,
00:15:06il ne restait plus qu'elle et moi, son copain et un pote à lui.
00:15:11Elle est partie dans la chambre avec son copain.
00:15:16Et je me suis retrouvée toute seule face à ce type.
00:15:21Le costume pas tout à fait à sa taille,
00:15:24les cheveux blonds, un peu baraqués.
00:15:27L'archétype du commercial.
00:15:30J'avais picolé.
00:15:34Je n'ai pas pu boire une goutte d'alcool pendant plus de 15 ans.
00:15:40Je lui ai dit non.
00:15:43Mais après, j'ai été incapable de le repousser ou de me défendre.
00:15:50Il m'a plaquée contre le canapé.
00:15:54Il m'a dit qu'il ne pouvait pas me défendre.
00:15:58Il m'a plaquée contre le canapé.
00:16:05Je ne me souviens pas bien de son visage.
00:16:07Par contre, je me souviens très bien de la moquette rouge
00:16:10qui n'allait pas du tout avec la déco du salon.
00:16:15Je serais incapable de dire ce qui s'est passé dans mon corps,
00:16:18ce qu'il a ressenti.
00:16:23Quand j'ai compris que c'était terminé,
00:16:27il m'a regardée et il m'a fait...
00:16:32Ce n'était vraiment pas génial.
00:16:35En même temps, je n'allais pas en plus y mettre du mien.
00:16:39Le lendemain, ma copine m'a accompagnée en voiture chez moi
00:16:43et je lui ai raconté ce qui s'était passé.
00:16:46Elle m'a dit...
00:16:48Qu'est-ce que t'en as à foutre ?
00:16:50T'as couché avec un mec ?
00:16:52Oui, mais je n'en avais pas envie, je n'étais pas consentante.
00:16:55C'est pas grave, oublie !
00:16:58C'est ce que j'ai fait.
00:17:00J'ai oublié.
00:17:04J'étais jolie, grande et lancée.
00:17:11Les trois premières années, j'ai pris 40 kg
00:17:15pour arriver à 120 kg au bout de dix ans.
00:17:20Je ne me l'expliquais pas, j'étais complètement dans le déni.
00:17:23J'ai fait un tas de tests, thyroïde, diabète, rien.
00:17:35Et puis, ma grand-mère me disait...
00:17:39Oh, toi que t'es si jolie !
00:17:42T'es grosse et laide.
00:17:45Je ne sais pas pourquoi j'ai été voir une psy,
00:17:50ni comment je l'ai choisie.
00:17:52Ma mère me disait qu'il fallait avoir fait une thérapie dans sa vie,
00:17:56alors ça doit être pour ça.
00:17:58Et au bout d'un an,
00:18:02j'ai ce truc qui est sorti de moi,
00:18:05sur le divan du thérapeute,
00:18:08comme un diable qui sort de sa boîte.
00:18:13Ça a d'abord été une énorme culpabilité,
00:18:17de ne pas avoir su me défendre,
00:18:20de ne pas avoir su lui coller un coup de genou dans les couilles.
00:18:26J'ai...
00:18:28J'ai arrêté de prendre du poids.
00:18:32J'en ai même perdu un peu.
00:18:35Je fais plus que 100 kg.
00:18:38Un poids en moins,
00:18:41une culpabilité en plus.
00:18:50Je rentre chez moi, un soir tard.
00:18:54Je porte un long manteau.
00:18:56Je remonte la rue des Trois Frères, aux pieds du Sacré-Cœur.
00:19:00Oh, ce que c'est beau, Paris, la nuit.
00:19:03J'arrive à ma porte, au rez-de-chaussée, avec ma clé.
00:19:07J'ouvre la porte,
00:19:09et j'entends un bruit.
00:19:11J'entends un bruit.
00:19:13J'entends un bruit.
00:19:15J'entends un bruit.
00:19:17J'arrive au rez-de-chaussée avec ma clé.
00:19:20Je suis soulevée par les deux bras.
00:19:22Deux gars de part et d'autre me retournent, un blanc, un beurre.
00:19:26Je suis persuadée qu'ils veulent me voler, mais pas du tout.
00:19:30Ils me traînent dans la rue en me disant, suis-nous.
00:19:33Je suis sidérée.
00:19:35Tu cries pas quand t'es sidérée par la peur.
00:19:39On reprend les escaliers près du funiculaire
00:19:43pour redescendre en bas du Sacré-Cœur.
00:19:46Ces escaliers d'où je peux voir chaque jour l'appartement de mes rêves.
00:19:51Ils me lâchent pas les deux.
00:19:53Le blanc est beaucoup plus agressif que le beurre, je le remarque.
00:19:57Arrivée en bas des escaliers, j'ai un geste pour me dégager.
00:20:01Et le blanc me plaque contre un mur, le bras contre mon cou.
00:20:05J'avais une petite chaîne, toute fine, en or, que j'aimais beaucoup.
00:20:09C'est à ce moment-là que je l'ai perdue.
00:20:13Il a sorti un revolver et il l'a enfoncé dans mon sternum.
00:20:19Tu te poses pas du tout la question de savoir si c'est une vraie arme ou pas.
00:20:24Tu te taies et tu t'exécutes.
00:20:28Mais toi, à crier, de toute façon, personne ne sortira.
00:20:32Je savais que c'était vrai.
00:20:35Je voyais bien que le beurre à côté, il était mal.
00:20:38C'était le suiveur.
00:20:41Ils m'ont embarquée dans le jardin du Sacré-Coeur.
00:20:45Qu'est-ce que j'aime, cet endroit. On enjambe des petites haies
00:20:49et ils m'emmènent derrière les bosquets, au fond du parc le plus dense.
00:20:54Je savais pas qu'il y avait encore des passages que je connaissais pas.
00:20:58Et là, ils m'ont tout pris.
00:21:01Mes affaires, mon sac.
00:21:04Ils m'ont demandé de me mettre à poil.
00:21:07C'était encore l'hiver.
00:21:10Je leur ai demandé si je pouvais garder mon manteau.
00:21:15Un manteau que m'avait offert ma maman pour mes 20 ans.
00:21:19Il a dit oui.
00:21:21J'ai pris mon manteau.
00:21:26Et je l'ai déposé par terre.
00:21:29Je me suis dit,
00:21:31pourvu que l'herbe le tâche pas.
00:21:35Et je me suis mise dessus, à poil.
00:21:39Le beurre est resté de l'autre côté du bosquet.
00:21:43Et l'autre s'est mis debout.
00:21:46Devant moi.
00:21:48J'ai eu le temps de lui dire,
00:21:50« Comment tu t'appelles ? »
00:21:52« Frédéric. »
00:21:54Le froid faisait sortir de la fumée de sa bouche.
00:21:59Il était habillé avec un pantalon, velours, grosses côtes
00:22:04et une sorte de...
00:22:06de parka au-dessus.
00:22:09Il a tout gardé en haut.
00:22:11Il a juste ouvert son pantalon
00:22:15et il l'a baissé.
00:22:17La bite à l'air.
00:22:19Là aussi, il y a de la fumée.
00:22:24Il a gardé son revolver
00:22:28et il est venu sur moi.
00:22:31Là, je serais incapable de te dire,
00:22:35« Une minute, deux, trois, dix, je sais pas,
00:22:37ça a duré un bon petit moment. »
00:22:40Je sentais plus rien.
