L’invité du « Grand Face-à-Face » ce samedi est Paulin Ismard, historien, professeur d’histoire grecque à l’Université d’Aix Marseille pour son dernier livre “La cité et le nombre” (Belles Lettres).
Une émission présentée par Thomas Snégaroff avec Natacha Polony, directrice de la rédaction de Marianne, et David Djaiz, essayiste et enseignant à Sciences Po.
Une émission présentée par Thomas Snégaroff avec Natacha Polony, directrice de la rédaction de Marianne, et David Djaiz, essayiste et enseignant à Sciences Po.
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00:00Bonjour, bonjour et bienvenue dans Le Grand Face-à-Face, l'émission de débats et d'idées de France Inter.
00:15À mes côtés jusqu'à 13h, les duellistes Natacha Polony, directrice de la rédaction de Marianne,
00:20et David Jays, essayiste enseignant à Sciences Po.
00:23Comme chaque semaine, ils reviendront sur l'actualité de la semaine et notamment les débats à l'Assemblée
00:28qui se sont focalisés sur les économies à faire sur le dos des fonctionnaires.
00:31Et puis, pour le débat, à trois jours d'une élection capitale pour l'avenir de la démocratie américaine,
00:37à l'issue d'une campagne plus irrationnelle que jamais,
00:39nous interrogerons précisément les liens entre démocratie et raison
00:43avec l'un des historiens les plus stimulants de sa génération,
00:47professeur d'histoire grecque à l'Université Ex-Marseille.
00:50Il signe avec le philosophe Arnaud Massé la cité et le nombre, aux belles lettres.
00:54Paulin Ismar est aujourd'hui l'invité du Grand Face-à-Face, mais pour l'instant place au duel.
00:59Le Grand Face-à-Face, Thomas Négaroff sur France Inter.
01:05Le Maroc et la France ont aujourd'hui vocation à jeter les fondations
01:09d'un partenariat d'exception renforcé entre nos deux pays
01:14et proposer aux générations des 25 prochaines années ce nouveau livre lucide.
01:22Lucide sur le passé, mais tourné vers l'avenir.
01:25Lucide sur le passé, mais tourné vers l'avenir.
01:28Emmanuel Macron était cette semaine au Maroc pour ouvrir, je le cite, un nouveau livre.
01:33Il le disait dans ce discours prononcé devant le Parlement marocain.
01:36Bonjour Natacha et David.
01:38Bonjour.
01:39David, je me tourne d'abord vers vous.
01:40Quel était l'enjeu principal de ce voyage ?
01:43Parce que franchement, un nouveau livre, on a du mal à comprendre exactement ce que cela veut dire.
01:47L'enjeu principal, c'était déjà de recoller les morceaux.
01:50Cela faisait presque une dizaine d'années que la relation entre le Maroc et la France était très dégradée.
01:56L'acte 1 de la réconciliation a été donné au mois de juillet avec la reconnaissance par Paris
02:02de la souveraineté marocaine sur le Sahara occidental.
02:06Qui a été rappelé cette semaine aussi.
02:07Et qui a été formalisé même cette semaine puisque les pointillés entre le Maroc et le Sahara occidental
02:13ont disparu du site du Quai d'Orsay mardi 29 octobre au soir.
02:18Et l'acte 2, c'est cette visite où on a mis les petits plats dans les grands.
02:22Côté français, une délégation avec presque une douzaine de ministres, 130 personnalités,
02:29des leaders économiques, des grands patrons.
02:32Safran, Total Energy, Engie.
02:36Mais aussi des personnalités plus ou moins discutables du showbiz.
02:40Et puis côté marocain, je connais bien le Maroc puisque j'y ai passé sept ans.
02:46Une certaine gourmandise aussi à accueillir avec faste les français.
02:50Les dirigeants marocains sont des gens très malins.
02:53Donc je pense après que c'est une visite importante.
02:56D'abord parce que...
02:57Très très malin, c'est-à-dire qu'ils se sont joués de nous ?
03:00Non, pas qu'ils se sont joués de nous.
03:01Mais qu'ils savent que les relations se sont refroidies avec l'Algérie.
03:06Et que c'est le moment de souffler le chaud.
03:10Puisque en général, quand ça se refroidit d'un côté, ça se réchauffe de l'autre.
03:13Après moi, je considère que c'est une visite réussie.
03:16Parce que la relation France-Maroc est absolument structurante.
03:19Il y a eu des contrats très intéressants qui ont été signés sur le ferroviaire,
03:23les énergies renouvelables, la connectivité énergétique, l'hydrogène vert.
03:27Donc on voit bien qu'on est sur des sujets d'avenir.
03:30On est sur des sujets de partenariat entre égaux.
03:34Le Maroc est un pays qui se développe bien, qui se développe vite,
03:38qui a un appareil d'État puissant, qui a une classe de capitaine d'industrie.
03:42C'était l'intelligence de Mohamed VI, d'ailleurs, de faire revenir des polytechniciens
03:47ou des surdiplômés marocains qui exerçaient dans des grands cabinets de conseil
03:50ou dans des grandes entreprises pour prendre les commandes
03:53de grandes administrations ou de grandes entreprises publiques.
03:56Et c'est très intéressant de voir la trajectoire économique sur laquelle est ce pays.
04:02Alors après, à plus long terme, me semble-t-il,
04:05une incertitude demeure sur le Sahara occidental.
04:08Parce que même si la France a reconnu la souveraineté marocaine,
04:11il y a eu le 4 octobre un arrêt de la Cour de justice de l'Union européenne
04:15qui a annulé deux accords commerciaux entre l'Europe et le Maroc
04:19sur la pêche et sur l'agriculture au motif que ceux-ci n'ont pas suffisamment
04:25consulté le peuple du Sahara occidental.
04:28Donc ça, ça a créé beaucoup d'incompréhension.
04:30Ce sont des arrêts assez étranges, d'ailleurs,
04:32mais qui montrent que l'imbroglio politico-juridique sur le Sahara occidental
04:37n'est pas encore totalement levé.
04:38Et la difficulté aussi de concilier diplomatie nationale et diplomatie européenne.
04:44C'est marrant, il y a un mot que je pensais que vous prononceriez
04:46et que vous ne l'avez pas prononcé, c'est immigration.
04:48Natacha, c'était un des enjeux du voyage aussi, Bruno Retailleux y allait aussi,
04:52pour espérer avoir les fameux laissés-passer consulaires, pour multiplier les OQTF.
04:57J'avais presque l'impression que c'était l'enjeu du voyage, moi.
05:00Non, je ne pense pas, mais il y a quand même évidemment de ça,
05:03d'autant plus que dans la brouille entre la France et le Maroc,
05:06il y a bien sûr la question des OQTF, la question des mineurs non accompagnés
05:12qui, dans certaines villes de France, posent énormément de problèmes.
05:16Mais en fait, c'est plus profond que ça.
05:18Et j'ai l'impression que cette question de la relation franco-marocaine
05:23est une illustration de la navigation à vue d'Emmanuel Macron en matière de diplomatie.
05:29C'est quand même un cas d'école du grand n'importe quoi.
05:34Parce que la relation avec le Maroc, on peut être parfaitement lucide
05:37sur la nature du pouvoir marocain, sur la façon dont Mohamed VI a organisé à son profit
05:45l'ensemble de l'économie marocaine et pour autant avoir parfaitement conscience
05:49que la relation, la bonne relation entre la France et le Maroc est absolument nécessaire.
05:54D'autant plus que se focaliser sur l'Algérie qui, en gros, a intérêt pour masquer
06:01un pouvoir là aussi prédateur à utiliser la mémoire de la guerre d'Algérie,
06:07c'est absurde de croire que les relations avec l'Algérie vont pouvoir être bonnes
06:12et donc de se fermer le Maroc pour cela.
06:17Or, c'est exactement ce qu'Emmanuel Macron a fait.
06:19Parce que si on reprend la brouille, David disait qu'elle date d'il y a dix ans.
06:22Non, en fait, la brouille, elle date essentiellement de l'été 2019.
