• il y a 2 mois
Le sens est partout mais sa définition, nulle part. On veut du sens pour son travail, dans ses relations, face au système. Mais que cherche-t-on en cherchant du sens ? Que cache ce Graal éternel, devenu tellement important qu’il semble avoir supplanté la recherche du bonheur ?


Pour y répondre, cette enquête montre comment le sens circule entre ce que nous sentons, ce que nous comprenons et ce que nous désirons.

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Transcription
00:00Le problème des philosophes, Pascal Chabot, c'est que vous posez les questions tout le temps, en fin de compte, et pour le meilleur.
00:05Évidemment, évidemment, et avec une grande joie, finalement. On n'a pas tout à fait besoin de réponses, ce n'est pas le but.
00:13Mais poser la question, la transformer, et puis la retransformer, et puis finalement l'accompagner de mots.
00:20Les philosophes n'ont, comme les romanciers et du reste, comme les romancières, que des mots comme outils.
00:25C'est peu, et 26 lettres de l'alphabet, finalement. Et avec ça, on crée des mondes de sens, justement.
00:32On crée des univers mentaux dans lesquels on déambule, et qui, même s'ils ne débouchent pas sur une grande révélation,
00:39auront eu cette grande vertu de redoubler la vie, l'existence biologique, d'une sorte de tissu de parole,
00:49d'une sorte de tissu de signification, qui la rend peut-être un peu plus intéressante et belle.
00:55Alors, le doute et la question sont absolument fondamentaux. Et ce qui est très émouvant, Marianne Jalliand, dans votre livre,
00:59c'est que le petit garçon sur la photo, en l'occurrence votre père, vous racontait qu'il vous a demandé d'écrire sur sa tombe quelque chose.
01:06Et il vous a demandé d'écrire « il a fait comme il a pu », ce qui vient en réalité nier tout ce que vous vouliez faire dire à vos élèves sur cette photo de classe.
01:14Justement, et longtemps, j'avais trouvé cette formule un peu lâche pour tout vous dire. Je m'étais dit « il a fait ce qu'il a pu, il aurait peut-être dû faire mieux,
01:22il aurait dû plus pouvoir ou plus vouloir ». Et le parcours que j'entreprends dans ce livre, parce que cette question, c'est la mienne,
01:29« que nous appartient-il d'écrire ? », je me la supposais vraiment, j'aimais bien votre terme d'enquête.
01:33Je pars à la recherche parmi les philosophes d'une réponse, et je trouve cette réponse qui me fait comprendre la sagesse de cette phrase paternelle,
01:41« il a fait ce qu'il a pu, et désormais je la fais mienne », figurez-vous. Au fond, on fait ce qu'on peut.
01:47J'ai l'impression que vous n'êtes pas en désaccord, Pascal Chabot, dans votre livre « on fait ce qu'on peut ».
01:51Évidemment, on fait ce qu'on peut avec les moyens du bord, avec toute une série de déterminismes, et on le fait de telle ou telle manière.
01:59Et sans doute que c'est sur la manière, c'est sur l'exigence, c'est sur la fidélité à certaines valeurs, à certains principes,
02:07que les choses peuvent être davantage jugées.
02:12Je vous cite au tout début de votre livre « on cherche à faire de cette vie qui n'a pas été demandée une existence qui en valait la peine ».
02:18Au fond, qu'est-ce que ça dit de nous ? Cette recherche constante du sens, de l'idée de trouver un sens à sa vie, qu'est-ce que ça raconte de nous ?
02:25Ça raconte une inquiétude, ça raconte une intranquillité, ça raconte le fait qu'il y a moyen de rater,
02:34et puis peut-être de transformer les ratages en autre chose.
02:38Et puis ça raconte tout de même le désir de se connecter à ce qu'il y a d'essentiel, peut-être de se transformer aussi.
02:48Je pense que l'existence est quand même un processus de transformation.
02:52Il y a un donné, il y a notre corps, il y a tout ce dont on hérite.
02:55Et puis il s'agit quand même d'en faire quelque chose dont on est responsable et dont peut-être on peut être fier.
03:00Mais Agnès Jaouil posait la question au début et je me la pose également.
03:03Pourquoi aujourd'hui cette injonction de donner du sens à sa vie est-elle si prégnante, est-elle si importante ? Comment ça se fait ?
03:10Le désir de sens est constant dans l'humanité, où on veut un peu de cohérence, on veut finalement que les choses concordent.
03:18Mais ce désir de sens qui a toujours existé, finalement on y a répondu d'emblée avant même que se pose la question du sens.
03:26Il y a les discours religieux, les discours politiques, les discours philosophiques aussi, qui ont pour ainsi dire stabilisé la situation.
03:33On est dans le deuil de ces récits-là, c'est dans le deuil de ces récits-là qu'on avance aujourd'hui.
03:39Et vous le disiez aussi, on vit dans un monde où les dissonances, les divergences, les discours contradictoires sont légion.
03:48Donc pour avancer, pour essayer de retrouver des bulles de cohérence, effectivement on se dit, s'il y a quelque chose que j'aimerais tout de même, c'est davantage de sens.
03:59Et puis ces angoisses liées au sens de nos vies, vous le racontez dans votre livre, c'est très intéressant.
04:03Vous dites, elles ne sont pas précisément des névroses, elles ne sont pas non plus des psychoses, elles seraient plutôt, pour leur donner le nom qui leur manque, des digitoses.
04:11Qu'est-ce que c'est que cette histoire, la digitose ? J'ai bien peur d'en être atteint, Pascal Chabot.
04:15Je le crains, et on l'est tous. Ce qui m'a semblé, c'est que nos existences étaient quand même moins branchées sur l'inconscient, l'inconscient freudien, tout ce que la psychanalyse a magnifiquement décrit.
04:29Mais dès qu'on fait le geste de prendre un téléphone, dès qu'on le consulte, ou un écran, on est parti. On est happé dans ce dôme numérique d'informations, de données, où des intelligences artificielles circulent.
04:41Je vois Valérie Perra qui essaie, elle est atteinte de digitose chronique, évidemment.
04:45C'est un élargissement de la conscience qui est assez fabuleux, mais il y a aussi toute une série de clashs entre conscient et surconscient.
04:53De même que la psychanalyse disait, quand il y a des heures et des divergences entre conscient et inconscient, on est dans le monde des névroses, des psychoses.
05:01Ici, entre conscient et surconscient, ce sont des digitoses.
05:05Je vais prendre un exemple qui vient de la lecture. Il n'y a que des lectrices et des lecteurs ici. On a tous le souvenir de ces longues plages de lecture, une heure, deux heures, qui sont des moments de bonheur.
05:19Aujourd'hui, il faut être honnête, quand on commence un livre, souvent, après quatre minutes, il y a un texto. Après huit minutes, tiens, je vais aller sur Wikipédia vérifier le sens de ce mot.
05:28Après, parfois, douze minutes.
05:30Tout en se perdant sur Instagram et Twitter.
05:34Finalement, reconquérir des longues plages de lecture est quelque chose qu'on essaie de faire.
05:42Mais on fait quand même beaucoup d'aller-retour entre le conscient et le surconscient.
05:46Le conscient et le surconscient, c'est l'existence contemporaine.
05:48Notre conscience est davantage fragmentée.
05:50C'est une digitose, c'est-à-dire un problème de la conscience contemporaine.

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