00:22:42Il aurait pu me torturer, me taillader, rien.
00:22:46J'étais devenue
00:22:48une unique conscience qui flottait autour de moi.
00:22:54Quand ça a été terminé,
00:22:57toute la doublure de mon manteau était souillée.
00:23:03Je me suis dit, « Merde, va falloir que je le lave. »
00:23:09Et j'ai repris conscience de mon corps.
00:23:13Je me suis rendue compte qu'il faisait froid.
00:23:20Je me suis dit, « Lui, j'ai pu le supporter,
00:23:23mais je vais pas pouvoir en supporter un deuxième. »
00:23:28Il a remonté son falzard,
00:23:32il était calme,
00:23:34et il a appelé son copain.
00:23:37Là, ils ont baragouiné quelque chose, j'ai pas compris.
00:23:41J'ai vu mes affaires renvoyer de l'autre côté du bosquet.
00:23:45Je me suis rhabillée très vite, comme j'ai pu.
00:23:49Et je suis passée de l'autre côté.
00:23:53Le beurre avait mes affaires
00:23:57et il clopait.
00:23:59Il m'a attendue une Marlboro.
00:24:02J'ai pris la clope.
00:24:04Il m'a rendue mon sac.
00:24:07« On n'a rien touché à tes affaires. »
00:24:11Et il a ajouté,
00:24:13« Le quartier est pas sûr.
00:24:16On va te ramener jusqu'à chez toi. »
00:24:21Et ils m'ont accompagnée
00:24:24jusqu'à ma porte.
00:24:30J'ai passé plus d'une heure sous la douche.
00:24:34Mais je suis souillée dedans.
00:24:37La tâche sur mon manteau n'est jamais partie.
00:24:41Se laver, c'est effacer les traces, les preuves éventuelles,
00:24:46mais les femmes ne le savent pas forcément.
00:24:49Et c'est naturel d'avoir envie
00:24:53d'enlever cette souillure,
00:24:56cette odeur de l'autre.
00:25:23J'ai 45 ans.
00:25:25Lui, il est musicien.
00:25:27Je l'ai rencontré quand j'avais 20 ans.
00:25:30Je prenais pas la pilule.
00:25:32Et comme je suis hyper féconde,
00:25:34elle a suffi d'une fois et je...
00:25:36À tous les coups, on gagne.
00:25:38Mes parents sont très châteaux.
00:25:40Alors il était hors de question
00:25:42d'avoir un enfant hors mariage
00:25:44et même pas envisageable de se faire avorter.
00:25:47Il a donc fallu que je me marie à 20 ans.
00:25:51Mon mari est sanguin,
00:25:53mais il y a des personnes comme ça, un peu irritables.
00:25:57Moi, je me disais, avec le temps, il va se calmer,
00:26:01il va s'adoucir.
00:26:03J'ai...
00:26:04J'ai très vite fait de l'alopécie.
00:26:07J'ai commencé à perdre mes cheveux quelques mois après notre rencontre.
00:26:12Ça a été très dur.
00:26:14J'avais les cheveux très longs, je faisais tout le temps des chignons.
00:26:18Ça a commencé par un petit médaillon derrière la tête.
00:26:22Et puis, j'ai perdu mes cheveux par poignet.
00:26:25Et puis, mes cils, mes sourcils, et puis tout.
00:26:29J'avais plus un seul poil sur mon corps.
00:26:32Mais à aucun moment, j'ai...
00:26:35J'ai fait le lien.
00:26:37Quand j'attendais ma...
00:26:39Ma première fille,
00:26:41je terminais mes études
00:26:43et un jour, mon mari me fait...
00:26:45C'est pas la peine que tu continues, que tu travailles.
00:26:48Je gagne bien ma vie.
00:26:50J'ai arrêté et je me suis occupée de sa carrière.
00:26:54Je négociais ses cachets,
00:26:56je réservais ses billets d'avion, ses chambres d'hôtel, ses taxis.
00:27:00Et même après la naissance du cinquième enfant,
00:27:03je faisais ça toute la journée.
00:27:06C'est...
00:27:07C'est une situation qui s'installe petit à petit,
00:27:11malgré toi, en fait.
00:27:13Il te coupe de tes amis, de ta famille,
00:27:17il les dénigre régulièrement.
00:27:20Ton père, c'est un gros naze !
00:27:22Ton copain, quel connard !
00:27:24Elle, elle a deux tuyaux !
00:27:27Elle met quel pot de colle !
00:27:29Quand t'entends ça toute la journée, tu finis par l'intégrer,
00:27:33par ne plus voir des personnes que t'aimais bien, en fait.
00:27:38Je me souviens...
00:27:41Une fois, j'étais enceinte...
00:27:43de ma troisième fille.
00:27:46Je pleurais.
00:27:48Et je m'étais réfugiée dans ma chambre.
00:27:52J'avais fermé un clé.
00:27:54Et il était arrivé en hurlant...
00:27:56Ouvre la porte ! Ouvre la porte, tout de suite !
00:27:59Écoute, j'ai juste besoin d'un peu de calme,
00:28:03d'un peu de sérénité.
00:28:05Et là, d'un coup,
00:28:07je le vois au milieu du panneau central.
00:28:12Il avait traversé la porte qui était restée fermée.
00:28:16Il y avait des stigmates de ces violences partout, à la maison.
00:28:21Il balançait les chaises, les tables, il cassait tout.
00:28:25Parfois, c'était Beyrouth, à la maison.
00:28:28Je me souviens, quand on entendait son scooter arriver derrière la maison,
00:28:33tout le monde était aux aguets.
00:28:35Il fallait que tout soit nickel, qu'il y ait rien qui traîne.
00:28:38Potentiellement, ça pouvait être le détonateur.
00:28:41Il arrivait et il scannait.
00:28:47Et il voyait le petit truc qu'allait faire
00:28:50que ça allait partir en cacahuètes.
00:28:52Trois petites perles de ma fille sur la table et...
00:28:55Tu fais rien de tes journées !
00:28:58Les derniers temps,
00:29:00ma fille, elle vomissait avant chaque repas.
00:29:03Pas parce qu'elle était anorexique,
00:29:06juste parce qu'elle allait se retrouver à table avec son père.
00:29:11On savait pas à quelle sauce on allait être mangés.
00:29:15Et puis, il y a quelque temps, elle m'a dit...
00:29:18Et toi, tu bougeais pas, tu disais rien quand il nous tapait.
00:29:22Mais t'étais tannisée.
00:29:25T'étais tannisée par autant de violences.
00:29:28T'étais sous le choc. Il les attrapait comme ça,
00:29:31il les soulevait, il les balançait contre le mur.
00:29:33Je lui disais... Mais arrête !
00:29:36Et puis, un jour, il a pris une poubelle
00:29:39et il l'a jetée sur la tête de ma fille.
00:29:42J'ai pris le téléphone et je lui ai dit...
00:29:45Si t'arrêtes pas, je téléphone à la police.
00:29:48T'es même pas capable.
00:29:50C'était vrai.
00:29:52Parce qu'en fait, t'es tellement sous l'emprise.
00:29:55Moi, je me disais...