06:27Et à l'été 2019, il y a eu plusieurs événements.
06:30D'abord, Mohamed VI a été éminemment vexé que, alors qu'il passait l'été dans son
06:36château de Picardie, l'Elysée, pour la première fois, ne l'appelle même pas.
06:40Pendant ce temps-là, Jean-Yves Le Drian, à l'Assemblée générale de l'ONU, avait
06:44du temps pour son homologue algérien, mais a fait répondre à son homologue marocain
06:48qu'il n'avait pas le temps.
06:49Des tas de petits détails et on peut poursuivre comme ça cet épisode extraordinaire quand
06:55même.
06:56Pendant la coupe du monde au Qatar, où Emmanuel Macron appelle le roi du Maroc pour le féliciter
07:08des bons résultats de l'équipe, et puis finalement le met en attente au téléphone
07:12parce qu'il a un autre appel plus important.
07:14Evidemment, Mohamed VI, ce sont des détails, mais quand ils vous sont racontés comme ça
07:18bout à bout, c'est une catastrophe.
07:20Et évidemment, l'affaire Pegasus, c'est-à-dire le fait que les téléphones de ministres français
07:27et d'Emmanuel Macron auraient été écoutés par une entreprise israélienne travaillant
07:33notamment pour le Maroc.
07:35Donc tout ça, mis bout à bout, a été une pure catastrophe et l'affaire délaissait
07:40passer consulaire puisque là aussi, il a été décidé par Gabriel Attal de diviser
07:46par deux, sans prévenir, les visas des Marocains par mesure de rétorsion.
07:52Et là aussi, ça a été extrêmement mal pris parce qu'en fait, tout ça doit se préparer,
07:56se penser.
07:57Mais donc c'est bien ce voyage ?
07:58Ah non, mais que ce soit bien, oui, mais ça ne fait que réparer quelque chose qui
08:03était de l'ordre de l'absurde et ça le fait sur le dos de la tradition diplomatique
08:10française qui, sur le Sahara occidental, était dans l'équilibre plutôt que dans
08:15la bascule vers la lecture marocaine du problème.
08:18David, ce grand n'importe quoi diplomatique et je reprends les mots de Natacha.
08:22Là où j'ai une petite divergence avec Natacha, c'est que moi je ne blâme pas Emmanuel
08:26Macron d'avoir essayé avec l'Algérie.
08:28L'Algérie, c'est un pays structurant pour la France, à la fois sur le plan mémoriel,
08:34sur le plan politique, sur le plan géopolitique.
08:36C'est une armée très puissante dans la région, c'est un stabilisateur très important
08:41dans la région.
08:42Et donc potentiellement un déstabilisateur ?
08:44Et potentiellement un déstabilisateur.
08:46Et je crois qu'Emmanuel Macron a sincèrement essayé de faire des gestes, de construire
08:50une nouvelle relation avec l'Algérie, avec des discours et des actes qui ont été courageux.
08:59Simplement, il s'est heurté, pour ne pas dire fracassé, à un mur qui est un pouvoir
09:06algérien aujourd'hui qui est aux abois, qui vit beaucoup de la rente mémorielle
09:11et donc de l'hostilité entretenue vis-à-vis de la France, et avec lesquelles il est très
09:16difficile de travailler, de construire une relation constructive.
09:19Mais idéalement, ce que j'aimerais pour l'avenir, c'est qu'on sorte de cette tenaille.
09:23Si tu t'entends bien avec le Maroc, tu dois être fâché avec l'Algérie et vice versa.
09:28Moi je crois qu'il faut que la France, elle parle à égalité au Maroc et à l'Algérie
09:31et qu'elle construise avec ses deux grands pays, car ce sont deux grands pays, ce sont
09:35deux grands partenaires, un vrai partenariat entre égaux et une vraie relation mature.
09:40Alors, je suis entièrement d'accord qu'il faut une bonne relation avec les deux et quelque
09:46chose qui soit apaisé.
09:47Mais pourquoi Emmanuel Macron s'est-il trompé avec l'Algérie ? Non pas parce qu'il a eu
09:53tort d'essayer, pas du tout, mais là aussi parce que ça s'est fait par à-coups et ça
09:57commence avant même qu'il soit élu, en allant sur le sol algérien parler de crime contre
10:01l'humanité à propos de la colonisation algérienne, pour dire à peu près le contraire
10:06quelques années après.
10:07C'est ça le problème, on ne construit pas une relation de cette manière-là.
10:11J'ajoute une chose, c'est que l'immense lien que la France entretient avec les pays du
10:17Maghreb et l'ensemble des pays de la Méditerranée, c'est absolument essentiel, c'était ce
10:22qui était à l'œuvre sous Nicolas Sarkozy avec l'idée de l'Union pour la Méditerranée
10:27qui a été torpillé par Angela Merkel et ça, nous le payons encore aujourd'hui.
10:37Le moindre propos méprisant vis-à-vis des fonctionnaires.
10:40J'ai toujours affirmé mon respect, mon remerciement, mon admiration pour l'ensemble des 5,7 millions
10:46d'agents de la fonction publique et ce n'est pas parce que nous mettons l'accent sur un
10:50vrai problème, qui est celui de l'absence, mais vous dites que ça n'existe pas, monsieur
10:55Corbière, ça existe.
10:58Il fut un temps, dans le public et dans le privé, nous comptions le même nombre de
11:03jours moyens d'absence par an et avec le temps, depuis 10 ans, les choses ont divergé
11:07et il y a beaucoup plus de jours d'absence moyens par agent dans la fonction publique
11:11qu'il y a dans le privé.
11:13Le ministre de la fonction publique, Guillaume Gasparian, ici à l'Assemblée nationale
11:17qui tente de se rattraper, il faut dire qu'il s'est mis la gauche et une grande partie
11:21des fonctionnaires à dos en évoquant une piste d'économie, réduire à 90% du salaire
11:25l'indemnisation des arrêts maladie des fonctionnaires et instaurer trois jours de
11:29carence en cas d'arrêt maladie, hors pathologie lourde bien sûr, histoire d'aligner les
11:34conditions d'indemnisation du public sur le privé.
11:37Natacha, est-ce que c'est scandaleux ce qu'on vient d'entendre et les propositions
11:40du ministre Guillaume Gasparian ?
11:43Alors qu'il faille faire des économies est vrai et donc il n'y a rien de scandaleux
11:49à ça, encore faut-il les faire de manière juste et pour cela encore faut-il être précis,
11:54ne serait-ce qu'en expliquant que le fameux délai de carence, si on veut l'aligner
11:59sur le privé, de quel privé parle-t-on puisqu'il y a énormément de grandes entreprises
12:03qui justement font bénéficier leurs salariés d'une absence de jours de carence.
12:09Donc on risque de créer une forme d'injustice, on peut ajouter à cela le fait que bien
12:16sûr qu'il y a des économies potentielles, elles sont pointées par l'inspection générale
12:20des finances, l'IGAS, très bien, mais en fait si vous regardez la fonction publique
12:26d'état, il n'y a pas plus de jours d'absence que dans le privé, les professeurs sont
12:33même en moyenne moins absents que le privé et je rappelle à ceux qui n'ont jamais
12:40enseigné qu'en plus quand on est devant une classe, on ne peut pas faire semblant,
12:44ce n'est pas la même chose que de dormir à moitié devant un ordinateur, on est obligé
12:47d'être là et d'être pleinement là.
12:49En revanche, là où il y a un peu plus que pour le privé des jours d'absence, c'est
12:56dans la fonction publique territoriale.
12:58Là aussi, il faut rentrer finement dans les détails.
13:01Qu'est-ce qui explique cette différence ? Il y en a une part qui est non expliquée
13:05et il y en a une part qui s'explique par la sociologie, c'est-à-dire le fait qu'on
13:09a des gens un petit peu plus âgés, beaucoup de femmes et beaucoup de familles monoparentales.
13:14Donc, si on veut réellement faire des économies, une grande politique d'aide aux familles
13:20monoparentales serait absolument nécessaire.