00:29:57C'est un artiste, je peux pas lui faire ça.
00:30:00Je vais bousiller sa carrière.
00:30:03Mais c'est complètement débile.
00:30:06Parce que je pensais à Polanski,
00:30:08mais tu peux pas dissocier l'homme de ce qu'il fait.
00:30:11Mon mari, c'est peut-être un grand musicien,
00:30:16mais c'est une ordure en tant qu'être humain.
00:30:19Souvent, il me disait...
00:30:21Ce que tu veux pas comprendre,
00:30:23c'est que j'ai besoin de te faire souffrir
00:30:27pour t'aimer. Il me disait ça tout le temps.
00:30:30Et puis, je te parle pas des viols conjugaux,
00:30:34parce que quand t'es en couple, t'es pas toujours open bar.
00:30:38Et lui, il comprenait pas
00:30:40que quand il m'avait hurlé dessus et dit que je valais moins que rien,
00:30:44j'avoue que j'avais un petit peu de mal
00:30:47à avoir envie d'avoir des rapports sexuels avec lui.
00:30:50Mais comme il insistait,
00:30:52je me disais que c'était mon devoir conjugal
00:30:56d'écarter les cuisses
00:30:58et de laisser monsieur faire son petit boulot.
00:31:01Je me souviens, j'étais dans le lit, je pleurais,
00:31:05et je me disais,
00:31:07mais comment quelqu'un peut continuer à être excité
00:31:11avec une personne qui bouge pas,
00:31:14qui veut pas,
00:31:16et qui se laisse faire en pleurant ?
00:31:20J'avais la hontise des dimanches matins.
00:31:23J'y l'aimais bien, à ce moment-là.
00:31:25Et si je passais pas à la casserole,
00:31:28ça se répercutait sur toute la famille.
00:31:31Surtout qu'il y avait pas de préliminaire.
00:31:34C'était direct, boum, youp, la boum.
00:31:36Comme ça, c'était toujours très rapide.
00:31:39Mais comme c'est des rapports pas désirés,
00:31:42c'est pas lubrifié, c'est irrité.
00:31:45Du coup, je faisais des cystites sur cystites.
00:31:48J'ai eu trois piélonnées frites, un rein bousillé.
00:31:52Et je me souviens...
00:31:55J'étais dans ma chambre, je pleurais.
00:31:58Et je me disais...
00:32:00Mais qui je peux appeler ?
00:32:03À qui je peux parler ?
00:32:06Et en fait, à personne.
00:32:08Moi, je faisais des angines blanches.
00:32:11À plus pouvoir avaler une gorgée d'eau.
00:32:14Parce que j'arrivais pas à parler.
00:32:17D'abord, il y a la honte,
00:32:19la peur du regard des autres.
00:32:21Et puis tu trouves toujours des excuses.
00:32:25Je me souviens, à la sortie de l'école,
00:32:27les gens me disaient toujours...
00:32:29T'as toujours le sourire !
00:32:31Faut se méfier des gens qui sourient trop.
00:32:35Moi, j'aurais tellement aimé
00:32:38que quelqu'un me prenne par la main,
00:32:40me dise... Allez, viens !
00:32:42On va parler, on va prendre un café.
00:32:45Mais c'est très compliqué.
00:32:47Parce qu'entre ce que tu montres à l'extérieur
00:32:50et ce que tu vis, c'est pas la même.
00:32:53C'est dans la façade, l'apparence,
00:32:55le statut social.
00:32:58Et puis un jour,
00:33:00j'étais chez une copine,
00:33:02et puis j'ai tout déballé en pleurant.
00:33:06Elle m'a dit... Tiens.
00:33:08Prends mes clés.
00:33:10S'il arrive quoi que ce soit,
00:33:12tu prends tes gosses et on se débrouillera.
00:33:14On campera.
00:33:16Ce trousseau de clés,
00:33:18il m'a drôlement aidée.
00:33:21Parce que je savais que s'il se passait quelque chose,
00:33:24je pouvais partir.
00:33:26Parce que c'est toujours pareil.
00:33:28On dit toujours aux femmes...
00:33:30Elles ont qu'à partir.
00:33:32Pour aller où ? Pour faire quoi ?
00:33:35T'es là, tu prends tes valises,
00:33:37tes gosses, et puis tu fais quoi ?
00:33:41Et le jour où je me suis dit
00:33:43qu'il y avait quand même quelque chose
00:33:45qui était pas normal,
00:33:47c'est quand il m'a poussée dans les escaliers.
00:33:49J'ai pensé à Marie Trintignant.
00:33:51Et je me suis dit, là, tu fais une mauvaise chute.
00:33:54T'es plus là.
00:33:56Parce que tous ces féminicides,
00:33:58c'est le jour de trop.
00:34:00Tu sais pas quand il arrive, le jour de trop.
00:34:02En tout cas, moi, ça a été le jour
00:34:04où ça a été la petite goutte d'eau
00:34:06qui a fait déborder le vase.
00:34:08J'ai pris mes gosses,
00:34:10et je suis partie chez ma copine.
00:34:12Mais moi, je dépendais
00:34:15financièrement entièrement de lui.
00:34:18J'avais pas de compte perso.
00:34:20Et d'ailleurs, dès que je l'ai quitté,
00:34:22il a vidé tous les comptes.
00:34:24Je me suis retrouvée en interdit bancaire
00:34:27en pleine rentrée des classes.
00:34:29Et lui me disait, c'est bon,
00:34:31t'as écrit 3 mails dans ta vie, alors fais pas chier.
00:34:34Et comment tu prouves, toi,
00:34:36que t'as travaillé pour lui pendant des années
00:34:39quand t'as jamais eu de fiche de salaire ?
00:34:43Et le jour où j'ai pris conscience de beaucoup de choses,
00:34:46c'est quand j'ai été au commissariat
00:34:48pour déposer une main courante.
00:34:50Oh, j'étais en pleurs.
00:34:52Et franchement, ils ont été super.
00:34:54J'ai eu beaucoup de chance.
00:34:56Je leur ai raconté ce que je vivais,
00:34:58et l'assistante sociale, elle me dit...
00:35:01En fait, ça s'appelle des violences conjugales.
00:35:06Ben là, je...
00:35:08Ça a été la révélation.
00:35:10Parce que, pour moi,
00:35:12les violences conjugales,
00:35:15c'était les femmes qui se faisaient matraquer,
00:35:18les yeux au beurre noir, tout ça.
00:35:20Lui, il s'amusait à lancer son poing comme ça
00:35:23et à l'arrêter à 10 cm de mon visage,
00:35:25en me disant, je vais pas te faire ce plaisir-là,
00:35:28parce que si y a des traces, tu pourras aller chez les flics.
00:35:31Sinon, il m'attrapait par les bras,
00:35:33puis me secouait dans tous les sens,
00:35:35d'où quelques bleus sur les bras, mais c'est tout.
00:35:38Et au commissariat, ils m'ont expliqué
00:35:40que la violence conjugale,
00:35:42ça commence à partir du moment où on te touche,
00:35:44on te pousse, on te maltraite,
00:35:46physiquement ou psychologiquement.
00:35:49C'est pas à la taille du bleu.
00:35:52Et là, je me suis dit...
00:35:54Ah ouais !
00:35:56C'est ça, les violences conjugales.
00:36:00Parce que tu sais pas comment ça se passe chez les autres.
00:36:03Tu penses que c'est partout pareil.
00:36:05On n'en parle pas, c'est tout.
00:36:07Lui, il me disait tout le temps, mais tu crois quoi ?
00:36:11Chez les autres, c'est différent.
00:36:13Et maintenant, quand je raconte mon histoire,
00:36:16y a toujours des gens pour me dire...
00:36:18Ah bon ?
00:36:19On avait l'impression que vous étiez une famille modèle,
00:36:22cinq enfants, toujours le sourire, patati, patata.
00:36:25Mais en fait, tu sais pas comment ça se passe
00:36:28dans l'intimité d'un couple,
00:36:30une fois que la porte, elle est fermée.
00:36:35Et puis, il faut écouter son corps.
00:36:37Parce que ton corps te parle.
00:36:39Dans maladie,
00:36:41il y a le mal à dire.
00:36:44Moi, maintenant, j'ai retrouvé plein de copains.
00:36:48Je suis amoureuse.
00:36:50Et j'ai plus de cystite.
00:36:53J'ai plus d'angine.
00:36:55Et surtout, quelques mois après l'avoir quittée,
00:36:59j'ai commencé à avoir des poils là,
00:37:01des poils là, des poils là, des poils là...
00:37:05Je suis obligée de me raser sous les bras,
00:37:07de m'épiler les jambes.
00:37:09Oh, j'attends avec impatience...
00:37:12les cheveux !
00:37:14Je rentre chez moi un soir,
00:37:17vers 21h.
00:37:20Il est en train de donner à manger
00:37:23à notre bébé de 17 mois.
00:37:25Je remarque tout de suite qu'il est bourré.
00:37:28Il est bourré.
00:37:30Il est bourré.
00:37:32Il est bourré.
00:37:34Il est bourré.
00:37:36Il est bourré.
00:37:38Il est bourré.
00:37:40Il est bourré.
00:37:42Je remarque tout de suite qu'il est bourré.
00:37:45Oh, putain, tu donnes à manger à notre fille et t'es saoul, quoi !
00:37:49Là, il dévisse.
00:37:50J'en ai ras-le-bol de toi !
00:37:52Je fais tous les efforts du monde pour pas boire, j'ai pas bu,
00:37:55et t'es toujours là à m'enfoncer !
00:37:58Souvent, il arrivait presque à me faire douter.
00:38:02Je prends la relève avec notre fille.
00:38:06Et là, il arrive et il me dit en hurlant...
00:38:09Mets-la au lit ! Mets-la au lit tout de suite !
00:38:12C'est ce que je fais.
00:38:14Et là, il m'attrape par les bras
00:38:16et me jette contre le mur à côté d'elle.
00:38:18Il me donne des coups dans les bras en me disant...
00:38:21Sors de là ! Sors de là !
00:38:23On va discuter !
00:38:25Je sens que je vais passer un mauvais quart d'heure.
00:38:27Et pendant qu'il était en train de hurler,
00:38:29j'essaye d'envoyer un SMS à une amie.
00:38:31Il me donne des coups de pied dans les mains
00:38:33pour essayer de casser mon téléphone.
00:38:35À qui t'appelles ? Qui t'envoie un message ?
00:38:38Il jette mon téléphone.
00:38:40Et là, cette amie l'appelle sur son téléphone à lui.
00:38:46En une seconde, c'est Dr Jekyll et Mr Hyde.
00:38:50Mais non ! Mais non, c'est rien, t'inquiète.
00:38:53Mais non, tout va bien, Adélie.
00:38:56Ça s'est pas très bien passé à son bureau, c'est tout.
00:39:00Il raccroche et il explose son téléphone.
00:39:04Comme ça, plus personne ne pourra téléphoner.
00:39:09Et les coups commencent à pleuvoir.
00:39:11Et je sens que ça ne va pas s'arrêter, que je ne contrôle plus rien.
00:39:14Cette amie m'avait dit, si tu te sens en danger,
00:39:16va t'enfermer dans la salle de bain.
00:39:19C'est ce que j'ai fait.
00:39:21J'avais réussi à récupérer mon téléphone.
00:39:25Et donc, j'essaye d'appeler cette amie pour lui dire,
00:39:27non, mais là, il faut vraiment que tu viennes.
00:39:29Là, il va me tuer.
00:39:31Entre-temps, il arrive à ouvrir la porte.
00:39:35Il me donne une dizaine de coups au visage
00:39:39en me disant que je suis un monstre.
00:39:41Moi, j'essayais de me protéger avec mes bras.
00:39:43Et lui, il continuait, tout ça, c'est de ta faute.
00:39:45J'en peux plus de toi.
00:39:48Il a fini par m'étrangler.
00:39:52Il me saisit par le cou,
00:39:54mais j'ai le réflexe de m'attraper le menton.
00:39:57Et du coup, malgré la douleur, j'ai quand même pu respirer.
00:40:02Ce jour-là, je me suis dit que
00:40:05si j'arrivais à m'en sortir, ça serait un coup de chance.
00:40:08Mais qu'après, si je partais pas,
00:40:10je pourrais pas protéger ma fille,
00:40:12parce qu'il allait me tuer.
00:40:15Mon amie est arrivée au bout de 45 minutes.
00:40:20Une éternité.
00:40:23Elle a discuté avec lui.
00:40:26Elle a réussi à le faire redescendre.
00:40:29Et moi, après une nuit sans sommeil,
00:40:33j'ai été aux urgences,
00:40:36le constat, l'entorse cervicale,
00:40:40les bleus, le commissariat,
00:40:44la plainte.
00:40:47Quand je leur ai raconté la nuit que j'avais passée,
00:40:51la fliquette a dû me dire au moins une dizaine de fois,
00:40:55mais là, là, vous allez le quitter, là ?
00:40:58Là, vous allez le quitter, là ?
00:41:01La vérité, c'est qu'ils en ont marre
00:41:04de voir des femmes qui viennent les voir
00:41:07et qui retournent chez leur mec après.
00:41:10Faut tout raconter, dans les détails.
00:41:14Et moi, je pleurais,
00:41:17et je me disais...
00:41:20J'ai pas le choix, mais je suis en train de porter plainte
00:41:24contre le père de mon enfant.
00:41:26Comment est-ce que je peux lui faire ça ?
00:41:29J'ai compris qu'ils allaient le chercher,
00:41:32et je leur ai demandé si cet ami avec qui il était
00:41:37ne pouvait pas leur amener.
00:41:40Je continue à le protéger.
00:41:43Il a été mis en garde à vue,
00:41:46et le soir, les policiers m'ont appelée
00:41:49pour me dire que je pouvais lui apporter à manger.
00:41:53Je lui ai fait une liste très précise
00:41:57à mon ami, de ce qu'il aimait,
00:42:01au McDo, et puis j'ai glissé
00:42:04ses biscuits préférés dans son sac.
00:42:09Le lendemain, j'ai reçu
00:42:12la convocation pour la médecine légale.
00:42:15Je me suis retrouvée dans une pièce sans fenêtre
00:42:19avec une femme médecin et, à côté d'elle,
00:42:22une jeune femme et un homme qui ne se sont jamais présentés.