13:24Donc, si on entre vraiment là-dedans, on peut comprendre à peu près le fait que certes,
13:30la fonction publique qui est un apport, une nécessité a aussi un coût, très bien,
13:36la fonction publique territoriale a augmenté de 45% entre 1997 et 2022, alors que la population
13:42totale française augmentait de 13%, on peut rentrer dans les chiffres précis, d'accord,
13:47mais là aussi, il faut regarder la baisse de pouvoir d'achat des fonctionnaires par
13:52rapport aux privés, par exemple, pour ce qui est des enseignants, regardez, il fallait
13:57en 1982, 8 ans et demi de salaire d'un prof pour se loger à Paris, il faut 39 ans de
14:02salaire aujourd'hui.
14:03Vous imaginez la baisse de pouvoir d'achat ? Donc, il faut rentrer dans tous ces détails-là
14:08pour essayer de comprendre comment améliorer la situation.
14:10David, d'abord, vous savez, l'art et la manière en politique comme ailleurs ça compte
14:17et je n'ai pas aimé, mais alors pas du tout, la façon dont ce sujet a été introduit
14:23dans le débat public, parce qu'on a l'impression qu'on a des responsables politiques qui veulent
14:28faire leur beurre sur le dos des fonctionnaires en les stigmatisant comme si c'était des
14:33feignants ou des tirs au flanc.
14:34Donc, la première chose à faire si on veut parler sérieusement de ce sujet, c'est,
14:39et Natacha a commencé de le faire, de regarder les chiffres, les chiffres de l'INSEE qui
14:44sont repris dans le très bon rapport de l'Inspection Générale des Finances.
14:47Qu'est-ce qu'on voit ? On voit qu'avant le Covid, le nombre de jours d'absence hors
14:55congé dans la fonction publique et dans le privé est à peu près similaire, il est
14:58à 8,5.
14:59Après le Covid, on voit qu'il y a une forte augmentation, c'est vrai, mais dans le privé
15:05comme dans le public.
15:06On passe à 11,7 jours dans le privé et on passe en moyenne à 14,5 dans le public, donc
15:14très forte augmentation, mais qui ne se répercute pas de la même manière, qui n'est pas la
15:19même dans les différents versants de la fonction publique, c'est-à-dire, comme l'a dit Natacha,
15:24on reste assez bas dans l'enseignement, alors que dans les hôpitaux publics, on passe à
15:3118,1 jours, mais on peut le comprendre compte tenu de la situation de saturation et de désorganisation
15:38des hôpitaux et de la charge que ça fait peser sur un personnel soignant qui est souvent
15:42féminisé et qui a souvent de longues heures de trajet, notamment pour accéder aux hôpitaux
15:47dans les grandes agglomérations, quand vous êtes infirmière ou aide-soignante à l'AP-HP
15:51à Paris ou à l'AP-HM à Marseille, vous avez parfois presque deux heures de transport
15:56par jour et c'est presque impossible de se loger dans le cœur de l'agglomération.
16:01Et puis, puisqu'on parle d'aligner le droit de la fonction publique sur le droit commun,
16:09eh bien, allons-y jusqu'au bout, effectivement, quand vous êtes dans le privé, même si
16:13vous avez trois jours de carence, dans les grandes entreprises, ces trois jours sont
16:17immédiatement pris en charge par des contrats de prévoyance collectif, qui n'existent
16:22pas dans la fonction publique.
16:24De la même manière, vous avez un suivi médical dans le privé, une médecine de prévention
16:32qui peut parfois être de grande qualité.
16:34Donc pour moi, le vrai sujet, c'est la lutte contre la fraude.
16:38C'est-à-dire qu'effectivement, il y a de la fraude.
16:40Quand vous êtes un agent municipal à Aix et que vous vous faites faire un certificat
16:45médical à Marseille, on peut se poser des questions.
16:48Et ça, c'est ce que constatent de nombreux employeurs publics, notamment les maires.
16:52Ils voient que leurs employés municipaux font faire des certificats médicaux, souvent
16:56pour le vendredi, par des médecins qui exercent dans une autre ville à 30 ou à 50 kilomètres.
17:02Donc la lutte contre la fraude, c'est un sujet majeur.
17:05Mais le principal sujet, c'est le sens du travail.
17:08C'est-à-dire qu'on voit bien que ces jours d'absence progressent à mesure que le
17:13désengagement et que la perte de sens, mesurés dans plein d'enquêtes, progressent eux aussi.
17:19Et je crois que la priorité des priorités, c'est d'arriver à reconstruire un rapport
17:24au travail qui a été beaucoup ébranlé par le Covid, qui soit positif, où on a envie
17:28de se lever le matin, où on a du sens dans la mission.
17:31Et là, je crois qu'il faut que chacun aille devant sa porte et que ces grandes
17:34organisations publiques, où il y a des zones de démotivation de plus en plus
17:37importantes, réfléchissent à faire évoluer leur organisation pour un travail qui soit
17:42plus responsabilisant, qui soit plus épanouissant.
17:45Et en fait, moi, je veux bien qu'on s'attaque aux jours de carence.
17:47En tout cas, qu'on réfléchisse à ce sujet, mais qu'on parle aussi du sens du travail.
17:51C'est intéressant, ce que vous dites tous les deux, c'est que l'absentéisme ou les
17:56autres éléments qui pourraient être considérés comme trop en faveur des fonctionnaires
18:00sont souvent des symptômes d'un problème plus profond.
18:05Mais donc, pourquoi s'attaquer à ce point aux fonctionnaires aujourd'hui ?
18:09David a parlé de buzz.
18:11C'est quoi ? C'est de la politique politicienne habituelle ?
18:14C'est facile de taper sur le fonctionnaire ?
18:15C'est payant politiquement, Natacha ?
18:17Qu'est-ce qui se joue là-dedans ?
18:19Là-dessus, on a une prise dans un sens.
18:21Il y a un peu de ça politiquement.
18:23Souvenez-vous quand même du sketch des primaires de la droite en 2016, où c'était le
18:29concours à celui qui supprimerait le plus grand nombre de postes de fonctionnaires.
18:33Et d'ailleurs, qui a gagné ?
18:34C'est celui qui proposait la suppression de 600 000 fonctionnaires.
18:37Allez hop ! Et encore une fois, il ne s'agit pas de ne pas regarder les choses en face.
18:41Je citais tout à l'heure l'augmentation du nombre de fonctionnaires, en précisant bien
18:45que la fonction publique d'État n'a pas tant que ça augmenté, mais c'est surtout la
18:48fonction publique territoriale et la fonction publique hospitalière qui ont augmenté.
18:51Il y a un sujet là-dessus.
18:53Il y a une suradministration, notamment dans des postes qui sont des postes, en fait, de
18:59reporting, de contrôle, c'est-à-dire une lourdeur terrible qui retire du sens pour
19:05ceux qui agissent.
19:06Et c'est là où il faut réfléchir.
19:07Je rejoins totalement David sur ce sujet.
19:11Le grand face à face, le duel.
19:15Un produit en Chine vendu en Europe est accusé de concurrence déloyale par Bruxelles.
19:20Les voitures électriques chinoises désormais taxer jusqu'à 35% selon les fabricants.
19:25L'Europe veut protéger son industrie automobile et ses 14 millions d'emplois inadmissibles
19:31pour Pékin.
19:31L'insistance de l'Europe à imposer des droits de douane élevés est un acte typique de
19:36protectionnisme commercial.
19:38Cela nuira à la coopération industrielle entre la Chine et l'Union européenne.
19:43Un extrait du 8 et de 20 heures de France 2, c'était mercredi, je souris, parce que
19:46Natacha a beaucoup réagi pendant l'extrait.
19:48Et cette annonce qui a donc déplu à Pékin, on l'a entendu, une taxe jusqu'à 35% sur
19:52les voitures électriques chinoises pour protéger le marché européen.
19:55Natacha, pourquoi cette hilarité pendant l'extrait ?