00:42:26Partout, des affiches de prévention
00:42:30contre la violence conjugale.
00:42:36La médecin m'a demandé de lui raconter ce qui s'était passé.
00:42:40J'ai raconté encore dans les détails.
00:42:43Arrivé au premier coup dans les bras,
00:42:46elle me dit...
00:42:48-"Donc, il vous a frappé avec un objet contondant."
00:42:51-"Non, il m'a frappé avec ses mains."
00:42:53-"Ces mains, c'est un objet contondant."
00:42:56-"OK, c'est un objet contondant."
00:42:59-"Bien, on va voir tout ça."
00:43:01-"Les premiers coups, pourquoi y en a-t-il d'autres ?"
00:43:04-"Oui." -"Il faut tout me dire !"
00:43:07Je me fissurais.
00:43:09Je rapetissais sur ma chaise.
00:43:12Je croyais que tout ça, c'était terminé.
00:43:15Mais en fait, non.
00:43:17Dans ces moments...
00:43:19Jusqu'au dernier moment, t'es considérée comme de la merde.
00:43:23Elle m'a demandé de...
00:43:25De passer dans la pièce d'à côté.
00:43:28Et la jeune femme, qui était plutôt gentille,
00:43:31m'a demandé de me déshabiller et elle a noté les traces de coups.
00:43:35L'autre est restée dans son bureau,
00:43:38avec l'inconnue, la porte ouverte.
00:43:40Et il voyait tout.
00:43:42-"Est-ce qu'il y a eu des violences sexuelles ?"
00:43:45-"Non." -"Vérifie quand même !"
00:43:49Je sais bien qu'il y a des femmes qui osent pas dire.
00:43:54Mais il y a une façon de faire.
00:43:57De ce rendez-vous dépendait le fait
00:44:00que mon mari reste en garde à vue ou pas.
00:44:03Il me l'avait dit.
00:44:05Et ça aussi, c'est dur.
00:44:07Moi, ça me plaisait pas de le savoir enfermer.
00:44:11J'étais pas en colère.
00:44:14Je me dis que j'ai traversé l'enfer,
00:44:17que j'ai vécu deux ans dans le chaos,
00:44:20mais je continue à le protéger.
00:44:23Le lendemain, il est sorti de garde à vue.
00:44:27Et on s'est tout de suite recroisés.
00:44:30Il s'est excusé.
00:44:32Il s'est effondré.
00:44:34Et il m'a prise dans ses bras.
00:44:36Et ça, c'est horrible, ça.
00:44:38Parce que j'ai plus du tout envie qu'il me touche.
00:44:41Il était là, pleuré comme un petit enfant,
00:44:44dans mes bras, et moi, j'avais qu'une envie,
00:44:47c'était de lui dire, mais dégage, quoi ! Lâche-moi !
00:44:52Et je l'ai pas fait.
00:44:54Parce que je l'ai jamais insulté ni dit quoi que ce soit
00:44:58de destructeur pendant toute notre relation.
00:45:03C'est un garçon anxieux,
00:45:06avec une comorbidité alcoolique,
00:45:09des pulsions de violence
00:45:12incapables de maîtriser,
00:45:14et moi...
00:45:16Moi, j'ai révélé le pire en lui.
00:45:22Légalement,
00:45:24j'avais le droit de lui demander de quitter la maison,
00:45:29mais je l'ai pas fait.
00:45:31Parce que j'avais un endroit où aller chez ma meilleure amie,
00:45:35j'avais besoin d'être entourée,
00:45:37et lui, il avait nulle part où aller.
00:45:40Alors il est resté dans cette maison,
00:45:43et il y est toujours.
00:45:45J'ai pris la décision de ne pas saisir la juge
00:45:48des affaires familiales.
00:45:50J'aurais pu avoir la garde exclusive de ma fille,
00:45:54une pension alimentaire,
00:45:56mais je me suis dit,
00:45:58qu'est-ce qui est le plus important ?
00:46:01C'est notre fille,
00:46:03et elle a besoin de son papa, et qui s'occupe bien d'elle.
00:46:07Alors je lui ai juste dit,
00:46:09c'est la meilleure solution.
00:46:12Quand tu pars comme ça, t'as plus rien.
00:46:15T'as plus de maison.
00:46:17T'as plus de meubles.
00:46:19Faut te releger, acheter tous les meubles.
00:46:22Et le temps que tout se mette en place
00:46:25pour qu'il rachète ses parts,
00:46:27il a fallu attendre plus d'un an.
00:46:30Et comme on était en train de s'occuper
00:46:33d'elle, il a fallu attendre plus d'un an.
00:46:36Et comme on était en train de s'occuper
00:46:39d'elle, il a fallu attendre plus d'un an.
00:46:42Et comme on était en train de payer le crédit,
00:46:46j'ai pu récupérer 10 000 euros.
00:46:49Absolument pas de quoi me racheter quoi que ce soit.
00:46:53S'il y a un organisme qui est au top
00:46:56en ce qui concerne les violences faites aux femmes,
00:47:00c'est bien la CAF.
00:47:02Ils m'ont donné des rendez-vous avec une psychologue,
00:47:07une juriste qui m'a expliqué mes droits.
00:47:10J'ai eu des réunions de parole avec d'autres victimes.
00:47:14Et tout ça, c'est gratuit.
00:47:16Dès mon premier appel,
00:47:18ils ont changé mon adresse,
00:47:20mes codes, mes aides,
00:47:22en fonction de mes nouveaux salaires.
00:47:25Et à tous les moments,
00:47:27je me suis sentie soutenue et accompagnée.
00:47:31Parce que moi, j'ai de la chance.
00:47:34Je travaille dans le service public.
00:47:37Ils m'ont trouvé un nouveau poste
00:47:40pour que je puisse m'occuper de ma fille.
00:47:43J'ai été hébergée chez des amis.
00:47:46Et puis, pendant mon arrêt de maladie,
00:47:50j'ai continué à toucher mon salaire.
00:47:53Et malgré tout ça,
00:47:55c'est le chaos.
00:47:57T'as mal partout, t'es perdue.
00:48:00Moi, j'avais une minerve.
00:48:03Quand j'ai été chez l'ostéo, elle m'a fait...
00:48:06Vous vous êtes pris un tractopelle dans la gueule ?
00:48:10Oui, c'est un peu ça.
00:48:12Mais elles font comment, les femmes,
00:48:15quand elles ont pas de travail, pas de famille, pas d'amis ?
00:48:19Parce que c'est très dur de partir comme ça.
00:48:22C'est très brutal.
00:48:24La violence physique, c'est une chose,
00:48:27mais c'est ce qui m'a permis de partir.
00:48:30C'est horrible, c'est traumatique,
00:48:32mais le pire, c'est ce climat de tension
00:48:35et de peur permanents
00:48:37dans la violence psychologique.
00:48:40Et le déni.
00:48:42Parce que, pendant des mois,
00:48:44je savais que ce que je vivais, c'était pas normal
00:48:47et qu'il allait finir par me frapper,
00:48:50mais je pouvais pas partir.
00:48:52Mes amis pouvaient pas me parler,
00:48:54parce qu'ils se disaient qu'on pourra plus jamais l'aider.
00:48:59Moi, je parlais pas, pas parce que j'avais honte,
00:49:03mais parce qu'en parler,
00:49:05ça rendait les choses réelles.
00:49:08Je pensais à toutes ces femmes qui décident de partir
00:49:12et dont l'homme tue l'enfant et la femme derrière.
00:49:16Et je le pensais tout à fait capable
00:49:19de faire une chose comme ça à un moment alcoolisé.
00:49:25Après, la vie est quand même sympa.
00:49:28Elle m'a permis de rencontrer un homme merveilleux
00:49:31de douceur, de tendresse, de compréhension.
00:49:34Et ça...
00:49:37Ça fait du bien.
00:49:46I've been loving you
00:49:52Too long
00:50:00I don't wanna stop now
00:50:06J'ai été victime de violences conjugales.
00:50:11Après, j'ai élevé mes enfants toutes seules.
00:50:17J'ai pas eu de pension alimentaire.
00:50:22Rien.
00:50:24Parce que quand j'ai voulu faire la demande,
00:50:27il a menacé de me tuer.
00:50:29Donc bon, OK, j'ai pas refait la demande.
00:50:33Et puis, ça s'est arrêté là.
00:50:36Plus personne n'a levé la main sur moi.
00:50:41Ma vie, ça a été principalement
00:50:45d'élever le mieux possible mes deux enfants.
00:50:50Et ce long travail analytique,
00:50:53qui a été très important pour moi...
00:50:56Oh, il m'a fallu des années
00:50:59pour vivre normalement,
00:51:02pour rencontrer de nouveau quelqu'un.
00:51:06Il y a une phrase de Dolto qui dit
00:51:10« Nos enfants sont porteurs de nos dettes. »
00:51:15Je le crois bien volontiers.
00:51:18Parce que ça s'est très mal passé avec mon fils.
00:51:23Je pense qu'il était comme un buvard
00:51:27qui a absorbé toutes les souffrances de sa mère,
00:51:32celles que je transpirais sûrement sans jamais en parler.
00:51:38Oh, il s'est drogué.
00:51:41Il s'est détruit.
00:51:45Il était très érudit.
00:51:48Il lisait beaucoup de bouquins de philosophie.
00:51:53Et en même temps, c'était un délinquant
00:51:56qui était bien qu'en prison.
00:51:59Moi, j'ai connu beaucoup de prisons en France.
00:52:03Il a eu 4 enfants de 4 femmes différentes.
00:52:08Et avec tout, il a été violent.
00:52:12Quand je l'ai su, je lui ai dit
00:52:14« Tu fais exactement ce que je ne voulais pas que tu sois. »
00:52:19Il avait beaucoup de violence en lui.
00:52:22J'avais très peur de lui quand il était en crise.
00:52:26Il n'a jamais levé la main sur moi,
00:52:30mais il aurait pu.
00:52:33Sa violence était verbale,
00:52:36mais au bout d'un certain temps,
00:52:39tu te disais « Oh là là, il ne vaut plus rien dire,
00:52:43parce que tout va voler en éclats. »
00:52:46Il menaçait. « Prenez un couteau ! »
00:52:49On a eu des moments très difficiles.
00:52:53Très difficiles.
00:52:56Il est mort à 43 ans
00:53:00d'un cancer des poumons.
00:53:03Maintenant, je suis tranquille.
00:53:06Je sais où il est.
00:53:09Avant, j'avais tout le temps peur
00:53:12qu'il lui arrive quelque chose, qu'il se fasse tuer.
00:53:16Maintenant, je n'ai plus peur.
00:53:19Pour ma fille, c'est tout le contraire.
00:53:22Elle est très cartésienne.
00:53:25On est très unis, très soudés.
00:53:28C'est une femme qui est bien dans sa vie.
00:53:32Mais elle a fait un travail analytique.
00:53:35Toute son enfance, elle l'a vécue dans la dévalorisation de la mer.
00:53:40Ça fait quand même beaucoup de dégâts.
00:53:44Elle vit avec un homme bien.
00:53:47Elle a une fille qui s'appelle Violette
00:53:51et un petit garçon qui s'appelle Victor.
00:53:56Trois V avec elle, qui s'appelle Virginie.
00:54:00Et souvent, elle me dit « Maman,
00:54:02ce sont les trois V de la victoire. »
00:54:33Je pense souvent à ce petit garçon.
00:54:37C'était un petit garçon avec des grands yeux bleus.
00:54:41Ses parents étaient très fiers
00:54:44de le montrer aux autres adultes quand il venait à la maison.
00:54:48Son papa rentrait souvent très tard dans la nuit.
00:54:52Et le petit garçon ne comprenait pas
00:54:56pourquoi, quand il rentrait,
00:54:59son papa tapait sur des oreillers avant de s'endormir.
00:55:04Un jour, il demanda à sa maman
00:55:07« Pourquoi papa tape sur des oreillers presque chaque nuit ? »
00:55:12Sa maman le regarda et lui dit
00:55:16« Ça n'est pas sur des oreillers, mon chéri. »
00:55:20Quand il fut plus grand, il sut ce que c'était d'être pris pour un oreiller
00:55:26quand il s'interposait entre son père et sa mère.
00:55:30Maintenant qu'il est adulte, il a un don.
00:55:34Chaque fois qu'il croise un homme, il sent.
00:55:38Il sait si cet homme aime se défouler sur les oreillers.
00:55:43Il le sent trop souvent.
00:55:46Trois fois sur dix, il le sait.
00:55:55...
00:56:03J'ai été élevée par mon grand-père et ma grand-mère.
00:56:07Mon grand-père s'est toujours conduit avec moi d'une façon formidable.
00:56:12Il y a juste une fois, j'avais 7 ans,
00:56:15et nous sommes allées dire bonjour à nos grands-parents
00:56:19dans leur lit un dimanche matin.
00:56:23Mon grand-père a mis son doigt dans notre zézette à toutes les deux.
00:56:28Il a senti ses doigts et il a fait « Hum, ça sent la crevette ! »
00:56:34Ma grand-mère était là.
00:56:36Elle n'a rien dit, elle a passillé, il n'y a pas eu de réaction.
00:56:40Depuis, je n'ai jamais pu manger de crevette.
00:56:44À l'époque, on ne se rendait pas compte de tout ça.
00:56:49Mon grand-père n'avait pas conscience de ce qu'il faisait.
00:56:54La preuve, ma grand-mère non plus.
00:56:57Il n'y a pas de quoi fouetter un chat ni en faire un fromage.
00:57:02Donc, on peut passer au degré supérieur.
00:57:06...
00:57:18...
00:57:28...
00:57:33Mon grand-frère m'a violée de mes 6 à mes 8 ans.
00:57:38Il m'emmenait dans la chambre des parents.
00:57:41Il était toujours très doux.
00:57:43Il me laissait à disposition des bouquins,
00:57:47des bandes dessinées.
00:57:49Je me mettais à genoux par terre avec les livres sur le lit.
00:57:54Il arrivait par derrière et...
00:57:57Et voilà, sodomisation.
00:58:00Il n'y avait pas de pénétration totale.
00:58:03Sinon, j'aurais hurlé.
00:58:05Surtout que j'étais toute petite quand j'étais une gamine.
00:58:09T'as un tout petit cul quand t'as 6-7 ans.