19:58Parce que j'ai encore en mémoire Xi Jinping venant à Davos et expliquant à quel point
20:04le protectionnisme était une monstruosité et que le libre-échange devait être
20:09absolument maintenu.
20:10C'est tout de même extraordinaire de cynisme.
20:12Là, c'était à peu près du même niveau.
20:15Si on veut préciser, la taxation des voitures chinoises...
20:20Juste cynisme, parce qu'eux-mêmes protègent énormément.
20:22Parce qu'ils subventionnent, qu'ils protègent leur marché.
20:26La défense du libre-échange par la Chine, c'est comme la défense de l'enfance par
20:32Michel Fourniret, c'est une blague.
20:35Pardon, donc revenons à nos moutons.
20:38Je pense que c'est un cas d'école de tous les dysfonctionnements de la mécanique de
20:46l'Union européenne et de ce qu'il faudrait analyser réellement.
20:49Pourquoi ? Que l'on protège le marché européen, on a envie de dire.
20:53Il était temps, en effet.
20:55Évidemment que le marché européen est inondé de voitures électriques chinoises.
21:00Et première absurdité de nos politiques, c'est le fait qu'on a enclenché la
21:08bascule vers le tout électrique, façon grand chantier stalinien, sans se demander si
21:14nous avions les capacités de production.
21:16Moralité, on a favorisé évidemment les usines chinoises.
21:21Deuxième point, il faut regarder cette note très intéressante de la Direction
21:25générale des entreprises qui explique que depuis qu'on a mis en France un bonus
21:30écologique en fonction du score environnemental de production des voitures,
21:34donc le 1er janvier 2024, il y a en effet, et là aussi on peut s'en
21:38réjouir, une baisse du nombre des ventes de voitures chinoises.
21:42Elles étaient à 50% des ventes de voitures électriques.
21:44Elles sont passées à 11%.
21:45Sauf que les ventes de voitures françaises ont stagné.
21:48Celles qui ont fortement augmenté, multipliées par deux, c'est les ventes de
21:52voitures européennes hors France.
21:55Pourquoi ? Parce que dans le cahier des charges de ce petit bonus, on n'a pas voulu
21:58fâcher l'Allemagne et on a voulu ne pas fragiliser cet élantiste qui fabrique en
22:02Europe de l'Est et donc l'argent public français subventionne des usines en
22:08Europe de l'Est. C'est quand même formidable.
22:10Dernier point, il faut regarder, je vous incite à lire un article paru dans
22:17Voice of America qui analyse justement cette guerre entre la Chine et l'Union
22:23européenne sur les voitures et qui explique que les rétorsions chinoises vont
22:29cibler les pays qui ont voté pour cette augmentation des droits de douane.
22:34Ça veut dire quoi ? Ça veut dire qu'il y en a qui ont pris leur responsabilité, la
22:37France en premier lieu, qui vont donc protéger l'ensemble du marché européen.
22:42Mais c'est eux qui vont payer.
22:43Pendant ce temps-là, l'Allemagne a protégé ses entreprises en votant contre.
22:49L'Espagne s'est abstenue parce qu'elle a senti que ça allait poser un petit problème.
22:54Et quand vous regardez le modèle économique de l'Allemagne des Pays-Bas, il est
22:57fondé en fait sur les exportations et sur les importations.
23:02Je pourrais vous parler des droits de douane que touchent les Pays-Bas et qui
23:06montrent qu'on a des chevaux de trois des usines chinoises en Europe et que donc ça
23:11crée une distorsion absolue.
23:14David, on a l'impression en écoutant Natacha que ça sera encore pire après ce
23:19bouclier annoncé.
23:21Non, pas pire, c'est si on n'est pas solidaire.
23:23Si on n'est pas solidaire et manifestement, on ne l'est pas, vous écoutez.
23:25Voilà, c'est un peu le problème.
23:27Cela dit, si on avait annoncé aux ayatollahs de la Commission européenne il y a 20
23:31ans que l'Union européenne allait imposer des droits de douane de 35% sur certaines
23:36marchandises, notamment les véhicules électriques, ils se seraient étranglés.
23:40Oui, bien sûr.
23:40Donc on voit bien qu'on a changé de monde et on peut se réjouir que l'Europe sorte
23:45timidement de sa légendaire naïveté sur le sujet.
23:48Il lui a fallu...
23:50Pourquoi on dit toujours de naïveté ?
23:51Ce n'est pas un choix idéologique tout simplement ?
23:53Si, mais...
23:53Donc ce n'est pas de la naïveté ?
23:54L'idéologie, c'est de la naïveté.
23:56Quand elle se fracasse sur les réalités, c'est-à-dire quand vous êtes le seul à
24:00être libre-échangiste dans un monde qui est dominé par des empires qui ont en ligne
24:05de mire leur seul intérêt égoïste ou national.
24:08Vous êtes à la fois idéologique et naïf, fromage et dessert, d'une certaine manière.
24:13Il a fallu quand même...
24:14C'est en forme aujourd'hui tous les deux.
24:15Il a fallu 15 ans pour se rendre compte que la Chine cherche à s'imposer comme
24:19l'atelier écologique du monde.
24:21Si je caricature, durant les années 1990, la Chine a fabriqué en masse de
24:26l'électroménager, téléviseur, frigidaire, grâce à ses gigafactories,
24:30notamment celle de Shenzhen.
24:33Et puis, à partir de la fin des années 2000, 2008, 2009, elle comprend que la
24:37transition énergétique va être la grande affaire industrielle du 21e siècle.
24:41Et donc, elle voit celle-ci comme l'opportunité d'armer des filières nouvelles,
24:46des filières propres.
24:47On l'a vu avec la filière photovoltaïque.
24:50L'État chinois a massivement subventionné ces industries naissantes,
24:54notamment en obligeant les producteurs et les distributeurs d'électricité
24:58chinois, qui sont souvent des entreprises publiques, à avoir une composante de
25:02photovoltaïque, soit en production, soit en distribution, dans leur mix.
25:07Et au même moment, en 2009, en Europe, on retirait les aides à l'investissement
25:11et les tarifs subventionnés à cause de la crise des dettes souveraines.
25:13Le résultat, implacable.
25:15On est passé de 30% de parts de marché européennes dans le solaire
25:19à 2,5% aujourd'hui.
25:21Et on a encore de très belles entreprises comme Sistovi en France, qui est en
25:25Loire-Atlantique, qui tombent à cause de cette inégalité.
25:32Et on est en train de reproduire la même erreur sur l'automobile.
25:35La Chine, qui n'avait pas de filière automobile thermique, a massivement
25:39subventionné ses constructeurs électriques en maîtrisant tout le cycle de vie
25:43du produit, de l'extraction du cobalt en République démocratique du Congo,
25:48du lithium en Argentine, dans des conditions épouvantables avec des compagnies
25:51minières dont la Chine est actionnaire, jusqu'à la commercialisation dans des
25:55showrooms qu'on voit fleurir partout à Paris, à Amsterdam, à Berlin.
25:59Et le résultat, là encore implacable, BYD, qui est le grand constructeur
26:04de voitures électriques chinois, est devenu, à la fin de l'année 2023,
26:08le premier vendeur de véhicules électriques du monde devant Tesla.
26:14Est-ce que cette transition très rapide, elle tient aussi à un régime politique ?
26:19Et j'amène doucement vers notre invité qui va nous rejoindre dans un instant.
26:23Oui, parce que là, sous-entendu que le temps de la démocratie étant souvent
26:27plus court, parce que soumis aux élections, tandis qu'en Chine,
26:31on a un peu plus de temps.
26:32Enfin, je pense qu'on peut faire une planification industrielle ambitieuse
26:35en régime démocratique.
26:36Simplement, encore faut-il avoir le goût de l'avenir.
26:40La Chine, en fait, a identifié des secteurs industriels
26:44dans lesquels il était nécessaire d'investir très en avance,
26:48parce qu'ils ont compris que des centaines de millions de consommateurs,
26:51notamment occidentaux, en auraient besoin.
26:53Ils l'ont fait sur les panneaux solaires.
26:55Ils le font sur les batteries électriques.
26:56Ils le font sur les véhicules électriques.
26:58Ils le font sur les pompes à chaleur.
26:59Ils le font sur les pales d'éoliennes.
27:01C'est pour ça que j'ai parlé d'ateliers écologiques du monde.
27:04C'est au cœur de votre dernier livre, d'ailleurs, Natacha.
27:07Oui, en un mot, et ça va rejoindre ce que nous allons dire par la suite
27:13avec notre invité, c'est aussi la question de savoir
27:15comment on construit une communauté de destins et d'intérêts.
27:19Parce que l'enjeu européen face à la Chine, c'est celui-là.
27:22C'est pour ça que je pointais, par exemple, la politique des Pays-Bas.
27:26La politique des droits de douane en Union européenne,
27:29c'est le fait que le premier pays importateur touche 25% des droits de douane.
27:35Eh bien, le business model des Pays-Bas, c'est celui-là.
27:38Donc, ils ont intérêt à continuer à importer tous les produits dont parlait David.
27:44Donc, la question est de savoir comment on crée une égalité,
27:47un intérêt commun et donc une solidarité.
27:51Puisque je suis ravie qu'il y ait des hausses de droits de douane
27:56et un petit peu de protectionnisme.
27:58Mais si ça aboutit à ce qu'une fois de plus,
28:01ceux qui les ont mis en place payent et que les autres ne soient pas solidaires,
28:05alors c'est la France et quelques autres qui seront les dindons de la farce
28:09face à d'autres qui continueront à commercer.
28:11Des voitures électriques chinoises à la démocratie athénienne,
28:15c'est la beauté du grand face-à-face.
28:17Place au débat.
28:23Bonjour Paulin Ismar.
28:24Bonjour.
28:25Merci d'avoir accepté notre invitation.
28:27Vous êtes historien, professeur d'histoire grecque à l'université d'Aix-Marseille.
28:31Vos travaux portent essentiellement sur l'histoire de la démocratie athénienne
28:34et en particulier sur la place qui occupe les esclaves.
28:37Et vous venez de sortir La Cité et le Nombre,
28:40Clisten d'Athènes, l'arithmétique et l'avènement de la démocratie
28:44avec le philosophe Arnaud Massé.
28:46On va parler ensemble des dèmes, des tribus,
28:49de toute cette organisation mathématique et politique de la cité
28:52qui a peut-être, vous nous le direz, été la condition de la démocratie.
28:56Mais pour lancer notre discussion où nous allons interroger
29:00notre modèle politique et la raison qui le sous-tend direction les Etats-Unis,
29:04parfois qualifiés de plus grandes démocraties du monde.
29:17Kamala, tu es virée, tu es horrible, tu es sans intérêt.
29:21Vous avez évidemment retenu Donald Trump.
29:23Je vous lis dans votre livre, Paulin Ismar.
29:25On ne saurait nier pourtant qu'il existe un lien, en Grèce ancienne,
29:29entre l'avènement d'une rationalité aux traits originaux
29:32et celle d'une forme non moins singulière de distribution du pouvoir
29:35et d'organisation du monde commun qui, sans lui être réservé,
29:38y a pris une forme spécifique et un nom original, la démocratie.
29:43Comment l'historien de la démocratie grecque entend ce qu'on vient d'entendre, Donald Trump ?
29:47Est-ce que la déraison a sa place en démocratie ?
29:50Ou bien est-ce la fin de la démocratie ?
29:54Une façon de l'entendre, c'est d'y voir quand même
29:58d'abord l'actualisation d'une question ancienne,
30:00qui effectivement est une question grecque,
30:02en tout cas sur laquelle les Grecs ont beaucoup réfléchi,
30:05qui est celle du statut de la vérité en régime démocratique.
30:08Parce qu'en fait, ça ne va pas de soi.
30:09C'est-à-dire, est-ce que le régime démocratique
30:11est le meilleur des régimes pour assurer à la vérité
30:15sa prééminence dans la société ?
30:18En fait, quelqu'un comme Platon,
30:21une grande partie de la philosophie politique,
30:23en ses commencements, à partir du IVe siècle avant notre ère,
30:28considérait justement que précisément la démocratie,
30:33son défaut, son principal défaut,
30:35mais son énorme défaut qui faisait que d'une certaine façon,
30:38aux yeux de ces philosophes, c'était le pire des régimes,
30:40c'était que ce régime n'assurait pas à ceux qui savent
30:43et à la vérité un statut,
30:48la place qui devrait leur revenir dans la cité.
30:52Et d'une certaine façon, ils avaient tort, je pense.
30:55Parce qu'on peut montrer, au contraire,
30:57qu'il y a une pensée spécifique de la démocratie,
31:02en tout cas des promoteurs du régime démocratique,
31:05quand ils veulent réfléchir à la façon dont,
31:07précisément, la démocratie est peut-être le meilleur des régimes
31:09pour construire des savoirs communs
31:12et les rendre publiquement disponibles,
31:14et construire une forme de vérité pour le plus grand nombre.
31:19Et c'est ce qui explique, d'une certaine façon,
31:20le succès de ce qu'a été le régime démocratique.
31:22Ça, c'est dans le débat démocratique.
31:24Mais avec Donald Trump, on est à la tête d'un régime démocratique.
31:28Est-ce que des mots que vous employez,
31:30comme « démagogue », vous semblent adapter ici,
31:33ou c'est complètement anachronique ?
31:35Est-ce qu'un Donald Trump dans l'Antiquité, ça existe ?
31:41Oui, c'est compliqué parce que le terme même de « démagogue »,
31:45« démagogie », c'est un terme grec qui est inventé dans un contexte précis
31:49et qui est souvent utilisé quand même par les adversaires du régime démocratique
31:54pour s'en prendre à des individus qui considèrent de basses extractions
31:58et qui flatteraient, disons, les désirs populaires.
32:02Mais du coup, c'est une approche souvent assez hostile
32:06au fondement même du régime démocratique.
32:08En même temps, le terme même de « démagogie »,
32:10ce qui est un « démagogue », ça a une longue histoire depuis la démocratie athénienne.
32:15Et évidemment, Trump y correspond parfaitement.
32:18J'aimerais qu'on pose un peu des bases pédagogiques pour comprendre votre livre.
32:24Votre livre s'ouvre sur la réforme de Clisten en 507 av. J.-C.
32:28pour qu'on comprenne tous de quoi on parle,
32:30de quoi s'agit-il, monsieur le professeur,
32:32et quel lien avec l'avènement de la démocratie.
32:35On a besoin de cette base-là pour comprendre les discussions.
32:37Parce que franchement, quand j'ai dit à mes amis
32:39« on va recevoir Paulin Ismar qui travaille sur Clisten »,
32:42Clisten ? Allez-y.
32:44Clisten, ce qu'on enseigne habituellement, et c'est vrai,
32:48c'est le fondateur du régime démocratique athénien.
32:51Donc, si on veut donner un acte de naissance à la démocratie athénienne,
32:53on dira « ce sont les réformes de Clisten en 508-507 av. J.-C. »
32:57et elles sont fondatrices parce qu'elles vont organiser la vie civique athénienne
33:00pendant très très longtemps, puisque la démocratie athénienne,
33:02contrairement à ce qu'on affirme parfois,
33:04ne dure pas un siècle, elle dure au moins quatre siècles.
33:08C'est une expérience de longue durée.
33:11Alors après, ce qu'a fait Clisten,
33:14en fait, le cœur de sa réforme, c'est une réorganisation de la vie civique
33:18dont découlent un certain nombre d'institutions
33:22qui vont être les institutions dans lesquelles les citoyens
33:24vont délibérer, voter, prendre des décisions, etc.
33:27Mais le cœur de ces réformes, c'est une opération de brassage de la population athénienne.
33:33Et donc, il va brasser les différentes composantes de cette population
33:38sur un territoire très vaste, qui est celui de l'ensemble de l'Athique.
33:41Une population civique qui représente peut-être à cette époque
33:45quarante ou cinquante mille citoyens.