00:58:12Quand on ne pouvait pas aller dans la chambre des parents,
00:58:16il m'emmenait dans les toilettes, qu'il était aveugle.
00:58:20Quand on fermait la porte, il fallait allumer.
00:58:24Il nous enfermait...
00:58:27sans allumer.
00:58:29On restait dans le noir.
00:58:33Moi, à 7 ans, je savais ce qu'était l'odeur du sperme,
00:58:37la sensation tactile d'un homme en érection.
00:58:41Je savais ce qu'était la masturbation, le tripatouillage,
00:58:45l'éjaculation, un sexe sur le visage.
00:58:48Je baignais là-dedans.
00:58:50Je me rendais bien compte que c'était interdit
00:58:54parce que tout était fait dans l'occulte, le secret.
00:58:58Il parlait à voix basse, il faisait...
00:59:01Chut !
00:59:03Dis pas !
00:59:05Ça reste entre nous.
00:59:07En revanche,
00:59:09je comprenais pas pourquoi il faisait ça.
00:59:12Je le faisais pour lui faire plaisir.
00:59:15C'était un moyen de recevoir de l'amour.
00:59:18D'autant plus que je manquais de l'affection de mes parents.
00:59:22C'était mieux ça que rien du tout.
00:59:25Surtout qu'à côté de ça, c'était un super grand frère.
00:59:29Très attentionné. Il venait me chercher à l'école.
00:59:33Il s'occupait de moi.
00:59:35Toujours très doux.
00:59:39Comme j'étais la petite sœur,
00:59:42il me taquinait avec mon autre frère.
00:59:45Un jour, comme je savais qu'on avait un secret,
00:59:49que je tenais quelque chose, je lui ai fait...
00:59:52Si tu continues à m'embêter, je vais te dire ce que tu me fais.
00:59:57Une fois, je me suis cognée au radiateur.
01:00:00Je me suis fait mal. J'étais en colère.
01:00:03J'ai foncé dans la cuisine.
01:00:05Ma mère était en train de préparer notre goûter.
01:00:09Je l'ai regardée et je lui ai fait...
01:00:11Tu sais ce qu'il fait, mon frère ? Il met son zizi dans ma caquette.
01:00:16Ma mère a continué à préparer notre 4 heures.
01:00:23Elle m'a regardée et elle m'a dit...
01:00:26Qu'est-ce que tu veux dans ton pain ? Du beurre ou du chocolat ?
01:00:31À cet instant précis-là,
01:00:34j'ai été convaincue d'avoir dit une bêtise
01:00:37que c'était moi qui étais mauvaise langue avec mon frère.
01:00:40Du fait que ma mère n'ait pas validé ce que j'ai dit,
01:00:44pendant des années,
01:00:46j'ai eu un problème avec la crédibilité de ma parole,
01:00:49une obsession de dire la vérité.
01:00:52La valeur simple de ma parole avait été anéantie.
01:00:57Les viols se sont arrêtés quand mon frère a grandi
01:01:01et qu'il a commencé à avoir des copines de son âge.
01:01:05Mais mon psychisme était trop petit, pas prêt, pas mûr,
01:01:10à une sensualité aussi exacerbée.
01:01:14Et ça m'a entraînée dans des choses peu enviables.
01:01:20Vers 10, 11 ans, dès que je pouvais coincer un petit garçon,
01:01:24plus petit que moi, pour le tripatouiller,
01:01:27je le faisais comme une pulsion.
01:01:30Du coup, je me suis toujours défendue
01:01:33d'avoir des gosses.
01:01:35Et ça reste un vrai regret.
01:01:41Je continue à aimer ce frère.
01:01:44On n'en a pas parlé pendant des années.
01:01:47Et puis, un jour, vers 40 ans, j'ai fini par dire à ma mère,
01:01:51« Maman, il faut que je te parle, il faut que je te dise.
01:01:54Je ne hais pas mon frère, je ne t'en veux pas,
01:01:57mais il faut que je le dise. »
01:01:59Elle était désespérée, en larmes.
01:02:02« Mais comment est-ce que c'est possible que j'ai pas compris,
01:02:05que j'ai pas vu ? Qu'est-ce que j'ai raté ? »
01:02:08Son émotion était sincère.
01:02:10Et puis, vers 43 ans,
01:02:14j'étais dans le bureau de ma mère,
01:02:19et ce frère incestueux est arrivé dans la pièce.
01:02:24J'ai tout de suite vu qu'il était mal.
01:02:27Il se tordait les mains, le visage crispé.
01:02:32Il est venu vers moi et il m'a dit,
01:02:36« Ça fait plus de 40 ans que j'ai ça au fond de moi.
01:02:39Il faut que je te parle, il faut que je te demande pardon.
01:02:43Je sais que je t'ai fait beaucoup de mal,
01:02:45je sais que je t'ai beaucoup porté préjudice.
01:02:48J'ai pas oublié. Je sais que j'ai fait ça
01:02:51et je sais que ta vie, elle est ce qu'elle est,
01:02:53en partie à cause de ça. »
01:02:57Je lui ai pris ses mains
01:03:00et la seule chose qui m'est venue, ça a été de lui dire,
01:03:05« Le seul fait que tu le reconnaisses,
01:03:08c'est ça qui me sauve. »
01:03:12« Tu donnes de la crédibilité à ma parole.
01:03:15Je t'en veux pas. Je t'ai pardonné depuis longtemps.
01:03:19Mais j'avais absolument besoin que ma parole soit validée.
01:03:24C'est tout le reste de ma vie qui est en jus. »
01:03:29Il a voulu me prendre dans ses bras,
01:03:33mais on n'a pas pu.
01:03:36Le corps a une mémoire.
01:03:40L'inceste m'a empêchée de savoir quand je pouvais dire non,
01:03:46quel était le curseur du non.
01:03:49Quand tu connais la transgression fondamentale de l'inceste,
01:03:53ça peut te sembler presque naturel
01:03:56de basculer dans la prostitution.
01:03:59De 24 à 26 ans, j'ai été prostitute de luxe.
01:04:03Durant cette période, j'ai été violée 3 fois en moins d'un an.
01:04:07J'ai eu de la chance.
01:04:09J'ai pu m'en sortir.
01:04:13Pour ce qui est de la vie affective,
01:04:16ça reste très difficile.
01:04:19Malgré l'attachement sexuel, passionnel,
01:04:24qui peut être formidable avec certains hommes,
01:04:27j'ai jamais pu avoir l'attachement du cœur.
01:04:31Impossible. Que dalle.
01:04:34Et ça...
01:04:38ça reste une vraie frustration.
01:04:41Je suis d'une famille d'intellos,
01:04:44en pleine révolution sexuelle de la génération 68.
01:04:49Il est interdit d'interdire et compagnie.
01:04:53Moi, à 10 ans, j'avais l'air d'en avoir 15.
01:04:56J'avais déjà le corps d'une jeune femme.
01:04:59Ma mère était très affectueuse.
01:05:02Mon père... Je sais pas.
01:05:07Quand à 10 ans, j'ai eu mes règles,
01:05:10il m'a emmenée chez son médecin pour qu'il me prescrive la pilule.
01:05:14Au cas où.
01:05:16J'étais presque une injonction à avoir une sexualité, quelque part.