33:48Et il va former des nouveaux groupes, en particulier dix groupes,
33:53dix, ce qu'on appelle, ce qu'on traduit un peu mal, mais par le terme de tribus,
33:56dix tribus, chacune de ces tribus étant composée de citoyens
34:00qui viennent à chaque fois de trois régions très différentes de l'Athique.
34:03Donc, c'est comme si...
34:03Et c'est des régions géographiques, c'est la côte, l'intérieur.
34:06Voilà, totalement, indistinctement par rapport à la question de leur revenu.
34:12Ce n'est pas la question, c'est vraiment leur origine géographique qui est en jeu ici.
34:15Donc, puisqu'on est à Paris, c'est comme si on associait dans un même groupe
34:21des habitants d'Argenteuil, de Malakoff et de Passy, disons.
34:27Voilà, qui formerait de nouveaux groupes.
34:29Et c'est ces groupes qui, ensuite, formeront le cadre
34:33de la plupart des institutions civiques.
34:37David, merci, c'est très clair.
34:39Alors, du coup, je vais approfondir ça.
34:42Moi, dans mes cours d'histoire à la fac, ou dans mes cours de grec ancien,
34:46d'ailleurs, le moment clisthène, c'était un moment fondateur.
34:50Celui où un grand législateur avait paru et jeté les fondements de la démocratie
34:55athénienne qui serait plus tard magnifiée par Périclès.
34:58Et ce que j'ai trouvé très reboratif dans votre livre, c'est qu'il démonte,
35:03il dégonfle ce mythe fondateur, au moins par trois aspects.
35:07Le premier aspect, c'est au fond l'idée que la démocratie,
35:12c'est un moment d'exercice de la raison résonante, abstraite, mathématique.
35:18Vous dites bien que les mathématiques sont au cœur de la réforme,
35:21puisqu'on reconfigure l'espace civique et qu'on compte sans arrêt
35:26les 40 000 ou les 50 000 citoyens en les subdivisant en tribus.
35:31Mais ce ne sont pas les mathématiques abstraites de Platon ou de l'académie.
35:36Ce sont les mathématiques militaires,
35:39les mathématiques de la culture populaire ou de la pédagogie.
35:42Donc, premier démontage en règle.
35:44Deuxième démontage en règle, l'idée qu'un homme seul,
35:49génie solitaire, a paru et a posé les fondements de la réforme.
35:53Vous dites presque que clisthène, au fond, c'est une hypothèse de travail.
35:57En fait, c'est la raison collective qui s'est exercée.
36:00Et on ne sait pas vraiment s'il a joué le rôle qu'on lui prête dans les livres d'histoire.
36:07Et puis, le troisième mythe, c'est l'idée qu'il y a un avant et un après clisthène.
36:13Et vous, ce que vous montrez, c'est qu'il y a eu tout un tas de réformes politiques
36:16ou de réorganisations civiques qui se sont faites,
36:19pas seulement d'ailleurs dans l'Athique, mais dans l'espace hélénique,
36:23donc dans la Grèce du sixième siècle avant Jésus-Christ.
36:25Et du coup, à la fin, on se dit, au fond, est-ce que les Athéniens eux-mêmes
36:31avaient conscience qu'ils vivaient une expérience démocratique différente ?
36:36Est-ce que la démocratie, au fond, vous ne l'avez pas tellement déflatée,
36:40tellement dégonflée, qu'au fond, la réforme de clisthène,
36:44c'est un peu comme le jeu des osselets.
36:46C'est une petite affaire administrative ou d'arithmétique administrative.
36:51Et au fond, est-ce que vous n'avez pas jeté la démocratie aux orties ?
36:54Ah non, pas du tout, en tout cas, ce n'était pas du tout.
36:57Mais la question du vécu, comment les citoyens grecs,
37:00les premiers citoyens athéniens le sentent, est-ce qu'ils le ressentent ?
37:03C'est volontairement provocateur.
37:06En fait, la question qu'on s'est posée avec Arnaud Massé,
37:07c'est justement d'essayer de comprendre pourquoi cette réforme,
37:11qui est d'une très grande sophistication, parce que je l'ai présentée tout à l'heure
37:14de façon très générale, mais en fait, c'est quand même très, très complexe,
37:16la réforme de clisthène.
37:18Comment est-ce qu'elle a pu aussi facilement entrer en application ?
37:24Et puis, elle a supposé la mobilisation de dizaines de milliers d'individus.
37:27Donc, tout ça devait reposer sur des savoirs vernaculaires,
37:31des savoirs pratiques, enfin, s'ancrer dans des expériences sociales,
37:36même des dispositifs très ordinaires de la vie des Grecs du 6e siècle.
37:43D'autant plus, effectivement, que cette réforme,
37:45on peut, dans ses dimensions fondamentales, on peut l'observer,
37:50sans doute, elle est assez similaire à ce qui doit se passer à Corinthe,
37:54à Érythrée, à la même époque.
37:56Donc, la question, ce n'est pas du tout d'avoir une approche déflationniste
38:02par rapport à ce qu'a été, disons, l'avènement de la démocratie.
38:06C'est au contraire de montrer que ce sont les Athéniens eux-mêmes
38:11qui ont créé ce régime, que ce régime a pu apparaître et s'épanouir
38:19parce qu'il reposait sur des pratiques ordinaires,
38:23des savoirs concrets qui étaient partagés par la plupart des citoyens.
38:28Voilà, donc, ça ne rend pas, disons, l'expérience démocratique
38:32moins admirable ou moins impressionnante, je pense.
38:34Par contre, effectivement, l'idée d'un Clisten qui serait un démiurge,
38:39géomètre, un homme d'État génial, doublé d'un mathématicien fantastique,
38:44c'est ce que les historiens, au début du XXe siècle, avançaient au sujet de Clisten.
38:49Ça, effectivement, on revient sur cette idée.
38:54Natacha ?
38:56Alors, au cœur de votre réflexion, il y a notamment la question des jeux mathématiques
39:02qui sont évoqués par Platon dans les lois et la façon dont on distribue les hommes.
39:07En fait, vous montrez le lien entre la démocratie et le fait de ranger les hommes.
39:12Et c'est en ça que la rationalité n'est pas au-dessus et de là d'écoulerait la démocratie,
39:18mais qu'en fait, c'est un rapport permanent entre la raison mathématique et la démocratie.
39:25Et deuxième élément, vous comparez, vous venez de le dire,
39:27les différentes réformes qui ont eu lieu à peu près à la même époque.
39:32Et donc, la question qu'on peut se poser et qui est évoquée d'ailleurs à un moment du livre,
39:37c'est quel est le type de rangement des hommes qui aboutit à la démocratie athénienne ?
39:44Et est-ce que c'est le brassage ?
39:47Vous l'évoquiez tout à l'heure, puisqu'il y a différentes manières de ranger, vous le dites.
39:52Et ce qui est frappant dans la démocratie athénienne, arrêtez-moi si je me trompe,
39:55c'est qu'en fait, elle utilise deux types de rangement.
40:00Elle marie le rangement géographique avec un brassage de l'ensemble des citoyens
40:05pour aboutir à un terme qui me semble essentiel, l'isonomie.
40:09En quoi l'isonomie est au cœur de tout cela ? Comment on arrive à l'isonomie ?
40:14L'égalité face à la loi.
40:16Ce n'est pas tout à fait ça, l'isonomie, c'est plutôt l'idée du partage égal.
40:21Exactement.
40:23Alors, effectivement, déjà, ce qui est important à souligner,
40:28c'est de quel type de mathématiques on parle ?
40:31Parce qu'il y a une histoire des mathématiques savantes,
40:34c'est une grande histoire des mathématiques qui prend son origine en Grèce, au VIe siècle,
40:38et qui a pour nom Pythagore, Thalès, etc.
40:41Nous, ce qu'on a essayé de mettre en évidence, c'est un autre type de mathématiques,
40:45des mathématiques pratiques, ordinaires.
40:47Et effectivement, Platon l'évoque.
40:50Mais ce qui est très important pour nous, c'est qu'on voit ces mathématiques à l'œuvre
40:54dans les poèmes amériques, dans l'Iliade, dans l'Odyssée,
40:59qui concernent principalement la façon dont on range une armée,
41:05dont on divise, on regroupe, on décompose,
41:11on recompose des groupes sans cesse.
41:14Alors, de ce point de vue-là, le système klisténien, il est très complexe
41:18parce qu'il procède à la fois d'une division en parties géographiques
41:24et donc en une forme d'appariement entre des groupes d'individus et des parties de l'atique.
41:32Et ensuite, il crée les conditions complexes d'un brassage de ces différentes parties.
41:37Donc, c'est l'association de ces deux éléments qui est en fait particulièrement important
41:43et qui est à la base de l'isonomie.
41:47Mais quelle est la fonction du brassage ?
41:50Quelle est sa justification et sa fonction ?
41:53Parce que là, ça nous parle, je pense, à nous aujourd'hui.
41:57Quand je vous écoute, je pense toujours à l'élection américaine parce qu'elle est dans quelques jours
42:00où là, il y a de moins en moins de brassages.
42:02On voit, il n'y a que 7 swing states aux États-Unis.
42:04On vote par État.
42:05Il y a les États rouges, les États bleus.
42:07Il y a de moins en moins de brassages.
42:08Quelle est la fonction du brassage dans la démocratie intérieure ?
42:11Oui, d'autant que vous citez la réforme de Démonax à Sirène,
42:16qui justement résout, amène la paix civile en intégrant des nouveaux citoyens.
42:21Est-ce que le rôle du brassage, c'est la paix civile ?
42:24Et dans ce cas, il ne peut pas y avoir de paix civile sans cette isonomie assurée par la démocratie.
42:29Dans certaines cités, et c'est effectivement en partie le cas dans la réforme clisténienne,
42:35ces opérations de brassage font suite à une crise politique
42:40ou à une situation parfois de guerre civile.
42:42Donc, il y a ces opérations qui procèdent de ce terme assez beau,
42:47qui est l'idée d'un affrairement.
42:48C'est-à-dire qu'on crée à l'intérieur de ces groupes des nouvelles communautés
42:52où il s'agit de faire coexister et d'obliger des individus qui étaient dans des groupes
42:58qui s'opposaient jusque-là à avoir des mêmes pratiques de sociabilité,
43:02à appartenir à des mêmes groupes qui vont délibérer ensemble.
43:05Donc, il y a éventuellement cette dimension.
43:08L'idée du brassage, qui fonctionne vraiment à Athènes,
43:12à plein de niveaux différents de la vie civique,
43:14c'est quand même l'idée d'abord que ça permet de représenter
43:18l'ensemble du corps civique dans sa plus grande diversité.
43:21Donc, ça fait que quand vous allez avoir un procès à Athènes,
43:25vous serez face à, disons, 10 ou 50 juges.
43:29On s'assurera qu'en fait, ces juges viennent des différents endroits de l'Athique
43:34et donc, nécessairement, ont des métiers, des professions qui peuvent être différentes.
43:42Une des fonctions aussi, sans doute, de ce brassage,
43:45c'est de favoriser ce que certains appellent aujourd'hui la diversité épistémique
43:50dans le fonctionnement de la démocratie athénienne,
43:53c'est-à-dire de permettre à des savoirs qui sont dispersés
43:57dans l'ensemble de la communauté politique de circuler,
44:01d'être agrégés, de toute façon, et de pouvoir remonter jusqu'aux institutions centrales.
44:07D'où ce que vous disiez sur la vérité tout à fait.
44:11Dans ce brassage, vous prenez un groupe de citoyens dans la ville-centre,
44:14un groupe de citoyens à la campagne, un groupe de citoyens sur la côte,
44:18vous les rassemblez et ça fait une tribu.
44:20Je n'aime pas trop la traduction « tribu », d'ailleurs,
44:22parce que dans « tribu », il y a l'idée du lignage par la biologie et par la famille,
44:29alors que justement, ce brassage, c'est une rupture.
44:30C'est des groupes artificiels.
44:31Exactement.
44:32Et du coup, je reviens un peu à la charge par rapport à ma question tout à l'heure.
44:37Ce qui est passionnant dans le livre, c'est que vous montrez
44:39à quel point cette réforme s'inscrit dans des pratiques culturelles,
44:43dans des savoirs vernaculaires.
44:44Mais ce brassage où on prend un groupe dans la ville-centre,
44:47un groupe à la campagne, un groupe à la côte,
44:49et on dit « maintenant, vous allez faire cause commune
44:51et vous allez former une communauté politique »,
44:54ça n'a pas été un arrachement pour les gens ?
44:56Ça n'a pas été une rupture par rapport à un mode d'organisation
45:00qui était plutôt fondé juste sur la famille et le territoire ?
45:04Apparemment, non.
45:06Non, c'est-à-dire qu'on n'a aucun élément qui le présente comme…
45:10Il ne semble pas que ça ait donné lieu à des conflits
45:14ou des résistances très fortes de la population athénienne.
45:16Mais en fait, il faut bien imaginer que c'est la population athénienne elle-même
45:20qui a conçu cette très vaste opération
45:25et que ces formes de décomposition, recomposition de groupe,
45:31ils y étaient sans doute habitués, en partie,
45:35en raison de l'expérience militaire qui était là-leur.
45:38Donc on ne peut pas comparer ça au brassage civique
45:40décrit par Mona Ouzouf, par exemple, dans « Composition française »,
45:43où les hussards noirs de la Troisième République
45:47venaient enseigner le français et dépatoiser les provinces françaises.
45:51Là, ça a été vécu par certaines populations,
45:54en Bretagne par exemple, comme un arrachement.
45:57Je ne pense pas que l'enjeu, disons,
45:59ce soit un acte de centralisation ou de...
46:03Je ne crois pas que c'est ça.
46:05Ce qui se passe dans la réforme christianienne,
46:06c'est plutôt au contraire le fait de pluraliser l'expérience du commun,
46:11de vivre l'expérience civique à différentes échelles dans la cité
46:17et d'en faire quelque chose qui est vivant
46:22vraiment jusque dans le fonctionnement très ordinaire de la vie des citoyens.
46:27Et y compris lors du service militaire.
46:28Je vous souviens de mes cours d'histoire grecque,
46:29il y a pendant une année, on sillonne le territoire.
46:33C'est l'importance...
46:34On sent bien qu'on est à cheval entre l'histoire et la géographie
46:37en permanence dans votre livre.
46:39C'est fondamental.
46:40Mais est-ce que...
46:41Alors, c'est une question peut-être qui va vous sembler stupide,
46:43mais qu'est-ce qu'on a à apprendre aujourd'hui de cette démocratie athénienne ?
46:45Est-ce qu'elle était parfaite ?
46:48Non, elle n'était pas parfaite.
46:50Parce qu'elle est toujours...
46:51Comme c'est la première, elle est considérée comme l'exemple
46:54et qu'après, il y aurait un affaiblissement
46:56quand vous parlez d'une communauté nationale,
46:59d'une communauté, en tout cas, on a le sentiment que ça est en train de se déliter.
47:02Quand vous citez Mona Ouzouf, on sent aussi qu'il y a un attachement
47:05un peu presque mythologique à cette démocratie athénienne.
47:08Est-ce que c'est justifié ?
47:10Et qu'en...
47:11C'est justifié au sens où il y a très nombreux aspects de cette démocratie
47:16dont je pense qu'on peut encore s'inspirer dans nos pratiques démocratiques.
47:21Sous très très nombreux aspects, la démocratie athénienne
47:25est beaucoup plus démocratique que le fonctionnement de nos propres démocraties.
47:28Et ça, tous les gens qui réfléchissent aujourd'hui
47:30aux différentes formes de démocratie participative
47:33ou la façon dont on peut réinsuffler des formes de démocratie directe
47:36dans les institutions représentatives,
47:37en reviennent forcément au modèle démocratique athénien.