01:05:21Moi, j'étais tout le temps fourrée dehors.
01:05:24Je cherchais de l'attention, je cherchais l'amour.
01:05:28Et il y a un type qui m'a trouvée dans un square
01:05:32et qui a fait...
01:05:34Moi, je croyais être amoureuse.
01:05:37En fait, j'ai été sous son emprise
01:05:40de mes 11 à mes 13 ans.
01:05:47Parfois, j'étais consentante.
01:05:49Parfois, je l'étais pas. Enfin, consentante.
01:05:52C'était...
01:05:54Ah bon ? C'est ça, l'amour ?
01:05:57Bon, ben... D'accord.
01:06:02Je me souviens d'une fois où j'ai dit non et où il m'a violée.
01:06:06Et je me suis dissociée de mon corps.
01:06:10Je me voyais du haut du plafond.
01:06:12Je le voyais, lui, sur moi, me taper, me violer. Je le voyais.
01:06:19Parfois, il me faisait coucher avec d'autres hommes.
01:06:24Il m'obligeait à avoir des rapports avec lui
01:06:27et d'autres hommes en même temps.
01:06:30Et plus tard, je me suis demandé s'il me vendait
01:06:34ou s'il me prêtait pour se faire valoir.
01:06:38Ça, il a fallu plus de 20 ans pour que je puisse le dire.
01:06:43Le truc, c'est...
01:06:46C'est l'humiliation d'être une sorte d'objet, quoi.
01:06:55Tout le monde dans ma famille était au courant de ce qui se passait.
01:06:59Et personne ne s'est dit qu'il y avait un truc qui n'allait pas.
01:07:03Personne ne m'a tendu la main à propos de tout ça. Pas une.
01:07:08Ce type dormait avec moi chez mon père.
01:07:13J'avais 11 ans.
01:07:15Et ça n'a jamais posé aucun problème à mon père.
01:07:23Je me souviens d'une fois où...
01:07:26où mon père est parti en week-end avec ma soeur.
01:07:30Et ils m'ont laissée toute seule dans l'appartement, à 11 ans.
01:07:35Ma totale, l'autre, est arrivée avec ses potes.
01:07:41Et ça a été un week-end d'enfer.
01:07:46Tout ce qui est possible et imaginable sexuellement,
01:07:50tout ce que tu peux imaginer, je l'ai vécu.
01:07:54Tout.
01:07:56Et tout était douleur.
01:08:00Ils ont aussi cassé et volé 2-3 trucs dans la maison.
01:08:04Au retour de mon père, je me suis fait engueuler.
01:08:08Normalement, quand ta fille de 11 ans est dans les pattes d'un gars,
01:08:13c'est non, quoi.
01:08:16Je me souviens d'une fois où j'ai dit non
01:08:21et où je me suis défendue. On s'est battues.
01:08:24Et mon père était avec un copain photographe
01:08:28dans la pièce d'à côté.
01:08:30Et des années plus tard, ce copain photographe m'a dit...
01:08:36Oui, on entendait les coups, on était à côté.
01:08:39Moi, je les entendais, donc ton père aussi.
01:08:43Mon père savait, donc.
01:08:46De toute façon, les portes fermaient mal,
01:08:49donc il entendait tout ce qui se passait dans l'appartement.
01:08:55Des années plus tard, j'ai fini par dire à mon père...
01:09:00Ben... J'avais 11 ans.
01:09:05Comment t'as pu laisser faire ça ?
01:09:08Je lui ai tout déballé. Enfin, tout. Pas dans les détails.
01:09:12Il s'est excusé.
01:09:15Mais il m'a fallu des années
01:09:18pour pouvoir me rendre compte que tout ça,
01:09:22c'était pas de ma faute,
01:09:24pour me débarrasser de la culpabilité,
01:09:28pour prendre conscience que j'étais une petite fille
01:09:32quand tout ça est arrivé.
01:09:34Mais même quand tu fais un travail sur toi,
01:09:37les choses, elles arrivent par strates, petit à petit.
01:09:41Et qu'envers 35 ans,
01:09:44j'ai décidé de porter plainte,
01:09:47évidemment, il y avait prescription.
01:09:57Ce sont des histoires vraies
01:09:59de femmes que j'ai eu la chance de rencontrer.
01:10:03Des femmes incroyables, mais des femmes normales,
01:10:06que vous avez peut-être déjà croisées.
01:10:09Elles avaient besoin d'être entendues
01:10:12et que leur histoire aide peut-être d'autres femmes
01:10:15et d'autres enfants.
01:10:18Que ça ne soit plus banalisé,
01:10:21considéré comme l'effet d'hiver,
01:10:24parce qu'aujourd'hui, dans le fond, ça l'est.
01:10:27J'ai une pensée aussi pour toutes ces femmes
01:10:30qui ne peuvent pas ou ne peuvent plus témoigner.
01:10:34En France, aujourd'hui,
01:10:36au moins un enfant sur cinq est victime de violences sexuelles.
01:10:42Au moins une femme sur dix
01:10:46est victime de viols ou de violences conjugales.
01:10:51Combien dans cette salle ?
01:10:55Le principe de la pyramide de Byrd
01:10:59explique que dans une entreprise,
01:11:01le risque d'accidents graves
01:11:03augmente avec les nombres de presque accidents ou d'incidents.
01:11:08Juste trébucher ou se cogner à un meuble.
01:11:11Quand une entreprise arrive à réduire
01:11:14les petits incidents au bas de la pyramide,
01:11:17alors, mécaniquement,
01:11:19il y a moins d'accidents graves.
01:11:22Je suis convaincue que,
01:11:24pour ce qui est des violences faites aux femmes et aux enfants,
01:11:28c'est en arrêtant de banaliser
01:11:31et en prenant en compte les petites violences
01:11:34qu'on pourra réduire les viols,
01:11:37les drames et les meurtres.
01:11:41Où met-on le curseur ?
01:11:43Moi, j'ai de la chance.
01:11:45Il ne m'est rien arrivé de terrible.
01:11:48À huit ans, j'étais dans un magasin,
01:11:51bondé, avec ma mère,
01:11:53et un homme m'a mis une main aux fesses, profonde.
01:11:58Je lui ai dit que ça ne va pas.
01:12:00Il m'a regardée et il est parti.
01:12:03J'ai été victime deux fois d'exhibitionnistes.
01:12:06J'ai été giflée deux fois dans la rue,
01:12:09gratuitement, par des hommes que je ne connaissais pas.
01:12:13J'ai été pelottée, insultée,
01:12:16traitée de pute, de salope.
01:12:19J'ai fait l'étoile de mer avec des petits copains
01:12:23à qui j'avais dit que, ce soir-là,
01:12:26je n'avais pas envie.
01:12:29Et puis, je suis régulièrement confrontée à des remarques
01:12:33sur mon maquillage, la façon de m'habiller,
01:12:36des propos sexistes, au travail ou ailleurs.
01:12:39Le normal, quoi.
01:12:41Franchement, j'ai eu de la chance.
01:12:44De la chance ?
01:12:46À partir de quand, on dit stop ?
01:12:49Quel est le degré au-dessus de zéro ?
01:12:53Merci.
01:12:56Applaudissements
01:13:26Applaudissements
01:13:56...

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