47:41Donc la question du tirage au sort,
47:43l'importance surtout à Athènes de la délibération
47:46et la façon dont on organise
47:49et dont on pense à l'organisation rationnelle de la délibération
47:52aux différents niveaux de la cité,
47:54aux différentes échelles de la cité.
47:55Tout ça peut nous inspirer.
47:57Mais précisément, si on revient à la réforme clisténienne,
48:02ce qui est intéressant, c'est qu'au fondement de tout ça,
48:04il y a une opération de brassage de la population, de mélange.
48:10Vous avez évoqué tout à l'heure quelque chose qui revient dans le livre,
48:13qui est la question de la circulation
48:16entre la question historique de la naissance de la démocratie
48:20et la diffusion des savoirs.
48:22Le fameux miracle grec de cette émergence
48:25d'un nombre de sciences et d'arts extraordinaires.
48:30J'aimerais que vous reveniez sur ce lien,
48:32parce que la question que je me suis posée en vous lisant,
48:36c'est en effet, vous montrez très bien
48:38comment il y a dans les savoirs vernaculaires,
48:40une base de rationalité qui permet la mise en place de ce système,
48:45qui lui-même va permettre de faire remonter,
48:47vous le disiez tout à l'heure, les savoirs
48:49et de les utiliser pour ensuite créer une dynamique démocratique.
48:56Ça m'a évoqué ce que me disait un professeur
49:00sur la question de la façon dont la République
49:04utilise les savoirs de base, ou plutôt utilisait les savoirs,
49:07notamment les savoirs paysans, les savoirs vernaculaires,
49:10comme base du travail de l'instituteur.
49:12Et que l'une des difficultés de l'enseignement aujourd'hui,
49:14c'est justement la destruction de cette rationalité de base
49:18sur laquelle on pouvait s'appuyer pour enseigner.
49:21Comment construire le parallèle entre ce que vous racontez
49:24de la démocratie athénienne,
49:26et la façon dont dans une démocratie comme la nôtre,
49:30on peut justement utiliser les savoirs, la rationalité, les diffuser,
49:36sachant qu'on est quand même dans une période
49:40où Donald Trump en est une preuve.
49:42La destruction des savoirs est un élément essentiel.
49:45Vous avez 4 heures.
49:46On ne les polarise pas.
49:47Mais c'est un temps sémant pour nous.
49:48C'est une question vraiment très difficile.
49:51Là, pour moi, en tout, je voulais une question très classique,
49:58qui est celle de tous les historiens et les philosophes
50:01qui réfléchissent à la Grèce ancienne.
50:02C'est cette fameuse idée qui avait été avancée par Jean-Pierre Vernon,
50:06la raison grecque, fille de la cité.
50:08Et très certainement, il y a un lien.
50:12En même temps, la raison grecque est fille de la cité,
50:17et assez rapidement, en particulier la philosophie,
50:20entre en conflit avec ce qu'est la cité démocratique.
50:26Et en même temps, vous voyez à la fin du livre,
50:30on essaie de montrer à la façon dont le fonctionnement institutionnel
50:36de la cité démocratique, avec cette idée du mélange
50:41de la population, du brassage de la population,
50:43a pu inspirer certains éléments essentiels de la philosophie grecque.
50:48Et en particulier, la pensée combinatoire.
50:51La façon dont la pensée combinatoire est à l'œuvre dans des domaines
50:56de la philosophie qui peuvent sembler extrêmement savants,
50:59extrêmement complexes, mais qui reposent peut-être sur,
51:02en fait, ces types d'organisations pratiques ordinaires de la vie civique.
51:08Et mettre en relation, comme ça, certains passages
51:11qui peuvent paraître très complexes, de textes d'Aristote.
51:14Et voilà ce qu'était l'Athènes de la fin du 5e siècle,
51:18ça me semble important.
51:20Je crois que je ne réponds pas tout à fait à votre question.
51:23C'est pas grave, ça arrive souvent ici.
51:25Mais quand même, vous parlez de brassage, de communauté,
51:29et on vous oppose toujours, et c'est votre grand sujet d'études et de thèses,
51:33la question des esclaves.
51:34Comment les intégrer là-dedans ?
51:36Est-ce que ce n'est pas le signe d'une démocratie totalement imparfaite,
51:39et je fais exprès de le dire ainsi,
51:41pour que vous puissiez me dire que je me trompe ?
51:43Non, non, bien sûr, vous avez raison.
51:47Effectivement, moi, le sujet principal sur lequel je travaille,
51:54il s'agit vraiment de réfléchir au lien entre cette expérience
51:58de l'autonomie politique qu'a été la démocratie
52:00et l'avènement de l'esclavage.
52:02Parce que l'Athènes dont on parle est aussi peut-être
52:05la première grande société esclavagiste de l'Histoire.
52:08Donc ce lien existe.
52:10En même temps, où il faut vraiment faire attention,
52:13c'est que même si ce lien existe,
52:18il y a énormément de choses de l'expérience démocratique
52:20qui peuvent encore très largement nous inspirer.
52:23Et par ailleurs, en fait, ça doit surtout nous inviter à réfléchir
52:26sur ce qu'a été aussi l'expérience des démocraties
52:30depuis, disons, la fin du 18e siècle.
52:32J'aimerais aussi, quand on parle de la France de 1910,
52:35dans laquelle tous les femmes,
52:43les sujets de l'Empire, évidemment, ne prennent pas part
52:46à la vie politique, etc.
52:47On a aussi ce regard.
52:49Donc la démocratie, c'est de toute façon...
52:52La démocratie parfaite n'existe pas.
52:54C'est toujours une quête qui est à construire,
52:56qui est à venir et qui est toujours inachevée d'une certaine façon.
53:01Vous parlez de la France, on pourrait aussi parler des Etats-Unis,
53:03une grande démocratie esclavagiste pendant une longue partie de son histoire.
53:07David, dernière question.
53:08C'était intéressant, votre débat sur l'isonomie et l'égalité tout à l'heure,
53:11parce qu'on a une lecture rétrospective de l'égalité
53:15comme quelque chose de très abstrait,
53:17alors que ce qu'on voit dans votre livre, c'est quelque chose de très concret.
53:20C'est comment on attribue des terres,
53:21comment on fait des listes électorales ou pour le tirage au sort.
53:24Et du coup, qu'est-ce que ça peut nous apprendre
53:27pour revisiter aujourd'hui le concept d'égalité ?
53:30Je pense que la réforme cristalline peut nous inviter à imaginer,
53:36disons, vivre aujourd'hui l'expérience démocratique et l'égalité,
53:41qui est quand même au cœur de notre condition
53:46et de ce à quoi on aspire sur le plan politique.
53:49Ça doit passer par des expériences concrètes,
53:52des expériences pratiques de plein d'ordres différents, etc.
53:56Mais voilà, au moins, disons,
54:00faire porter l'attention du politique
54:03et de ce qu'on pourrait faire sur ce plan-là, ça me semble important.
54:08Merci Paulin Ismar.
54:10On lira la cité et le nombre aux belles lettres que vous avez co-signées
54:14avec le philosophe Arnaud Massé et puis vos précédents livres
54:18sur les esclaves et la démocratie contre les experts.
54:22Vos livres sont encore disponibles évidemment en librairie.
54:24Merci infiniment d'avoir été avec nous.
54:26Merci Natacha.
54:27Merci David de nous avoir accompagnés et éclairés pendant quatre émissions.
54:31C'était formidable.
54:32Merci à vous, vous étiez un auditeur.
54:33J'espère que vous le demeurerez.
54:34Bien sûr, plus que jamais.
54:36Merci à l'équipe du Grand Face à Face.
54:37Aujourd'hui, c'est Johan Duval qui est à la préparation de l'émission.
54:41Marie Merier, comme d'habitude, à sa réalisation.
54:43Aujourd'hui, Philippe Duclos à la technique d'une émission
54:45à laquelle vous pouvez vous abonner en podcast sur l'appli Radio France.
55:24La vidéo n'a pas été réalisée sans l'accompagnement d'Amara.org